Le Prologue de Saint Jean dans la Tradition Chrétienne 1

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Le Prologue de Saint Jean dans la Tradition Chrétienne et l’Exegèse Scripturaire 1 (première partie) par Jean Pierre Bonnerot

A L’Abbé Alta

1 – Dans le Principe était Le Logos. En Dieu était le Verbe. Et c’est Dieu qui était Verbe. 2 – Ainsi en était-il dans le Principe en Dieu. 3 – Et tout ce qui devient est par lui, et rien de ce qui est devenu n’est devenu sans Lui. 4 – Et ce qui est devenu était vie en lui. Et la Vie était la Lumière des hommes… 5 – Et la Lumière luit dans La Ténèbre, et la Ténèbre n’a pas compris. 6 – Parut un homme envoyé par Dieu. Son nom était Jean. 7 – Et il était venu pour rendre témoignage, pour rendre témoignage de la Lumière, afin que par lui tout le monde crût. 8 – Il n’était pas, lui, la Lumière ; mais pour rendre témoignage de la Lumière. 9 – La Lumière véritable existait, éclairant tout homme qui vient dans ce monde. 10 – Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle et le monde ne la connaissait pas. 11 – Et elle vint dans son domaine, et ses vassaux ne la reçurent point. 12 – Mais à ceux qui la reçurent elle donna le pouvoir de devenir enfants de Dieu : à ceux qui croient en son nom. 13 – qui sont nés, non pas du mélange des sangs, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. 14 – Car le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous ; et nous avons vu sa gloire : une gloire digne de l’Unique Engendré du Père ; la plénitude de la grâce et de la vérité (1).

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* *

Ainsi se présente le texte du Prologue de Jean qu’avec l’aide de la Tradition Chrétienne : Gnostique, Patristique, Théosophique, nous tenterons de mieux comprendre. Tentative hardie s’il en est, que pratiquement seul un maître comme Origène osa affronter ; réflexion sur le mystère de la Création que seule la kabbale examine – cela étant d’ailleurs le seul mobile de sa quête – mais qui oublie volontairement dans son exégèse ce Prologue lorsqu’il vient éclairer et expliquer, expliciter et clarifier le récit de la Genèse.

Le mystère de la Création est l’un des points centraux de la métaphysique cathare, et les leçons du Catharisme dont nous userons montreront une fois de plus, comme toujours, qu’il n’y a pas dans la philosophie des bonshommes de manichéisme et d’hétérodoxie, mais que leur pensée révèle la pure doctrine du christianisme originel.

I. Dans le Principe était le Logos

A. Elohim

L’affirmation première de la Genèse et du Prologue réside dans cette prise de conscience fondamentale à l’égard de Dieu, de Ses manifestations et donc aussi de sa Création : il n’y a pas de commencement ! « Dans le Principe, Elohim créa les cieux et la terre« . (Genèse I, 1)

Avant d’aller plus outre, il n’est pas sans importance de rappeler le problème terrible et pourtant de résolution si simple, qui se pose au Judaïsme et à la Kabbale et que rappelleront Emmanuel Levyne et Carlo Suarès.

« Elohim est un des noms de Dieu. Littéralement selon la grammaire et la ponctuation rabbinique – il devrait se traduire par : deux ; car la terminaison im indique le masculin pluriel. Mais alors l’idée du monothéisme pur se trouve nié à sa source même« . (2)

et encore :

« C’est le Yod-Mem de Elohim, où le Aleph devient Yod et le Mem final (600) est signe de fécondation cosmique. Dans le schème de Elohim on ne trouve pas de 2, de sorte que son action sur le 2 a un aspect magique et que cette Force créatrice est constamment divinisée« .

Le masculin pluriel d’Elohim est très important, et cela n’est pas curieux ! Ou bien la Genèse est transmise dans une langue sacrée, ou du moins fait l’objet d’une révélation divine qui ne peut dès lors, de par son origine, contenir d’erreur ; ou bien le Récit de la Création constitue une spéculation humaine et dès lors il n’y a plus de Religion. Ce masculin pluriel ne constitue d’ailleurs pas un empêchement à ce qu’il manifeste le monothéisme pur de la Révélation biblique : un seul Dieu en trois Personnes…

Le Targum du Pentateuque quant à la Genèse commence par ces mots :

« Dès le commencement la Parole du Yahwé avec sagesse créa » (4) et il n’est pas inintéressant de noter que le Targum, qui regroupe les versions araméennes de la Bible, était en circulation avant le 1er siècle, par ailleurs ce premier verset cité ci-haut sera à rapprocher des trois premiers versets du Prologue…

A propos de ce masculin pluriel, réfléchissons sur le mot « Elohim« , qui s’écrit avec les lettres :

Aleph Lamed Hé Yod, Mem

1 3 (0) 5 1 (0) 6 (00)

Le Mem final a pour valeur non pas 40 qui représenterait un état de résistance à la vie, mais 600 parce qu’il exprime le principe de fécondation cosmique. Fabre d’Olivet en son admirable Langue Hébraïque Restituée rappelle que ce caractère ; placé à la fin du mot devient le signe collectif développant le sens du mot dans l’espace infini autant que sa nature le permet, ou bien réunissant par abstraction, en un seul être, tous ceux d’une même espèce. Or de quel être est-il question dans le mot Elohim sinon de Celui désigné par les lettres Aleph et Lamed qui désignent Dieu. Il est donc possible en suivant les leçons de ce maître de la grammaire hébraïque de noter qu’Elohim, c’est Dieu réunissant en Lui-même et donc en l’Unité, une diversité qui Lui est propre et nous arrivons alors au Mystère de la Sainte Trinité, un seul Dieu et/en trois Personnes. Le Hé, manifeste la vie universelle : il a pour valeur 5, et BRA (=5) signifie toute conception, toute émanation potentielle, tout mouvement inné tendant à manifester au dehors la force créatrice de l’être. Le Yod symbolise la toute puissance manifestée, l’éternité (5).

Elohim c’est Dieu manifestant de toute éternité dans Sa Vie Universelle, au dehors de Lui, une émanation potentielle de Personnes dont l’ensemble Le ramène à Lui-même, dans un principe d’Unité, et ces Personnes sont Dieu aussi, puisque le Mem signifie en un seul être, tous ceux d’une même espèce !

Il convenait de régler ce point fondamental, cette évidence qu’Emmanuel Levyne ne veut reconnaître, lorsqu’il rappelle pourtant qu’Elohim peut se lire E – Lo – Ha = Unité (Dieu) et YM = Multiplicité (6) ; et il est un regret pour l’historien des idées, c’est que ni le Judaïsme, ni l’Islam – malgré le Coran, mais c’est une autre histoire ! … ne peut concevoir donc reconnaître le Mystère de la Sainte Trinité. Le Kabbalisme juif considérera, comme Emmanuel Levyne, par exemple, que la multiplicité s’applique au monde, qu’Elohim c’est Dieu + Le Monde, alors qu’il convient d’appliquer l’idée de multiplicité figurant dans un mot, naturellement, au mot Lui-même dans lequel il se trouve !

« Dès le commencement la Parole de Yahvé avec Sagesse créa…« .

« Dans le Principe était le Logos« . Si l’on remplace la traduction Dans le Principe par le mot correspondant hébreu :

Be – Re- A – CH – Y – TH

2 2 (00) 1 3(00) 1(0) 4(00)

On notera pour mémoire qu’il a pour valeur 2 + 2 + 1 + 3 + 1 + 4 = 13, et Emmanuel Levyne signale que les mots hébreux signifiant Amour, Un, Guérison, Lumière, ont aussi pour valeur 13 (7). Dès lors, le premier verset du Prologue peut se lire ainsi :

L’Amour était le Logos – L’Unité était le Logos – la Guérison était le Logos – La Lumière était le Logos.

L’une des lectures de Be – Ré – A – CH – Y – TH peut se faire de la façon suivante:

BRA : constitue la racine du mot création

CHY : signifie justice rendue

TH : indique le principe de réciprocité.

La création est un acte de justice rendue selon une condition de Réciprocité, et avant d’aller plus outre signalons que Rachi dans le cadre de son commentaire du premier verset de la Genèse rappelle « qu’Elohim c’est le nom de Dieu exerçant la justice » (8). Le mystère de cette Réciprocité s’entend à deux niveaux :

1 – Entre Dieu et Sa créature, et c’est toute la raison du Kabbalisme juif qui perçoit dans la pratique de sa mystique, le moyen d’unir comme en un mariage, le Créateur et Sa créature provisoirement séparés à la suite de la chute, en ce que, comme l’explique Rachi : « Ils surent qu’ils étaient nus (Genèse III, 7), ils détenaient un seul commandement de Dieu et ils s’en sont dépouillés » (9) ; mais c’est aussi toute la raison de la mystique chrétienne que manifeste l’enseignement d’Origène l’homme créé à l’image de Dieu doit tendre à Sa ressemblance, et que, comme le rappelle Irénée de Lyon, Dieu s’est fait homme, pour que l’homme se fasse Dieu.

2 – Entre le Père et le Fils, comme le montrera par exemple, dans le cadre d’une prochaine étude, l’explication de la « Prière Sacerdotale » (Jean XVII) [voir l’article sur ce site : La prière sacerdotale].

B. Logos et Verbe

Alta distingue les termes Logos et Verbe, n’appliquant le premier qu’au premier verset du Prologue, pour ne plus user ensuite que du second.

Ces deux mots ne sont pas synonymes.

Le Logos c’est Dieu contenant en soi les idées éternelles qui ultérieurement se manifesteront extérieurement à Lui-même, quand elles viendront à l’existence « réelle » dans la Création.

Le Verbe c’est Dieu qui, dans et par Sa parole, amène les Idées de Dieu non encore manifestées dans la Création à l’existence « réelle », comme il est dit par David : « Par la parole de Iahvé les cieux ont été pris et par le souffle de sa bouche toute leur armée« . (Psaume XXXIII, 6).

Jésus+Christ c’est Dieu, comme l’atteste la Révélation scripturaire mais nous retiendrons provisoirement deux titres qu’ Il se donne :

« Je suis la Lumière du monde« . (Jean VIII, 12)

« Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le principe et la fin« . (Apocalypse XXII, 12).

Jésus+Christ, le Verbe, le Logos sont trois des titres de la deuxième Personne de la Sainte Trinité, le Logos étant la source des Idées, au sens platonicien du terme, le Verbe étant la Parole matérialisant ces Idées, (ce Projet), Jésus+Christ étant l’incarnation du Logos, du Verbe en vue de l’accomplissement des Mystères divins dans l’oeuvre de Salut opérée par la Sainte Trinité.

Nous écrivions dans une étude précédente (11), Dans le Principe, s’inscrit le dynamisme d’une création qui se trouve en état de génération : le Dr Chauvet traduit le début du premier verset de la Genèse par ces termes :

« De toute éternité, le Principe créateur de l’Hexade des manifestations universelles avait conçu dans sa pensée créatrice… » (12).

C. Dans le principe

Tout ce qui a été créé a été pensé par Dieu, mais tout ce qui a été pensé dans le Principe a pu ne pas avoir été encore amené à l’existence « réelle », dans le temps de la Pensée, et donc ne pas encore être créé.

Pour le Judaïsme, la Création entière est simultanée à la manifestation du Verbe et il convient toutefois de ne pas oublier que la Sagesse est antérieure à la création :

« Iahvé m’a créé principe de Sa voie ; antérieurement à ses oeuvres, dès lors ; dès l’éternité j’ai été formé, dès le début, antérieurement à la terre « . (Proverbes, VIII, 22, 24).

Pour le Rabbinisme, la Sagesse préexistant à la Création ne peut naturellement n’être que la Tora. Or, selon ce courant exotérique du Judaïsme, la Tora, c’est la Loi, mais Emmanuel Levyne ajoute et répond devant cette prétention :

« Du point de vue de la kabbala ce n’est pas exact. La catégorie essentielle de la Tora et de l’Hébraïsme n’est pas la Loi, mais la Création… la Tora commence là où il y a Création… Bien que la Création et la Loi s’excluent, il faut reconnaître, que dans la Tora il y a une Loi : la Loi de Moïse. Mais cette Loi est une partie de la Tora – et non toute la Tora ; et c’est là que réside essentiellement la divergence entre le point de vue de la kabbala et le point de vue du Rabbinisme. Pour la kabbala, la Loi ne représente qu’un temps de l’histoire de la Tora, elle n’est qu’un des avatars de la Parole de Dieu dans le monde. Son règne est transitoire. Elle s’est manifestée et imposée à la suite du péché de veau d’or et elle disparaîtra à la venue du Messie« . (13)

Quelle est donc cette Sagesse ? Le Zohar reconnaît la présence du Logos comme antérieure à la Création, si elle fut manifestée dans le temps où furent formulées les Paroles créatrices, simultanément ; le Logos est la Pensée de Dieu :

« La création s’opéra par la volonté du mystérieux Infini. Ce n’est que pour la création des oeuvres en détail qu’est prononcé le mot « Parole » pour la première fois ainsi qu’il est écrit : « Et Elohim dit : Que la Lumière soit ». Donc le Verbe n’apparaît que pour la création des détails, alors que la création de la matière générale fut opérée avant la manifestation du Verbe. C’est pourquoi on ne trouve pas dans les deux premiers versets de la Genèse où il est exposé la création de la matière en général, le mot « vayomer » : « dit ». Bien que les mots « Bereschit bara Elohim » signifient : « Par le Verbe Elohim créa les cieux et la terre « on ne doit point conclure de ce que la matière a été créée par le Verbe que celui-ci se fut déjà manifesté avant la création. Certes, il existe de toute éternité, mais il ne se manifesta pour la première fois que quand la matière eut été créée. Avant, le mystérieux Infini manifestait son omniprésence et son immense bonté à l’aide de la mystérieuse Pensée, de même essence que le mystérieux Verbe, mais silencieuse. Le Verbe, manifesté à l’époque de la création de la matière, existait avant sous forme de Pensée ; car si la parole est capable d’exprimer tout ce qui est matériel, elle est impuissante à manifester l’immatériel« . (14)

Le Logos c’est la Parole, le Verbe c’est la chose exprimée, et la Parole peut très bien ne pas s’exprimer et demeurer silencieuse. Ainsi Logos et Verbe appartiennent au monde de la Kabbale.

Philon d’Alexandrie en son Traité De la Création du Monde proclame :

« Donc de même que le projet de cité formé dans la pensée de l’architecte ne se situait en aucun emplacement extérieur, mais était imprimé dans l’âme de l’artiste, de même le monde constitué d’idées ne saurait avoir lui non plus d’autre lieu que le logos divin qui a organisé ces sortes de réalités« . (15)

La création réfléchit le Logos, ce point est fondamental dans la pensée des Pères, et Origène précise en sa première Homélie sur la Genèse :

« Au commencement Dieu fit le ciel et la terre. Quel est le commencement de tout sinon Jésus+Christ notre Seigneur et « le sauveur de tous » (I.Tim IV, 10) « Premier-né de toute créature » (Col I, 15). C’est donc dans ce commencement, c’est à dire dans son Verbe que « Dieu fit le ciel et la terre » selon ce que dit l’Evangéliste Jean au début de son évangile : « Au commencement était le Verbe… » Il ne parle pas ici d’un commencement temporel ; mais il dit que le ciel et la terre et tout ce qui a été fait ont été faits « au commencement », c’est à dire dans le Sauveur« . (16)

Le Zohar signale :

« Lorsque le Mystère de tous les Mystères, voulut se manifester, il créa d’abord un point qui devint la Pensée divine, ensuite il y dessina toutes espèces d’images, y grava toutes sortes de figures et y grava enfin la lampe sacrée et mystérieuse, image représentant le mystère le plus sacré, oeuvre profonde sortie de la Pensée divine. Mais cela n’était que le commencement de l’édifice, existant sans toutefois exister encore, caché dans le Nom, et ne s’appelant à ce moment que « Mi ». Alors voulant se manifester et être appelé par son nom, Dieu s’est revêtu d’un vêtement précieux et resplendissant et créa « Eléh » (cela) qui s’ajouta à son nom. « Eléh » ajouté à « Mi » renversé, a formé « Elohim »… C’est grâce à ce mystère que le monde existe« . (17)

Le Mi des kabbalistes, c’est le Logos, et il n’est pas sans importance de citer encore ce passage du Zohar :

« Il est écrit : « Au commencement ». Rabbi Youdaï dit : quelle est l’interprétation anagogique du mot « Bereschit » ? Bereschit au sens anagogique signifie Hocma (= la Sagesse), c’est à dire, c’est par le mystère sublime et impénétrable de Hocma que le monde existe.

L’Ecriture désigne le Verbe, par le mot Bereschit, … le Saint mystérieux a gravé un point ; et dans ce point il a renfermé toutes les oeuvres de la création, comme on enferme tout avec une clef ; et cette clef qui est l’essentiel ; c’est elle qui ouvre et qui ferme« . ( 18 )

Ce texte du Zohar doit être rapproché de ce texte de l’Apocalypse III, 7 qui manifeste le Christ Jésus : « Ainsi parle le Saint, le véritable qui a la clé de David, qui ouvre et personne ne fermera, qui ferme et personne n’ouvre » et de cet autre, où Jésus déclare : « En vérité, en vérité, je vous dis que c’est moi la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des pillards et des voleurs ; ainsi les brebis ne les ont point écoutés. Oui, la porte, c’est moi : si c’est par moi que quelqu’un entre, il sera bien reçu, il pourra entrer et sortir, et il trouvera des pâturages« . (Jean X, 7-10)

Le Judaïsme et le Christianisme orthodoxes possèdent la même foi en ce qu’ils reconnaissent que le Logos (ou le Verbe non encore manifesté dans ses oeuvres) est bien dans le Principe, de toute éternité et à l’origine de la création, et le Logos et le Verbe, c’est Jésus Christ, qui est « serrure, la clef » qui ouvre la Porte : le Chemin, la Vérité et la Vie, et le Zohar I 3b ajoute : « Béreschit c’est la clef qui renferme tout« . ( 18 )

Origène en son Commentaire sur Saint Jean déclare :

« Vois si nous ne pouvons pas interpréter le texte : « Dans le Principe était le Verbe (Logos) » d’après le sens spirituel : toutes choses sont créées d’après la Sagesse, d’après les Lignes directrices d’un plan dont les éléments (= notions) sont dans le Verbe (Logos) ».

« Il faut ajouter qu’après avoir produit si j’ose dire une Sagesse vivante, Dieu lui a confié le soin de donner, d’après les modèles qu’elle porte en elle, le modelage, la forme et peut-être même l’existence aux êtres et à la matière« . (19)

D – La Sagesse

« Iahvé m’a créée, principe de Sa Voie, antérieurement à ses oeuvres, dès lors ; dès l’éternité j’ai été formée, dès le début, antérieurement à la terre« . (Proverbe VIII, 22, 24)

L’Ecclésiastique, l’un des Livres de l’Ancien Testament se présente sous la forme de plusieurs manuscrits offrant dès lors des variantes sensibles et nous userons alors de diverses éditions, dont la Bible de Maredsou qui affirme à l’égard de la Sagesse :

« Le Verbe de Dieu dans les cieux est source de Sagesse« . (Sir 1, 5)

« C’est lui qui l’a créée dans le Saint- Esprit« . (Sir 1, 9)

Ces deux passages ne figurent pas, par exemple dans la version grecque des LXX, mais s’ils ne sont pas repris dans l’édition établie pour la Pléiade, ils présentent théologiquement un intérêt considérable, dans la mesure où si la Sagesse est dans le Saint-Esprit, le Verbe de Dieu est source de la Sagesse, dans la mesure où l’Esprit Saint procède de toute éternité du Père (Jean XV, 26) mais dans Sa manifestation, il procède du Père par le Fils, selon la distinction subtile établie par Photius et qui lève tout malentendu sur le problème du Filioque, affaire faussement doctrinale et d’origine césaro-papale…

Avec ces versets de l’Ecclésiastique (Le Siracide), et de Proverbes, on peut mesurer alors toute la portée orthodoxe des premiers mots du Targum du Pentateuque quant à la Genèse que nous citions plus haut : « Dès le commencement la Parole de Yahvé avec Sagesse créa…« , orthodoxie de la révélation biblique et alliance du Judaïsme et du Christianisme en une même foi envers la Sainte Trinité où sont manifestés dans la Création le Père ou Yahvé, la Parole ou Verbe ou le Fils, la Sagesse ou le Saint Esprit.

L’histoire de la Patristique montre, comme dans l’histoire de la pensée hébraïque, une théologie très incertaine sur la Sophia ou Sagesse, en ce que l’action de Dieu dans la Création pose de nombreux problèmes.

Si le Judaïsme détermine l’existence de la Sophia, dans la mesure où la transcendance d’un Dieu unique ne peut selon lui admettre l’existence d’un Mystère comme celui de la Sainte Trinité, la Sagesse est reléguée au niveau des Puissances, des Intermédiaires, dont Dieu use dans son action créatrice.

Philon d’Alexandrie déclare en son Commentaire allégorique des saintes lois après l’oeuvre des six jours :

« Un fleuve, dit-il, sort de l’Eden pour arroser le jardin ».Fleuve est la vertu compréhensive et féconde, la bonté morale, elle sort de l’Eden, la Sagesse de Dieu ; celle-ci est le Logos de Dieu ; car c’est selon ce Logos qu’a été faite la vertu compréhensive et féconde« . (20)

A propos de ces fleuves de l’Eden, il est intéressant de rappeler ces paroles du Psalmiste :

« Tu as visité et tu l’as inondée, tu l’enrichis abondamment. Le ruisseau de Dieu est rempli d’eau, tu prépares le froment des hommes« . (Psaume LXV, 10)

L’eau, la terre, le froment sont liés à la Sagesse et au Logos et cette liaison, Philon la montre, anticipant le Mystère Eucharistique que « ses Pères » ne connaissaient pas encore :

« Il produit aussi en nous une famine, non de vertu, mais de tout ce qui résulte de la passion et du vice ; et la preuve, c’est qu’il nous donne en nourriture son propre Logos dans sa très large compréhension ; car manne se traduit par « quelque chose », c’est à dire le genre suprême des êtres ; et le Logos de Dieu est au-dessus du monde tout entier, l’aîné et le genre suprême de tout ce qui est né. Nos pères ne connaissent pas ce Logos« . (21)

Le Logos qui est le Verbe et le Christ, s’est donné en nourriture dans le cadre du Mystère Eucharistique, et il est bien le Christ ; comme le rappelle l’Apôtre aux Colossiens, I, 15 :

« Celui qui est l’image du Dieu invisible et le premier enfanté de toute création« .

Le Logos d’un Philon pose un terrible problème au Judaïsme, quand un Henri Serouya par exemple s’exclame en son intéressante Etude sur les étapes de la philosophie juive :

« Et pourtant qu’est-ce que pour Philon, le Logos qui apparaît comme une puissance agissante au sein de l’univers ? Une telle personnification placée après Dieu, pour un Hébreu attaché foncièrement à la Torah, n’est qu’un sacrilège odieux« . (22)

Pour le Christianisme, déterminer une théologie de la Sagesse, serait relativement simple, mais les théologiens qui jusqu’à ce jour écrivent sur ce sujet, manifestent toujours une pensée incertaine (23).

L’exégèse montre que la Sagesse en fait se manifeste toujours pour manifester la Gloire de Dieu, que Dieu se donne dans la relation qu’il établit en qualité de créateur à l’égard de Sa Création en chemin vers la Nouvelle Jérusalem : si l’accueil de nos précédents travaux le justifie, nous réaliserons, dans le cadre des Cahiers, une étude sur la Sophia.

Rappelons pour l’heure ces versets de l’Ecclésiaste XXIV, 1-4 :

« La Sagesse se loue elle-même, au milieu de son peuple elle se glorifie. Dans l’assemblée du Très Haut elle ouvre sa bouche, devant sa puissance elle se glorifie. Je suis sortie de la bouche du Très Haut, comme un nuage je couvris la terre« .

Quand donc la Sagesse se loue-t-elle, se manifeste-t-elle ? Lorsqu’il y a oeuvre de création ou de Réparation dans le cadre de cette création.

Ainsi lorsque Elohim créa par la Parole l’oeuvre des six jours, c’est à dire par l’intermédiaire de sa bouche, Elohim vit que cela était bien, que cela était bon : il y a à l’occasion des premier, troisième, quatrième, cinquième et sixième jours cet acte de conscience qui sous-tend une auto-glorification, dont la conclusion est que cette oeuvre des six jours, n’était plus seulement au long de son cheminement bonne ou bénéfique, mais que tout cela était (Genèse I, 31) très bien.

Il serait loisible de multiplier les exemples, mais nous retiendrons à l’égard de la Réparation, quelques unes des manifestations des glorifications du Fils de l’Homme.

Alors que le Christ anticipe la transfiguration du Cosmos par la purification de l’eau (24) lors de son baptême par Jean et offre des prémices du Baptême acheminant l’homme de Désir vers la Nouvelle Jérusalem (25), l’Esprit de Dieu descend sur Lui et une voix, celle du Père dit : « Celui-ci est mon fils, l ‘aimé dont je suis content« . ( Matthieu III, 17).

Alors que le Christ donne à Judas seul le Pain et le vin devenus Son Corps et Son Sang – et non aux autres apôtres, comme l’a remarqué aussi Carlo Suarès : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper » (Jean VIII, 26) – et les Evangiles ne rapportent pas que les autres apôtres aient communié – immédiatement Satan entre Judas à qui le Christ commande de Le livrer « ce que tu fais, fais le plus vite » (Jean XIII, 28). Alors que Judas est sorti pour obéir à son Maître et accomplir l’oeuvre conditionnelle au Salut annoncée par les prophètes, le Christ ajoute : « Maintenant le Fils de l’Homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié en Lui » (Jean XIII, 31) (26).

Le Mystère de la Sagesse accomplissant une fonction de glorification se devait donc d’être présent Dans le Principe de la Création et antérieurement à celle-ci, dans le Logos.

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II – En Dieu était le Verbe

Jean Grosjean traduit : « la Parole était chez Dieu » (Pléiade). Crampon et les moines de Martes, traduisent : « le Verbe était auprès de Dieu« . Segond et l’école Biblique de Jérusalem traduisent : « Le Verbe était avec Dieu » ce qui importe en premier lieu, c’est la distinction entre Dieu et le Verbe ce qui ne signifie pas que le Verbe n’est pas Dieu, et l’affirmation première de ce Prologue, c’est l’origine dans le Principe, donc de toute éternité en Dieu de Son Verbe, du Fils, seconde Personne de la Sainte Trinité dans le Père ; que rappelle le Christ en outre dans le cadre de Son dialogue avec le Père, à l’occasion de la Prière Sacerdotale et saluons encore une fois à cette occasion la parfaite traduction de l’abbé Alta, confirmant cette parole de Jésus-Christ :

« Maintenant donc, toi Père glorifie moi auprès de toi, de la gloire que j’ai eue avant l’existence du monde, au-dedans de toi » (Jean XVII, 5).

La gloire de Jésus avant l’existence du monde, en tant que Logos se manifeste et auprès du Père, source de toute divinité, et au dedans du Père, en ce que le Logos qui est le Christ n’est pas encore en action dans la création, en qualité de Verbe, et se trouve donc en Dieu : la Parole silencieuse n’étant donc pas encore « sortie » de la « bouche » du Père, qui par la Parole amènera tout à l’existence « réelle », de ce qui avait été le Plan de Dieu, non encore manifesté, à l’extérieur de Lui-même.

La distinction des termes Logos et Verbe des versets 1 et 2 manifeste une intention pédagogique mais aussi affirme le processus de la Création que l’on découvre aussi bien dans la Genèse que dans le Prologue : de toute éternité sont les idées de Dieu sur Sa Création, premier stade : Dans le Principe était le Logos ; second stade : En Dieu était le Verbe : le Logos devient le Verbe en ce que la création ex-nihilo va venir à l’existence.

Pour le Judaïsme, la Création se manifeste simultanément à la présence à l’existence du Verbe. Dans le cadre du Berechith Rabbah il est précisé : « R. Bérékhiah introduit ainsi son exposé en se référant à R. Yehoudah b Simon (Ps XXXIII, 6), par la parole de l’Eternel, les cieux se sont formés, par le souffle de sa bouche, toutes leurs milices ». R. Yehoudah b Simon précise : ce n’est pas avec peine et labeur que le Saint Béni soit II, créa son univers, mais le Verbe divin n’eut qu’à se manifester et déjà les cieux furent formés. De même ici il n’est pas écrit : et la lumière sera, mais et LA LUMIERE FUT. Elle se manifestera simultanément avec le Verbe divin » (27).

Maurice Stern, en son commentaire de ce passage de Midrach Rabbah ajoute :

« Contrairement à certaines théories hérétiques, l’univers doit son origine à la création ex nihilo. Il fut créé par la seule Parole du Tout Puissant au moment même où étaient formulées les paroles créatrices. Pas même une fraction de seconde ne s’écoula entre l’apparition de la substance et de la forme, de tout ce qui existe et l’irrésistible tout puissant Verbe créateur de l’Eternel. Il s’en suit que la création n’occasionna à Dieu ni labeur, ni peine« . (28)

Pour Origène, Eusèbe Basile, Athanase et Jérôme par exemple, ce verset 6 du Psaume 33 ou 32 selon les versions, exprime la Trinité mais ce qui importe pour l’heure de retenir, c’est la parfaite communion dans la foi du Judaïsme et du Christianisme quant à la création ex nihilo.

Il est un autre malentendu qu’il convient de régler : le Catharisme enseigne – parce qu’il est fidèle et manifeste le Christianisme originel – que la création a pour origine la seule Puissance du Dieu et non quelque élément préexistant comme d’une façon malveillante, on voudrait le faire croire. Une profession de foi aussi malheureusement condamnée que le Livre des Deux Principes, alors qu’il manifeste qu’il n’existe qu’un seul Principe qui est Dieu… ; déclare par exemple :

« En effet l’ange du seigneur dit à Joseph dans l’évangile de Mathieu : Joseph fils de David ne crains pas de prendre Marie ton épouse, car ce qui est né en elle vient de l’Esprit Saint ». Il n’a pas dit est créé de Rien. Et dans le Livre de la Sagesse il est écrit : « Il n’était pas impossible à la main toute puissante qui créa le globe terrestre d’une matière invisible« . (29)

A propos des citations extraites de Mathieu I, 20 et Sagesse XI, 17, qui précèdent, dans la façon de les présenter, il n’est rien d’hérétique : L’Esprit Saint ce n’est évidemment pas Rien ni le Rien, c’est l’Une des manifestations de la Puissance de Dieu et l’Une des Personnes de la Sainte Trinité, et quant à cette matière encore, ce n’est pas le Rien, comme n’est pas le rien non plus le limon par lequel l’homme fut créé par la Grâce de la Puissance Divine.

Le Livre des Deux Principes manifeste donc la Puissance de Dieu en action, précisant que Dieu « utilisa des moyens » qui seront par exemple l’Esprit Saint, la matière invisible ou informe, le limon de la terre.

*

* *

Cette évocation de Sagesse XI, 17, pose le problème de la création selon un processus successif et/ou simultané.

Philon d’Alexandrie à propos de cet aspect de la Création déclare : « Quand il voulut fabriquer le monde visible d’ici-bas, (Dieu) forma d’abord le monde intelligible, il réalisa le monde corporel, réplique plus récente d’un plus ancien » (31)

Sur le monde plus ancien, Philon s’exprime en ajoutant :

« C’est donc à peu près ainsi que pour Dieu on doit estimer qu’ayant médité de fonder la grande cité, il en conçut d’abord les types dont il réalisa, en les ajustant, le monde intelligible, pour produire à son tour le monde sensible, en se servant du premier comme modèle« .

En Dieu était le Verbe : le Verbe était la Parole matérialisant les Idées du Logos, le Projet de Création, nous demeurons dans les limites de notre réflexion sur ce verset du Prologue en nous interrogeant sur la façon dont les Pères envisagèrent la création des mondes.

Dans la pensée Patristique, la simultanéité du monde a plusieurs conséquences et si l’une est de savoir s’il y a un modèle préexistant à la Création présente, l’autre est de tenter de comprendre si l’oeuvre des six jours s’est opérée en un seul temps, ou selon une chronologie dans le temps.

Philon avant Origène avait déjà abordé la question de la préexistence quand il déclare :

« Considérant alors la création du monde en manière de récapitulation, Moïse dit : « Tel est le Livre de la genèse du ciel et de la terre quand ils vinrent à l’être, le jour où Dieu fit le ciel et la terre, et toute plante verte des champs avant qu’elle ne naisse sur la terre, et tout fourrage des champs avant qu’il ne pousse » (Gen II, 4,5). Ne présente-t-il pas ainsi les idées incorporelles et intelligibles qui sont les sceaux des emprunts sensibles ? En effet, avant que la terre ne produisit des plantes vertes, la plante verte elle-même existait dans la nature des choses ; et avant que ne lève du fourrage dans les champs, il existait un fourrage invisible. Il faut présumer qu’antérieurement à chacun des autres objets que jugent les sensations, il existait les formes et les mesures plus anciennes qui informent et mesurent ce qui vient à l’être. Car même s’il n’a pas énuméré en détail, mais exprimé en gros tous les êtres soucieux plus qu’aucun autre de brièveté, le peu qu’il dit n’en est pas moins révélateur de la nature entière qui, sans un modèle incorporel ne peut rien achever parmi les sensibles« . (33)

Chez Origène se manifestent deux formes de préexistence, celle qui s’inscrit dans la succession des mondes, celle qui se réalise dans le principe de la simultanéité.

A propos de la première, Origène affirme dans le Traité des Principes :

« Pour notre part, nous donnerons une réponse logique en respectant la règle de piété, nous disons que Dieu n’a pas commencé pour la première fois à opérer quand il a fait le monde visible, mais que, de même qu’il y aura après la destruction de ce monde-ci, un autre monde, nous croyons que de même il y en a eu d’autres avant que celui-ci existât. Ces deux propositions seront confirmées par l’autorité de la divine Ecriture. Qu’il y ait un jour un autre monde après celui-ci, Isaïe l’enseigne en effet en disant : « Il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle que je ferai durer sous mon regard, dit le Seigneur ! (Is. 66, 22). Que d’autre part, il y ait eu d’autres mondes avant celui-ci, l’Ecclésiaste le montre en disant : « Qu’est-ce qui a été fait ? Cela même qui sera fait. Et qu’est-ce qui a été créé ? Cela même qui doit être créé. Il n’y a absolument rien de nouveau sous le soleil. Si quelqu’un prend la parole et dit : voici une chose nouvelle, cela a déjà existé dans les siècles qui nous ont précédés (EccL, I, 9, 10).

Ces témoignages prouvent tout à la fois qu’il y a des siècles auparavant et qu’il y en aura par la suite. Il ne faut pas penser cependant qu’il existe plusieurs mondes en même temps ; mais après celui-ci un autre à son tour existera« . (34)

A propos de la simultanéité et de l’état de dégénération, Origène précise en son Contre Celse :

« Mais la plus belle sottise, c’est de répartir la formation du monde en plusieurs jours, avant qu’il y eut des jours ! En effet, le ciel n’était pas encore créé, ni la terre affermie, ni le soleil en révolution autour d’elle, comment eut-il pu y avoir des jours ? Quelle différence y a t-il entre ces paroles là et celles-ci : mais encore reprenant les choses de plus haut, examinons comment il ne serait point absurde que le premier et très grand Dieu ordonne que telle chose soit, ou telle ou telle autre, et produise le premier jour seulement une chose, le deuxième jour de nouveau quelque chose de plus et de même le troisième, le quatrième, le cinquième et le sixième. On a donné la réponse qu’on pouvait à sa formule. Dieu ordonne que telle chose soit, ou telle ou telle autre, en étant le texte : « Il a dit et elles ont été faites, il a ordonné et elles ont été créées » (Ps XXXIII, 9 – CXL VIII, 9) en expliquant que le Créateur immédiat du monde et pour ainsi dire son artisan en personne est le Logos Fils de Dieu, mais que le Père du Logos, pour avoir commandé au Logos Son Fils de créer le monde, est le premier Créateur« . (35)

Origène poursuit son raisonnement sur la Lumière du premier jour et les luminaires du quatrième, point que nous évoquerons à l’occasion du verset concernant la Lumière, point qui fut, quant à cette distinction, pour tous les Pères, une énigme, que le Judaïsme résolut en considérant que la Lumière du premier jour fut mise en réserve, de la même façon Rachi enseigne que les luminaires :

« avaient été créés dès le premier jour. Le quatrième jour ils reçoivent l’ordre de prendre leur place dans la voûte des cieux. Et il en a été de même pour tous les éléments de la création. Créés dans leur ensemble dès le premier jour, chacun a été mis en place au jour qui lui a été désigné » (36).

A propos de cette idée de jour unique sur laquelle le Judaïsme et le Maître Alexandrin, pourraient s’accorder, Origène achève le passage cité plus haut par ces mots :

« J’ai critiqué l’interprétation superficielle de ceux qui affirment que la création du monde s’est effectuée en une durée de six jours, quand j’ai cité le texte : Voici le Livre de la génération du ciel et de la terre, quand ils furent faits, je jour où Dieu créa le Ciel et la Terre » (Genèse II, 4). (37)

Ce texte de Genèse II, 4 est à rapprocher d’ailleurs de Genèse I, 5 qui s’achève par ce mot : jour un, et non premier jour, point sur lequel le Judaïsme insiste à juste titre non pour signifier seulement que tout a été créé le premier jour, car il conviendrait de prendre en considération le mot « un » qui est l’unité en ce qu’il signifie que c’est en un seul instant hors du temps que nous connaissons ou percevons, que le monde fut créé. A cet égard, Philon d’Alexandrie déclare en son Commentaire allégorique des saintes Lois après l’oeuvre des six jours :

« Il est tout à fait sot de croire que le monde est né en six jours ou en général dans le temps. Pourquoi ? Parce que tout temps est un ensemble de jours et de nuits, qui sont nécessairement produits par le mouvement du soleil allant au-dessus et au-dessous de la terre : mais le soleil est une partie du ciel ; il est donc reconnu que le temps est plus récent que le monde. On aurait donc raison de dire : ce n’est pas dans le temps que le monde est né, mais c’est au moyen du monde que le temps s’est constitué ; car c’est le mouvement du ciel qui a fait connaître la nature du temps » (38).

Philon comme Origène disserteront longuement sur le symbolisme des chiffres, notamment du six ; premier nombre parfait égal à la somme de ses parties : sa moitié 3 + son tiers 2 + son sixième 1 ; symbole avec le dix de la perfection, et ainsi par exemple, Augustin écrira dans la Cité de Dieu :

« Or c’est à cause de la perfection du nombre six que suivant l’Ecriture, en un même jour répété six fois, en six jours, l’oeuvre de création se trouve parfaite ; non que dieu ait eu besoin de temps distincts, comme s’il eut été impossible de créer à la fois toutes ses oeuvres, dont les mouvements réguliers eussent ensuite formé le cours du temps ; mais le nombre senaire exprime ici la perfection de l’ouvrage » (39).

Philon, Clément, Origène, enseignent que l’univers a été créé tout à la fois, selon le principe de la simultanéité dans l’oeuvre principale du quatrième jour et il n’est pas sans intérêt de noter les leçons du Targum du Pentateuque qui déclare à propos de ce quatrième jour :

« Yahvé dit : qu’il y ait des luminaires au firmament des cieux pour séparer le jour de la nuit ; qu’ils servent de signes pour les temps (sacrés) et permettent de sanctifier par eux l’intercalation de lunes et de mois » (40).

« En Dieu était le Verbe », en ce fait qu’en Dieu réside la Parole créatrice, dont les manifestations sanctifieront, dans et par cette nature amenée à l’existence, non seulement le projet divin du Créateur, mais Dieu lui-même, comme le montre par exemple la fonction de la Sagesse.

Lire la deuxième partie de cet article : Le Prologue de Saint Jean dans la Tradition Chrétienne et l’Exegèse Scripturaire [2].

Plus sur le sujet :

Le Prologue de Saint Jean dans la Tradition Chrétienne et l’Exegèse Scripturaire 1, Jean-Pierre Bonnerot. Cahiers D’Etudes Cathares Eté 1984, N° 102. Cet article a été publié avec l’aimable autorisation de son auteur, Jean-Pierre Bonnerot, pour le site EzoOccult. @Jean-Pierre Bonnerot, tous droits de reproduction interdits. Image by Thomas B. from Pixabay

Notes

1 – Alta : L’Evangile de l’Esprit Saint Jean traduit et commenté. Paris, Henri Durville Ed. 1909, p.25 et 50.

Nous avons pris l’initiative de numéroter les versets 1 à 5, tout en respectant la ponctuation et l’intervention des lettres majuscules.

Il est rappelé que dans le cadre de toutes nos études, sauf informations contraires, nous utilisons pour les citations Bibliques la traduction de la Bibliothèque de la Pléiade, pour la Genèse nous pouvons être appelés à utiliser plusieurs traductions que nous signalerons alors, en ce qui touche « Saint Jean et Saint Paul » nous usons des traductions de l’Abbé Alta.

2 – Emmanuel Levyne : La Kabbale du commencement et la lettre B(eith). Cagnes sur Mer, Tsedek Ed. 1982, note 1 p.41.

3 – Carlo Suarès : La Kabbale des Kabbales – La Genèse d’après la tradition ontologique. Paris, Adyar Ed. 1962, p 25.

4 – Targum du Pentateuque : Genèse I, 1 Paris Ed. du Cerf, Coll. Sources Chrétiennes n° 245, 1978, p.74.

5 – Fabre D’Olivet : La langue Hébraïque Restituée, Paris Ed. de la Fête de Feuilles, 1971.

6 – Emmanuel Levyne : Le mystère du Nom Divin Elohim, précédé La Kabbale de la lettre Hé. Paris Tsedek E, 1980, p.26.

7 – Emmanuel Levyne : La kabbale du commencement, Op. cite, p.59.

8 – Rachi : Le Pentateuque avec Rachi volume 1. La Genèse. Paris, Fondation Samuel et Odette LEVY Ed. 1979, p. 3.

9 – Ibid, p. 19.

10 – Pour une première approche le lecteur pourra se reporter à nos travaux publiés dans les Cahiers d’Etudes Cathares, n° 96 et 98.

11 – J.P. Bonnerot : « Satan, Lucifer, le Prince de ce monde et les démons dans la tradition chrétienne et l’exégèse scripturaire« . Narbonne, Cahiers d’Etudes Cathares n°96.

12 – De A.E. Chauvet ; Esotérisme de la Genèse – Traduction ésotérique commentée des 10 premiers Chapitres du Sepher Bereschit. Paris SIPUCO Ed. 1948, tome 4 p.951.

13 – Emmanuel Levyne : Lettre d’un kabbaliste à un Rabbin. Paris Tsedek Ed, 1978, p. 18 et 19. Mais nous conseillons la lecture de toute la plaquette, au chercheur, car c’est là une oeuvre remarquable en chacune de ses pages.

14 – J. de Pauly : Sepher ha Zohar I, 16b. traduit et commenté par….,Paris, GP Maisonneuve et Larose éd, 1975, tome 1, pages 98 et 99.

15 – Philon d’Alexandrie : De Opificio Mundi. Paris Ed du Cerf, 1961, § 20, p.155.

16 – Origène : Homélies sur la Genèse I, 1. Paris Ed du Cerf, Coll sources Chrétiennes n° 7 bis, 1976, p.25.

17 – J. de Pauly : Sepher ha Zohar I, 2 a. Op cite, tome I, p. 8 et 9.

18 – J. de Pauly : Sepher ha Zohar I, 3b. Op cite, tome I, p.17 et 18.

19 – Origène : Sur l’Evangile de Jean I, § 113 et 115. Paris Ed du Cerf, Coll. Sources chrétiennes n° 120, 1966, p.121 et 123.

20 – Philon d’Alexandrie : Légum Allegoriae I, § 65. Paris Ed. du Cerf, 1962, p. 77.

21 – Ibid III, § 175, p.271.

22 – Henri Serouya : Les Etapes de la Philosophie Juive. Tome I. Antiquité Hébraïque. Paris, Fasquelle Ed. 1969, pages 249 et 250.

23 – On lira avec intérêt, mais précaution : l’oeuvre du Père Serge Boulgakov, et particulièrement La Sagesse de Dieu, Lausanne, 1983, l’Age d’Homme Ed, mais aussi chez le même éditeur : Vladimir Soloviev : La Sophia et les autres écrits français et encore chez Albin Michel : dans son intéressante collection Cahiers de l’Hermétisme : Sophia et l’Ame du monde (1983).

24 – Confer notre étude, « Satan », op cite.

25 – Confer notre étude : « Consolamentum, Réincarnation et Evolution spirituelle dans le Catharisme et le Christianisme Originel« , Narbonne, Cahiers d’Etudes Cathares n°98.

26 – Pour une première approche du Mystère de Judas, on lira avec intérêt l’oeuvre de Carlo Suarès et notamment la Bible restituée, les clés du Sacré, Mont-Blanc Ed, Le vrai Mystère de la Passion de Judas Ed Caractères, mais hélas beaucoup d’intuition sont très remarquables, la compréhension n’est pas complète. Une autre approche plus extraordinaire et presque parfaite, la pièce de Marcel Pagnol, Judas Grasset Ed., nous avions cru nous souvenir que la révélation de ce Mystère avait été en premier lieu adressée à Sainte Gertrude, en fait c’est sa contemporaine Sainte Mechtilde que le Christ avait répondu : « De Salomon ni de Judas je ne te dirai ce que j’ai fait, pour qu’on n’abuse pas de ma miséricorde » : Livre de la Grâce spéciale, Paris, V cap 16. Nous préparons en outre pour les Cahiers, une étude sur Le Mystère de Judas ou les conditions de la Rédemption. Voir sur ce site.

27 – Maurice Stern : Morceaux choisis du Midrach Rabbah – tome 1 : Bereschit Rabbah. Jérusalem 1981, p.12.

28 – Ibid, p.13.

29 – Livre des deux principes. De la Création § 25 Paris, Ed. du Cerf, 1973, Coll. Sources Chrétiennes n°198 p. 247 et 249.

30 – Sur l’aspect de la corporéité, nous renvoyons le lecteur à notre étude signalée par les notes 11 et 24.

31 – Philon d’Alexandrie : De Opificio Mondi § 16 Paris, Ed. du Cerf, 1961, p. 151 et 153.

32 – Ibid § 19, p. 153 et 155.

33 – Philon d’Alexandrie : De Opificio Mundi, op Cite, § 129 et 130, p. 227 et 229.

34 – Origène : Traité des Principes – Péri archon III8, 5, 3, Paris Etudes des Augustiniennes Ed., 1976, p. 199.

35 – Origène : Contre Celse VI § 60, Paris Ed. du Cerf, Coll Sources Chrétiennes n°147, p. 327 et 329.

36 – Rachi : Le Pentateuque avec Rachi. Volume I, op. cite p.7, confer aussi p.5 pour la considération évoquée et non citée.

37 – Origène : Contre Celse VI, § 60, op cite, p.331.

38 – Philon d’Alexandrie : Legum Allegoriae I § 2, Paris Ed. du Cerf 1962, p.39 et 41.

39 – Saint Augustin : Cité de Dieu – Livre VI chapitre 30, Paris Charpentier Ed, 1843, tome 2 p.31.

40 – Targum du Pentateuque : Genèse I, 14, Cité p. 78.

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