La Clé de la Magie Noire : La Force

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La Clé de la Magie Noire : La Force, par Stanislas de Guaita. 

La volonté ! Le Tarot des bohémiens porte inscrit, sur son feuillet onze, le simple et majestueux emblème de cette déesse.

On y voit une jeune fille, debout dans les plis d’un manteau d’apparat, et coiffée du signe cyclique de la Vie universelle, dompter sans le moindre effort un lion en fureur, dont elle clôt des deux mains la gueule rugissante. Sur son, visage transparaît la sérénité de la Force consciente d’elle-même ; l’attitude est si calme qu’on y lirait l’indolence, si la virilité de l’acte n’infligeait un démenti à l’expression placide des traits.

Son genou fait saillie sous la robe, il semble ployé. Cet indice donne à penser que l’hiéroglyphe original la peignait assise. Sans doute un cartier malhabile, reproduisant l’emblème primitif, aura cru pouvoir supprimer le fauteuil, sans prendre soin de redresser entièrement la posture du su jet.

Ce détail fautif se trouve corrigé dans le Tarot d’Etteilla, qui date de la fin du xviie siècle. La déesse y est peinte sur un trône ; contre son genou, repose la tête du lion apaisé, qui va s’endormir. Une fois, par hasard, Etteilla nous semble avoir vu juste.

Qui ne connaît, au moins de nom, ce perruquier gens de lettres, contemporain de Mesmer et de Cagliostro ? Peu enthousiaste de son gagne-pain cosmétique, il s’en élut un autre, et cultiva fructueusement les hautes sciences, en particulier celle du Tarot, que le savant Court de Gébelin venait de mettre à la mode : bref, le digne coiffeur, qui se nommait tout simplement Alliette, s’établit astrologue, devin et philosophe hermétique, sous son nom in versé d’Etteilla. Il ne manquait ni de clairvoyance naturelle, ni d’une certaine érudition tumultueuse et mal digérée. En son domicile de la rue de l’Oseil le, au Marais, Etteilla, « professeur d’Algèbre (comme il s’intitulait), astrophilastre et restaurateur de la cartomancie pratiquée chez les Égyptiens, » donna, moyennant salaire honnête, des consultations et des leçons particulières. La vogue lui fut bientôt acquise ; il fit fortune et roula carrosse. Malheureusement, il se mêla d’écrire, et ses œuvres, — qu’on réunit d’ordinaire en deux forts volumes, ornés de figures en taille douce, — ne donnent pas l’idée de ce que pouvaient être ces fameuses consultations divinatoires, qui ont fait courir tout Paris. — Doué d’une perspicacité peu commune, et d’une grande aisance dans le maniement des nombres et des figures, il étonnait chez lui, le crayon ou le compas à la main, parmi les bizarreries de ses diagrammes et le bariolage de ses tarots. Mais l’illusion tombe, en face de son œuvre écrite. Cette pénible compilation, sans ordre ni clarté, trahit le manque d’instruction première et ne soutient pas la lecture… Etteilla fit pis encore : il publia une édition ex purgée du Tarot ! On peut dire que la fantaisie laborieuse mais biscornue de ce singulier correcteur a bouleversé de fond en comble les arcanes du Livre de Thoth, intervertissant l’ordre des lames, et parfois substituant aux vieux symboles magiques les caprices d’une imagination superlativement brouillonne et déréglée. Une fois ou deux, néanmoins, il a rencontré juste, — et c’est, en vérité, le cas du feuillet qui nous occupe.

La onzième clef du Tarot s’explique et se commente d’elle-même. La déesse, assise ou debout, signifie toujours la Volonté vivante, dont la vertu, décuplée par l’entraînement, dompte sans effort la rébellion des forces instinctives et passionnelles.

Le lion, qui symbolise ces dernières, figure aussi leur milieu nourricier, la lumière astrale, dont il est un des plus antiques hiéroglyphes. À ce point de vue, le pentacle exprime l’empire qu’exerce la Volonté sur les fluides hyperphysiques, les Esprits élémentaires et les Lémures qui hantent la région sans limites.

L’apocryphe des Oracles de Zoroastre, que nous avons déjà cité, à propos des mirages errants, désigne le lion comme la figure synthétique en quoi se résument, quand le voyant prolonge son extase, toutes les Puissances hallucinantes du royaume astral. « Cernes omnia leonem », dit le texte latin.

« Le signe [zodiacal] du lion (peut-on lire au très estimable traité de Light of Egypt), symbolise la force, le courage et le feu… Kabbalistiquement, le signe du Lion figure le cœur du Grand Homme, et représente le centre vital du système circulatoire fluidique de l’humanité, C’est aussi le tourbillon de feu de la vie physique. »

Telles sont les forces, également insurrectionnelles dans le monde et chez l’homme (dans les sphères du Macrocosme et du Microcosme), et que la Volonté domine et dirige magiquement, — comme l’adepte des mystères chaldéens faisait des lions sacrés, nourris dans le temple en vue des épreuves, et qu’il devait rendre dociles au magnétisme du geste et de la voix.

Quant à l’Héroïne symbolique de l’emblème, nous la préférons assise, car elle représente alors la Volonté robuste, sur le trône de l’inébranlable Raison. Et le fauve, vaincu par le double prestige de la majesté jointe a la douceur, repose son animal apprivoisé sur les genoux de l’Immortelle.

L’indication n’est point négligeable encore, que fournit le signe, vital universel placé sur la tête de la déesse. Il proclame, — ce huai renversé, — qu’en tous lieux de l’univers eu la vie étend son empire, la Volonté humaine peut saisir le sceptre, et que sa sphère d’action n’a pas d’autres frontières que celles mêmes de l’existence, soit occulte soit manifestée.

Volonté de l’homme, ainsi que Fabre d’Olivet l’a magistralement établi, constitue l’une des trois grandes Puissances qui régissent l’Univers.

Dans l’individu, comme dans l’être collectif humain, la Volonté embrasse et maîtrise de son étreinte unitaire les trois vies instinctive, animique et spirituelle, qui alimentent et soutiennent trois modifications de la Psyché : l’âme sensitive, l’âme passionnelle et l’âme intelligente. Le siège central de la Volonté réside en la partie médiane de l’Être humain ; mais cette faculté peut s’amoindrir ou s’accroître, descendre dans l’instinct ou ascendre dans l’intelligence, pour y séjourner plus ou moins à demeure.

Ces choses remémorées succinctement, car le Lecteur les connaît déjà, notifions encore ce fait que nous atteste l’unanimité des traditions sacerdotales : qu’en la sphère d’Éden, avant la chute, la volonté d’Adam-Eve était créatrice, sans restriction ni tempérament à ce pouvoir quasi-divin. L’homme universel exerçait la souveraineté dans toute l’étendue de l’enceinte organique dont il occupait le centre ; il y régnait au même titre que les autres dieux — consubstantiels au Verbe comme lui, — régnaient chacun dans sa sphère propre ; au même titre enfin, s’il le faut dire, que ce Verbe divin lui-même régnait au plérôme intégral de la Divinité.

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Image par junko de Pixabay

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