Notice Historique sur le Martinisme. Complétée d’un appendice sur le rôle personnel de Jean Bricaud et de notes doctrinales par Constant Chevillon.

Avertissement

La première édition de cette notice, due à la plume de Jean Bricaud, Grand Maître de l’Ordre, parut en 1928. Elle est complètement épuisée. Pour satisfaire aux demandes des adeptes et de certains groupes spiritualistes affiliés, nous la réimprimons aujourd’hui sous sa forme originelle.

Nous y ajouterons simplement, en un bref résumé :

1° Le rôle personnel de Jean Bricaud, passé à l’histoire depuis sa mort, survenue au mois de février de cette année 1934 ;

2° Des notes doctrinales qui préciseront l’enseignement intérieur de l’Ordre, adapté aux exigences de l’esprit scientifique actuel, mais légué dans sa substance primitive par Martinez, Willermoz et Saint-Martin.

Ces notes, s’adressant « à tous », ne sont qu’un schéma exclusif de toute détermination particulière.

La continuation de son œuvre, la chaîne martiniste totalement ressoudée, réjouiront, sans aucun doute, l’esprit du Maître trop tôt disparu.

C. C.

Notice Historique sur le Martinisme
Louis-Claude de Saint-Martin

Notice Historique sur le Martinisme

De tous les Ordres de Maçonnerie Illuministe éclos en France dans le courant du XVIIIe siècle, aucun n’eut une influence comparable à celui qui est entré dans l’histoire sous le nom de Martinisme. Son apparition coïncide avec celle d’un personnage étrange qui s’appelait Joachim Martinez Pasqualis. A l’heure actuelle encore, les uns le disent de race orientale, les autres juif portugais. En réalité, Martinez ne fut ni l’un ni l’autre. Sa famille était originaire d’Alicante, en Espagne, où son père naquit en 1671, comme il en résulte de sa patente maçonnique transmise par son fils, le 26 mars 1763, à la Grande Loge de France.

D’après le même document, Joachim Martinez Pasqualis était né, lui-même, à Grenoble, en 1710.

De plus, en 1769, lors d’un procès avec un certain du Guers, il prouva sa catholicité ; il n’était donc pas juif.

Martinez Pasqualis, qui signait également Don Martinez de Pasqually, passa sa vie à enseigner dans les Loges, sous forme de rite maçonnique supérieur, un système religieux auquel il donnait le nom de Rite des Élus Cohens, c’est à dire des Prêtres Elus (Cohen, en hébreu, signifie « prêtre »). Seuls les maçons possédant les grades d’Élus pouvaient entrer dans le rite des Élus Cohens.

Martinez parcourut mystérieusement une partie de la France, le Sud-Est et le Midi principalement. Il sortait d’une ville sans dire où il allait, il arrivait sans laisser entrevoir d’où il venait. Propageant sa doctrine, il recueillit des adhérents dans les Loges de Marseille, Avignon, Montpellier, Narbonne, Foix et Toulouse. Il s’établit enfin à Bordeaux, en 1762, et, là, épousa la nièce d’un ancien major du Régiment de Foix.

À Bordeaux, Martinez s’affilia à la Loge « La Française », la seule des quatre Loges symboliques alors en activité dans la ville. Il s’efforça de ranimer le zèle des maçons bordelais et, après s’être assuré le concours de plusieurs d’entre eux, il écrivit, le 26 mars 1763, à la Grande Loge de France : « J’ai élevé à Bordeaux un temple à la gloire du Grand Architecte, renfermant les cinq ordres parfaits dont je suis le dépositaire sous la constitution de Charles Stuart, roi d’Écosse, d’Irlande et d’Angleterre, Gr :. Maît :. de toutes les Loges régulières répandues sur la surface de la Terre, aujourd’hui sous la protection de Georges-Guillaume, roi de Grande-Bretagne, et sous le titre de Grande Loge « La Perfection élue et écossaise ». » En même temps, il adressait à la Grande Loge une copie de la patente en anglais délivrée le 20 mai 1738, par le Grand Maître de la Loge de Stuart, à son père Don Martinez Pasqualis, Écuyer, avec pouvoir de la transmettre à son fils aîné Joachim Don Martinez Pasqualis pour constituer et diriger comme G :. M :. de Loge des Temples à la gloire du Gr :. Arch :.

Après un échange de plusieurs lettres, la Grande Loge de France finit par délivrer à martinez une bulle l’autorisant à donner une constitution à sa Loge sous le titre de « Française élue écossaise », nom sous lequel elle fut inscrite sur les tableaux de la Grande Loge, le 1er février 1765.

Cette même année, il partit pour Paris et se mit en rapport avec plusieurs maçons éminents : les frères Bacon de la Chevalerie, de Lusignan, de Loos, de Grainville, Willermoz et quelques autres auxquels il donna ses premières instructions. Avec leur concours, le 21 mars 1767, il posa les bases de son Tribunal Souverain de Paris, après avoir nommé Bacon de la Chevalerie comme son substitut.

En 1770, le Rite des Élus Cohens avait des Temples à Bordeaux, Montpellier, Avignon, Foix, Libourne, La Rochelle, Versailles, Metz et Paris. Un autre allait s’ouvrir à Lyon, grâce à l’activité du frère Willermoz, qui devait être le centre le plus actif du rite de Martinez.

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Le Rite des Élus Cohens était composé de neuf degrés répartis en trois classes :

Première classe : Apprenti, Compagnon, Maître, Grand Elu et Apprenti Cohen ;

Deuxième classe : Compagnon Cohen, Maître Cohen, Grand Architecte, Chevalier Grand-Commandeur ou Grand Elu de Zorobabel ;

Enfin, la troisième classe, secrète, réservée aux Réaux-Croix, sorte de classe supérieure de Rose-Croix.

Bien qu’il n’ait pas donné en formules écrites un exposé complet de son enseignement, on peut néanmoins, grâce au texte incomplet de son Traité de la Réintégration des Êtres, aux comptes rendus des travaux et à l’étude des séances des adeptes, se rendre compte du but poursuivi par Martinez et des moyens employés par lui.

Comme beaucoup de ses contemporains, effrayé par le matérialisme des philosophes, Martinez s’efforça de réagir contre cette tendance des esprits. Aux défenseurs de la matière, il opposa une idéalisation de la vie, une transformation du moral aux dépens des appétits physiques. Selon lui, il y a, dans tout être humain, un côté divin qui sommeille et qu’il faut réveiller. On peut le développer au point de le dégager presque entièrement de la matière.

Dans cet état, l’homme acquiert des pouvoirs qui lui permettent « d’entrer en relation avec les êtres invisibles, ceux que les Églises appellent les anges et de parvenir ainsi, non seulement à la réintégration personnelle de l’opérateur, mais encore à celle de tous les disciples de bonne volonté ».

Métamorphoser l’homme ainsi, c’était le régénérer, le réintégrer peu à peu dans son état primitif ; c’était lui permettre de réaliser cet état parfait auquel doit tendre tout individu et toute société, car l’illuminisme martiniste comportait une action sociale collective.

Mais ce n’est pas immédiatement que l’on peut arriver à cet état de perfection. Trop d’erreurs se sont accumulées depuis des siècles, trop de préjugés pèsent sur l’humanité. Il faut laisser la lumière se répandre peu à peu, sinon elle serait trop éblouissante, elle aveuglerait au lieu d’éclairer.

C’est pourquoi Martinez distribuait son enseignement par petites doses et par degré. Il voulait que les adeptes, ceux du moins appelés à pénétrer les plus hauts arcanes de la doctrine initiatique, se livrassent à l’étude des secrets de la nature, des sciences occultes, de la haute chimie, de la magie, de la Kabbale et de la Gnose, pour arriver insensiblement à l’illumination et la perfection.

Cette doctrine eut un succès éclatant et le Grand Orient devait reconnaître, plus tard, qu’elle avait su, de tous les rites mystiques, recueillir le plus d’adhérents et conserver avec le plus de soin le secret de ses mystérieux travaux.

Au mois de mai 1722, Martinez s’embarqua à Bordeaux pour Saint-Domingue ; il devait y recueillir une succession. Il mourut à Port-au-Prince, le 20 septembre 1774. Il laissait un fils qui faisait ses études au collège de Lescar, près de Pau. Avant de mourir, il désigna pour son successeur, son cousin, Armand Caignet de Lestère, commissaire général de la Marine à Port-au-Prince.

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Parmi les disciples de Martinez, un grand nombre parvinrent à la célébrité. Citons : le baron d’Holbach, auteur du Système de la Nature ; l’hébraïsant et kabbaliste Duchanteau, l’inventeur du Calendrier magique, qui mourut des suites d’une bizarre expérience d’alchimie faite dans la Loge des « Amis Réunis » de Paris ; Jacques Cazotte, le célèbre auteur du Diable Amoureux ; Bacon de la Chevalerie ; Willermoz, qui joua un rôle important dans la Maçonnerie ; et, enfin, le fameux philosophe inconnu Claude de Saint-Martin.

Saint-Martin servait comme lieutenant au régiment de Foix, lorsqu’il entendit parler de Martinez Pasqualis et de son Rite des Élus Cohens.

Après avoir donné sa démission, il vint à Bordeaux, où il fut initié aux grades des Cohens par le frère de Balzac. Pendant trois ans, il fut le secrétaire de Martinez et entra ainsi en correspondance avec les principaux adeptes. Il se hissa bientôt au premier plan, car ses fortes études le mettaient à même de pénétrer très avant dans les profondeurs de l’illuminisme martiniste. Il fit de fréquents voyages à Lyon, devenu centre influent du Rite. C’est à Lyon qu’il rédigea Des Erreurs et de la Vérité, dont la répercussion fut si grande sur les idées maçonniques à la fin du XVIIIe siècle.

Saint-Martin, d’une nature délicate, affinée par un puissant travail intellectuel, fut troublé, effrayé même, par les opérations magiques dont son maître Martinez accompagnait son enseignement. Insensiblement, il s’écarta des pratiques actives auxquelles se livraient les Réaux-Croix, pour se consacrer uniquement à l’étude de la spiritualité et de la mystique. Il vint à Paris, où la haute société l’accueillit avec empressement. Les femmes surtout se disputèrent sa présence et beaucoup le prirent en quelque sorte pour directeur spirituel. Il fut ainsi amené à former une sorte de groupement purement spiritualiste, dégagé des cérémonies rituéliques et des opérations magiques. Sans rompre avec ses frères Cohens, il évolua de plus en plus vers le seul développement des théories philosophiques contenues dans le système de Martinez et il les enseigna par sa parole et ses écrits. Jusqu’à la Révolution, il alterna ses leçons à ses adeptes avec des voyages à l’étranger, où il se créa de grandes relations. C’est pendant ces voyages, à Strasbourg et en Allemagne, qu’il découvrit Jacob Böhme, dont il adjoignit les théories à celles de Martinez. Elles pouvaient, du reste, se superposer, car Böhme aussi était un illuminé.

Il fut inquiété pendant la Terreur ; mais quelques-uns de ses anciens disciples, arrivés au pouvoir, le protégèrent et il échappa, grâce à eux, à une mise en accusation. Il mourut en 1803, laissant, en divers pays d’Europe, de nombreux adeptes.

On a souvent confondu, sous l’appellation de Martinistes, les disciples de Martinez et ceux de Saint-Martin. Bien que les théories fussent les mêmes, une différence profonde séparait les deux écoles. Celle de Martinez restait dans le cadre de la Maçonnerie supérieure, celle de Saint-Martin s’adressait aux profanes. La seconde, enfin, repoussait les pratiques et les cérémonies auxquelles la première attachait une importance capitale.

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