Histoire, technique et survivance de la Golden Dawn

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Histoire, technique et survivance de la Golden Dawn.

L’article ci-dessous vient de la défunte revue en ligne « La parole circule ». Premier magazine maçonnique sur internet, « La Parole Circule » a fonctionné pendant plus de 10 ans avant de fermer ses portes en décembre 2009.

Ce qui est fascinant quand on s’approche de l’Ordre Hermétique de l’Aube Dorée c’est de voir combien cette structure si brève – de 1887 à 1903 : à peine seize ans ! – a osé toucher à tous les domaines de l’occultisme aussi bien occidental qu’oriental, a effectué une gigantesque synthèse d’enseignements contradictoires ou inusités, et a influencé toutes les écoles du XX° siècle dans tout le monde anglophone – et francophone. Des audaces forgées par les chercheurs de la Golden Dawn sont considérées comme paroles d’Evangile par nombre de groupes ésotériques, soit issus directement de la Golden Dawn parce que fondés par un ancien membre, soit indirectement par la découverte de leurs travaux et l’adaptation desdits travaux à leur recherche propre.

Nous allons voir tout d’abord quels sont les chercheurs dont la GD a utilisé les découvertes ou les affirmations ; puis nous verrons l’histoire de l’Ordre proprement dit, et enfin les continuateurs de la GD et son influence actuelle.

Les Maîtres passés de la Golden Dawn

Nous pourrons voir d’abord un théoricien de la magie cérémonielle, Cornelius Agrippa, dont les travaux furent centrés sur les analogies entre les objets, les éléments, l’homme, et le cosmos. Agissant sur l’un suivant certaines règles, on pouvait agir sur l’autre par voie de sympathie et par l’union de tout en tout. Henri-Corneille Agrippa de Nettesheim, (1486-1535) est un homme qui occupe tour à tour de multiples fonctions officielles, comme théologien, philosophe, linguiste, juriste et astrologue, zigzaguant avec les chasseurs de l’Inquisition qui veulent la tête de cet homme libre de toute école. Ses livres sont une référence classique sur les talismans et autres rituels de magie. Si le nom de Paracelse (1493-1541) n’est pas inconnu de la GD, c’est Agrippa qui est la base « incontournable ».

Une autre base importante, bien que beaucoup plus obscure, sera le système angélique mis au point par John Dee, (1527-1608), savant gallois , à la suite de révélations vues dans du cristal de roche par le médium Kelly, visions que Dee prenait en notes. Il explique trois magies : naturelle (par sympathie), agissant sur l’élémentaire ; mathématique (nombres et figures) pour le monde céleste ; et religieuse, agissant sur le monde supra-céleste grâce à un système kabbalistique basé sur les anges. Ce système comporte une véritable langue nouvelle, avec grammaire, syntaxe, symbolisme, seule adaptée aux anges qui peuvent venir appelés par leurs vrais noms. Cela entraîne des implications aussi énormes qu’illisibles, que Dee appela « l’énochien« , en référence à Enoch qui fut enlevé au ciel sans mourir . La magie énochienne est l’un des piliers de l’enseignement secret de la GD. De bons livres (en anglais) lui ont été consacrés , et un jeu divinatoire a même été élaboré il y a peu de temps afin de faciliter le travail évocatoire de l’adepte.

Bien entendu, les grands classiques de l’alchimie (Corpus Hermeticus, la Fama Fraternitatis, la Confessio Fraternitatis) et des grimoires (surtout les Clavicules de Salomon et le Livre d’Abramelin le mage) sont également utilisés, disséqués, remaniés et réorganisés. La vogue suscitée par Le Mage de Francis Barrett (1801) s’amplifie sans cesse, malgré les bourdes dont il est truffé, au point que Barrett fonde une association de magie, dont Montagne Summers (1880-1948) et Frédérick Hockley furent membres. Mais la France aura une grande part à l’élaboration des rituels du futur Ordre : en effet, l’une des références avouées de la GD est Papus, conjointement avec Eliphas Lévi et Court de Gébelin.

L’Ordre Hermétique de la Golden Dawn

Les références

Papus (1865-1916) commence à écrire en 1884, à 19 ans ! et son oeuvre écrite – comme son oeuvre occulte de fondateur et de réunificateur de traditions diverses – est suivie avec passion outre-Manche. Eliphas Lévi (1810-1875) est considéré comme le Grand Kabbaliste du siècle, et ses livres sont épluchés, décortiqués, commentés avec fièvre. Il fait connaître Antoine Court de Gébelin qui avait révélé les secrets du Monde primitif en 1775 et qui avait redonné au jeu de tarots colporté dans les campagnes ses lettres de noblesse. Les efforts des rosicruciens parisiens (Stanislas de Guaita, Joséphin Péladan) ressuscitent le vieux rêve de faire renaître tous ces héritages oubliés spécifiquement occidentaux, face à l’orientophilie grandissante due à la Théosophie de Mme Blavatski : les Templiers et leurs rites, les Rose+Croix et leur alchimie, les druides et leurs secrets celtiques, les dieux égyptiens et la force de leurs symboles, les mystères énochiens révélés à John Dee et encore inexploités, la divination et la communication avec l’Invisible comme sources de connaissance ésotérique… Encore davantage activés à Londres par les progrès foudroyants de la Société Théosophique, révélant un monde invisible avec qui converser, et les démonstrations du spirite Douglas-Home, le projet devient de plus en plus « dans l’air du temps ».

Les fondateurs

Il devait prendre naissance dans l’esprit de trois amis francs-maçons qui étaient également membres de la « Societas Rosicruciana In Anglia » (SRIA) : le docteur William Wynn Westcott, (ami de Mme Blavatski, lecteur de John Dee, et Grand-Maître de la Societas dès 1878) ; Samuel Liddel Mathers, qui se fera plus tard appeler MacGregor Mathers, revendiquant une filiation avec le clan écossais MacGregor ; et William Robert Woodman leur ami. On notera dans la même Société Kenneth Mackenzie, admirateur de Eliphas Lévi qu’il était allé rencontrer à Paris, et le docteur Felkin. Tous ces noms vont vous devenir familiers, car c’est autour d’eux, et d’une dizaine à peine d’autres noms, que tout va s’édifier.

La fondation

L’une des légendes veut que le voyant Frédérick Hockley, élève de Francis Barrett et professeur de Mackenzie, meure en 1885, laissant derrière lui une vaste bibliothèque, comportant notamment des manuscrits chiffrés avec sans doute un code de la Polygraphie de l’abbé Trithème, initiateur de Cornelius Agrippa. Woodford, ami de Mackenzie, reçoit de lui ces documents. Il n’est pas Maçon, mais connaît le goût de Westcott pour les grimoires. Il lui passe les textes, que Westcott refile à Mathers pour décodage. Dans ces manuscrits, qui se révèlent être des notes kabbalistiques en abrégé, Westcott trouve l’adresse d’une rosicrucienne rattachée à la plus ancienne et la plus sûre branche de la vraie Rose+Croix d’origine, Die Goldenne Dammerung (L’Aurore Dorée) : Anna Sprengel, à Nuremberg. Il la contacte aussitôt et obtient le droit d’implanter une branche anglaise de l’Ordre de la Rose+Croix sous le nom de The Hermetic Order de la Golden Dawn, ce qui sera fait en 1887. Mathers est nommé Imperator.

Le premier Temple (équivalent d’une Loge maçonnique) est ouvert en 1888 sous le nom d’Isis-Uranie. Le recrutement est rapide parmi les Frères de la Societas, mais l’Ordre est ouvert aussi aux non-Maçons , et aux femmes . En 1891, Mathers annonce la mort d’Anna Sprengel et la décision de continuer à travailler en dehors du  » troisième Ordre « , la Rose+Croix allemande. La GD comportait alors un ordre extérieur, et depuis 1892 deux Ordres intérieurs, où se prenaient toutes les décisions concernant les rituels et les axes de travail. C’est en 1891 que meurt Woodman. Westcott et Mathers restent seuls dirigeants de l’Ordre.

Les noms secrets et les grades

La coutume des « nomen » en latin, langue sacrée des rosicruciens, est établie : au grade de Néophyte on choisissait un nomen. Les textes de l’Ordre envoyés aux adeptes portaient comme signature les initiales du nomen de l’auteur. Pour exemple, notons celui de Mathers : Frater Deo Duce et Comite Ferro (DDCF), celui de Westcott : Frater Sapere Aude (SA), celui d’Anna Sprengel : Soror Sapiens Dominabitur Astris (SDA).

On sera frappé par la ressemblance avec les coutumes de la Stricte Observance Templière d’Allemagne, transformée en rite maçonnique dit  » Régime Ecossais Rectifié  » par l’occultiste lyonnais Jean-Baptiste Willermoz en 1785. La décoration des temples et nombres d’accessoires ou costumes étaient lourdement inspirés de l’Egypte ancienne, mis à part les créations symboliques propres à la GD.

Voici les noms des grades de l’Ordre extérieur (Golden Dawn) : Néophyte, Zélator, Theoricus, Practicus, Philosophus. Dans l’Ordre intérieur (Ordo Rosae Rubae et Aurae Crucis) (La Rose Rouge et la Croix d’Or), neuf mois après la cérémonie du Portail ou du Voile du Temple, on recevait le degré d’Adeptus Minor qui était subdivisé en Zelator Adeptus et Theoricus Adeptus ; puis venaient les grades d’Adeptus Major, et enfin d’Adeptus Exemptus. Les chefs portaient, dans le Troisième Ordre, les titres de Magister Templi, de Magus et enfin d’Ipsissimus.

Le contenu de l’enseignement

Voyons maintenant le panorama de ce que doit connaître, ou expérimenter, ou approfondir, l’adepte de la Golden Dawn, aidé en cela par des rituels stricts et des calendriers astrologiques tatillons :

1) Au grade de Néophyte était donnée une vue partielle de toutes les activités de l’Ordre, et des rituels déjà importants comme le Signe de Croix Qabalistique et le Rituel Mineur du Pentagramme .

2) Les autres degrés correspondent à l’Arbre des Sephiroth, clef omniprésente dans la Golden Dawn à tous les niveaux ; le Zelator correspond à Malkuth, le Theoricus à Yesod, etc. Dans le premier Ordre les travaux magiques ne sont guère développés ; on insiste plutôt sur la connaissance de soi par des exercices comme « le Pilier du Milieu » basé sur la kundalini et l’arbre Séphirotique , l’introspection, les visions dans des dessins appelés Tattvas suivant une technique hindoue , la pratique de la Géomancie, du Tarot, et l’apprentissage des bases théoriques de la Qabal, de l’astrologie, etc. Les premiers principes de l’imagination toute-puissante sont expliqués et mis en action, principes qui seront à l’origine de toutes les théories et méthodes de visualisation créatrice dont le Nouvel Age est friand.

3) Dans le Second Ordre, la magie cérémonielle prend une place prépondérante, le Tarot est utilisé d’une autre manière, et l’Adepte est censé maîtriser de nombreux rituels , savoir fabriquer et consacrer divers objets, Bâton de Lotus, Rose+croix personnelle et pantacles, savoir étudier le pourquoi et le comment des rituels qu’il a subis autrefois dans le premier Ordre, et entrer dans le monde énochien.

4) Le Troisième Ordre était uniquement en contact avec les deux fondateurs ; il était surnommé « la Grande Loge Blanche des Adeptes » et recevait ses directives de « mahatmas » que Mathers contactait, dans le plus pur style théosophique, par clairvoyance, projection astrale, rendez-vous mystérieux, ou interrogation « par l’anneau et le disque » c’est-à-dire un pendule au-dessus d’un alphabet circulaire. Le nom de « Troisième Ordre » était aussi donné, par extension, aux Rose+Croix allemands qui, en théorie, étaient leurs supérieurs… ô combien inconnus !

La plupart des textes théoriques ont été publiés en anglais. Le recueil d’Israël Regardie, membre de l’Ordre, ne donne que les textes, peu commentés ; la version française est bien expliquée par des membres actifs de l’Ordre ; les publications de Waite ou de Crowley portent la marque des remodelages dus à leurs auteurs ; et de nombreux continuateurs, membres ou non, tels Gareth Knight, Robert Wang, Gerald Schueler, Dion Fortune, Moryason… se servent des techniques en les adaptant parfois . Le chercheur qui voudrait opérer concrètement devrait faire une rigoureuse synthèse de ces différentes sources… A moins de recevoir directement d’un vrai Adepte les enseignements oraux qui accompagnent les textes. Et, bien sûr, chaque continuateur se dit « seul détenteur de LA VRAIE Golden Dawn » !

Mais n’anticipons pas. Réfléchissons seulement sur des techniques aussi diverses que divergentes, basées souvent sur des phénomènes parapsychologiques subjectifs et des traditions clairement affirmées, réunies ensemble pour la première fois, le lien étant établi par des constantes comme le Tarot, la Qabal, les arcanes énochiennes… Une telle conflagration de pensées diverses et passionnées ne pouvait qu’exploser, tant pour des raisons humaines dues au développement de l’orgueil inhérent à toute magie, que pour des raisons purement eggrégoriques, dues au remaniement de rituels et de structures au fur et à mesure que les expérimentations de l’Ordre Intérieur (RR and AC) se répercutaient sur l’Ordre extérieur (GD).

La faille

La faille se révèle au grand jour avec le départ du Docteur Westcott en 1897. La Golden Dawn était ouverte depuis dix ans. Le motif officiel du départ est le suivant : ayant oublié dans un « cab » des documents officiels de l’Ordre le mettant en cause, Westcott fut sommé par les autorités anglaises de choisir entre son poste de coroner (médecin légiste) et son appartenance à l’Ordre. Des rumeurs sur de la magie autour des cadavres ne permettaient pas un exercice serein de ce métier à un adepte… On peut légitimement supposer que le caractère autocratique de Mathers fut pour beaucoup dans le choix final de Westcott, fondateur de la première heure. Dégagé de tout modérateur, MacGregor Mathers s’en donna à coeur joie, régentant et décidant de tout. Qui pourra juger si, sur le plan ésotérique, les décisions de Mathers furent bonnes ou non ? Quoi qu’il en soit, les pleins pouvoirs de l’Imperator commencèrent à énerver les esprits – les esprits incarnés de ses co-adeptes.

Avec le départ de Westcott commence le déclin de l’Ordre en tant que tel. Un des points qui soulevèrent la colère des « rebelles » fut l’initiation dans l’Ordre en 1898 d’un jeune magicien, Aleister Crowley, qui, contre l’opposition des Frères et Soeurs, fut élevé au degré d’Adeptus Minor (le plus haut grade concrètement pratiqué dans l’Ordre Intérieur) par Mathers lui-même au Temple « Ahathoor » de Paris le 16 janvier 1900. On a dit tant de mal de Crowley qu’il ne peut pas être aussi noir que cela. Si sa vie personnelle fut une succession de débauches sexuelles et de démesure, son oeuvre écrite initiatique est passionnante, lucide et équilibrée. Mais dans l’Angleterre victorienne, même dans une société secrète où se promènent anges, démons et entités, Crowley faisait figure de réincarnation de Satan lui-même, légende qu’il entretenait avec ce sourire moqueur qu’on lui voit sur certaines photos, tirant sur sa pipe et aimant à faire frissonner d’effroi les dames en chapeau à plumes…

La révélation de Mathers

Mais enfin une légende satanique se paie, et une actrice célèbre, Florence Farr, la dirigeante du Temple Isis-Uranie de Londres depuis avril 1897 donne sa démission de son poste à Mathers. Et là, va se passer une chose incroyable, un coup de tonnerre dans un ciel serein : Mathers croit voir dans cette démission une action souterraine de Westcott, et il répond à Florence Farr une lettre, datée du 16 février 1900 depuis Paris, que je traduis ici : « … Je ne peux vous laisser monter une combinaison pour créer un schisme avec l’idée de travailler secrètement ou ouvertement sous les ordres de Sapere Aude (=Westcott) sous l’impression fausse qu’il a reçu un pouvoir sur le travail du Second Ordre par Soror Dominabitur Astris (= Anne Sprengel). Tout cela donc me force à vous dire complètement (et comprenez-moi bien, je peux prouver jusqu’à la garde chaque mot que je dis ici, et plus encore…) et si je suis confronté à SA je dirais la même chose, ne serait-ce que pour l’amour de l’Ordre, et dans ces circonstances qui voudraient un coup vraiment mortel à la réputation de SA, je vous supplie de garder le secret vis-à-vis de l’Ordre pour l’instant, bien qu’au fond vous êtes parfaitement libre de lui montrer ceci, si vous le jugez convenable après mûre réflexion. » (Wescott) n’a JAMAIS été en communication, à aucun moment, ni personnellement ni par écrit, avec les Chefs Secrets du (Troisième) Ordre, il avait lui-même contrefait – ou fait contrefaire – la prétendue correspondance entre lui et eux, et ma langue ayant été toutes ces années liée par un Serment du Secret prévu à cet effet, prêté à lui, demandé par lui, à moi, avant de me montrer ce qu’il avait fait, ou fait faire, ou les deux. Vous devez comprendre que j’en dise peu à ce sujet, vu l’extrême gravité de la chose, et à nouveau je vous demande, aussi bien pour son amour que celui de l’Ordre, de ne pas m’obliger à aller plus avant sur ce sujet.« 

Mathers ne va pas jusqu’à nier l’existence d’Anna Sprengel – qu’il confondit un temps avec une aventurière, Loleta Jackson, alias madame Horos, alias Swami Viva Ananda – mais le mot était lâché : toute la caution rosicrucienne allemande était un bluff, un énorme bluff, comme l’était d’ailleurs la fantaisiste  » Histoire de l’Ordre  » du même Westcott.

La chute de l’Imperator

Florence attend quelques jours, demande des explications à Westcott qui nie calmement, regrettant que les témoins de la première heure soient morts. Florence alors divulgue la lettre de Mathers à tous les Adeptes de Londres, qui élisent le 3 mars un Comité des Sept chargé de demander des comptes à Mathers. Mathers refuse fièrement de montrer quelque preuve que ce soit, ne reconnaît aucune autorité au-dessus de lui si ce n’est les dirigeants du Troisième Ordre. Le 23 mars, il démet Florence Farr de ses fonctions ; le 29 mars, le Second Ordre réuni en assemblée plénière destitue Mathers et le chasse de la Golden Dawn, tous ordres confondus. Mathers les menace de tous les châtiments karmiques possibles, affirme qu’on ne peut le destituer sans son accord à cause de liens magiques. Crowley le rejoint à Paris, se heurte à la sécession du temple Ahatoor, et organise avec Mathers un véritable  » duel de sorcellerie  » entre eux et les  » rebelles « .

Il est dramatique de voir un esprit aussi vaste que celui de Mathers sombrer dans cette guerre des chefs pour un pouvoir qui s’effrite de toute façon. Chaque Temple se pense seul détenteur des  » vrais  » rituels, puisque leurs expériences personnelles ont été positives (et elles étaient logiquement positives, vu le magnifique travail des fondateurs sur les rituels). En plus, chaque Frater ou Soror ayant une expérience différente – de par la visualisation des Tattvas entre autres – se sent investi du devoir de  » sauver la véritable Golden Dawn « . Ce phénomène d’éclatement fut précipité par l’existence de groupes de travail secrets au sein même de l’Ordre, existence voulue par Mathers dès 1897 aux fins d’approfondissement des connaissances acquises. Florence Farr avait ainsi fondé un groupe nommé « La Sphère ». Entre alors en scène William Butler Yeats, (1865-1939) Irlandais, futur prix Nobel de littérature en 1923. Après avoir été dirigeant de Isis-Uranie, il quitte l’Ordre en 1901, la même année que le procès de Théo Horos et de sa femme pour escroquerie et délits sexuels, procès où le nom et les pratiques de la Golden Dawn furent mis en cause avec l’amplification déformante que vous devinez, et surtout la publication de morceaux de Rituel du Néophyte où le serment prononcé par le récipiendaire fut considéré comme un blasphème. L’effet démoralisant sur les adeptes de l’Ordre extérieur accentua les ravages de la guerre des chefs… En 1902, le Second Ordre se donna un triumvirat pour le diriger : PW Bullock, vite remplacé par le docteur RW Felkin ; MW Blackden, égyptologue, et JW Brodie-Inner.

L’éclatement de la Golden Dawn

Ils eurent à lutter dès le départ contre Arthur Edward Waite, qui, à la tête d’un groupe d’adeptes, veut modifier le système de direction, pour des raisons qu’il expose en 1903 : être calife à la place du calife, puis faire abandonner toute magie à L’Ordre, réviser tous les rituels, et tout cela pour une bonne raison : Waite affirme que le Troisième Ordre n’existe pas. Waite et Blackden fondèrent alors leur propre Ordre, avec un temple qu’ils appelèrent Isis-Uranie comme le premier temple de la Golden Dawn. Brodie-Inner rend son temple d’Edimbourg indépendant. Felkin réagit par un acte magique : il abolit le nom de « Golden Dawn » et lui donne le nom de « Stella Matutina ». C’est cette branche qui est le successeur légal (et spirituel ?) de l’Ordre Hermétique de la Golden Dawn. C’est sous ce nom que Dion Fortune ou Israël Regardie connaîtront l’Ordre.

Nous sommes en 1903. L’histoire de l’Ordre est finie : commence celle de ses héritiers.

Les Continuateurs

La Golden Dawn eut quasi autant de successeurs que l’ordre Martiniste de Papus, tout en ayant la branche d’origine qui survit parallèlement à ses imitateurs.

Crowley

L’un des plus célèbres continuateurs de l’esprit de la GD est bien sût Crowley. Après avoir fondé son Ordre, Astrum Argentinum, il reçoit les patentes de l’Ordo Templis Orientiis lors d’un de ses nombreux voyages orientaux – d’où il rapporte aussi des yogas. L’un des dessins fondamentaux de l’OTO représente un ovale contenant en haut un oeil à l’égyptienne, au milieu une colombe bec en bas, et en bas une Coupe enflammée frappée de la croix templière. Il eut de fréquents contacts avec Rudolf Steiner, qui se trouva imprégné de Golden Dawn pour nombre de ses théories sur l’au-delà. Aleister Crowley mériterait un article à lui tout seul. Disons pour abréger qu’il reformula suivant ses propres calculs le corpus de la Golden Dawn, et que ses opérations sont plus historiques qu’imitables. Il meurt en 1947. Les successeurs de Crowley quant à l’esprit se révèlent lors de la publication en 1969 de son Tarot peint sur ses ordres par lady Frieda Harris. Un dessin résolument hypermoderne, où le génie de Crowley se lance sans frein. Ses Mineures sont quasi-abstraites, mais sont accompagné d’un mot-clef explicatif. On peut alors suivre à la trace l’influence de Crowley de jeu en jeu, ou d’école en école – comme dans L’Ecole des Serviteurs de la Lumière, pour qui Anthony Clark et sa femme Elisabeth Jo Gill firent un tarot en commun, puis firent chacun un jeu entier.

Dion Fortune

Violet Mary Firth, (Soror Deo non Fortuna, d’où vient son pseudo de plume) entra à Stella Matutina en 1919, au Temple Alpha-Oméga. En 1924 elle fonde la Fraternity of the Inner Light, qu’elle dirige jusqu’à sa mort en 1946. Son oeuvre écrite est vaste et passionnante. En France elle est surtout connue pour La Cabale Mystique (Londres 1935 ; Adyar, éditions de la S.T. à Paris, 1937). Gareth Knight en fit partie, et ses deux livres sur la Qabal (éd. Ediru) portent la marque de l’enseignement reçu.

Le Tarot

Suivre la Golden Dawn à la piste du Tarot est bien plus facile en effet :

Waite en 1910 donne sa version dessinée des arcanes décrits dans Le livre T de la Golden Dawn, le « Rider tarot ». et l’accompagne d’un livre où il en dit trop ou pas assez. la particularité de ce jeu c’est que, contrairement au livre T, les Mineures sont des petites scènes illustrant le principe qui leur est attaché. Mais pas de mot-clef, pas d’alchimie visible ni de Qabal partout : le mysticisme de Waite se dégage de toute magie. A partir du livre et du jeu, puis à partir du Livre T quand il commença à être diffusé sous le manteau, de nombreuses créations s’épanouirent, jusqu’aux auteurs récents comme le jeu de Hanson-Roberts, de Salvador Dali ou de la Rose sacrée… tandis que celui de Crowley inspirait Barbara Walker, spécialiste de la magie féminine, l’allemand Haindl, Gill, Clark, ou l’italien Mario ——- dans son Tarot des Ages… Des tentatives à partir du Livre T lui-même donnèrent naissance au jeu de Robert Wang, supervisé par Israël Regardie, au jeu de Gareth Knight, au jeu de Geoffroy Dowson, au jeu très fidèle de Sandra Tabatha Cicero… Paul Foster Case, membre de l’Ordre, fonde le BOTA (Builders of Adytum), où chacun doit peindre son jeu lui-même, d’après le livre de Case ; le dessin diffère légèrement de Waite, et a les Mineures abstraites.

Le Bilan

Que dire aujourd’hui de cette comète fulgurante qui traversa la fin du siècle avec tant de lumière et de force avant de disparaître consumée par ses propres flammes ? Son influence, officielle ou cachée, revendiquée ou inconsciente, est énorme. Tous les livres de Kabbale ésotérique viennent d’elle. Sa propre vision de la Qabal, retravaillée par-dessus les distorsions de Eliphas Lévi et de Papus, diffère parfois de l’orthodoxie du Sepher Yetsira, du Bahir et du Zohar, mais elle s’impose aux non-juifs par sa clarté et son aspect pratique. Tous les livres de magie ont pillé ses rites et ses correspondances, qu’ils l’avouent ou non. Toute étoile à cinq branches puise son sens actuel dans la Golden Dawn, et tout emploi de son tracé est basé sur ses rituels. Tous les rituels non maçonniques s’inspirent de l’élégante simplicité de ses cérémonies, où la visualisation est reine. Nombre de techniques de bien-être ou de connaissance de soi ou de « yoga des énergies » ou de science des cristaux viennent de ses expériences et de ses exercices. C’est par elle que la Géomancie n’est pas tombée dans l’oubli, et que le Tarot, surtout à partir de la version de Waite publiée en 1910, est redevenu le LIBER MUTUS cent fois redessiné, cent fois recréé, et qui ouvre toutes les portes…

Remonter aux sources de Piobb, de Corneille Agrippa, de Le Nain ou des papyrus des musées oblige, au passage, à « jeter un coup d’oeil sur ce qu’en ont fait les types de Londres ». Le rêve fou des trois amis reste dans l’aventure de la pensée comme une des plus fantastiques explorations qui ait jamais été réalisée. Qu’ils soient pour nous un modèle dans leur audace et leur beauté, et que nous ne retenions que cela.

Plus sur le sujet :

Histoire, technique et survivance de la Golden Dawn. M.F.T. Copyright : Revue La Parole Circule. Illustration : Ethan Doyle White [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons

Brève Bibliographie

Livres

  • The Golden Dawn, as revealed by Israel Regardie, 6me édition avec index, Llewellyn’s editions, St Paul Minnesota, USA.
  • Astral projections, ritual magic and alchemy by Mathers (Flying rolls) edited by F. King, Destiny Book, Rochester (Vermont).
  • The Book of Thot, by Aleister Crowley, éd Weiser, York Beach (Maine)
  • Dictionnaire de l’Esotérisme, Riffard, Bouquins Robert Laffont.
  • Collection Histoire et rituel de la Golden Dawn, trois volumes parus chez Télétès.
  • Tarot divination, (extrait de Equinox, volume 1, numéro 8 ) by Crowley, ed.Weiser.
  • The Key to the Tarot, by Waite, éd Rider Oeuvres de Papus, éd Dangles – et d’Eliphas Lévi.
  • The Tarot, by Paul Foster Case

Histoire et analyses

  • Modern Ritual Magic, the rise of western occultism, by Francis King,(ex-Ritual Magic in England) 1970, Prism Press, GB. The Enochian tarot (book and deck) ;
  • Enochian magic, by Gerald Schueler, éd. Llewellyn’s
  • Initiation aux secrets de la magie, par Regardie éd Amarande Montréal
  • What you should know about the Golden Dawn, by Regardie, Falcon press
  • An introduction to the Golden Dawn Tarot, by Robert Wang,
  • Weiser The One-Year Manual, by Regardie, éd Weiser
  • The Magicians of Golden Dawn, by Ellic Howe.
  • Magie, par Francis King, éd du Seuil, 1975
  • Oeuvres de Gareth Knight (qabal)(Ediru)
  • La Cabale mystique, de Dion Fortune (Adyar) etc !….

Jeux de tarot inspirés par la GD (en général avec leurs companion book)

  • The Crowley Tarot deck
  • The Gareth Knight deck
  • The Rider tarot
  • The Golden Dawn Tarot Deck by Robert Wang
  • the Enochian tarot
  • The Hermetic Tarot by Geoffrey Dowson
  • the Haindl tarot
  • The Magickal Tarot by Anthony Clark
  • The Gill tarot
  • The Servants of Light Tarot
  • The New GD Ritual Tarot par Sandra Tabatha Cicero The tarot B.O.T.A.
  • The Barbara Walker Tarot
  • The Old Path tarot, établi par la WICCA

… et bien d’autres !

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