Le symbolisme du serpent

Nous savons que la Pythie de Delphes s’asseyait sur un trépied exposé aux émanations d’une caverne qui s’ouvrait dans les profondeurs de la terre. Ce sont les esprits des morts, les esprits souterrains, qu’évoquaient les sorcières frappées de malédiction. Et il est impossible de ne pas rapprocher leur nom de l’ob de Reichenbach, l’astral passif, la lumière bleue, le monde des désincarnés. La sorcière s’appelle l’aoboth. Moïse dit de la manière la plus formelle : Vous ne laisserez pas vivre l’aoboth ; elle sera lapidée en dehors du camp. L’aoboth est tout simplement un médium à incorporations. Cela nous semble bien rigide, mais nous devons nous rappeler que Moïse, gardien de la race, de la tradition d’un dieu unique sortait en libérateur de la terre d’Égypte et qu’il avait à redouter le culte des morts, de l’Osiris souterrain, de toutes les puissances noires qu’il fallait fuir immédiatement. Et ses ordres, bien que souvent transgressés, ne furent jamais abolis. C’est d’après sa loi que Saùl défend de consulter les pythonisses, et qu’il va en consulter une, lui ordonner d’évoquer l’âme de Samuel et apprend par elle qu’il est maudit, que sa race est rejetée et qu’il mourra, vaincu, dès le lendemain.

En Afrique, les sorciers indigènes portent exactement le même nom. Le magicien noir est l’obi et la sorcière l’obbeyah ; tous deux portent sur eux la peau du serpent et se réclament de sa force. Lâcher l’obi contre quelqu’un, c’est déchaîner contre lui les esprits impurs, lancer contre lui ce qu’on appelle, en termes magiques, l’envoûtement à l’esprit volant. C’est-à-dire que l’on fait tourmenter la victime par l’esprit d’un désincarné judicieusement choisi parmi ceux qui sont encore fort bas sur l’échelle de leur évolution, propres par conséquent à agir sur le plan physique et qui conservent encore assez de force pour servir nos passions et nos désirs. En outre, cette forme d’envoûtement a l’avantage de soustraire en partie le sorcier aux risques du choc en retour. Transporté d’Afrique en Amérique par les malheureux esclaves noirs, l’obi n’a rien perdu de sa puissance ; il est devenu le « papaloi » du Vaudou. Le vaudou est le culte du serpent – culte effroyable, car il est une déformation des anciennes Initiations, il n’en a gardé que la haine – aussi légitime qu’une haine peut l’être – des blancs qui arrachent les noirs à leur patrie pour les faire servir aux œuvres de leur ambition et de leur cupidité. Dans une clairière des bois, de ces bois qui ont toujours été l’asile de l’outlaw, du persécuté, les noirs se rassemblent. Une cage d’osier solidement tressée contient un gros serpent, le serpent sacré, le seigneur diable. C’est lui, le dieu de cette secte. C’est à lui que l’on offre le sacrifice, le sacrifice du kid, qui signifie tout ensemble l’enfant et le chevreau – et ce n’est pas toujours le chevreau, mais « le chevreau sans cornes » qui est égorgé. Ses entrailles sont dévorées par le serpent ; son sang mêlé avec du rhum forme la boisson par laquelle communieront les adeptes. Quant à son cœur, il sera enfoui, avec toutes les exécrations nécessaires, avec des objets ayant appartenu à ceux sur qui on veut « lâcher l’obi », le redoutable envoûtement. Des danses frénétiques, des prières étranges accompagnent le sacrifice ; mais c’est le sacrifice de l’enfant au serpent qui constitue le fond de la cérémonie, le sacrement diabolique des adeptes du Vaudou.

D’où viennent ces rites atroces ? Viennent-ils des Atlantes ? Il se peut ; les anciens Mexicains offraient au dieu couleuvre Witziliputzli le cœur des jeunes hommes en haine du Soleil car le dieu couleuvre était un dieu noir, une divinité chtonienne. Viennent-ils d’Égypte et l’Égypte les a-t-elle empruntée à la race noire ? Il n’est pas impossible. Voici, en tout cas, une imprécation égyptienne qui accompagnait des rites d’envoûtement. Elle s’adresse à Typhon-Seth :

« 0 toi qui hais parce que tu as été chassé, je t’invoque souverain tout puissant des dieux destructeurs et dépopulateurs, toi qui ébranles tout ce qui n’est pas vaincu !

Je t’évoque, ô Typhon-Seth ! Vois : j’accomplis les rites prescrits par la magie.

C’est par ton vrai nom que je t’appelle.

Viens donc à moi franchement, car tu ne peux me refuser.

Et moi aussi je hais telle maison qui est prospère, telle famille qui est heureuse.

Sus contre elle, et renverse-là parce qu’elle m’a fait injure ».

Il n’est pas sans intérêt de rapprocher les termes de cette imprécation du salut des gnostiques Albigeois, des cathares persécutés : « Que celui à qui on a fait tort te salue ».

Est-elle d’origine atlantéenne, cette pratique du nagualisme dont s’étonnait à juste titre Brasseur de Bourbourg qui, le premier et avec une entière impartialité, étudia les mœurs des indigènes des Antilles et de l’Amérique centrale. Nagual veut dire génie ou démon – plutôt dans le sens grec de daimone, force naturelle, que dans le sens chrétien d’esprit impur. Les initiés du nagualisme confèrent à leurs adeptes, dès la naissance, une sorte de baptême qui l’assimilait à un génie, lequel génie animait une forme animale, le plus souvent un reptile. Une goutte de sang était tirée de la langue et de l’oreille du récipiendaire et offerte au génie, en signe de servage. De ce moment, ce qui était fait à l’homme se répercutait sur l’animal et inversement. Telle est la donnée, mais voici le phénomène dont fut témoin Brasseur de Bourbourg et dont on lui affirma qu’il n’était point un fait isolé, mais fréquent, au contraire, et quasi quotidien. Il y avait, dans le pays où se trouvait le voyageur, un jeune Indien qui se trouvait ainsi lié avec l’un des caïmans de la rivière. Un jour, l’un des prêtres qui évangélisaient ces populations, le Père Diego, punit sévèrement cet Indien et cet Indien, jusque-là fort paisible, estimant que le châtiment était disproportionné avec sa faute, en conçut un très vif ressentiment. Or, un soir que le religieux était parti à cheval pour aller porter les sacrements à un moribond, à un gué de la rivière, son cheval se trouva arrêté par un caïman qui faisait tous ses efforts pour entraîner dans un endroit profond la monture et le cavalier. Mais le Père Diego n’était pas homme à se laisser aller à la crainte. D’un coup d’éperon, il stimula son cheval avec tant de force que tous trois : père, cheval et caïman se trouvèrent projetés hors de la rivière. Rendu à son véritable élément, le cheval étourdit son ennemi de quelques solides ruades et, avec son bâton ferré, le Père acheva de le mettre hors de combat. Au débotté, après avoir rempli ses devoirs religieux, le Père raconta l’aventure qui lui était arrivée. Or, comme il racontait ce fait, on vint lui annoncer que l’indien qui avait été puni par lui était à toute extrémité. On trouva le caïman expirant à l’en droit où le Père l’avait laissé et près de lui l’Indien qui portait les mêmes blessures.

Peu de jours après Brasseur de Bourbourg questionnait un jeune homme sur des faits analogues, et ce jeune homme convint aussi qu’il avait un nagual. Comme on l’en réprimandait, ce jeune homme répondit :

« Que voulez-vous ? C’est avec ce sort que je suis né, je ne l’ai pas cherché ; depuis mon enfance, je vois sans cesse cet animal auprès de moi ; j’ai coutume de manger ce qu’il mange, de sentir ce qu’il éprouve et jamais il ne me fait de mal ; ma vie est liée à la sienne et réciproquement ».

C’est le même Brasseur de Bourbourg qui a, le premier, traduit les livres saints et les traditions des indigènes du Mexique et de l’Amérique centrale. Or, chose singulière, ils se donnent pour initiateur un roi-serpent qui porte le nom absolument Scandinave de Wotan. Lui et ses successeurs accomplissent de grands et périlleux voyages pour apporter à leurs peuples les secrets de toutes les civilisations du monde. On dit même que l’un de ces Votans assista à la construction du temple de Salomon et qu’il fournit au roi magicien les renseignements les plus curieux sur les animaux, les végétaux et surtout les minéraux de son pays que les Livres saints nomment Ophir (à rapprocher d’Ophis, serpent) et qui est le pays de l’or. C’est cet Ophir biblique que Christophe Colomb cherchait, croyant rejoindre l’Inde, quand il partit et trouva l’Amérique. Ces chefs portaient le nom de serpents et, chose qui peut sembler singulière à ceux qui ne comprennent pas ce que furent les origines de civilisations européennes, les druides et autres chefs celtiques portaient aussi le nom de serpents et de dragons. On se rappelle que le dragon est on serpent qui a été nourri de serpents. Ceci a un sens mystique. En effet, le serpent est l’image des populations autochtones, le dragon sert donc l’autochtone dominateur de ses pairs. Aussi, le chef suprême des forces celtiques fut-il le pendragon, le grand dragon, le chef des chefs des serpents. Instruits profondément des traditions anciennes, les druides se disaient aussi serpents et fils de serpents et notre Karnak breton, de même que le Karnak d’Égypte, est la maison du serpent, le lieu où se résument et s’exaltent les forces de la terre, supérieures et inférieures, et l’esprit des morts. Nombreux sont aussi les Dracontium, les files de pierres levées ou de colonnes qui dessinent la promenade du serpent. À Stonehenge, en Irlande, existe un de ces dracontia et, suivant les traditions locales, son érection remonte avant le déluge. Chose singulière, les mesures auxquelles ses proportions se réfèrent ne coïncident avec aucune mesure européenne, mais parfaitement au contraire avec la coudée sacrée d’Égypte et ses dérivés. Chose plus singulière encore, dans le pays brumeux où ses pierres sont rangées, lorsque les vapeurs du soir s’enroulent autour des pierres colossales qui dessinent « la promenade du serpent » il semble que les pierres elles-mêmes ondoient au souffle du soir et qu’elles dansent sur place une de ces danses mollement balancées où excellent ces filles d’Orient qui ont reçu directement par les oasis de l’Afrique septentrionale les enseignements de l’Atlantide. C’est ce qui a valu à ces files de pierres levées le nom si caractéristique de « Bal des géants ».

C’est de cette Initiation très certainement que vinrent les enseignements qui donnèrent leur forme à la magie celtique et aussi à la magie de ces Celtes orientaux qui sont les Galates et une grande partie des peuples de l’Asie-Mineure. Aussi, voyons-nous, dans les Argonautiques de Valérius Flaccus la toison d’or, emblème de la science initiatique, gardée par un dragon. Ce dragon est vaincu par les héros grecs et, surtout, par les artifices de Médée. Une fois tué, Jason lui arrache les dents et les sème. II en naît des soldats qui s’entrégorgent. Hélas cela aussi est un signe des races celtiques. Si les peuples de la plus haute race blanche avaient été capables de s’unir et de se comprendre, toutes les attaques n’auraient fait que blanchir et disparaître devant elles. Mais, de tout temps, le celte a été l’ennemi du celte et, de cette désunion les envahisseurs ont profité. Quand il eût franchi le Rubicon, César trouva ses meilleurs auxiliaires dans ceux qu’il était venu combattre ; chacun oublia l’intérêt général pour ne se souvenir que des querelles particulières. Les Gaulois disaient déjà « Politique d’abord » comme de simples députés. C’est ainsi que ploya sous le génie rusé et tenace de Rome la valeur des guerriers au collier d’or réunis sous l’enseigne du pendragon. Le titre toutefois ne fut pas perdu et le cycle breton de nos chansons de geste le donne encore au roi Artus, cette fleur de chevalerie qui, suivant la légende, fut trop grand pour mourir et vit encore aux îles Fortunées, cet oasis atlantéen des Açores ou des Canaries. Partout, encore de nos jours, le serpent est mêlé à toutes les représentations de la magie.

Dans tout l’Orient et dans l’Afrique, le charmeur de serpents est le premier sorcier ; il représente, pour les initiés, le rythme qui domine les forces astrales, mais pour le populaire qui ne va pas si loin chercher ses motifs d’admiration, il est, surtout, l’enchantement de ceux qui, comme dit Kipling, « Jouent à tirer la mort par la barbe ».

Nous plaçant à un point de vue de l’Initié, qui seul importe, nous, rappellerons cet épisode de l’Exode où Moïse voit le peuple hébreu puni par la morsure des serpents des blasphèmes qu’il avait proférés. Moïse, « le plus doux entre les hommes », supplie l’Eternel de pardonner à ce peuple coupable et de lui donner les moyens de sa préserver de ces douloureuses morsures et des troubles souvent mortels qu’elles entraînaient. Or, le Seigneur dit à son envoyé de faire fondre, par Aaron, son frère, un serpent d’airain qui, élevé sur une croix au milieu du camp, guérira par sa seule vue tout ceux qui élèveront vers lui leurs regards. Ici, nous touchons a l’un des points les plus marquants de la magie, la guérison du mal par son semblable, une sorte d’homéopathie transcendante. Ce ne sont pas les choses en elles-mêmes qui agissent sur nous/aussi bien au point de vue physique que du point de vue psychique ou moral. C’est la position ou la forme du symbole, c’est-à-dire, en grande partie, la direction d’intention. C’est cette direction d’intention qui donne à l’agent magique son utilisation dans telle ou telle forme adoptée. C’est ce qui ressort aussi d’un mythe analogue : celui de la lance d’Achille et de celle de Parsifal, qui portent tout ensemble la maladie et la guérison. Et ceci est la manifestation la plus évidente de la similitude du serpent et du monde astral. Et telle est la puissance de ce serpent que nous le voyons utilisé par les dieux hindous, dans le barattement de la mer de lait, qui sauve le monde prêt à périr. C’est encore le serpent qui avale la bave délétère du serpent Vasouki et le sauve de nouveau grâce à l’intervention de Siva.

Nous voyons par ces exemples que le serpent, et les forces astrales dont il est le symbole, seront bonnes ou mauvaises selon que nous les mettrons en œuvre d’une manière ou d’une autre. Ainsi, quand on trace un pantacle, il peut être à fin d’attirer ou de repousser les objets qu’il représente ou emblématise. Dans les premiers temps de sa fondation, Byzance fut infestée par une invasion de serpents qui la rendaient inhabitable. Elle fut délivrée de ce péril par un magicien qui fit tailler, dans une conjonction propice des astres, un trépied formé de trois serpents de bronze, grâce à quoi l’on ne revit jamais de serpents dans le pays. Les empereurs chrétiens conservèrent ce trépied ; mais il fut détruit par les Musulmans à qui leur religion interdit comme idolâtrie la représentation des créatures vivantes.

Dans le temps où les Gnostiques cherchaient dans une exégèse parfois fantaisiste le sens des mystères chrétiens, une secte se forma des adorateurs du serpent : les Ophites. Les initiés de cette secte savaient que ce serpent, qu’ils appelaient Knouphis, était une image du Verbe, en tant qu’agent transformateur de la Création, différenciateur de la Monade primitive, créateur par conséquent de toute forme et de toute vie. Ils disaient que le serpent ainsi considéré les portait à communier avec les Forces de la Nature, et cela était réel. Mais les sectateurs ne comprirent pas tous les vues élevées de cet enseignement.

Il n’est pas donné à tout le monde d’exalter l’amour des choses créées sous la forme admirable du Cantique des Créatures tel que le chanta saint François d’Assise. Une fois de plus, l’erreur du vulgaire blasphéma le nom très sacré de l’Amour. Ils ne songèrent point à l’Amour « qui meut le Soleil et les autres étoiles », mais le prirent dans son sens le plus bas et firent dégénérer en orgies leurs cérémonies rituelles.

Une semblable erreur porte les femmes à s’unir au serpent dans une étreinte inquiétante. On se rappelle, dans Salammbô, que la vierge se livre à l’étreinte du serpent, qui est le génie funéraire de la famille Barca. Ici, le serpent reprend le sens de Ob, la force passive ; et nous le trouvons de chaque coté des autels laraires des foyers romains, manifestant mieux encore son état passif par cette dualité. De même, les mères des héros affirment souvent avoir conçu d’un serpent sacre leur fils qui étonne le monde. Telle fut Olympias, mère d’Alexandre qui porta longtemps sur le corps la trace du serpent à qui elle s’était abandonnée. Affirmation reprise plus tard par la mère d’Octave-Auguste. Il est permis de se demander ce qu’il y avait de réel dans ces dires et si les femmes qui affirmaient de telles choses ne s’étaient pas livrées, volontairement ou involontairement, au Maître des apparences. Menteur et Père du mensonge, qui connaît le secret des rêves et qui sait où finit et commence la réalité.

Ici le serpent est réellement le Diable dans le sens de l’Astral impur. Mais l’astral sera impur ou pur selon que nous le voudrons, dès le moment où nous serons capables de voir et de vouloir. Soumis à la sereine volonté du Mage le Serpent sera une garde héroïque et précieuse. C’est le serpent aux sept têtes qui ombrage de sa flexibilité inclinée le Bouddha en méditation. C’est que le Bouddha est enfin sorti du monde illusoire de Maya ; la vanité des formes n’a plus de prise sur lui. II est donc légitime que tout, en ce monde, le serve, l’abrite, lui apporte la paix dont il a besoin. Cette paix, ce calme du sage, Moïse nous le fait voir dans sa rencontre avec les magiciens de Pharaon. Il jette sa baguette à terre ; la voilà changée en serpent. Les prêtres d’Osiris imitent ce geste et le résultat est le même. Mais le serpent issu de la baguette de Moïse dévore tous les autres serpents. Ceci s’explique fort aisément. Tous les initiés, quelle que soit la direction de leur pensée, peuvent atteindre le monde astral régir par la volonté et le savoir que représente la baguette, mais il est dans la destinée de la Loi de toujours triompher en fin de compte. Le vulgaire peut le nier ; les mages qui veulent profiter de son erreur pour asseoir leur domination peuvent se donner l’air d’en douter et de le nier même, mais ils ne l’ignorent point. Ils savent que le Dieu solaire sera toujours victorieux dans sa lutte contre les ombres. Ils savent que toujours la ténèbre sera percée par les claires flèches du jour, car le défaut de la ténèbre est de n’avoir pas d’existence propre, d’être, comme le Mal lui-même, née de la privation de la Lumière et du Bien. Et toujours l’heure doit venir où le Dominateur doit apparaître et dire, ainsi que dans le Psaume : Je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus.

C’est cette victoire que symbolise la flèche toujours mise entre les mains du représentant de l’Ordre, aussi bien que la Lance et l’Épée. Ce sont toujours les pointes, surtout les pointes métalliques par quoi se désagrègent les formations fluidiques. Aussi l’Épée de Saint Michel est-elle victorieuse de Satan comme les flèches d’Apollon le sont du monstre des marais.

Mais ce n’est pas seulement dans l’antiquité religieuse ou classique que nous trouverons des faits semblables. Ossian attribue des phénomènes analogues à son héros : l’Écossais Fingal :

« Fingal, que menace la lance de l’esprit de Loda, tire son épée. Semblable à la lueur d’un éclair, le fer traverse le fantôme. Il tombe, perd sa forme et vous croiriez voir une de ces spirales de fumée que traverse et fouette une flexible et rapide houssine. Il jette cependant un cri perçant, roule sur lui-même et s’élève sur l’aile des vents ».

Ces serpents de fumée ne sont-ils pas tout semblables à ces souples et tortueuses formations fluidiques provoquées par des magies frustes et maladroites et qui causent tant de désastres chez les téméraires expérimentateurs mal instruits de leur pouvoir et de ses limites. Le devoir de l’adepte est de réduire l’astral à son véritable rôle, celui de serviteur de l’Esprit. Il n’est enchantement ni terreur qui doive agir sur sa volonté, aussi doit-il, avant d’entreprendre quoi que ce soit dans cet ordre de phénomènes, être « maître de soi comme de l’univers ». Et ceci n’est ni sans difficulté, ni sans ennui. Mais il faut savoir compter avec ses forces pour pouvoir ensuite compter sur ses forces.

Ce devoir de l’adepte est parfaitement exprimé par le signe qui servait de cachet au Comte de Saint-Germain. Il s’était attribué ces armes parlantes et elles convenaient parfaitement à l’homme qu’il était. C’était un aleph formé par un serpent que traverse une flèche, invisiblement dardée par un arc céleste. Le Maître des Œuvres ne peut, en effet, exercer son empire que s’il a triomphé, par la science et l’inspiration, de tout ce qui n’est que trouble et chimère, de tout ce qui ne résiste pas au profond et sagace examen de l’Esprit. Mais, lorsqu’on est parvenu à ce stade, quelles magnifiques perspectives s’ouvrent devant nos regards ! Nous nous apercevons que l’Ennemi est devenu soumis et caressant. Certes, il ne faut jamais perdre de vue que, dès que nous oublierons ses pièges, il recommencera de les tendre, car il est captieux et retors de sa nature, et comme je l’ai déjà dit, il faut qu’il soit esclave ou maître. Il : ne sera jamais le sûr compagnon à l’épaule de qui nous pouvons nous appuyer. Mais, une fois cette constatation faite, il suffit de nous conformer à ce qu’elle nous révèle, sans vouloir changer la nature des choses, ce qui n’est pas en notre pouvoir. Une fois dominé, le serpent devient l’emblème de la Sagesse et nous le voyons se dresser à côté de Minerve, la déesse aux yeux clairs, née de la profonde pensée de Zeus. Nous le voyons auprès d’Esculape fils d’Apollon, le dieu de la médecine. C’est dans ce culte que le serpent nous manifeste le mieux sa qualité de force astrale. Le principal temple d’Esculape était en Epidaure, sur les bords de la mer Égée. Les malades venaient là de tous les points du monde antique. Ils étaient reçus par les prêtres qui recevaient leurs confidences et les autorisaient à dormir dans le temple, soit dans le naos, soit dans l’atrium, suivant leur état de santé et leur condition sociale.

Il nous reste une lettre d’Aspasie à Périclés qui relate le singulier traitement auquel ces malades étaient soumis. Ils buvaient à une coupe sacrée, probablement un narcotique, puis ils tombaient dans un sommeil lucide où beaucoup d’entre eux recevaient des révélations sur leur maladie et les remèdes qui lui étaient nécessaires. D’autres étaient guéris soudainement et voici comment. Pendant ce sommeil lucide, les serpents du Dieu étaient lâchés dans le temple et c’est leur contact – ou l’horreur qu’ils inspiraient à des malades forcés par le somnifère à demeurer immobiles – qui produisait une révulsion souvent salutaire. Aspasie souffrait des yeux et s’inquiétait de l’altération de sa vue. Elle raconte à Périclés que, une fois endormie, elle vît, non sans tressaillir, les serpents du Dieu s’approcher d’elle et l’un d’entre eux lui lécha doucement les paupières. Le lendemain, sa vue s’était grandement améliorée et c’est pleine de joie et de confiance en la durée de sa guérison qu’elle s’apprêtait à reprendre le chemin du retour. Le choc émotionnel avait été suffisant, à l’exclusion de tout autre remède, pour rétablir la santé d’Aspasie.

Si nous nous élevons encore d’un degré, nous trouvons le serpent dans la manifestation directe de la divinité. Nous le voyons au front des souverains d’Égypte sous la forme de l’urœus. Là, il est le signe du feu divin, de l’inspiration céleste.

Il est la flamme qui apporte au Pharaon la pensée divine, rectrice des intérêts et des pouvoirs de la terre de Khémî. C’est à ce serpent, gardien et défenseur de sa divinité, que le Pharaon mort confiera la protection de sa tombe. « L’ureus divine jettera des flammes contre les profanateurs et ils seront exterminés ».

Plus haut encore, dans la paix sereine des temples, nous rencontrons le serpent comme symbole du temps éternel. Il est le serpent Ourôboros, dont la tête et la queue se rejoignent de manière à former le cercle parfait. Ainsi, sous la volonté de l’initié, le monde changeant des images devient le monde des forces et des réalités, car, de même que tout est pur à ceux qui sont purs ; tout est stable à ceux qui ont appris la stabilité et qui ne cherchent pas dans le monde astral la vaine satisfaction de leurs curiosités ou de leurs désirs, mais la vérité seule, et le bien à parfaire. Et c’est aussi la couleuvre blanche des pays Scandinaves, la couleuvre pareille à un rayon de lune qui sait se glisser sous la pierre du seuil pour porter le bonheur dans la maison. Tant il est vrai que notre pensée, notre volonté peuvent façonner le monde, à la condition que notre pensée soit droite et notre volonté constante.

Il faut insister ici sur ce fait de la responsabilité humaine, si fortement engagée dans tout ce qui touche à la magie et aux sciences qui l’accompagnent ou qui en dépendent. Nous avons vu qu’une figure géométrique accompagne toujours les autres symboles en ce qui touche ces mythes sur quoi nous causons ensemble. Le symbole mercurien sera l’étoile à cinq pointes, symbole de la liberté humaine et, par conséquent, de la responsabilité.

L’étoile à cinq pointes peut être placée de deux manières : si nous la plaçons debout, une pointe en haut, deux pointes en bas, les deux autres pointes horizontales ou presque, nous avons la forme d’un homme debout, les bras étendus, les pieds écartés, et le centre de la figure à la hauteur du sexe ; cette dernière coïncidence indiquant que les pièges et les mirages de Nahash nous atteignent bien souvent sous les espèces de la volupté physique. Présentée ainsi, l’étoile à cinq pointes est l’image du bien que nous pouvons et que nous devons accomplir, du bien pour qui nous avons été créés, car Dieu a fait l’homme « à son image et à sa ressemblance », et c’est seulement quand il a voulu se libérer des lois et des rythmes sur les conseils intéressés de l’égoïsme, que l’homme a perdu tous les biens qu’il doit reconquérir, à la sueur de son front et en pleine conscience. Si nous disposons l’étoile en sens inverse, deux pointes en haut, une pointe en bas, nous obtenons le renversement intégral des valeurs pures ; nous symbolisons le mal volontairement élu. Dans cette étoile, nous pouvons inscrire sans aucune difficulté la ressemblance du bouc satanique, emblème de l’instinct débridé.

C’est à cause de ces possibilités inverses que l’étoile à 5 pointes et le nombre 5 ont une telle importance au point de vue initiatique. Les pythagoriciens, qui exaltaient si hautement la conscience humaine, l’avaient en grande dévotion. Le pentagramme était entre eux un signe de reconnaissance. On raconte que l’un d’entre eux, se trouvant en pays étranger et démuni d’argent, traça sur l’ardoise où le maître du lieu tenait ses comptes l’étoile à cinq pointes, faite d’un seul trait et debout, en assurant l’hôte que, dès que l’un des frères verrait cette image, ses frais seraient immédiatement remboursés. L’hôte crut ou ne crut pas ce qui lui était affirmé ; en tout cas, il laissa partir le voyageur. A peu de jours de là, Lysis, le successeur du maître, vint à passer dans cette auberge et l’aubergiste, bien persuadé que le philosophe allait se rire de lui, lui montra cependant l’ardoise qui portait seulement un chiffre (celui des dépenses), le nom du passager et l’étoile. Sans même souhaiter d’explications, Lysis, reconnaissant à ce signe qu’un frère avait besoin de lui, paya l’hôtelier, stupéfait de surprise et de gratitude.

Par contre, l’étoile à 5 pointes est en grande horreur dans tout l’Islam et rien n’est plus compréhensible. L’idéal musulman est l’abandon complet à la volonté de Dieu. Il est donc presque coupable – dangereux pour le moins – de faire intervenir la volonté humaine qui ne peut faire que des sottises.

Mieux vaut s’en rapporter au bon plaisir divin. Le fatalisme règne en maître dans la religion musulmane et c’est cette confiance en la bonté du Tout-puissant, de l’Omniscient qui donne aux regards musulmans leur paisible limpidité.

Cette conception du monde est tout opposée à celle de l’Occident latin ou celtique. Cette dernière a été exprimée d’une façon bien remarquable sur les reliures de certains ouvrages mystiques ou occultes qui ont fait partie de la bibliothèque de Philippe II, roi d’Espagne. Voici l’espèce d’hiéroglyphe qui se place au-dessous des armes royales : 5==8 (couché). C’est-à-dire : la conscience humaine, l’esprit, la volonté de l’homme égale l’infini. On voit que le roi catholique n’était pas d’un esprit aussi étroit que ses détracteurs ont voulu le faire paraître. Peut-être estimait-il, et nous sommes entièrement de son avis, que toute vérité n’est pas bonne à dire à tout le monde et qu’il y a des mesures à garder envers les profanes, ne fût-ce qu’en vue de leur sécurité. Mais ici, nous savons tous que l’esprit de l’homme, s’il est susceptible de bien des aberrations quand il se confie en sa force et ne veut pas se soumettre aux lois, l’esprit de l’homme peut et doit s’élever jusqu’aux plus hautes sphères par le chemin de l’Initiation. Les enseignements qu’il reçoit en vue de cette élévation lui confèrent cette maîtrise de soi qui lui permettent de suivre sans crainte et sans danger le serpent sur le terrain mouvant du monde astral. Ils lui font cueillir les fleurs magiques dans cette sphère enchanteresse et dangereuse avec la force paisible que nous apporte la Sérénité du sage : Eudia.

Plus sur le sujet :

Le symbolisme du serpent, Anne Osmont. Publié par la Bibliothèque Eudiaque, Henri Durville, Paris.

Les illustrations étant en très mauvais état dans l’exemplaire, nous ne pouvons les reproduire ici.

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