Les propriétés occultes des lettres de l’alphabet

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Les propriétés occultes des lettres de l’alphabet par Ibn Khaldoun.

Cette science s’appelle de nos jours sîmîa [1], terme qui, employé d’abord dans l’art talismanique, fut détourné de son acception primitive pour être introduit dans la technologie employée par cette classe de Soufis qu’on appelle les gens qui ont le pouvoir (d’agir sur les êtres créés). On l’a employé de cette manière, ainsi qu’on emploie l’universel pour désigner le particulier. Cette science prit son origine, après la promulgation de l’islamisme, quand les Soufis exaltés commencèrent à paraître dans le monde et à montrer leur inclination pour les pratiques qui servent à dégager l’âme des voiles des sens. Ils firent alors des choses surnaturelles et exercèrent un pouvoir discrétionnaire sur le monde des éléments ; ils composèrent des livres, inventèrent une technologie et prétendirent reconnaître comment et dans quel ordre les êtres qui existent procédèrent de (l’Être) unique. Ils enseignèrent que la perfection (de la vertu) des noms provient du concours des esprits qui président aux sphères et aux astres, que la nature des lettres et leurs propriétés secrètes se communiquent aux noms (qui en sont formés) ; que les noms font sentir de la même manière leurs vertus (secrètes) aux êtres créés, et que ceux-ci parcourent, depuis leur création, les diverses phases de l’existence et peuvent en indiquer les mystères. De là est sortie une science, celle qui traite des vertus secrètes des lettres et qui forme une subdivision de la magie naturelle (sîmîa). Il est impossible de désigner exactement son objet ou d’énumérer tous les problèmes dont elle s’occupe.

Les propriétés occultes des lettres de l’alphabet. 

Nous devons à El-Bouni [2], à Ibn el Arebi et à d’autres écrivains qui ont marché sur leurs traces, un grand nombre d’ouvrages traitant de cette science, et, d’après ce qu’ils y exposent, nous voyons qu’elle a pour fin et pour résultat de donner, aux âmes parfaites en science et en religion, le pouvoir d’agir sur le monde de la nature, et qu’elles y parviennent à l’aide des noms excellents (ceux de Dieu) et de certains mots à vertus divines, (mots) qui se composent de lettres renfermant des qualités occultes lesquelles se communiquent aux êtres (créés).

Ils (les Soufis) ne s’accordent pas entre eux quand il s’agit d’expliquer comment il se fait que les vertus secrètes des lettres puissent donner à l’âme le pouvoir d’agir (sur les êtres). Les uns, supposant que cette qualité dépend du tempérament même des lettres, les rangent en quatre classes, correspondant aux (quatre) éléments. A chacun des tempéraments naturels, ils assignent une partie de ces lettres, lesquelles donnent (à l’âme) la faculté de s’immiscer, soit comme agent, soit comme patient, dans la nature de l’élément qui leur correspond. D’après ce système artificiel, qu’ils nomment teksîr (fractionnement) et qui correspond aux (quatre) espèces d’éléments, ils divisent les lettres en quatre classes : les ignées, les aériennes, les aqueuses et les terrestres. Ainsi ils attribuent l’élif (ﺍ) au feu, le ba (ﺐ) à l’air, le djîm (ﺝ) à l’eau, et le dal (ﺪ) à la terre. Prenant alors les autres lettres, ils continuent l’opération jusqu’à la fin de l’alphabet. De cette manière, l’élément du feu obtient sept lettres : l’élif (ﺍ), le hé (ﻩ), le tha (ﻁ), le mêm (ﻢ), le fa (ﻒ), le sin (ﺲ) et le dhal (ﺬ). L’air en reçoit autant ; ce sont : le ba (ﺐ), le ouaou (ﻮ), le ya (ﻯ), le noun (ﻥ), le dhad (ﺾ), le ta (ﺖ) et le dha (ﻅ). L’élément de l’eau en ob¬tient sept : le djîm (ﺝ), le za (ﺯ), le kaf (ﻚ), le sad (ﺺ), le caf (ﻖ), le tha (ﺚ) et le ghaïn (ﻍ). A la terre en appartiennent sept : le dal (ﺪ), le ha (ﺡ), le lam (ﻞ), l’aïn (ﻉ), le ra (ﺮ), le kha (ﺥ) et le chîn (ﺶ).

Les lettres ignées éloignent les maladies froides et doublent, au besoin, la force de la chaleur, soit effectivement, soit virtuellement ; de même qu’elles donnent à (l’influence de la planète) Mars une double force pour guerroyer, pour tuer et pour attaquer. Les lettres aqueuses chassent les maladies chaudes, telles que fièvres, etc. et doublent, au besoin, soit effectivement, soit virtuellement, les forces froides, comme celles de la lune.

Selon d’autres, la puissance mystérieuse au moyen de laquelle les lettres font agir l’âme (sur les êtres créés) dérive d’un rapport numérique : les lettres de l’alphabet désignent certains nombres qui leur correspondent et dont la valeur a été déterminée conventionnellement, ou par leur propre nature [3]. Or, puisque les nombres ont un rapport les uns avec les autres, les lettres doivent en avoir aussi entre elles. Il y a un rapport entre le ba, le kaf et le ra, vu qu’ils indiquent les deuxièmes des trois premiers ordres ; car ba exprime deux dans l’ordre des unités ; kaf indique deux dans celui des dizaines, et ra représente le deux de l’ordre des centaines. Ces lettres ont encore un rapport avec le dal, le min et le ta, puisque celles-ci désignent les quatrièmes (des trois premiers ordres), et entre les deuxièmes et les quatrièmes il y a un rapport du double.

Les noms ainsi que les nombres ont servi à former des amulettes ; chaque classe de lettres en fournit un qui lui correspond en ce qui regarde le nombre, soit des chiffres [4], soit des lettres. Le rapport qui existe entre les vertus secrètes des lettres et celles des nombres donne à la faculté d’agir sur les êtres un tempérament particulier. On saisit difficilement les rapports cachés qui existent entre les lettres et les tempéraments des êtres, ou entre les lettres et les nombres ; de tels problèmes ne sont pas du domaine des sciences positives et ne se laissent pas résoudre au moyen de raisonnements syllogistiques. Selon les Soufis, il faut s’en rapporter au goût et au sentiment éprouvé par l’âme quand elle se dégage du voile des sens pour avoir la solution de ces questions. « Il ne faut pas s’imaginer, dit El Bouni, qu’on puisse connaître les vertus des lettres en se servant du raisonnement ; on n’y arrive que par la contemplation et par la faveur divine ».

Les mots, ainsi que les lettres dont ils se composent, procurent à l’âme la faculté d’agir sur le monde de la nature et, par conséquent, de faire des impressions sur les êtres créés. C’est là une influence qu’on ne saurait nier, puisque son existence est constatée par des récits authentiques qui nous sont parvenus relativement à des prodiges opérés par beaucoup de Soufis. On s’est imaginé, mais à tort, que l’action exercée sur les êtres de ce monde par l’âme est identiquement la même chez les Soufis et chez les gens qui opèrent avec des talismans. S’il faut s’en rapporter aux vérifications que ceux-ci ont faites, l’influence des talismans dépend en réalité de certaines puissances spirituelles (provenant) de la substance de la force. Elle fait sentir sa domination et sa puissance à tout ce qui consiste en une combinaison d’éléments, et cela au moyen des vertus occultes qui se trouvent dans les sphères célestes, des rapports qui existent entre les nombres et des fumigations qui attirent (en bas) la spiritualité à laquelle le talisman est consacré. On lie (cette spiritualité) au talisman par la puissance de la pensée, et l’on attache ainsi les natures du monde supérieur à celles du monde inférieur. « Le talisman, disent-ils, est comme un levain composé des (mêmes) éléments terrestres, aériens, aqueux et ignés qui se trouvent dans la totalité des (êtres composés, levain) capable de changer toutes (les substances) dans lesquelles il entre, et d’agir sur elles de manière à les convertir en sa propre essence et leur donner sa propre forme. On peut l’assimiler à la pierre philosophale [5], levain qui transmue en sa propre essence les corps minéraux dans lesquels on le fait entrer ».

Partant de ce principe, ils enseignent que l’objet de l’alchimie est (de faire agir) un corps sur un autre, puisque toutes les parties élémentaires de l’élixir sont corporelles, et que l’objet de l’art talismanique est (de faire agir) un esprit sur un corps, puisque, par cet art, on lie les natures du monde supérieur à celles du monde inférieur ; or les premières sont spirituelles et les dernières corporelles.

Calligraphie arabe. Source inconnue.

Il y a, entre les gens qui pratiquent l’art talismanique et ceux qui mettent en œuvre les vertus secrètes des noms, une différence réelle en ce qui regarde la manière de faire agir l’âme (sur les êtres). Pour l’apprécier, il faut d’abord se rappeler, que la faculté d’agir dans toute l’étendue du monde de la nature appartient à l’âme humaine et à la pensée de l’homme. Cette âme tient de son essence le pouvoir d’embrasser la nature et de la dominer, mais son action, chez ceux qui opèrent au moyen des talismans, se borne à tirer d’en haut la spiritualité des sphères et de la lier à certaines figures ou à certains rapports numériques. De là résulte une espèce de mélange qui, par sa nature, change et transmue ce qu’il touche, ainsi qu’opère le levain sur les matières dans lesquelles on l’introduit. Nous disons ensuite qu’il en est autrement de ceux qui, pour donner à leur âme cette faculté d’agir, se servent des propriétés secrètes des noms ; ils n’y parviennent qu’à la suite d’une grande contention d’esprit ; ils doivent être éclairés par la lumière céleste et soutenus par le secours divin. La nature (externe) se laisse alors dominer, sans offrir de la résistance et sans qu’on ait recours aux influences des sphères ou à d’autres moyens, vu que le secours divin est plus puissant qu’une influence quelconque. Ceux qui opèrent avec des talismans n’ont besoin que d’un très léger exercice préparatoire quand ils veulent procurer à leur âme le pouvoir de faire descendre la spiritualité des sphères. Combien il leur est facile de donner à leur esprit la direction convenable ! Combien leurs exercices sont peu fatigants, si on les compare avec les exercices transcendants des hommes (les Soufis) qui emploient les vertus mystérieuses des noms ! Les talismanistes ne cherchent pas à agir sur les êtres au moyen de leur âme, parce qu’un voile s’y interpose (celui des impressions des sens) ; et, si cette faculté leur arrive, ce n’est que par accident et comme une marque de la faveur divine. S’ils (les Soufis) ignorent les secrets de Dieu et les vérités du royaume céleste, — ce qui ne s’apprend que par la contemplation et après l’écartement (des voiles des sens) ; — s’ils se bornent à étudier les rapports qui existent entre les noms, les qualités des lettres et celles des mots ; si, dans le but qu’ils se proposent, ils emploient (uniquement) ces rapports, c’est à-dire s’ils font comme les personnes que l’on désigne ordinairement par le nom de gens de la sîmîa (ou de la magie naturelle), — alors, rien ne les distinguera de ceux qui opèrent au moyen de talismans ; et, en ce cas, nous devrions accorder plus de confiance à ceux-ci, parce qu’ils s’appuient sur des principes justifiés par la nature (des choses) et par la science, et qu’ils suivent un système de doctrine bien ordonné.

Quant à ceux qui opèrent au moyen des vertus secrètes des noms, s’ils n’ont pas pour les seconder la faculté d’écarter (les voiles des sens), afin d’obtenir la connaissance des vertus réelles qui existent dans les mots et des effets résultant des rapports (qui existent entre les noms, etc.), — ce qui leur arrive quand ils n’y donnent pas toute leur attention, — s’ils n’ont pas étudié les sciences d’après un système de règles qui soit digne de confiance, — ces hommes occuperont toujours une place très inférieure.

Celui qui opère au moyen de noms mêle quelquefois les influences des mots et des noms à celles des astres ; il assigne aux noms excellents (ceux de Dieu), ou aux amulettes qu’il a dressés avec ces noms, ou même à tous les noms (indistinctement), des heures (favorables à leur emploi, heures qui participent aux) qualités bienfaisantes de l’astre qui est en rapport avec le nom (dont il s’occupe). El Bouni a suivi cette pratique dans son ouvrage intitulé El Anmat. Selon (les Soufis), ces rapports émanent de la présence amaïenne, laquelle est la même que celle du berzekh de la perfection nominale [6], et ces vertus ne descendent des sphères que pour être distribuées aux êtres, selon les rapports qu’elles peuvent avoir avec eux. Ils disent aussi que, pour apprécier (les vertus des mots), on doit avoir recours à la contemplation ; donc toute tentative faite dans ce but par une personne qui, étant dépourvue de la faculté contemplative, accepterait les opinions d’autrui à l’égard de ces rapports, doit se mettre sur la même ligne que les opérations d’un talismaniste. On peut même dire que celles-ci méritent plus de confiance, ainsi que nous l’avons déjà fait observer.

Les personnes qui dressent des talismans combinent quelquefois dans leurs procédés les vertus des astres avec celles des invocations, composées de paroles qui ont avec les astres un rapport spécial. Mais, à leur avis, les rapports de ces paroles aux astres ne sont pas du même genre que ceux dont les individus qui étudient les vertus secrètes des noms prennent connaissance lorsqu’ils sont absorbés dans la contemplation. Ils dépendent (disent-ils) des principes fondamentaux du système des procédés magiques que nous employons dans le but de déterminer la manière dont les influences des astres se répartissent parmi les diverses catégories des êtres créés, c’est à-dire les substances, les accidents, les essences et les minéraux ; à ces catégories il faut ajouter les lettres et les mots. A chaque astre appartient spécialement une partie de ces êtres.

On a fondé sur cette base un édifice aussi singulier que répréhensible : les chapitres et les versets du Coran s’y trouvent distribués (et placés) comme tout le reste sous l’influence des astres. C’est ainsi qu’a fait Maslema el Madjrîti dans son Ghaïa. El Bouni a évidemment suivi le même système dans son Anmat ; parcourez ce livre, examinez les invocations qu’il renferme ; observez que l’auteur les a distribuées entre les heures des sept astres ; prenez ensuite le Ghaïa et voyez-y les kîama des astres, c’est à-dire les invocations qui leur sont particulières, et qui sont nommées ainsi parce qu’on les prononce en se tenant debout [7] : quand vous aurez examiné ces ouvrages, vous serez convaincu que le fait est ainsi. Cet accord entre les deux ouvrages a dû résulter, soit de l’identité des matières dont ils traitaient, soit du rapport qui existait entre la formation primitive et le berzekh de la connaissance.

Il ne faut pas s’imaginer que toute science réprouvée par la loi doive être regardée comme non existante ; la magie est défendue, mais sa réalité n’en est pas moins certaine. Quoi qu’il en soit, les connaissances que Dieu nous a enseignées suffisent à tout, et vous n’avez reçu, en fait de science, qu’une bien faible portion. (Coran, sour. XVII, vers. 87.)

Établissement d’une vérité et discussion d’un point subtil. — La sîmîa (ou magie naturelle) est réellement une branche de la magie, ainsi que nous l’avons montré, et la faculté de s’en servir s’acquiert par l’emploi d’exercices que la loi ne condamne pas. Nous avons déjà fait observer que, chez deux classes d’hommes, l’âme peut agir sur le monde des êtres créés. Les prophètes, qui formaient une de ces classes, y agissaient au moyen d’une faculté divine que Dieu avait implantée dans leur nature ; les magiciens (qui composent l’autre classe) opèrent au moyen d’une faculté psychique qui leur est innée. Les hommes saints peuvent acquérir cette faculté par la vertu de la profession de foi ; c’est, chez eux, un des résultats amenés par le dépouillement (des sentiments mondains qui préoccupent l’âme) ; elle leur naît sans qu’ils aient cherché à l’obtenir et leur arrive comme un don inattendu. Ceux qui sont bien affermis (dans les habitudes de la vie ascétique) tâchent d’éviter cette faveur quand elle se présente à eux ; ils prient Dieu de les délivrer d’une faculté qu’ils regardent comme une tentation. On raconte qu’Abou Yezîd el Bestami [8], étant dans un état très misérable, arriva un soir au bord du Tigre. Ayant voulu traverser le fleuve, il vit les deux rivages se rapprocher jusqu’à se toucher devant lui. Au lieu de profiter de cette faveur, il pria Dieu de le délivrer de la tentation : « Non ! s’écria t-il, je ne veux pas abuser de mon crédit auprès du Seigneur dans le but d’économiser un liard ». S’étant alors embarqué dans le bateau de passage, il traversa le Tigre avec les bateliers.

La faculté innée d’exercer la magie ne passe jamais de la puissance à l’acte, tant qu’on ne l’excite pas au moyen d’exercices préparatoires. Celle qui n’est pas innée, mais acquise, est inférieure à l’autre, et l’emploi d’exercices préparatoires est encore nécessaire pour l’activer. La nature des exercices magiques est bien connue ; Maslema el Madjrîti en a indiqué, dans son Ghaïa, les diverses espèces et la manière de les accomplir. Djaber Ibn Haïyan les a mentionnés aussi dans ses traités, et quelques autres écrivains ont laissé des ouvrages sur le même sujet. L’étude de ces livres occupe une foule de gens qui espèrent acquérir une connaissance de la magie en apprenant les règles et les conditions (qui doivent s’observer dans la pratique) de cet art. Nous ferons observer qu’autrefois les exercices magiques étaient un tissu d’impiétés : on tournait son esprit vers les astres et on leur adressait des prières appelées Hama, avec l’intention d’attirer en bas les spiritualités des corps célestes. On croyait à des impressions provenant d’un autre que Dieu et servant à établir une liaison entre l’acte (de la magie) et les ascendants stellaires ; on observait les positions des planètes dans les signes du zodiaque, afin d’obtenir l’influence dont on avait besoin.

Bien des personnes, ayant voulu procurer à leur âme la faculté d’agir sur le monde des êtres créés, entreprirent d’acquérir cet art en suivant une voie qui devait les éloigner des pratiques entachées d’impiété ; et, dans ce but, elles donnèrent à leurs exercices un caractère légal, en y remplaçant (tout ce qui blessait la religion) par des litanies et des cantiques à la louange de Dieu, et par des invocations tirées du Coran et des traditions sacrées. Ces individus, voulant connaître les prières qui convenaient à leur but, se guidaient d’après une considération que nous avons déjà indiquée, savoir, que le monde, avec tout ce qu’il renferme d’essences (êtres), de qualités et d’actes, est partagé entre les sept planètes et soumis à leurs influences. Avec cela, ils recherchaient scrupuleusement les jours et les heures qui correspondaient aux influences ainsi réparties, et, par l’emploi d’exercices autorisés par la loi, ils s’abritaient contre les imputations auxquelles les pratiques de la magie ordinaire les auraient exposés, pratiques qui, si elles ne sont pas des actes d’infidélité, doivent nécessairement y porter. Ils s’attachaient à suivre la voie légale, parce qu’elle était assez large et n’offrait rien de répréhensible. C’est ainsi que fit El-Bouni dans plusieurs de ses ouvrages, tels que l’Anmat, et d’autres écrivains adoptèrent le même plan. Évitant avec un soin extrême de donner le nom de magie à l’art qu’ils cultivent, ces gens l’appellent sîmîa (magie naturelle) ; mais, bien qu’ils le pratiquent en suivant la voie légale, ils ne peuvent s’empêcher de tomber dans l’emploi de la magie véritable. Malgré la direction licite qu’ils donnent à leurs pensées, ils ne s’éloignent pas tout à fait de la croyance en certaines influences qui ne procèdent pas de Dieu ; ils cherchent aussi à se procurer la faculté d’agir sur le monde des êtres, ce qui est défendu par le législateur divin.

Quant à l’influence qu’il arrivait aux prophètes d’exercer et qui se manifestait dans leurs miracles, ils ne la faisaient valoir que par l’ordre de Dieu et par suite de sa décision. Chez les saints, cette influence s’emploie aussi avec la permission de Dieu, et leur vient, soit par inspiration et par l’opération de Dieu, qui crée (alors) en eux la science qui leur est nécessaire, soit de quelque autre manière. Au reste, ils ne s’en servent jamais sans y être autorisés.

Il ne faut pas se laisser tromper par le terme sîmîa que les magiciens emploient pour dérouter le public. La sîmîa (chez eux) est réellement une branche, une conséquence nécessaire de la magie, ainsi que nous l’avons déjà déclaré. Dieu, dans sa bonté, (nous) dirige vers la vérité.

Selon les gens du métier, il y a une branche de la sîmîa qui consiste à poser des questions, puis à en tirer des réponses au moyen de liaisons qui existent entre des mots composés de lettres. Ils veulent (nous) faire accroire que c’est là une des bases fondamentales (de l’art qui procure) la connaissance des événements futurs ; mais leur procédé ne ressemble qu’à une suite de casse-têtes et d’énigmes. Ils ont beaucoup discouru sur cette matière, et ce qu’ils ont avancé de plus détaillé et de plus curieux se rapporte à la zaïrdja (ou tableau circulaire) de l’univers, qui a pour inventeur Es Sibti, et dont nous avons déjà parlé. Nous allons exposer ici ce qu’ils ont dit sur la manière d’opérer avec la zaïrdja, et nous reproduirons en entier la cacîda (ou poème) qui se rapporte à ce sujet, et dont l’auteur, à ce qu’ils prétendent, fut Es Sibti lui-même. Nous donnerons ensuite la description de la zaïrdja, avec ses cercles, son tableau et tout ce qui s’y trouve inscrit ; nous indiquerons ensuite le caractère de cette opération, laquelle n’a aucun rapport réel avec le monde invisible et consiste uniquement à trouver une réponse qui soit d’accord avec une question, et qui, étant prononcée, offre un sens raisonnable. C’est un procédé très curieux : la réponse se tire de la question au moyen d’une opération qui se pratique comme un art et qu’on appelle tekcîr (décomposition) ; nous avons déjà donné des indications au sujet de tout cela. Quant à la cacîda (qui accompagne la zaïrdja), nous n’en possédons pas une copie dont l’authenticité nous semble bien assurée ; le texte que nous en donnons ici est celui que nous avons choisi entre plusieurs autres, parce que, d’après toutes les apparences, il est le plus correct.

Plus sur le sujet :

Les propriétés occultes des lettres de l’alphabet, Ibn Khaldoun. Troisième partie des Prolègomènes – traduits en Français et commentés par W. Mac Guckin de Slane (1863). Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1938, 574 pages. Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, collaborateur bénévole.

Illustration : IsmaelGeorge [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons

Notes :

[1] Le mot sîmîa s’emploie ordinairement pour désigner la magie naturelle et la fantasmagorie. L’auteur a déjà parlé de cet art, qu’il regarde comme une branche de la magie proprement dite. (Voy. p. 175.)

[2] Abou ’l-Abbas Ahmed Ibn el Bouni composa un grand nombre d’ouvrages sur la magie, les talismans et les sciences occultes. Son ouvrage, intitulé El Anmat et cité plusieurs fois par Ibn Khaldoun, ne nous est pas parvenu, mais tout ce que ce livre renfermait d’important se trouve dans un autre livre du même auteur, le Chems el Maaref (soleil des connaissances), dont la Bibliothèque impériale possède plusieurs exemplaires. Cet auteur mourut, selon Haddji Khalifa, l’an 622 (1225-1226 de J. C.). A en juger par son surnom, il était natif de Bône, ville de l’Afrique septentrionale.

[3] Cela veut probablement dire, par leur ordre alphabétique

[4] En arabe chekl. Ce terme doit désigner ici les chiffres qui servent à exprimer les nombres.

[5] En arabe el iksîr, c’est à-dire l’élixir.

[6] Cette expression paraît désigner le lieu (berzekh) qui est situé entre le monde matériel et le monde spirituel, et dans lequel se trouve en puissance la vertu complète et parfaite de chaque nom. C’est encore là un résultat des rêveries auxquelles les Soufis se livrent en poursuivant des chimères.

[7] Le mot kîama désigne l’acte de se lever et de se tenir debout.

[8] Ce célèbre thaumaturge mourut en l’an 261 (874 875 de J. C.). (Voyez le Biographical Dictionary, Ibn Khallikân, vol. I, p. 662.)

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