De Occulta Philosophia : une réforme de la magie à la Renaissance

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De Occulta Philosophia : une réforme de la magie à la Renaissance par Spartakus FreeMann. 

L’intention d’Agrippa en rédigeant le De Occulta Philosophia était de libérer la philosophie occulte de sa gangue idolâtre, naïve, superstitieuse et fantasque, afin de rendre, selon ses termes : « la perfection absolue à la plus noble des philosophies » [1]. Son opinion était que la magie avait sombré dans un chaos de sortilèges, de formules absconses incompréhensibles par ceux qui les utilisent, de cérémonies loufoques et grandiloquentes. Il décida donc de reconstruire l’édifice en un ensemble cohérent de connaissances conçu comme une renaissance de la sagesse des anciens – sagesse aussi bien païenne que juive ou chrétienne.

Sa quête va le mener sur les sentiers de la prisca theologia (l’ancienne théologie), des néoplatoniciens de la Renaissance où il entrera en contact avec les écrits attribués à Hermès Trismégiste, les textes de Zoroastre, les Oracles chaldaïques des anciens Babyloniens, les Hymnes orphiques des pythagoriciens…

La perspective d’Agrippa est élitiste ; selon lui, une telle connaissance, par les pouvoirs qu’elle confère à ceux qui l’étudient, peut se révéler destructrice pour les hommes, la société et la religion. Aussi, met-il en garde ses lecteurs à la fin de son œuvre : seuls le prudent et le sage pourront comprendre son livre, mais les corrompus et les incroyants ne le pourront pas ; son texte abrite une « signification diffuse » (dispersa intentio) grâce à laquelle le sage pourra extraire, rassembler et découvrir les principes qui lui en révéleront la véritable signification [2].

Le De Occulta Philosophia suit la division tripartite de l’univers, ainsi que le précise Agrippa au début de l’ouvrage. On distingue ainsi trois parties : élémentaire (matérielle), céleste (astrologique et mathématique) et intellectuelle (les intelligences et les démons). Ces trois niveaux sont intimement liés les uns aux autres ; au travers de ces trois ordres, le Créateur exerce son pouvoir et son influence qui va des puissances angéliques spirituelles supérieures, à l’étage le plus proche de Dieu, vers les êtres animés et inanimés terrestres, au travers des corps célestes. Ces trois niveaux ne représentent pas un simple ordonnancement, mais doivent être considérés un ensemble vivant, un grand être vivant dont chaque partie est dépendante des autres dans une influence réciproque universelle.

Tout comme l’univers, la magie sera répartie en trois classes : la magie naturelle qui dépend des forces élémentaires ou naturelles ; la magie céleste ou astrale qui repose sur l’influence des astres ; et la magie spirituelle, démonique ou cérémonielle qui dépend de l’aide apportée par les êtres nommés anges, démons ou intelligences.

Le Second Livre où se trouvent les sceaux planétaires déduits des carrés magiques, porte sur la magie mathématique ; il s’ouvre par un argumentaire sur la nécessité des mathématiques (chapitre 1) et se poursuit par une discussion sur les nombres. Chaque nombre de un à douze reçoit une explication particulière accompagnée de schémas et de tables (chapitres 4 à 14). Un chapitre entier est ensuite dédié aux nombres supérieurs à douze. Les chapitres 16 à 21 décrivent les différentes façons d’écrire les nombres à partir des lettres de l’alphabet. Le chapitre 22 brosse un large tableau des sceaux planétaires dont Agrippa dérive les signatures des êtres angéliques et démoniaques. Agrippa livre pour chaque carré un caractère planétaire abstrait et deux ou trois signaculum (sceaux) relatifs à divers êtres spirituels attachés à cette planète.

Si Agrippa utilise les « démons » dans sa magie céleste, il met en garde sur le fait que les opérations ne sont pas des appels en soi des forces démoniaques, mais qu’elles font appel à des représentations symboliques des nombres qui constituent une partie intégrante de la magie céleste [3].

Ce Second Livre offre de nombreux exemples de carrés magiques. Agrippa les associe à des symboles représentant les corps célestes. Par ailleurs, il fait appel aux êtres spirituels dans son explication des figures géométriques (pentagones, cercles, croix, etc.) utilisées afin de contrôler les esprits maléfiques [4]. Les représentations imagées et symboliques sont des outils qui opèrent par sympathie afin d’attirer les influences planétaires désirées. Selon Agrippa, cependant, ces images manquent de pouvoir à moins qu’on leur adjoigne quelque puissance céleste, démoniaque, angélique ou naturelle [5].

La magie d’Agrippa présuppose que la relation entre les symboles (les lettres, mots, nombres, etc.) et les objets du monde qu’ils représentent ne s’appuie pas sur une convention, mais existe de toute éternité dans l’ordre de l’univers. Le pouvoir magique des mots et des lettres est par ailleurs plus grand s’il est issu d’une langue ancienne comme l’hébreu ou le grec, nous dit Agrippa [6]. Puisque dans de nombreuses langues, les lettres servent également à désigner les nombres (comme en hébreu), le mage peut dériver des textes sacrés leur puissance magique endormie. Le Second Livre se voue presque entièrement à expliquer les rouages d’une telle utilisation grâce à des tables de nombres, des carrés magiques, etc. Par l’étude des nombres et des lettres, le mage apprendra à extraire et à utiliser le pouvoir magique des noms.

Les carrés magiques représenteront les puissances planétaires. Quant aux figures géométriques, elles possèdent également un pouvoir magique en tant que symboles des nombres.

Généralités sur les carrés magiques

Les carrés magiques sont, comme leur nom l’indique, des carrés (!) réguliers constitués de nombres et associés dans l’occultisme et la magie talismanique occidentale, aux planètes et aux puissances angéliques. On les utilise principalement afin de construire des sceaux, symboles d’une énergie sympathiquement associée à une entité céleste ou physique.

Ces carrés sont constitués par des chiffres arrangés de telle façon que la somme de chaque colonne transversale, verticale et de chacune des diagonales soit toujours la même.

Un carré magique d’ordre n est composé de n² nombres entiers généralement distincts, écrits sous la forme d’un tableau carré. Dans le langage mathématique, on appelle « ordre d’un carré magique » le nombre de chiffres compris dans une colonne. Ainsi, le carré magique sera du quatrième ordre, lorsque chacune de ses colonnes comprend quatre chiffres ; du cinquième ordre, quand il en comprend cinq ; et ainsi de suite. Il y a donc deux sortes de carrés magiques : ceux d’ordre pair et ceux d’ordre impair. Un carré magique d’ordre 3 (n) sera donc composé de 3² = 9 cellules. La somme de chaque ligne et colonne est obtenue par la formule (n*(n²+1))/2 = (3*(3²+1))/2 = 15.

Le plus ancien carré magique connu semble être le « Luo Shu », datant du 1er siècle avant notre ère, dont le nom signifie « livre de Luo » ou « Neuf Diagrammes ». C’est un carré magique d’ordre 3, dont la somme des nombres de toutes les lignes, qu’elles soient horizontales, verticales ou diagonales est systématiquement 15, un nombre correspondant au total des valeurs symboliques du yin (8 + 7) et du yang (9 + 6).

4 9 2

3 5 7

8 1 6

Le système des carrés magiques fut transmis au 8e siècle à l’Occident par les Arabes qui les connaissaient eux-mêmes des Indiens et des Chinois. Thabit ibn Qurra discourt à leur sujet au 9e siècle et une liste des carrés d’ordre 3 à 9 est donnée dans l’Encyclopédie (Rasa’il) compilée vers 990 par un groupe d’érudits arabes connus sous le nom de « frères de la pureté » (ikhwan al-safa). En 1225, Ahmed al-Bunî, dans son Tartib al-daawât et son Shams al-maarif al-kubra wa-lataif al-awarif, fit la démonstration de la construction de carrés magiques [7] par l’utilisation de certaines techniques dont celles que l’on a appelées « à enceintes » [8]. Al-Bunî associe ensuite les lettres aux différentes sphères célestes, ainsi, le carré magique d’ordre trois s’appelle, dans le Shams al-ma`ārif, « le ouifk ternaire numérique », et celui qui est de quatre « le ouifk quaternaire numérique » : « Saturne correspond dans le monde des entités spirituelles à la lettre jîm [9]. Celle-ci, numériquement, vaut 3 en elle-même et 53 après décomposition isopséphique (hisâb al-jumal), le mîm [10] valant 40, le yâ [11] 10… Cette lettre est ainsi elle-même décomposée en 3 autres. Dans le monde des entités subtiles inférieures, Saturne correspond au sâd, soit le nombre 90, qui renvoie, dans les unités à 5, soit la lettre ha. Les carrés magiques en relevant auront donc des côtés de 5 cases ».

Ce qui est légèrement différent de la version d’Agrippa qui veut que Saturne se compose « d’un carré à trois colonnes, contenant neuf nombres particuliers, et en chaque colonne trois nombres de quelque côté qu’on les prenne, et par les deux diagonales composent le nombre de quinze, et la somme totale de tous ces nombres monte à quarante-cinq ».

Ainsi que nous l’avons vu dans notre article « Une note sur Ibn Ezra et les carrés magiques » : « L’introduction du carré magique de 3 sur 3 en Europe, écrit en lettres-nombres hébraïques et sans doute transmis du monde méditerranéen par des marchands juifs, a été attribuée à Abraham ibn Ezra, un érudit juif du douzième siècle issu de Tolède » [12]. Rappelons qu’Ibn Ezra (1090-1167) était un philosophe et un astrologue hispano-juif auteur de nombreuses traductions de manuscrits arabes en langue hébraïque.

Des études récentes attribuent plutôt cette introduction à Manuel Moschopoulos (1282–1328), un grec byzantin professeur, érudit et grammairien assez connu pour son œuvre d’édition de textes grecs, et dont le traité sur les carrés magiques [13] a longtemps été considéré comme le premier ouvrage du genre en Occident. Il semble cependant que ce texte n’eut qu’un impact très limité sur les esprits de son temps puisqu’il ne sera « découvert » qu’au 17e siècle par Philippe de la Hire (1640-1718) dans la Bibliothèque Royale de Paris. Camman soutient par ailleurs que les méthodes exposées par Moschopoulos afin de construire les carrés magiques étaient connues déjà des Perses [14].

Dès le 14e siècle apparaissent en Europe des compilations en latin d’exemples de carrés magiques d’ordres 3 à 9 associés aux sept corps célestes alors connus (Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne). Ces carrés étaient censés jouir des vertus, propriétés positives ou négatives des corps célestes en question. Les carrés magiques entrent alors dans les sciences dites « occultes », l’astrologie et la magie, pour n’en plus jamais ressortir.

Luca Pacioli rédige en 1498 son De Viribus Quantitatis dans lequel il associe les carrés magiques aux sept planètes alors connues. Il met en relation le carré d’ordre 3 à Saturne ce qu’avait déjà fait Nadruni sans son Qabs al-Anwar publié en 1384.

En 1514, Albrecht Dürer créa sa célèbre « Melancolia I » qui comporte un carré magique d’ordre 4 sur le mur derrière le génie songeur qui deviendra l’archétype du « penseur » et le modèle pour les sculpteurs. Le carré d’ordre 4 est associé à Jupiter, planète considérée comme ayant des influences bénéfiques. Ainsi, l’ange songeur et mélancolique, dépressif dirait-on aujourd’hui, est associé au carré magique de Jupiter censé combattre les effets de cette affection.

Enfin, en 1533, Agrippa publie les trois livres du De Occulta Philosophia, ouvrage dans lequel il développe une théorie et une pratique talismanique notamment basées sur les carrés magiques. Ouvrage majeur s’il en est puisqu’il va influencer toutes les générations d’hermétistes et de magiciens jusqu’à nos jours. « Chaote » avant l’heure, Agrippa compile à partir de sources souvent tues par lui et construit un système auquel on ne peut dénier une certaine efficacité.

Cet article est issue du livre Les Carrés Magiques dans la Talismanie d’Agrippa que vous pouvez vous procurer sur notre vitrine Lulu ICI

Ou encore en format Kindle sur Amazon.fr

Pour en apprendre plus sur les carrés magiques :

De Occulta Philosophia : une réforme de la magie à la Renaissance, Spartakus FreeMann, mars 2009 e.v.

Notes :

[1] De occulta philosophia, I, 2.

[2] De occulta philosophia, III, 65

[3] De occulta philosophia, II, 15.

[4] De occulta, II, 16

[5] De occulta, II, 23

[6] De occulta, I, 74

[7] ﻖﻓﻮ « wafq » en arabe ou encore « wafq al-a’dad » pour « disposition harmonieuse des nombres »

[8] Voir l’article « Une solution arabe du problème des carrés magiques », Carra de Vaux.

[9] La lettre jîm (ﺝ) correspond au « guimel » hébraïque, troisième lettre de l’alphabet arabe et ayant une valeur numérique de 3.

[10] Le mîm (ﻡ) équivaut au « mem » hébraïque ou à notre lettre « m » et possède une valeur numérique de 40.

[11] Le yâ (ﻱ) équivaut au « yod » hébraïque ou à notre lettre « i » ou « y » et possède une valeur numérique de 10.

[12] Schuyler Camman, Islamic and Indian Magic Squares, History of Religions 8, n°3 (1969), 181-209, et n°5, 271-99.

[13] Traduit en français par Paul Tannery, Le Traité de Manuel Moschopoulos sur les Carrés Magiques, 1886.

[14] Schuyler Cammann, The Evolution of Magic Squares in China, 1960, dans l’American Oriental Society 80, pp. 116-124.

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