Le Mage d’Epinal

Le Mage d’Epinal par Melmothia. 

En l’an de grâce 1888, deux hommes font ‘areuh areuh’ au-dessus du berceau de la société approximativement secrète qu’ils viennent de ressusciter. Le premier est un jeune occultiste, qui entre deux pavés paranoïaques contre la magie noire, a décidé de redonner un nouveau souffle à la Rose+Croix. Il n’est pas le seul à manifester cette ambition, en cette fin du XIXème les ordres rosicruciens fleurissent partout en Europe, mais c’est l’un des plus connus. Son nom est Stanislas des Guaïta ; alors âgé de 27 ans, et lassé de se prendre pour Baudelaire il se consacre depuis peu à l’ésotérisme sous le parrainage de Papus.

Le deuxième est franchement plus coloré et nettement moins occultiste, même si s’autoproclamer thaumaturge ne le dérange pas. Il est même là pour ça. L’homme, qui ne lésine ni sur la taille des jabots ni les mouvements de manche, se fait appeler le Sâr Merodack, mais les mauvaises langues le surnomment « Le Mage d’Epinal ».

J’ai nommé Josephin Péladan, le seul, l’unique.

Le Mage d'Epinal
Portrait de Péladan, le Mage d’Epinal.

Comme son pseudonyme oriental ne l’indique pas, notre Sâr est né à Lyon et mourra à Neuilly-sur-Seine. Fils de Louis-Adrien Péladan journaliste à La France littéraire et fondateur de La Semaine religieuse, Josephin baigne dès la petite enfance dans la culture et le mysticisme. Il en héritera cet esprit exalté et confus qui fait son charme autant que son ridicule.

Son amitié avec Guaïta l’intéressera à l’occultisme et le convaincra d’imprégner son mobilier d’encens. En retour, Guaïta écrira : « je dois à votre livre d’avoir entrepris l’étude de la science hermétique ». Cherchez l’erreur.

Il faut dire que, quelque temps plus tôt, alors que de l’autre côté de la Manche un certain William Wynn Westcott découvrait des manuscrits codés au fond d’un placard, Péladan signait un roman, Le Vice Suprême qui le rendait célèbre et l’auréolait d’une réputation de mage. Sans doute un malentendu mais son texte sonne occulte. Guaïta est emballé et prend contact avec lui. Galvanisé, Péladan assommera durant les années qui suivent la postérité de quatre-vingt dix volumes.

Certains de ses biographes cherchent une piste initiatique du côté de son grand frère Adrien, précurseur en homéopathie et mort prématurément empoisonné… sur une erreur du pharmacien. Il est possible en effet que Péladan ait eu un pied dans la jardinière, cependant à regarder de plus près son œuvre, on s’aperçoit qu’elle n’a de mystique que les dorures des chérubins. Dans Le Vice Suprême, préfacé par d’Aurevilly, Péladan dénonce son antéchrist à lui : le matérialisme. C’est à la façon des romantiques qu’il aborde la magie. Les volutes d’encens sont des additifs pour l’adulation de la vraie divinité à laquelle il rend un culte kitch et total : la beauté. Comme attendu, Péladan se passionne pour la musique de Wagner dont il publiera les opéras en français assortis de ce commentaire « en matière de thérapeutique pour désintoxiquer la France de son matérialisme ». Il se rend à Bayreuth après la mort du compositeur « vêtu d’un habit blanc, d’une tunique bleu ciel, d’un jabot de dentelle et de bottes de daim, avec un parapluie retenu au côté par un baudrier ». La veuve refuse de le recevoir en l’état et il doit rentrer en France.

Péladan Le Mage d'Epinal
Portrait de Péladan le Mage d’Epinal, par Alexandre Séon, 1892

En 1891, il se sépare de l’Ordre kabbalistique de la Rose+Croix, trop « ésotérique » à son goût, pour aller planter ses roses à lui, nettement plus en accord avec son idéal. Son groupe s’intitulera en toute modestie : L’Ordre de la Rose-Croix Catholique et esthétique du Temple et du Graal. On y promeut l’art, voie royale vers Dieu, on y lutte contre les ravages moraux du matérialisme. Péladan définira modestement sa congrégation comme « une confrérie de charité intellectuelle, consacrée à l’accomplissement des œuvres de miséricorde selon le Saint-Esprit, dont il s’efforce d’augmenter la Gloire et de préparer le Règne » [1].

L’année suivante est organisé un premier Salon de la Rose+Croix dans la célèbre galerie parisienne Durant-Ruel. Le salon est inauguré sur une musique composée par Erik Satie, le compositeur officiel de l’ordre. On y écoute des conférences sur l’art et la mystique. Et surtout, des artistes prestigieux y exposent.

La postérité doit à Péladan d’avoir assuré la publicité de peintres comme Jean Delville, Fernand Khnopff, Séon, Maurice Denis, Bonnard, Toulouse-Lautrec, Seurat, Schwabe. Le succès est considérable. Plus de 22 000 visiteurs se déplacent. L’expérience sera renouvelée six fois, de 1892 à 1897.

Michel de Lézinier décrira Péladan ainsi : « Il était parfumé des sept parfums correspondant aux sept planètes, mais où dominait impérieusement l’eucalyptus. Un large col de dentelles sans cravate entourait son cou, mais s’échancrait assez pour recevoir un gros bouquet de violettes; ses gants de peau grise avaient des baguettes mauves à rehauts d’or » [2].

Bon goût et discrétion, donc. Et pas seulement dans l’accoutrement. Il faut l’imaginer virevoltant et déclamant au vernissage du premier salon Rose+Croix : « Art tout puissant, Art Dieu, je t’adore à genoux, dernier reflet d’en haut sur notre putrescence… Miracle, miracle, une rose s’élève et s’ouvre grandissante, s’efforçant d’enserrer en ses feuilles pieuses la croix divine du salut: et la croix consolée resplendit, Jésus n’a pas maudit ce monde, Jésus reçoit l’adoration de l’art » [3].

La seule chose qu’il parviendra à faire discrètement, en fin de compte, sera de mourir en 1918.

Plus sur le sujet :

Le Mage d’Epinal, Melmothia 2007. 

[1] Histoire du Rosicrucianisme par Christian Rebisse, sur le site de l’A.M.O.R.C.

[2] Michel de Lézinier, Avec Huysmans. Promenades et souvenirs, Paris, Delpeuch, 1928, p.172.

[3] Extrait du site BoZar Expo.

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