Les tablettes d’exécration gallo-romaines

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Les tablettes d’exécration gallo-romaines par Fredericus Coriarius .

Cette présentation s’inspire en grande partie des informations tirées du livre de Catherine Flusin-Gerber, Le mystère des envoûtements. Paris, De Vecchi, 2009. Elle reprend également des données de l’article de Claire Gaillet, « Une approche des tablettes magiques en Gaule romaine », in Ephesia Grammata, revue électronique d’accès libre et gratuit, 2007, 9 p., et de divers articles en français et en anglais parus pour l’essentiel dans des revues archéologiques.

La Loi des douze tables (Lex duodecim tabularum), premier code juridique romain gravé sur une plaque de bronze en 450 ou 449 av. J.-C., l’interdit. Sylla au Ier siècle av. J.-C., à travers sa loi cornelia de sicariis & veneficis, livre au supplice ses praticiens. Au Bas Empire, Constantin, puis Valentinien édictent de nouvelles lois la condamnant. Pourtant, la magie individuelle était bel et bien pratiquée dans tout l’empire, et ce durant toute l’Antiquité.

Contrairement à la magie officielle, placée sous l’égide des Dieux, celle-ci se pratiquait à l’abri des regards, souvent de nuit, dans les forêts, à la croisée des chemins, dans les cimetières, comme en témoignent les auteurs antiques tels qu’Apulée, Horace, Ovide ou Virgile, ou encore dans des occultum, comme celui découvert récemment à Chartres (Dominique Joly, « Sacrifice et magie à Autricum. Chartres (Eure-et-Loir) », in L’Archéologue, n° 81, décembre 2005-janvier 2006).

Une des traces les plus évidentes est sans conteste les tablettes d’exécration. On les retrouve un peu partout sur tout le bassin méditerranéen sous le nom grec de mayikos katadesmos, « ligature magique ». C’est toutefois plus couramment le terme latin de defixio qui est utilisé par les archéologues pour désigner les exemplaires trouvés en Gaule. Chez les auteurs antiques, il est bien plus utilisé pour désigner les tablettes de plomb servant de support à l’envoûtement (defixiones tabellæ) que des figurines.

« La cruelle violence du mal était aggravée par la conviction d’avoir été empoisonné par Pison. De plus, on trouvait sur le sol et sur les murs des lambeaux de cadavres déterrés, des formules d’envoûtement et d’exécration, le nom de Germanicus gravé sur des tablettes de plomb, des cendres humaines à demi brûlées et imprégnées de sang corrompu et d’autres maléfices auxquels on attribue le pouvoir de vouer les âmes aux divinités infernales. En même temps des émissaires de Pison étaient accusés de venir épier les symptômes de la maladie… » – Tacite, Annales, II, 69. À propos de la mort suspecte de Germanicus en Syrie [1].

Illustration extraite du site Everything Else.

Les fouilles archéologiques et les découvertes fortuites ont livré plus de 1500 de ces tablettes de défixion à travers l’Europe, sans compter la masse de celles trouvées en Afrique du Nord. Parmi les dernières publiées, on citera celles trouvées dans la rivière Kupa en Croatie, probablement au niveau d’un gué. Moins d’une quarantaine sont recensées en Gaule. Les plus anciennes trouvées en France, viennent de la région Sud-Est et ont de toute évidence un lien direct avec l’installation des colonies grecques (Marseille, Nice, Antibes). Elles datent du IVe s. avant notre ère. Toutefois, la majorité des tablettes de défixion découvertes en Gaule date du Ier siècle de notre ère. Les plus récentes sont du VIe siècle.

La defixio, substantif du verbe defigere, désigne le fait de « ficher », «f ixer en bas », ou encore « transpercer » = À l’image du clou que l’on fige dans une effigie, le stylet grave la plaque de plomb ou parfois d’argent lors du rituel d’envoûtement. Cette magie est liée à l’importance donnée au Verbe et au nom (le nomen – nom étant souvent associé à la numen – puissance magique). La malédiction antique repose sur deux notions : la ligature et la dévotion (Kathosiôsis en grec. Devotio en latin. Ainsi, comme pour l’enclouage, on entrave celui à qui l’on veut nuire puis on le livre ensuite aux puissances infernales. L’incantation (Epoîdè en grec. Incantatio en latin) gravée sur la tablette décrit donc dans le détail cette opération. Généralement écrit à la première personne, le texte comporte le nom de la victime, parfois accompagné de celui de sa mère, en Afrique du Nord notamment. Elle porte le(s) nom(s) des divinités invoquées et la liste des malédictions et maux à infliger.

La plupart des « tablettes d’exécration » apparaissent sous la forme de petites plaques, de feuilles, de lamelles ou encore de petites barres de plomb portant des inscriptions et des signes automatiques (sigils) gravés généralement à l’aide d’un clou durant le rituel d’envoûtement. Le support est systématiquement roulé et éventuellement scellé par le clou ayant servi à la gravure, qui est planté à travers.

« Le rituel est merveilleusement bien restitué dans la série télévisée Rome réalisée par John Milius, William J. MacDonald et Bruno Heller » (Flusin-Gerber 2005).

La langue utilisée est généralement le latin courant (vulgate), qui en Gaule est souvent associée à des mots celtes. Certaines tablettes sont ainsi entièrement en gaulois, d’autres mêlent gaulois et latin, d’autres encore le grec et le latin. Il n’est pas rare de trouver également des mots étrangers en égyptien, copte, ou hébreu. Des signes « ésotériques », ancêtres des sigils médiévaux, sans signification linguistique, apparaissent également.

Les dieux évoqués, Hermès/Mercure, Hécate, Pluton, Proserpine – pour les Latins –, Aquannos (un esprit des eaux?), Nana, Adsasgona/Adsagonda (déesse des Enfers), Antumnos (dieu du monde d’en bas), Bregissa, Branderix (de brano, le corbeau), Maponos (Mabon) – pour les Gaulois, sont généralement là encore ceux du monde souterrain.

Même en Gaule, on trouve des références à des dieux orientaux : Abrasax, Damnameneus et Sabalthouth. Les plus tardives portent les noms de Seth, Anubis, Iaô (transcription grecque de Yahvé), Adonaï ou encore Sabaoth (Yahvé Sabaoth = Seigneur des Armées).

Une partie des inscriptions figurant sur le brûle parfum trouvé dans l’occultum de Chartres fait d’ailleurs probablement référence à ces dieux lointains : ECHAR / DRU / BROS / CHOR / CHOS / AHA / STNA / DRU / DRAX / HALCEMEDME / HALCEHALAR / HALCEMEDME.

Les tablettes de defixion se répartissent suivent cinq groupes définis au début du XXe s. par Auguste Audollent [2]  : les affaires judiciaires (defixiones iudiciariae) ; le domaine érotique (defixiones amatoriae) ; le cirque et les autres spectacles (defixiones agonisticae) ; les calomniateurs et les voleurs, et enfin celles dirigées contre les concurrents économiques. Les découvertes faites depuis l’élaboration de cette classification permettent de proposer aujourd’hui un sixième groupe pour celles censées protéger ou maudire un lieu.

Une fois le rituel accompli, les defixiones, véritables contrats passés avec les puissances infernales étaient ensuite déposés dans des puits, des tombes ou de simples fosses, dans un sanctuaire ou encore confiées à une rivière. Elles visent généralement à lever une malédiction en attaquant la personne jugée responsable de celle-ci, mais pas toujours. Les divinités invoquées sont généralement des puissances chtoniennes, assimilées aux enfers.

Le lieu d’enfouissement n’était donc pas choisi au hasard. La requête pouvait être confiée à un mort, intercesseur privilégié pour toucher les divinités chtoniennes. De même, on ne trouve pas des tablettes dans tous les sanctuaires. Ceux des divinités souterraines étaient de loin les préférés. La rivière, voire la source, devait emporter le mal au loin (désenvoûtement), alors que le puits présentait la caractéristique d’ouvrir sur le domaine chtonien et de comporter de l’eau. Ces caractéristiques pouvant se combiner, les puits et les citernes des sanctuaires étaient donc particulièrement prisés.

Quelques exemples :

Malédiction dans une defixio iudiciariae visant à empêcher un procès :

Je lie Théagène, sa langue et son âme et les paroles dont il se sert ; je lie aussi les mains de Pyrrhias, sa langue, son âme, ses paroles, etc. ; […] je lie aussi Kineas, sa langue, son âme et les paroles avec lesquelles il aide Théagène ; je lie aussi la langue de Phéréklès, son âme et le témoignage qu’il porte en faveur de Théagène. […] Je les lie tous, je les fais disparaître, je les enterre, je les cloue « en bas ». Au tribunal et devant le diéthète [arbitre chargé de juger les procès privés], quand ils agissent contre moi, qu’ils ne puissent pas comparaître du tout ni en paroles ni en acte.

Malédiction dans une defixio amatoriae (tablette de Némée, Grèce, IVe siècle avant notre ère), visant à détourner une femme convoitée de son amant :

Je détourne Euboulas d’Aineas de sa face, de ses yeux, de sa bouche, de ses petits bouts de seins, de sa psyché, de son ventre, de [son petit pénis], de son anus, de tout l’ensemble de son corps : je détourne Euboulas d’Aineas.

À Rom (Deux-Sèvres) près de Poitiers dans le Poitou-Charentes, une tablette trouvée au fond d’un puits antique portait une malédiction lancée par un mime de théâtre qui invoque les démons Apecius, Aquannos et Nana, en leur demandant de faire délirer douze de ces collègues en citant leurs noms.

Les Phylactères :

La même méthode pouvait être utilisée pour composer des talismans ou bien pour pratiquer un contre-envoûtement. Les mêmes termes que les defixiones sont employés, mais dans un but de protection. Dans ce cas-là, le plomb est délaissé au profit de matériaux plus nobles. On parle alors plutôt de phylactères. La feuille d’or ou d’argent une fois gravée, elle était roulée et glissée dans un petit étui que l’on portait autour du cou.

À Poitiers, une tablette d’argent retrouvée dans une sépulture de femme porte un charme contre l’impuissance :

Deux fois tu prendras de la centaurée,

et deux fois tu prendras de la centaurée.

Que la centaurée te donne la force, c’est-à-dire la vie, la force,

c’est-à-dire le membre viril.

Viens en aide, art magique, en suivant Justina qu’a enfantée Sarra.

En quelque sorte, Justine fille de Sarra est chargée, lors de son passage dans l’autre monde, de vaincre l’impuissance du demandeur. On utilise la sépulture comme porte vers l’au-delà pour prier les instances infernales de redonner la vie.

Plus sur le sujet :

Les tablettes d’exécration gallo-romaines, Fredericus Coriarius.

Pankratos [Public domain], via Wikimedia Commons

Notes :

[1] Dossier pédagogique Académie de Versailles.

[2] Audollent A., Defixionum tabellae quotquot innotuerunt, tam in graecis Orientis quamin totius Occidentis partibus, praeter atticas in ‘Corpore inscriptionum atticarum’ editas. Collegit, digessit, commentario instruxit et Facultati litterarum in Universate pariensi proposuit, ad doctoris gradum promovendus, Augustus Audollent…, Luteciae Parisiorum, in aedibus A. Fontemoing, 1904, réimpr. Francfort, Minerva, 1967, 568 p.

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