Les Messes Noires.

Un bref article sur les messes noires paru dans le Petit Parisien où l’on rencontre notre abbé Boullan (que l’auteur orthographie Bouland) et Huysmans…

En des temps moins troublés que ceux que nous traversons, l’abbé Bouland, prêtre du diocèse de Lyon, qui vient de mourir, aurait eu, pendant quelques instants au moins, l’honneur d’attirer l’attention sur lui. C’était, en effet, s’il faut en croire ceux qui le connaissaient, un curieux personnage.

On en avait beaucoup parlé, d’ailleurs, il y a un peu plus d’un an, à propos de la publication d’un livre sur le satanisme, où le curé Bouland était, affirmait-on, représenté sous les traits d’un chanoine du nom de Docre, lequel disait des messes noires.

La messe noire on le sait, sans doute, faisait partie des mystères de la sorcellerie au quatorzième siècle. C’était un office célébré en l’honneur de Satan. Michelet, dans une œuvre remarquable la Sorcière, en a longuement parlé. L’autel de la messe noire était dressé « à l’Esprit qui a créé la terre, au maître qui fait germer les plantes » c’est sous ces noms que les lucifériens adoraient le diable.

Les Messes Noires
Les Messes Noires


« Représentez-vous, dit Michelet, sur une grande lande, et souvent près d’un dolmen celtique, à la lisière d’un bois, une scène double d’une part, la lande bien éclairée, le grand repas du peuple ; d’autre part, vers le bois, le chœur de cette église, dont le dôme, est le ciel. J’appelle “chœur” un tertre qui domine quelque peu. Entre les deux, des feux résineux à flamme jaune et de rouges brasiers, une vapeur fantastique. Au fond, la sorcière dressait son Satan, un grand Satan de bois, noir et velu. »

La sorcière reniait Jésus, elle donnait à Satan le baiser d’adoration, elle remplaçait les hosties par un gâteau qu’elle avait pétri elle-même, puis on buvait, on dansait en se tenant par la main, dos à dos, sans se voir, et, après cette ronde échevelée, la sorcière se faisait apporter un crapaud, le mettait en pièces et en jetait les débris vers le ciel dans un violent déni.

La messe noire n’est plus dite avec cette ostentation, mais ce rite satanique se pratique encore de nos jours. Plusieurs écrivains qui se sont livrés à de minutieuses recherches à cet égard l’affirment avec preuves l’appui. Maintenant, est-il vrai que l’abbé Bouland, qui vient de mourir, fut un officiant des messes noires ? M. Huysmans, l’auteur du livre dans lequel on prétendait qu’il avait été représenté, dément que ce soit lui qu’il ait voulu dépeindre sous le nom du chanoine Docre.

« Le chanoine Docre, écrit-il, n’a aucun rapport, ni de près, ni de loin, avec l’ancien abbé Bouland. Docre est fait, à la vérité, avec deux ecclésiastiques que j’ai beaucoup connus. L’un fut chapelain d’une reine en exil et il s’est, il y a quelques années, pendu. L’autre exerce encore le sacerdoce en Belgique, dans une ville qui n’est pas très éloignée de Gand ».

M. Huysmans ajoute que, personnellement, il connaît encore trois abbés sataniques, qui célèbrent, à l’heure actuelle, à Paris, des messes noires.

Quoi qu’il en soit, l’abbé Bouland avait, à Lyon, parmi les gens qui s’occupent des sciences occultes une réputation très grande. Si bien que l’autorité ecclésiastique s’en émut et qu’elle mit l’abbé en interdit.

On racontait que l’abbé Bouland, aumônier d’un couvent de religieuses, avait, à l’exemple d’Urbain Grandier, mais sans courir comme lui le risque du bûcher, inspiré à ses pénitentes des pratiques démoniaques ; il les disait possédées du diable et prétendait les guérir en leur faisant avaler un liquide de sa composition. L’affaire fit grand bruit, et même elle eut son dénouement devant les tribunaux : l’abbé Bouland déclara ces pratiques conformes à sa foi.

Ce qu’il y a de particulièrement curieux dans le cas de cet ecclésiastique, c’est que les quelques personnes qui comptaient comme disciples accusent ses ennemis de l’avoir tué par envoûtement.

Du coup, voilà qui nous reporte en plein Moyen-Âge.

Ce sont les sorciers qui pratiquaient l’envoûtement. Ils se procuraient soit des cheveux, soit des vêtements ayant appartenu à la personne à laquelle ils voulaient nuire ; ils choisissaient ensuite un animal qui était censé représenter cette personne ils lui donnaient son nom, le mettaient en rapport avec les cheveux ou les vêtements, le tuaient d’un seul coup avec leur couteau magique ; puis, lui ayant arraché le cœur de la poitrine, ils enveloppaient ce cœur dans les objets venus de la personne condamnée et, pendant trois jours, ils y enfonçaient de temps en temps des clous ou des épingles en prononçant des paroles de malédiction. Ils prétendaient que toutes les tortures qu’ils faisaient subir au cœur de l’animal tourmentaient en même temps l’objet de leur aversion.

Mais les envoûtements les plus ordinaires se faisaient sur des figures de cire. On mêlait à cette cire de l’huile baptismale et des cendres d’hosties brûlées ; de ce mélange on formait une image de la personne contre laquelle on dirigeait les maléfices ; on l’habillait des mêmes vêtements que cette personne avait l’habitude de porter ; enfin, on lui administrait les sacrements, on prononçait contre ; elle toutes les formules de l’exécration et on la jetait au l’eu. Si la statue de cire fondait un peu, la victime de l’envoûtement devait languir, dépérir, et enfin mourir d’épuisement. Parfois, l’image était piquée au cœur dans ce cas, les personnes envoûtées devaient mourir immédiatement.

On peut rire aujourd’hui de ces étranges opérations de sorcellerie, et on fait bien ; mais, pendant plusieurs siècles, la croyance à l’envoûtement fut universellement répandue.

C’est à ce point qu’on avait demandé à la magie, puisqu’elle fournissait le mal, de donner le remède, et on avait trouvé le moyen de paralyser les effets de l’envoûtement. Il fallait pour cela que la personne maléficiée rendît à l’envoyeur un service quelconque et tâchât de l’amener à la communion du sel. Dans certains cas, on devait porter sur soi un crapaud vivant enfermé dans une boîte de corne. D’autres fois, il fallait manger un cœur d’agneau assaisonné de sauge et de verveine.

Il est fâcheux pour l’abbé Bouland qu’il ne se soit pas conformé à ces prescriptions il n’eût pas été victime de l’envoûtement. Mais peut-être ne croyait-il pas trop, personnellement, à ces maléfices des temps disparus. L’envoûtement était tout au plus digne d’une époque où les masses ignorantes lui attribuent la mort des personnages importants qui succombaient à une maladie dont les causes et le développement échappaient à la science des médecins. Ceux-ci, d’ailleurs, n’étaient point fâchés d’expliquer par des motifs surnaturels l’impuissance de leur intervention.

S’il est réel qu’il y ait encore, comme le prétend M. Huysmans, quelques prêtres qui célèbrent les messes noires en l’honneur de Satan, ils doivent se trouver heureux de vivre en un temps comme le nôtre, protégés par la liberté et la tolérance. À d’autres époques, ils auraient payé de leur existence ces offices diaboliques. Au Moyen-Âge, les démoniaques étaient un objet de terreur et une occasion toujours nouvelle de déployer les rigueurs d’un fanatisme ombrageux la juridiction ecclésiastique arrosait ses bûchers du sang des possédés du démon.

Car la croyance à Satan se compliquait de la croyance aux possessions diaboliques, et, durant les longs siècles qui ont précédé le nôtre, ce dogme fut reconnu non seulement par la masse ignorante, mais encore par les savants, les jurisconsultes et les médecins eux-mêmes. Des villages, des villes entières étaient possédés des démons. Cependant, quelques doutes surgissaient par intervalles était-il bien certain que le diable intervint si souvent dans les attires de ce monde ?

Aujourd’hui, on ne peut que rire de cela. L’abbé Bouland et ses disciples font hausser les épaules, et l’on s’étonne qu’à la fin du dix-neuvième siècle, il puisse exister encore des vestiges de sorcellerie. Mais ce qui ne manque pas de faire frémir, c’est l’évocation de ces temps tragiques et sombres où l’ignorance couvrait le monde et permettait toutes les extravagances et toutes les horreurs.

« Longtemps on avait essayé contre le diable toutes sortes d’exorcismes, mais ce qu’il redoute bien plus que les conjurations et l’eau bénite, c’est la clarté, car Satan est le prince des ténèbres ».

Ainsi s’exprime Michelet, et, dans sa pensée, la clarté, c’est l’instruction, c’est la science, qui dissipent toutes les ombres et chassent toutes les erreurs.

Plus sur le sujet :

Les Messes Noires, article du Petit Parisien, vendredi 13 janvier 1893.

Image par Waldkunst de Pixabay

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