Au sujet de la genèse de l’église gnostique

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Au sujet de la genèse de l’église gnostique par Georges Polti. 

Mon cher Vallette,

M. Fabre des Essarts demande que j’obtienne du Mercure l’insertion pour la lettre ci-dessous, dont l’exorde est d’ailleurs excellent ; voulez-vous nous accorder à l’un et à l’autre cette faveur ?

Monsieur Georges Polti, au Mercure de France

Monsieur et distingué Confrère.

Ce qui peut arriver de pire aux œuvres de l’esprit, affirme Boileau, ce n’est plus qu’on en dise du mal, c’est qu’on n’en dise rien. Je vous dois donc des remerciements pour les âcres (!) lignes que vous consacrez à mon Christ sauveur dans le Mercure de France. Permettez-moi toutefois de vous dire que vous n’avez pas lu mon poème (2). En dehors des versiculets que vous citez et qui, destinés à la musique, ne sont pas sensiblement inférieurs à ceux de Scribe, il y a des passages qui auraient certainement obtenu une critique plus amène, si vous les connaissiez (3).

Mais ce ne sont là, après tout, que pures contingences d’ordre littéraire. Je n’y insiste pas. Plus grave (4) est ce que vous dites de la fondation de l’Église Gnostique. C’est vous-même, déclarez-vous, qui l’auriez fondée, « une après-midi de solitude » ?

À moins que vous ne soyez la réincarnation de Jules Doinel (5), je ne vois pas bien comment vous pourriez justifier vos dires. Je ne vous indiquerai pas ceux de mes ouvrages où se trouve relatée l’histoire de la néo-gnose. Mais je crois devoir vous renvoyer aux Petites Églises de Jules Bois. Que vous soyez le père d’une Gnose quelconque (6), c’est bien possible. Chacun a le droit de générer la sienne (7). Mais la notre, en tant que doctrine, remonte à un passé autrement lointain que votre adolescence et que toutes les églises actuelles (8), petites ou grandes.

Je vous envoie nos enseignements secrets (9) qui viennent de paraître (10) et qui vous édifieront à ce sujet.

Je compte sur votre courtoisie pour l’insertion des présentes dans l’un des plus prochains numéros du Mercure. Vous aurez ainsi un double titre à ma gratitude. Agréez, etc.

FABRE DES ESSARTS.

Notre distingué Patriarche ne s’aperçoit donc pas qu’il fait de son ouvrage la plus cruelle des critiques ?

Comment ! Je ne l’aurais pas lu et les « versiculets » que j’aurais, par conséquent, pris au hasard se trouvent être si plats que leur auteur lui-même les abandonne : il suffit, ainsi, d’ouvrir au hasard son « poème » pour en rencontrer de tels !

Allons, il faut que j’en prenne la défense contre son maladroit géniteur. Non, je n’ai pas cité au hasard et j’ai, comme toujours, lu minutieusement et en prenant des notes le pauvre volume ; j’en ai extrait, fidèle à mon désir d’intéresser ou d’amuser le lecteur, ce que je parvenais à découvrir de plus saillant.

Toutefois, comme Scribe a peut-être encore d’autres disciples poétiques que M. Fabre des Essarts et que ceux-ci, à leur tour, s’indigneraient de m’entendre, avec lui, déclarer que ces vers ne sont « pas sensiblement inférieurs » à ceux de son maître, je dois observer que l’air « décati » des rimes de Scribe tient, au moins en partie, à ce qu’un demi-siècle a passé sur elles quoi auront l’air celles de notre versifiant patriarche vers 1957 ? Je frémis d’y penser.

M. Fabre des Essarts exige que je lui révèle les origines de son Église. Amen !

En ce temps-là (1880 P.C.), j’étais secrétaire d’une très belle et chaste dame, d’origine anglaise (elle descendait de Cromwell) : la comtesse d’A (note : il s’agit ici de Lady Caithness, duchesse de Pomar et comtesse d’Adhemar). Elle était férue d’occultisme, et je fabriquais pour elle une publication mensuelle, La Revue Théosophique. Mais cela ne suffisait pas, je le sentais, assouvir son nostalgique besoin (sans doute héréditaire) de religiosité. Il lui fallait un culte nouveau, et bien à elle.

Or, un après-midi, qu’après nombre de lectures concernant les Manichéens, les Gnostiques, etc., j’y rêvais, accoudé sur un vieil in-quarto de Beausobre, tout en feuilletant, dans le petit cabinet rouge et or, la fastidieuse correspondance des échappés d’asiles qu’attire de loin, tels des phalènes, toute publication hermétiste, je tombai sur une lettre plus saugrenue que les autres. Elle émanait d’un archiviste de la ville d’Orléans il nous contait comment des malheurs intimes lui avaient longtemps troublé les idées et le réconfort qu’il puisait aux billevesées dont, par mes soins narquois, étaient chaque mois garnies les pages de la Revue.

Une allusion qu’il faisait aux hérésies gnostiques des premiers siècles (car elles furent pluriel et infiniment contradictoires) et le roulement familier du coupé qui s’arrêtait sous la fenêtre établirent une association d’idées qui dans ma juvénile imagination, un joyeux éclair. La comtesse rentrait, parmi les adoratifs abois de ses petits chiens. Et bientôt après, tout en l’admirant (carnation éclatante, velours bleu, grands yeux noirs, dentelles), je lui exposais le projet d’une religion nouvelle, l’Église Gnostique : j’en improvisais à mesure les dogmes, au moyen de mes récentes lectures je lui citais toutes sortes de volumes reliés en veau, je lui rappelais qu’une femme très belle était indispensable (telle l’antique Hélène ou Sélèné) pour incarner la troisième personne divine, l’Esprit Saint ou Paraclet, je l’enivrais de ce rôle audacieux, encore qu’elle protestât faiblement (Songez, monsieur Polti, que j’ai un mari, des enfants, des obligations mondaines), l’encensais avec tout l’enthousiasme de mon âge et finalement je lui arrachais, victorieux, l’autorisation d’écrire en son nom au naïf bibliothécaire, dont nous ferions l’Omar du culte inédit.

Ainsi fut-il fait. Et cette admirable femme, qui ne tolérait même pas que l’on prononçât devant elle une expression comme « l’amour de Dieu », mais exigeait, dans sa pudeur bien anglaise, que l’on dît seulement « l’affection de Dieu », « l’affection pour Dieu », je la voyais, parmi ces folles créations, palpitante comme une amoureuse et resplendir – ce glaçon comme un iceberg – sous une aurore boréale. Peu à peu, elle se lassa de dicter ses réponses à M. Doinel. Et j’obtins la permission de continuer, tout seul, la correspondance, sous son nom.

Sournoisement, j’introduisis alors des expressions moins austères dans les lettres. Car j’avais bien deviné (et vous aussi ?) l’état d’âme de notre Français, à qui par surcroît j’avais fait tenir un portrait de ma belle Directrice. En peu de jours, il en devint amoureux fou.

C’est alors que je lui suggérai une idée infernale. Ne voulait-il pas être le pape du nouveau culte, l’expression du Paraclet ? Il fallait donc (entre nous) qu’il en reçût la communication, de notre Déité, au moyen du baiser de paix des anciennes cérémonies, si chaudement peintes par Lombard. Toutefois, je le prévenais charitablement qu’il ferait bien d’en expliquer, au préalable la nécessité à la comtesse.

Cette idée électrisa notre homme. Il écrivit aussitôt à ma « divine » Patronne l’épître la plus enflammée, la plus délirante. Il annonçait son arrivée immédiate. II chantait son ivresse à la pensée de recevoir le saint plérôme dans ce baiser ineffable. Et, fidèle à ma recommandation, il haletait en explications persuasives. Déjà son train sortait des Aubrais.

L’air candide et embarrassé, j’allai trouver Mme d’A. Madame, voici une lettre de M. Doinel, à laquelle je ne sais trop comment répondre. Je vous supplie de la lire.

Elle l’eut à peine parcourue qu’elle jeta un cri d’horreur.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? Je ne veux pas voir cet homme ! Dites-lui qu’il s’en aille, c’est affreux. M. Polti, M. Polti, débarrassez-moi de ce fou.

J’étais aux anges ! Des lettres ajournèrent, ajournèrent indéfiniment l’entrevue, mais dans lesquelles toutefois j’entretenais malicieusement, sous prétexte de pitié, d’égards, j’attisais les désirs du pauvre archiviste. Quelques mois plus tard, j’abandonnai l’occultisme peur des fonctions moins facétieuses ; je n’ai donc pas été témoin direct du dénouement.

Mais ce que je puis affirmer hautement, c’est qu’à coup sûr la belle et pure comtesse n’a jamais, au grand jamais, accordé à notre « assis » la faveur si désirée. La communication, que lui-même jugeait indispensable du Paraclet ne s’est donc pas faite. Et voilà comment, faute de ce baiser, l’Église gnostique pèche par la base, et la tiare de M. Fabre des Essarts, disciple de Doinel, n’est pas d’aplomb sur sa tête.

À moins de nous jeter, selon l’échappatoire ordinaire des sociétés secrètes et chapelles plus ou moins clandestines, dans la si commode « nuit des temps » ; cas où je suis tout prêt à admettre que la tiare de notre Patriarche lui vient, en droite ligne et pour légitime usage, de feu Saïtaphernès.

Recevez, mon cher Vallette, l’expression de ma sincère amitié.

Plus sur le sujet :

Genèse de l’église gnostique, GEORGES POLTI.

Mercure de France, tome 68, 1er août 1907.

(1) (4) (5) Vous exagérez monsieur, et cher Patriarche.

(2) Mais si, mais si.

(3) Si vous les aviez connus.

(4) Oh ! « quelconque », mon cher Patriarche ?

(7) Merci.

(8) Voyons : est-ce feu Doinel ? Est-ce à ce passé… reculé ?

(9) Merci. L’effet est merveilleux : plus d’insomnie, des digestions régulières. Veuillez m’en envoyer encore une boîte.

(10) Dirais-je l’éditeur ? Je crains de les rendre moins secrets.

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Pour en savoir plus sur le courant gnostique contemporain, visitez le site de l’Eglise gnostique chaote.

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