L’abbé Chatel

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L’abbé Chatel par Tau Heliogabale.

« Le vieil homme doit être dépouillé ; tout doit être renouvelé. Recedant velera ; nova fiant omnia. » Abbé Chatel, 1848.

Cet article est rédigé à escient sur un ton acide et parfois irrévérencieux à l’encontre de l’abbé Chatel. Mais que l’on ne s’y méprenne pas ; c’est l’homme, avec ses faiblesses et ses travers, que nous égratignons et non l’œuvre. L’apport de Chatel au gallicanisme mérite plus que notre respect et notre reconnaissance. Il fut l’un des premiers à émettre solidement les principes qui seront à la base de l’Église gallicane : mariage des prêtres, refus de la confession obligatoire, liturgie en langue vernaculaire, élection populaire des prêtres et des évêques, refus de l’excommunication et de l’interdit… Il fut de ceux qui sentaient bien qu’un fossé immense s’était creusé entre les fidèles et la hiérarchie sacerdotale catholique. Il a eu le courage – poussé sans doute par un ego à la mesure de la tâche – de lancer une idée dont nous sommes aujourd’hui les modestes réceptacles.

L'abbé Chatel
L’abbé Chatel

Les journaux catholiques de l’époque l’ont traité très durement – comme ils en ont toujours l’habitude vis-à-vis des concurrents du Saint-Siège –, plus encore que les constitutionnels et les protestants. Ainsi, l’Ami de la Religion et du Roi, écrira en 1831 : « C’est une déplorable comédie, ce n’est rien de plus. Que Châtel se fasse appeler M. le primat coadjuteur, qu’il ait des vicaires auxquels il donne le titre de primatiaux, ces grands noms n’en peuvent imposer à personne ». La hiérarchie catholique romaine ne pouvait accepter qu’un de ses prêtres se permette de contester son monopole et Chatel expérimentera les procédés dont Vilatte fera les frais au début du 20e siècle.

Il faut dire que son association – fût-elle temporaire – avec le sieur Fabré-Palaprat n’a pas aidé à le faire paraître sous son meilleur jour. On peut d’ailleurs se questionner sur ce faux pas. Chatel pressé de lancer sa réforme se devait de trouver l’assise hiérarchique adéquate ; rien ne pouvait se faire sans au moins un évêque afin d’ordonner les prêtres, les diacres, sous-diacres et minorés dont l’église a besoin pour fonctionner durablement. Ses demandes rejetées par les constitutionnels, il a dû se résoudre à chercher une consécration auprès de la plus improbable source qui soit. Cependant, l’Ordre du Temple de Fabré-Palaprat comptait dans ses rangs d’illustres ecclésiastiques : Mgr. Mauviel, évêque constitutionnel de Saint-Domingue et Mgr. Salamon évêque in partibus d’Orthose. Palaprat était le médecin de l’abbé Grégoire, dont on peut se demander s’il ne fut pas celui qui permit la rencontre des deux hommes.

L’abbé Chatel, un réformateur.

L’abbé Ferdinand-François Chatel, dit l’abbé Chatel, est né le 9 janvier 1795 à Gannat dans l’Allier. Ses humanités achevées, Chatel entra au grand séminaire, dirigé par les sulpiciens. Ordonné prêtre en 1818, il est d’abord vicaire de la cathédrale de Notre-Dame de Moulins puis curé à Monetay-sur-Loire.

Il se sépare de l’Église romaine en 1830, et le 31 mai il fait paraître le premier numéro d’un journal religieux, politique et littéraire qu’il avait fondé sous le titre : Le réformateur ou l’écho de la religion et du siècle. La couverture représentait un prêtre et un laïque s’abordant, le prêtre par cette affirmation : « Je suis prêtre, mais tolérant, » et le laïque par cette réponse : « Je vous cherchais. »

Abbé Chatel Le Réformateur
Le Réformateur

Voici le 1er article du premier numéro de cette feuille du mois de juin 1830 : « Lorsque les gouvernements étaient sous le joug de la puissance temporelle des papes, on a fait, dans la religion du principal l’accessoire et de l’accessoire le principal. On a substitué à la doctrine révélée la doctrine de l’homme, à la sublime morale de l’évangile, les enseignements d’une théologie sophistique : tout a été travesti selon les desseins ambitieux de quelques pontifes. On eut ainsi deux christianismes bien distincts : celui que renferme la loi divine, et celui que prêche l’ultramontisme ; l’un a détruit l’esclavage, réintégré l’homme dans ses droits naturels, et civilisé le monde ; on voudrait se servir de l’autre pour nous replonger dans les ténèbres du moyen-âge, rétablir la servitude. Il importe à la paix des consciences, au bonheur des familles, et à la souveraineté des États, de mettre un terme aux envahissements du faux zèle, et de réfuter les doctrines qui pourraient produire un pareil renversement de choses et d’idées. Tel est l’objet du Réformateur. Le Roi actuel des Français, Sa Majesté Louis-Philippe 1er, fut le premier abonné au journal. »

Survient alors la Révolution de Juillet. L’article 5 de la Charte qui en résulte accorde la liberté religieuse. Profitant de l’atmosphère de liberté, Chatel développe ses activités. Après la prise de l’archevêché par la foule et la fuite de l’archevêque de Paris, Mgr. de Quelen, il entrevoit une brèche propice à lancer une réforme de l’église française. Et le nouveau régime de Louis-Philippe semble donner une forme de protection tacite, quoique discrète et non publique, au nouveau culte catholique français qui adopte d’ailleurs comme slogan : « Vive le roi, vive la messe française, vive Louis-Philippe, vive la liberté ». Il faut dire que l’Église catholique est légitimiste, et le régime voit alors d’un assez bon œil une église dissidente émerger et se posant en concurrente de Rome.

Le 23 novembre, il faire paraître dans les journaux un appel aux fidèles :

« Un très grand nombre de prêtres patriotes, réunis à Paris, ont l’honneur de prévenir leurs concitoyens qu’ils sont à la disposition des autorités des différentes communes qui manquent de curés. La conduite antinationale et despotique des évêques a déterminé cette société d’ecclésiastiques, amis de leur pays et jaloux de marcher avec les institutions constitutionnelles, à rompre avec leurs chefs et à n’écouter que la voix de leur conscience et les intérêts des peuples qui les appellent. On les a mis dans la cruelle alternative d’opter entre l’obéissance aux lois de leur pays et l’obéissance passive, aveugle, fanatique, à un pouvoir éminemment ennemi de leur patrie. Ils n’ont point hésité ; ils ont rompu d’une manière éclatante avec des évêques en hostilité ouverte avec la France entière. »

L’église de Chatel dira ses offices en français et offrira gratuitement les sacrements aux fidèles selon les paroles de l’Évangile : « ce que vous avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement ».

Dans la Religion naturelle, en 1842, il écrira : « Dès les derniers mois de 1829, j’avais commencé la réforme. Des mariages, des baptêmes, des premières communions avaient eu lieu dans mes appartements, rue des Sept-Voies, N. 18, près le Panthéon. Les enfants venaient ostensiblement au catéchisme, et je disais la messe sur une commode qui m’a servi d’autel, depuis 1829 jusqu’au mois de janvier 1831, époque à laquelle je transférai mon Église rue de la Sourdière. Sous la restauration aussi, au moment même de la grande réaction sacerdotale contre la France et ses libertés, c’est-à-dire, du mois de mai au mois de juillet 1830, j’avais fait paraître un Journal ayant pour titre, le Réformateur ou l’Écho de la Religion et du Siècle. »

Un Eucologue à l’usage de l’Église catholique française paraît la même année avec quelques belles prières :

–       Pour la bénédiction du pain : « Seigneur Jésus-Christ, qui êtes le pain des anges, le pain vivant qui communique la vie éternelle, daignez bénir ce pain, comme vous bénîtes les cinq pains dans le désert, afin que tous ceux qui en mangeront y trouvent la santé de l’âme et du corps. »

–       Pour l’oblation du calice : « Seigneur, nous vous offrons le calice du salut ; puisse-t-il monter comme un encens d’une agréable odeur, en présence de votre divine Majesté, pour notre salut et celui de tout le monde, amen » ; puis « Venez sanctificateur tout puissant, Dieu éternel, et bénissez ce sacrifice offert à la gloire de votre saint nom. »

–       Pour l’élévation : « Après soupé, prenant ainsi le calice entre ses mains, et vous rendant grâce, il le bénit, et le donna à ses Disciples disant : “Prenez et buvez-en tous : car ceci est le calice de mon sang, du nouveau et de l’éternel testament, qui sera répandu pour vous et pour plusieurs, pour la rémission des péchés. Toutes les fois que vous ferez ceci, faites-le en mémoire de moi. »

L’Église catholique française.

Le 15 janvier 1831, il lance publiquement sa réforme sous le nom « d’Église catholique française ». Il commence à dire la messe en français dans un salon du 2e étage, rue de la Sourdière à Paris.

Il attire rapidement fidèles et curieux, donne des premières communions et parvient à s’emparer de l’église de Clichy-la-Garenne en profitant du conflit entre les fidèles du lieu et l’évêque.

Son Credo : « Je crois que la morale de Jésus-Christ est si sage, que sa vie a été si pure et son zèle si ardent pour le bonheur des hommes, que ce grand personnage doit être regardé comme un modèle de vertu et honoré comme un HOMME prodigieux ».

Châtel, à la recherche du sacre épiscopal et après quelques déconvenues auprès des évêques constitutionnels Grégoire et de Pradt, se tourna vers Mgr. Thomas-Juste Poulard, ancien vicaire des Vertus et prêtre constitutionnel, qui avait reçu en 1801 le sacre épiscopal, et qui venait de faire éditer un Moyen de nationaliser le clergé français. En 1830, il avait procédé à l’ordination de Thomas Brunet, de Pointel et de Touraine.

En 1831, le samedi, veille de la Passion, Poulard se rend à la chapelle de la rue de la Sourdière, l’église de Châtel, afin de conférer le sous-diaconat et le diaconat à Blachère et à Auzou. Huit jours après, la veille des Rameaux, après avoir fait la cérémonie des saintes huiles, il leur confère la prêtrise. Il ordonne ainsi trois prêtres pour l’abbé Châtel : Auzou et Blachère. À qui il ne remettra pas les lettres de prêtrise. Mais refuse le sacre à Chatel.

Le Primat des Gaules.

Chatel entre alors en contact avec Fabré-Palaprat, grand-maître de l’Ordre du Temple et Pontife de l’Église johannite. Voici comment cette rencontre nous est relatée par l’abbé Loutil (in Les contemporains) :

Fabré-Palaprat : Vous ne voulez qu’un évêché, dit Palaprat moi je vous donne la France vous serez primat des Gaules. Seulement, et ici Châtel ouvrit toutes grandes ses oreilles : vous vous soumettrez aveuglément à tous les statuts lévitiques et militaires de notre église et de notre ordre ?

Chatel : Entendu !

F-P : Vous adopterez dans votre culte le costume et les cérémonies de l’Église johannite ?

Chatel : Accepté ! 

F-P : Et surtout toutes vos églises seront gouvernées en réalité par notre administration, et il vous est interdit de toucher à l’argent qu’elles vous rapporteront ?

Chatel : Enfin soit ! Votre Très Sainte Altesse m’avancera l’argent pour acheter mon costume d’évêque au grand complet, car je n’ai pas le sou ?

F-P : Bien volontiers, répondit Palaprat mais à condition que Votre Éminence donnera un reçu de cette avance, pour que notre caisse la prélève sur les premières recettes.

En juin 1831, Châtel reçoit des mains de Fabré-Palaprat le sacre épiscopal selon le rituel johannite, c’est-à-dire que le consécrateur lave les pieds du futur consacré, puis lui passe la trabée, la croix pectorale, une tiare, le bâton pastoral ; il impose les Évangiles sur sa tête, lui impose les mains et avec l’huile d’onction conclut par la consécration de la tête et des mains.

Voici la narration de cette cérémonie faite par Blachère à M. de Quelen :

« Un soir, vers les neuf heures, Châtel, Auzou et moi, nous nous rendîmes au domicile de M. Fabré Palaprat, sur le quai de l’École, n° 25. Le grand-maître était dans son magnifique cabinet de physique ; il était en compagnie de plusieurs membres et dignitaires de l’ordre des Templiers. En entrant, il nous salua du nom de frères, et nous présenta aux chevaliers qui l’entouraient. Puis, quand tous les engagements réciproques eurent été exposés, le grand-maître déclara qu’il allait procéder à notre réception. Aussitôt l’un des chevaliers, attachant l’index de chacun de nous, en fit jaillir un peu de sang, avec lequel nous signâmes sur un grand registre l’engagement de garder le secret sur des mystères auxquels nous ne fumes point initiés. Ensuite, après l’accolade du grand-maître, on procéda au fameux sacre de Châtel.

Figurez-vous les cinq ou six personnages réunis dans ce cabinet, au milieu de ces appareils et instruments de physique, les figures tant soit peu hétéroclites de M. Palaprat, assisté d’un M. de Jutland, qui n’était autre que le chaudronnier Machaud, de Châtel, en redingote et avec cette figure garnie de favoris hérissés qui lui donnait, selon l’Avenir, l’air d’une hyène ; figurez-vous, dis-je, Auzou d’un côté de la cheminée, tenant les insignes du grand-maître, et moi lui présentant le livre des cérémonies johannites c’est à peine si notre rire, mal refoulé, n’éclata pas mille fois durant cette parade. Le fait certain c’est que Machaud tenait la fiole à l’huile, et que le grand-maître lui dirigeait la main en faisant des onctions et prononçant de singulières paroles. Il paraît qu’on se jouait mutuellement les uns des autres, car, en sortant, Châtel nous dit avec humeur : C’est une farce ; et le public, depuis la brouille, a connu les dénégations de M. Fabré Palaprat, sur sa participation directe au sacre du primat. Mais j’affirme, et Auzou en dirait autant, que les choses se passèrent ainsi. »

Le lendemain, dimanche 12 juin, Châtel parut en habits pontificaux dans son église de la rue de Cléry. Tous les Templiers étaient dans l’auditoire et attendaient que le primat, selon ses engagements, se déclare ouvertement des leurs. Mais il n’en fut rien et Châtel évêque annonça seulement qu’il venait de recevoir la consécration épiscopale des mains d’un évêque français catholique.

Voici à présent l’acte d’adhésion de Châtel à l’Église primitive tel qu’on peut le lire dans le Lévitikon :

« Animé, depuis longtemps, du désir de voir enfin la religion du Christ débarrassée des honteuses entraves que l’ignorance, la mauvaise foi, le fanatisme, l’intérêt et de non moins viles passions ont imposées à l’église chrétienne, j’ai conçu le projet de m’élever contre un état de choses aussi contraire à l’esprit divin qui éclaira, de son flambeau la raison humaine.

Profitant du droit de liberté religieuse consacrée par l’article 5 de la Charte de 1830, j’ai donc cru devoir émettre une profession de foi, le plus en harmonie possible avec les vrais principes de la religion et les mœurs du siècle, secondé par des ecclésiastiques animés du même sentiment, et non moins jaloux de coopérer à l’œuvre nécessaire de la réformation. 

Toutefois, ayant appris, surtout en lisant l’histoire des sectes religieuses par le vénérable évêque de Blois, que l’Église catholique primitive, dépositaire par transmission successive et jamais interrompue, des documents, des dogmes, des rites, de la morale et des pouvoirs des apôtres et des premiers disciples du Christ, avait en ce moment son siège à Paris, j’ai sollicité l’avantage d’obtenir des conférences avec les chefs de l’Église-mère, qu’on m’avait dit être aussi digne par la sainteté inaltérable de sa mission, de devenir le centre et la réunion de tous les chrétiens.

Après un grand nombre de conférences, après avoir, par moi-même, pris connaissance des précieux documents sur lesquels s’appuie d’une manière incontestable la transmission légitime des pouvoirs apostoliques, ainsi que la pureté, l’inaltérabilité et la sainteté de la doctrine du Christ ; en un mot, après avoir acquis la conviction que les croyances religieuses de cette Église étaient l’expression de la doctrine de l’Église primitive, doctrine reproduite, en partie, dans notre profession de foi.

J’ai cru, en mon âme et conscience, qu’en faisant acte de profession de foi dans cette Église, qu’en faisant acte d’adhésion à tout ce qu’elle croit et enseigne, et qu’en reconnaissant l’autorité irréfragable du Souverain Pontife et Patriarche de cette Église, des princes apostoliques, des évêques, prêtres et autres lévites institués par la volonté du Christ ; enfin qu’en adoptant entièrement cette foi primitive, c’était donner à l’Église catholique française soumise à l’autorité de l’Église primitive, la force puissante qui en découle et les matériaux dont nous avons besoin pour travailler avec fruit au grand œuvre du rétablissement de la religion et au triomphe de ses principes.

En conséquence, je déclare, tant en mon nom, qu’au nom des ecclésiastiques et fidèles de l’Église catholique française, qu’à compter de ce jour, j’adhère, sans restrictions, à ce qui est cru, professé et enseigné dans l’Église catholique primitive ; que je reconnais comme mes supérieurs légitimes tous les supérieurs institués conformément aux règles de cette même Église, et que je me soumets, pour le présent et pour l’avenir, en tout et par tout, aux décisions émanées desdits, supérieurs, rendues conformément aux lois de l’Église primitive, et selon la profession de foi de ladite Église.

Qu’à l’exemple des Fénelon, Massillon, Mauviel, d’Ortosia, Clouet et autres vénérables princes apostoliques, lesdits supérieurs ayant pensé que toute réforme trop brusque peut être plus nuisible qu’utile, je pense aussi qu’il serait impolitique de changer, sans transition, la profession de foi et les usages admis dans l’Église romaine et consacrés dans l’Église catholique française.

Aussi et jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné par les supérieurs de l’Église primitive, je continuerai l’exercice du culte selon les Usages et avec les changements adoptés ; je maintiendrai la profession de foi que j’ai publiée ; et lorsqu’il en sera temps, d’après ce qui sera déterminé par une décision apostolique, l’on établira dans cette profession de foi les nuances qui seront jugées les plus convenables par un synode formé du clergé de l’église de France, lequel clergé sera nécessairement composé d’évêques, de prêtres et de diacres institués par les supérieurs légitimes.

Enfin, le Prince des Apôtres ayant bien voulu me communiquer un décret de la Cour apostolique qui me confère le titre de Primat-Coadjuteur des Gaules ; et croyant, pour le plus grand bien de la religion, devoir accepter une haute mission épiscopale qui peut me fournir les plus grands moyens de travailler au bien de l’Église ; je déclare qu’après que j’aurai été élevé aux honneurs du saint épiscopat, il sera de mon devoir de préparer par tous mes moyens, et surtout par une lettre pastorale, les prêtres et fidèles de l’église française, à recevoir les bienfaits que les chefs de l’Église chrétienne se proposent de leur dispenser, et qui leur permettront de participer enfin aux précieux usages, rites et cérémonies consacrés, et pratiqués par les chrétiens des premiers siècles, et conservés sans interruption depuis notre Seigneur jusqu’à ce jour. »

Le 4 octobre, l’ordre du Temple rompt avec lui, lui reprochant d’appartenir encore à l’Église romaine et de se dire évêque catholique, alors qu’il n’avait reçu la consécration épiscopale que de la seule Église johannite. Chatel et Auzou sont expulsés, dégradés, frappés d’interdit et… brûlés en effigies.

Il est assez évident que jamais l’Ordre du Temple n’a eu le désir – ni sans doute le pouvoir – de le sacrer évêque catholique romain. Il n’a donc été ordonné que selon le rite et la foi de la religion johannite. Chatel n’est pas évêque catholique, et comme il est renié et mis en interdit par l’Église johannite, il n’est… rien. La primatie coadjutoriale des Gaules est supprimée et la sentence est publiée en appendice dans le Lévitikon : la transmission des pouvoirs épiscopaux n’a été faite ni selon l’esprit ni selon le mode de l’Église romaine, « mais selon l’esprit et le rituel de l’Église primitive » ; Chatel « ne serait pas plus évêque romain, que ne le seraient des hommes que le Pape, devenu chef des Calvinistes ou des Musulmans, aurait, en cette dernière qualité, élevés au rang de ministres ou d’ulémas ».

D’ailleurs, Chatel pouvait-il se réclamer de la foi chrétienne orthodoxe ? Là encore on doute à la lecture de ses convictions dogmatiques : « … nous n’admettons pour dogmes que l’immortalité de l’âme, la doctrine des récompenses et des peines, et… nous rejetons les dogmes que la raison humaine n’a jamais pu expliquer ni comprendre… » ; « Jésus-Christ n’est pas Dieu, mais un “homme prodigieux” » ; l’Église française considère les sacrements comme des signes ou des symboles et l’Eucharistie n’est qu’une simple commémoration.

« C’est une farce » s’exclame donc Chatel au sortir de son sacre templier, et il se peut qu’il ait bien raison, car l’épiscopat de Fabré-Palaprat est pour le moins douteux. Palaprat aurait reçu, vers 1793, l’ordination sacerdotale des mains de Mgr. Jean-Joachim Gausserand, évêque constitutionnel du Tarn (Mgr de la Thibauderie soutient que ce fut en réalité Jean Danglars, évêque constitutionnel du Lot et le 3 août 1800 le sacre de Mgr Jean-Baptiste Royer). Mais rien n’est moins sûr. Jamais Bernard-Raymond n’en fera état et il est peu probable qu’il ait pu à la fois terminer le grand séminaire à l’âge de 18 ans et entreprendre ses études de médecine dès 1795.

Il aurait ensuite reçu l’épiscopat, selon le rite johannite, de l’évêque Arnal (ancien curé constitutionnel de Pontoise) en 1804, et enfin sacré Grand-Maître sous condition le 29 juillet 1810 par l’évêque constitutionnel Mauviel, alors Primat de l’Église johannite, et Mgr. Salamon, évêque in partibus d’Orthose (Louis-Siffrein-Joseph Foncrose de Salamon, futur évêque de Saint-Flour). Ce dernier fut un adversaire du gallicanisme, des constitutionnels et fut même nommé administrateur apostolique par le Pape Pie VII, et internonce durant la Terreur. Son nom apparaît bien dans le Manuel des chevaliers de l’Ordre du Temple de 1825, on ne peut douter donc qu’il fit bien partie de l’Ordre, mais cela signifie-t-il qu’il donna le sacre épiscopal à Fabré-Palaprat ? On ne peut qu’en douter.

La fin.

Abbé Chatel avec la croix pectorale de l'Abbé Grégoire
L’abbé Chatel

Dès 1832, Chatel s’engage, et son mouvement avec lui, dans une voie teintée d’unitarisme – il n’y a qu’un seul Dieu, remettant ainsi en cause la Trinité – et de religion naturelle ce qui provoque des dissensions internes et la rupture avec certains de ses prélats, comme Auzou. C’est le début du déclin de l’église catholique française qui perd les quelques paroisses placées sous sa juridiction. Au même moment, le régime de Louis-Philippe, revenant à des positions plus conservatrices, lui retire peu à peu son soutien. Si, en effet, le régime avait montré quelque bienveillance envers les mouvements religieux dissidents, et envers l’Église catholique française, c’était avant tout afin de les opposer aux opposants catholiques royalistes et réactionnaires. Favoriser l’émergence d’une église anti-romaine était un moyen de s’attirer les bonnes grâces du peuple qui, en 1831, encore s’attaquera au siège de l’archevêque de Paris, Mgr. de Quélen.

Les liens de Chatel avec les milieux républicains – on l’a supposé membre de la société gauloise qui sera un fer de lance des émeutes de 1832 – et les cercles progressistes peuvent aussi expliquer la désaffection du régime qui va, d’année en année, se durcir face aux contestataires.

La Réforme Radicale, Nouvel Eucologue à l’usage de l’Église catholique française, paraît en 1835. Il y rejette toute la base chrétienne de son église : du credo jusqu’à la Trinité, en passant par l’Incarnation et la Présence Réelle dans les Espèces. On peut dire que cette date marque le passage du schisme à l’hérésie pure et simple de Chatel. Les fidèles ne suivent pas pour la plupart.

En 1838 paraît le Code de l’Humanité ou l’humanité ramenée à la connaissance du vrai Dieu et au véritable socialisme.

Dès 1841, l’église fait paraître un journal dominical, La Religion naturelle, mais l’église primatiale de Chatel du faubourg Saint-Martin est fermée par ordre de police en 1842. Il n’a d’autre choix pour subsister que de prendre le tablier d’épicier. Les préfectures à travers toute la France font fermer les églises en activité et dissoudre les assemblées de fidèles. Rapidement, l’église française s’essouffle dans un combat qu’elle ne peut gagner et les derniers fidèles désertent peu à peu ses rangs.

Lors des évènements de 1848, il tente de relancer l’église tout en se lançant dans l’activisme politique. Le 1er mars de cette année, il publie un Manifeste de l’Église française dans lequel il résume les positions doctrinales de son église : rejet de l’infaillibilité ; démocratisation du culte ; rejet du Paradis, de l’Enfer et du Purgatoire ; suppression des indulgences, du jeûne et de la confession ; abandon du culte à la Vierge et aux saints ; l’eucharistie devient symbolique ; utilisation des langues vernaculaires dans la liturgie ; mariage des prêtres. Il termine par un appel à l’union des églises dissidentes et par un vibrant « Vive la République ! »

On le retrouve plus tard donnant des séances de magnétisme au passage Dauphine. Il trouve, vers la fin de sa vie, refuge auprès d’une certaine dame Matthieu, chez qui il organise des classes de grammaire.

Il meurt le 13 février 1857 dans l’indigence presque la plus totale, il est enterré civilement au cimetière de Montparnasse.

La postérité.

Chatel ne consacrera qu’un seul évêque, Julien Le Rousseau (Julien Jean-Baptiste Bruley) de Nantes qui sera également le vice-primat. Celui-ci n’a consacré personne. On peut donc juger cette lignée comme éteinte, à moins que de secrètes archives ne nous dévoilent qui fut Michel Henri d’Adhémar qui mourut en 1900 à l’âge canonique de 99 ans…

Quant à l’Église, elle se scindera en diverses petites églises qui toutes finiront par disparaître.

Tout d’abord, il y a l’Église constitutionnelle de France qui est un schisme de l’abbé Roch (Jean-Roch Mérigot), sous-diacre du diocèse de Bourges, né le 12 septembre 1794, à Saint-Amand (Cher). Il s’affilie aux templiers en 1831 et est ordonné diacre et prêtre de la religion johannite. Il quitte bientôt l’Ordre et se fait réordonner prêtre sous condition par l’évêque constitutionnel Poulard. Il rejoint ensuite Chatel qu’il quitte également pour s’affilier à l’église de l’abbé Auzou. À la fin du mois de septembre 1832, il ouvre, avec Brunet et Plumet, l’Église constitutionnelle de France, place de la Sorbonne, et publie, le 8 octobre, une Profession de foi. Il y annonce une seconde promulgation de l’Évangile dont il se proclame l’apôtre et le patriarche. Malade, il entre à l’hôpital de la Charité, où il meurt le 29 janvier 1835.

L’Église française catholique et apostolique, quant à elle, est fondée par Louis-Napoléon Auzou, né à Versailles en 1806, et qui fait ses études au séminaire. Il a, comme nous l’avons vu, reçu tous les ordres le même jour des mains de Poulard en 1831. Vers 1832 il se brouille avec Chatel ; il est rejoint par Laverdet, un jeune libraire, qu’il avait ordonné prêtre bien qu’il ne soit pas lui-même évêque. Au contraire de Chatel, Auzou entend demeurer catholique et apostolique, non romain toutefois, mais français. À la base de sa doctrine, il place le principe : « la voix du peuple est la voix de Dieu ». Il admet aussi l’égalité des membres du clergé et ne veut parodier ni la papauté ni l’épiscopat. Les prêtres, dès qu’ils sont au nombre de trois, ont le pouvoir de conférer le sacerdoce et la confirmation. Les curés sont élus par leurs paroissiens. Les prêtres ne sont plus astreints au célibat ; les excommunications, interdits, censures, refus de sacrements sont supprimés. Au mois d’août 1839, il adresse à l’évêque de Versailles sa rétractation solennelle et se soumet publiquement à l’archevêque de Paris. L’Église française d’Auzou continue alors sous la direction d’Auguste-Nicolas Laverdet, les fidèles l’ayant officiellement élu pour remplacer Auzou avec le titre de premier pasteur de l’Église évangélique. C’est lui, enfin, qui le 19 mai 1862, fait transférer les restes de Chatel au cimetière de Clichy ; il meurt le 8 décembre 1865.

Enfin, l’Église chrétienne française est la continuation de l’Église constitutionnelle française après sa rupture avec Chatel en 1843. Elle a pour ministre l’abbé J.-B. Bandelier, un des derniers prêtres à l’avoir rejoint en 1838. Le pasteur Bandelier publie, le 31 décembre 1849 : Le vrai christianisme et le vieux catholicisme en présence de la démocratie française. Associé à un anonyme qui signait Verax et à l’abbé Christian, directeur du Vrai catholique, il se donne pour but de ramener la société à Dieu par la fusion du catholicisme et du protestantisme.

L’héritage.

« Notre Père incréé, seul Souverain des Cieux ;

Qu’il soit sanctifié, Ton nom majestueux ;

Que Ton saint règne arrive, et que, loi salutaire,

Ta volonté soit faite, au ciel et sur la terre ;

Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien.

Ô notre seul espoir ! Notre unique soutien !

Et pardonne-nous nos offenses ;

Comme nous pardonnons, imitant Tes clémences,

À ceux qui nous ont offensés !

Daigne accueillir le cri de nos cœurs oppressés !

Qu’à Ta voix, le pêché dans le néant retombe,

Ne permets pas, Seigneur, que notre âme succomba à la tentation ;

Délivre-nous du mal et de l’affliction. »

Notre Père en ver, Eucologue, 1834.

L’abbé Chatel – au-delà des vicissitudes de son parcours – est l’un des pères modernes du gallicanisme et des petites églises. Ainsi que nous l’avons vu il fut l’un des premiers à prôner la liturgie en langue française – ce qui à l’époque horrifiait l’Église romaine – et de mettre l’élection populaire du clergé au cœur du principe hiérarchique du clergé. Il influencera, directement ou indirectement, ceux qui, après lui, reprendront le flambeau. Et il n’est donc pas étonnant de retrouver dans les Libertés gallicanes actuelles l’essence des principes de Chatel : mariage des prêtres ; absence de confession auriculaire ; utilisation de la langue vernaculaire dans la liturgie.

Quant à la doctrine de Chatel, elle ne ferait pas pâlir un gnostique moderne : entre arianisme – avec le refus de la divinité du Christ – et protestantisme avec une dose de culte unitarien, il professe une forme pré-théosophique du christianisme.

Mais cette filiation ne peut être que spirituelle. Aucun évêque consacré par Chatel n’eut de postérité et la consécration même de Chatel peut être remise en cause, comme nous l’avons vu.

À notre sens, le bon abbé Chatel doit plutôt être vu comme le Luther du gallicanisme moderne. Il a jalonné un chemin que nous devons aujourd’hui paver.

Plus sur le sujet :

L’abbé Chatel, par +Tau Héliogabale, oratoire Saint-Julio, 1er mai 2014.

Eglise Gnostique Chaote.

Bibliographie.

Le Code de l’Humanité ou l’Humanité ramenée au vrai Dieu.

Biographie de M. Châtel et profession de foi de l’Église Française.

Catéchisme à l’usage de l’Église Française.

Discours sur les dangers de la Confession.

Contre le célibat des prêtres.

Sur l’Immortalité.

Sur l’Apostasie.

Sur l’Amour de la Patrie.

Discours sur la nécessité d’une Religion.

Sur le Déisme, ou la véritable religion.

Sur le Culte des grands hommes.

Sur les dangers de l’Indifférence religieuse.

Sur l’excellence de la loi naturelle.

Sur la vocation de la femme.

Sur l’éducation anti-sociale des séminaires, des moines et des couvents.

Sur la mauvaise éducation du jour.

Discours sur les enseignements des hommes et les enseignements de Dieu.

Éloge de Napoléon.

Discours sur l’esclavage.

Eucologie, ou livre de prières et de chants, à l’usage de l’Église Française, par M. Saint-Estève.

Discours de M. l’abbé Bandelier, sur la mission d’un prêtre chrétien.

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