L’Adoration des Mages

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L’Adoration des Mages par Albert Jounet. 

Je pense que le catholicisme ne se desséchera pas au milieu des idées modernes, tel qu’au milieu d’un jeune taillis vivace, un chêne définitivement mort.

J’attends un renouveau, une croissance, immense, imprévue, de cet arbre déjà énorme et millénaire.

Une pareille transformation ne saurait avoir d’autre agent que l’esprit, sève qui anime le bois de la lettre, le nourrit, le force à grandir, le couvre de neuves et plus larges frondaisons. Moi-même, ésotériste catholique, je voudrais indiquer d’avance quelle sera, autant que j’en peux juger, la transformation que j’attends, quelles branches aux puissants feuillages produira l’esprit.

Dès ses primes années, tout arbre a deux polarités, l’une vers la terre, l’autre vers le soleil ; de même le catholicisme dès ses origines, dans l’Évangile, montre deux tendances, l’une vers l’humilité, la simplicité, l’autre vers l’intelligence et la gloire. Et la seconde succède à la première, comme dans l’arbre lui-même, en chaque série donnée de son développement, la partie ascendante et ensoleillée succède à une partie plus rapprochée du sol et la continue. Prenons, par exemple, une série : celle des adorations rendues à Jésus Enfant.

La première adoration est rendue par les bergers, la seconde par les Mages. La première est d’humilité, de simplicité ; la seconde, d’intelligence et de gloire.

En ne considérant même que cette série, et sans examiner les autres (vie cachée, vie publique, tentation, service des anges, Passion prédite, Transfiguration, etc… et enfin : Mort, Résurrection), les correspondances permettent déjà de conclure que le développement total du catholicisme offrira lui-même deux tendances, simplicité, et gloire qui est la tendance future, finale.

On m’objectera que le catholicisme a connu déjà la puissance, la gloire temporelle. Mais ce n’est pas de cela que je parle. Il ne s’agit pas des ornements étranges dont l’arbre a pu être revêtu, des draperies qu’on y accrocha, des tentes qu’on y adossa, en des jours de fêtes royales et humaines. Il s’agit de la grandeur et de l’ensoleillement de l’arbre lui-même. Il s’agit de gloire spirituelle, divine.

Or, jusqu’à présent, les Dogmes n’ont pas atteint leur degré de croissance et d’illumination vraiment glorieux.

Voilà pourquoi je dis que la gloire est future.

L’adoration des Mages, étudiée dans le détail, nous donne quelques enseignements sur le splendide avenir. D’abord les Mages sont des intellectuels. Cela me justifie d’avoir appelé plus haut la seconde tendance : Tendance d’intelligence et de gloire. En effet, à la simple foi des Bergers, succédera l’intelligence des Mages. On s’efforcera de réduire graduellement la part du Mystère sans méconnaître que le Mystère est, en un sens, illimité comme Dieu lui-même. On s’efforcera en outre, de régler, avec précision et lucidité, les rapports normaux entre l’intelligence conquérante et le Mystère illimité, de sorte qu’à chaque moment de relation entre l’intelligence et le Mystère, ces deux termes soient unis par un accord sympathique et harmonieux. Et les conquêtes de l’intelligence sur le Mystère ne seront pas regardées comme des victoires de l’homme sur Dieu, reculant et humilié, mais comme des admissions de l’homme dans l’éternel empire et la souveraine victoire de Dieu.

Et si les Mages sont des intellectuels, ils ne sont pas que cela.

Ils surgissent, dans l’Évangile et la Tradition, comme les Équilibres par excellence.

En effet, ce sont des mystiques. Car les voilà prosternés aux pieds du Christ, en la Crèche, assez pénétrants, assez religieux, pour deviner le Dieu Maître du monde dans la pauvreté, le Dieu dans l’Enfant, pour prier et s’anéantir.

Ce sont des savants. Et des savants audacieux, à l’orientale, explorant la vie des astres et les avertissements des songes.

Comme toujours l’Orient, comme les divers grands peuples historiques jusqu’aux cent dernières années, ils ne chassent assurément pas la beauté et l’art de la vie. D’ailleurs la science orientale ne s’est jamais séparée d’un magnifique symbolisme, où palpitent, en germe, tous les arts. Il faut donc accorder aux Mages Évangéliques le sens esthétique, l’esprit de beauté.

Enfin, la Tradition nous apprend qu’ils étaient Rois et devinrent Apôtres. Donc il ne leur manqua pas davantage l’esprit de gouvernement, puis de direction rayonnante et spirituelle, l’effort.

Nous voyons, par conséquent, déjà coalisés dans les Mages ce que j’ai nommé, ailleurs, les quatre Eléments de l’Harmonie Messianique : la Religion, la Science, l’Art et la Rédemption sociale.

Les chrétiens qui voudront travailler à l’avènement de la divine gloire, devront, à l’exemple des Mages, unir en eux les quatre Éléments, ne pas être des fragmentaires, des partiels partiaux, des analystes, mais des synthétiques, servir simultanément le Ciel, la Vérité, la Beauté et les Hommes.

Je n’entends point interdire les travaux spécialisés, les vocations favorites ; mais, malgré ces spécialités nécessaires, il faut conserver des aptitudes générales à comprendre, à sentir les quatre Éléments de la synthèse.

Il faut, sinon être simultanément prêtre, savant, artiste, et politique de profession, du moins avoir tout ensemble l’esprit religieux, l’esprit scientifique, l’esprit artiste et l’esprit social.

Mystique, Vérité et Beauté se retrouvent dans les présents offerts au Christ par les Mages : La sainte Mystique dans l’encens ; la profonde et toujours un peu amère Vérité dans l’amertume de la myrrhe, et l’éclat de la Beauté dans l’or. Quant à la Rédemption sociale, il ne serait pas irrationnel de la voir dans l’offre de ces trois présents réunis. Car elle n’est pas, au fond, un principe distinct ajouté au ternaire idéal, mais la réalisation, par la société, du triple Idéal : Religion, Science, Art, ou Mystique, Vérité, Beauté.

De même le dernier Hé du grand Nom Divin ne forme que l’appui commun aux trois premières lettres : Jod (Religion, sagesse) Hé (Intelligence, science) Vau (Beauté, en Kabbale : Tiphéreth).

Ainsi, d’après ce que l’Évangile et la Tradition nous révèlent sur l’Adoration des Mages, j’espère que l’avenir développera un Christianisme, un catholicisme, offrant les caractères de la gloire, de l’intellectualité, et de la synthèse.

Manifestations de la splendeur de Dieu, interprétations, toujours plus lumineuses et plus généreuses, des dogmes, vastes accords où la Religion, la Science, l’Art, la Rédemption sociale s’arcboutent l’un sur l’autre comme les chants d’une polyphonie colossale… telles s’élèvent, aux lointains de ma contemplation, les promesses de l’Histoire future. C’est ce que l’Évangile paraît annoncer lorsqu’il nous prédit que l’avènement du Christ de Gloire éclatera comme un géant éclairé « depuis l’Orient jusqu’à l’Occident », depuis l’extrême Idéal jusqu’à l’extrême Réalisation, depuis la Religion et la Mystique jusqu’à la société chrétienne glorieuse, en passant par les intermédiaires de la Science et de l’Art.

Notre époque, à des yeux superficiels, condamnerait ces espérances ; la Religion, si elle s’est un peu rapprochée de l’action sociale, ne demeure-t-elle pas encore trop séparée de la Science et de l’Art ? Ceux-ci ne se développent-ils pas hors de la Religion et ne se séparent-ils pas entre eux ? Les socialistes ne s’obstinent-ils pas à combattre aveuglément toute religion, à méconnaître les vérités hautaines et sévères de la réelle Science, les beautés hiérarchiques et impérieuses du grand Art ? Oui, malheureusement. Mais cet état même de séparation crée une insupportable lassitude.

Chaque tendance séparée éprouve des symptômes d’impuissance et d’épuisement qui se transformeront en désir d’union, en soif et passion de synthèse.

De même que dans les solutions chimiques de certaines matières, il suffit d’introduire quelques morceaux des mêmes matières à l’état solide, pour que toute la masse en suspension se précipite, et constitue, avec les morceaux solides, un ferme et unique bloc, de même il suffira qu’apparaissent quelques hommes synthétiques dans l’humanité, pour que la masse des hommes se précipite et constitue, avec ces initiateurs et autour d’eux, l’unique bloc de l’Adam-Ève Initié.

Les chercheurs ésotéristes sont plus aptes que tous autres à devenir ces hommes rassembleurs de l’humanité, car, grâce à l’étude des symboles et des correspondances, ils rassemblent déjà dans leur pensée les mystères divins, les vérités scientifiques, les beautés esthétiques et les adaptations sociales.

Qu’ils poursuivent donc cette étude, qu’ils se fassent toujours davantage des types d’harmonie calme et d’universalité. Qu’ils ne se découragent point de l’actuelle opposition du monde à ces types. Qu’importe le présent fatigué, mourant, lorsqu’on vit dans l’avenir ?

Or l’avenir, c’est la gloire par la synthèse et la synthèse dans la Gloire.

Plus sur le sujet :

L’Adoration des Mages, Albert Jounet, La Voie, 15 mai 1904.

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Illustration : Nicolas Poussin [Public domain], via Wikimedia Commons

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