Prolégomènes à la Kabbale

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Prolégomènes à la Kabbale par Constant Chevillon.

Pour beaucoup, la Kabbale est une pseudo-science sans contact avec le réel, une élucubration mystique sortie du cerveau des abstracteurs de quintessence. C’est une erreur fondamentale, mais inévitable, car peu d’hommes disposent du temps nécessaire pour se faire une opinion circonstanciée et sonder les problèmes qu’elle aborde et résout.

À première vue, en effet, la Kabbale offre un aspect rébarbatif et emploie un langage de forme sibylline propre à rebuter les autodidactes d’esprit superficiel. Cependant, sous son voile hermétique, elle cache une science profonde, celle des rapports qui lient le contingent à l’absolu. Elle a été et reste la métaphysique la plus concrète et par conséquent la plus positive dont l’intelligence humaine se soit nourrie. Voyons comment.

La science analytique s’occupe uniquement du relatif, elle ne peut « outrepasser » sans abandonner sa hase de départ. Elle s’arrête donc au seuil de l’absolu, de l’infini, du transcendant.

Bien plus, elle repousse volontairement et sans appel toutes les notions dont l’analyse quantitative ne peut tirer parti. Elle engendre inéluctablement le matérialisme, le positivisme, le pragmatisme, en un mot, la philosophie exclusive du contingent, sans s’occuper de son support.

Constituer une science et une philosophie du relatif, c’est parfait. Mais le relatif est conditionné, c’est une donnée expérimentale. Comment et pourquoi est-il conditionné ? La science répond « non ultra possumus », et l’esprit humain, chercheur infatigable, reste insatisfait. Alors s’élève la voix de la philosophie ésotérique, essence même Kabbale. Le relatif, dit-elle, est une apparence, la seule réalité réside dans l’Absolu. La science analytique est suffisante dans la poursuite d’un idéal situé dans son axe, au seuil spirituel elle est impuissante. Appuyé sur la seule expérience, l’esprit est un arbre transplanté en un sol infertile, il s’étiole et perd le sens de sa propre réalité. Le relatif change, s’écoule, s’efface, il faut une base immuable pour supporter le devenir.

Mais, comment passer du relatif à l’absolu, et comment l’Absolu, source incontestée du relatif, peut-il émaner celui-ci sans s’évanouir en fumée ? La Kabbale, par analogie, explique le procédé involutif de l’Absolu et restitue le monde du relatif au même titre que la Science, tout en jetant un pont entre l’être et le néant, en reliant le contingent à son support nécessaire.

La philosophie Kantienne a figuré, de façon magistrale, l’antinomie irréductible de ces frères ennemis : phénomène (relatif) et noumène (absolu). Si nous allons de l’un à l’autre, par le mode inductif, au terme de l’analyse, le phénomène devient noumène et c’est absurde, l’absolu sombre dans le relatif et tout concept étranger à nos catégories se dissipe. Scientifiquement, on ne peut rien contre cette constatation, le transcendant échappe à notre intellect. Et pourtant, une notion indéracinable s’élève en nous : celle du noumène. Cette notion, Kant l’a considérée comme nécessaire à notre raison pour mettre un point final à l’indéfinité des séries phénoménales ; mais il a ajouté : couvre-t-elle une réalité ? Nous n’en saurons jamais rien, c’est un postulat.

Doute et négation sont inopérants, chacun de nous sent en lui un lambeau d’absolu irréductible au phénomène et Kant n’a converti personne à sa désespérance agnostique. Aucune philosophie proprement rationnelle, cependant, n’a donné la solution du problème, seule, la Kabbale, en concordance admirable avec les théologies modernes, a fourni la théorie capable de justifier le passage du relatif à l’absolu.

« Je suis celui qui suis », a dit Javeh dans le buisson d’Horeb. Et de l’être en soi, on ne peut rien concevoir d’autre. Il est, et il est un, c’est tout. Comment cette unité inaccessible et inféconde aux yeux de la raison, peut-on extraire l’universalité des êtres contingents ? C’est que, dit la Kabbale, l’Unité ineffable et inintelligible – Aïn-Soph – est expansive, elle possède la vie féconde par elle-même. Et cette vie se manifeste par une triple personnalité, interne à l’Unité et greffée sur l’être essentiel. Ici, le mot personnalité est synonyme de rôle ou d’attitude, et non pas d’hypostase. Ces trois altitudes prises par une même substance : Paternité, Filiation (Spiration), Procession nous sont accessibles dans une certaine mesure, car il ne s’agit plus de l’essence de l’être, mais des propriétés de l’être. Or, prononcer le mot propriété, c’est évoquer la possibilité d’une relation, et par cette voie, la relativité peut découler de l’Unité transcendante.

En effet, la vivante unité, par son activité interne, équivaut au ternaire, en raison de la triplicité des fonctions de l’être. Mais ce ternaire possède un moyen terme géminé à double face : Filiation-Spiration. Le ternaire contient donc en germe effectif, le quaternaire, et celui-ci est la condition suffisante de la création relative. Car, si le ternaire peut s’accommode ; d’une manifestation interne sans rompre l’unité essentielle, le quaternaire est, au contraire l’origine de la multiplicité. La Filiation indique la communauté de substance, d’essence, d’être ; la Spiration comporte la distinction. Par la distinction, l’Être s’oppose au néant et conçoit le champ de son activité. C’est là une attitude efficace : si elle s’exerce à l’encontre de la somme des possibles, elle est interne et donne à l’Unité la conscience de sa plénitude, si elle agit vis-à-vis d’une série déterminée, elle devient l’origine d’une notion particulière, elle manifeste un attribut de la Substance. Alors, l’Être extériorise une partie de son activité, il ne dit plus « Je suis », il dit « Je ne suis pas Cela ». Et Cela devient un être dérivé et contingent, car s’il reçoit l’être dans son intégralité indivisible, il ne peut s’opposer au néant que dans le cadre d’une limite.

Par la Spiration manifestée, la création s’écoule à travers le prisme filial. Ainsi, l’absolu et le relatif, de prime abord, incompatibles, se présentent comme les deux faces d’un seul problème : la vie universelle. Un prologue éternel : transcendance ; une action concrète : immanence ; un dénouement : réintégration harmonique qui conjugue les deux étapes. De transcendantal, l’absolu devient immanent, et, sur ses bases métaphysiques, la théologie chrétienne a établi ses dogmes fondamentaux :

Trinité = Relation d’origine entre les Personnes de l’essence divine.

Transcendance.
Création Immanence.

Chute originelle, rupture d’équilibre.

Incarnation = Descente effective de l’Absolu dans le Relatif (Restitution de l’équilibre par la confirmation de l’Immanence).

Rédemption = Réintégration du Relatif dans sa coparticipation de l’absolu-immanent (Le Salut).

Comment la Kabbale nous explique-t-elle cette compénétration de l’absolu et du relatif ? Elle emploie les noms divins révélés, leurs lettres constitutives sous leur valeur alphabétique et numérale, mais son argumentation primordiale réside dans l’arbre séphirotique.

La décade des Séphiroth découle d’Aïn-Soph. Aïn-Soph, c’est l’Être inconcevable et inintelligible, c’est l’Infini-Absolu dans toute sa plénitude intangible ; il est supérieur à tout être, à toute pensée, à toute qualité, à toute manifestation. Mais c’est lui qui sert de support, remplit et enveloppe tout ce qui est. Les Séphiroth ne sont pas des créations divines, des hypostases manifestées, ce sont des idées Fondamentales, des « idées-forces », elles constituent la dégradation de la Pensée absolue dans sa descente vers la relativité, vers la création éventuelle. C’est par elles que nous arrivons à saisir le dynamisme de l’émanation (Atziluth), par elles que nous montons du monde apparent des réalisations (Asiah), jusqu’à la notion limite de l’Intelligible : Ehieh, l’être en soi et sans détermination. En elles, la substance même de la Pensée divine circule du faîte à la base, de Kéther et Malkut. Chaque Séphira est une étape par laquelle l’Absolu prépare et conditionne son incarnation dans le relatif, chacune est un creuset grâce auquel la transcendance, se transformant en immanence, nous devient de plus en plus intelligible, dans ce qu’il nous est donné d’en connaître.

En un mot, les Séphiroth, procédant en quelque sorte, de l’Unité inaccessible dans son essence, compliquent dans leur marche involutive, le concept primitif de la distinction, pour aboutir à l’indéfinie multiplicité de l’Univers. Et c’est par une marche inverse et ascendante que notre esprit, par la voie intuitive, arrivera à reconstituer la subtile métaphysique de la communion de l’Absolu et du relatif et la somme des rapports qui relient l’un à l’autre, le devenir à l’immuable, le temps à l’éternité.

Cherchez dans l’arbre séphirotique ces idées et ces principes pour en développer les conséquences et vous aurez la clef de la Kabbale, le plan des sentiers et des voies et vous pourrez franchir les cinquante portes de l’intelligence. Nous n’insistons pas, car nous écrivons pour les hommes de bonne volonté et non pour les curieux. S’il y a des vides dans notre démonstration, ils sont voulus ; celui qui est appelé les comblera sans peine.

Plus sur le sujet :

Prolégomènes à la Kabbale, Constant CHEVILLON.

In Annales Initiatiques, 1935, N° 62.

Pour en savoir plus sur la Kabbale, visitez Kabbale en Ligne.

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