Profonds mystères de la Cabale divine 3

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Profonds mystères de la Cabale divine 3 (troisième partie) par Jacques Gaffarel. 

Au nombre des paroles ainsi recueillies, se trouvaient, — il est permis de le penser, celles-ci : eli, eli, lama azaphtani, et : In manus tuas commendo spiritum meum !

Quelques-uns estiment que ces paroles ont acquis par là une vertu spéciale pour favoriser l’extase et la délivrance chez les agonisants. Mais, les auteurs hébreux sont muets à ce sujet.

Profonds mystères de la Cabale divine 3
Profonds mystères de la Cabale divine 3

Constatons un fait, qui cache évidemment un profond mystère : Immédiatement après ce Psaume 30e — non avant — se trouve le titre Maskil, c’est-à-dire Intelligence, Connaissance ou Savoir.

Or, après la mort du Christ, dont la dernière prière fut justement ce trentième Psaume, les Juifs commencèrent à comprendre, à estimer à sa valeur Celui qu’ils avaient méprisé et crucifié. Telles sont les observations de Reuchlin.

Ajoutons que ces paroles du Christ : Eli, Eli, etc., donnent le nombre 75, comme on le voit ci-contre :

On voit là, indiqué par la septième dizaine, que le Christ a accompli la peine totale ! Le nombre 70 indique en effet, la fin du châtiment. Saint Jérôme partage cette opinion, dans ses commentaires d’Isaïe, 23 : « Les nombres 7 et 70, dit-il, qui sont formés soit de sept jours, soit de sept décades, expriment l’accomplissement de la peine intégrale. » C’est pourquoi il est dit : Tyr, ayant accompli le temps de sa pénitence, sera rétablie dans son état primitif.

Le Christ a donc accompli le temps de la pénitence non pour lui, mais bien pour l’homme, dont la vie moyenne est de 70 ans selon le saint Psalmiste.

Quant au nombre cinq, il démontre que le corps de Jésus n’était pas un corps fantomatique, un corps fluidique, comme le prétendait l’impie Valentin ; mais un corps bien réel et matériel, soumis à la douleur, à l’accablement ; flagellé depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête et percé de cinq plaies principales, les plus cruelles.

Il répandit également, par cinq sources vives, ce sang précieux qui nous a lavés de nos œuvres de mort et nous a ouvert l’accès des félicités éternelles !

Enfin, par le nombre 75, le Christ indiquait d’avance son ascension du monde sensible, préfigurée par le nombre 75, vers le monde spirituel et glorieux.

Mais, ne révélons pas, à des demi-savants, ces saints mystères, d’une rigoureuse réalité, et passons à un sujet d’un intérêt moins capital.

Le cinquième argument de Raguseius ne réfute nullement la Cabale. Cet argument consiste à prétendre que la langue hébraïque n’est pas la langue originelle de l’homme. Cela importe peu aux cabalistes ! Toutefois, pour ne pas laisser le lecteur sous le coup de cent allégations, il paraît utile d’y répondre brièvement.

Disons tout d’abord que la première langue humaine, quelle qu’ait été celle-ci, a été nécessairement hiéroglyphique ; c’est-à-dire la plus apte à représenter par des signes les objets qu’elle voulait indiquer. Cette langue très pure fut donnée à Adam par Dieu lui-même. Elle était en rapport avec la pureté de notre premier Père. C’est d’elle qu’il se servit pour attribuer leurs noms aux animaux, qui se trouvaient dans le Paradis terrestre. C’est par elle qu’il détermina leur nature, leurs qualités essentielles, lesquelles lui étaient connues, selon toute vraisemblance.

Or, les Israélites ont constamment affirmé, — non sans raison, d’ailleurs — que cette langue admirable, sainte entre toutes, était l’hébreu !

Et, de fait, si l’on considère avec un peu d’attention soit les lettres, soit l’ordre des mots hébraïques, cette vérité apparaît, inattaquable !

Livrons-nous un peu à cet examen : Chaque lettre y est formée d’un triple Iod ; et cela, afin de permettre de discerner, dans quelque lettre que ce soit, la Trinité des personnes divines et l’Unité de leur Essence.

Cette vérité est également confirmée par l’étude des racines hébraïques. En effet, de même que les autres lettres sont formées de trois Iod, de même les radicaux ou racines sont constitués par trois lettres.

N’est-il pas admirable aussi que, d’un triple alphabet disposé cabalistiquement, on puisse immédiatement construire tous les radicaux !

Cela ne se voit, croyons-nous, dans aucune autre langue. Et chose incroyable, il est possible, par cette méthode d’arriver à la connaissance parfaite de l’hébreu dans l’espace d’un mois !

Mais réservons cette étude pour un autre ouvrage, s’il plaît à Dieu.

Aussi me bornerai-je, ici, à apprendre au lecteur que la langue hébraïque fut celle même que parla Adam.

Après la tentative faite pour construire la tour de Babel, tentative au cours de laquelle se produisirent la ruine, la confusion et la division des langues, quelques saints patriarches conservèrent la langue originelle pure de tout mélange. Ils la transmirent intacte, de siècle en siècle, à quelques-uns de leurs descendants, choisis à cet effet par la sainteté de leur vie, et constitués en assemblée secrète.

Si l’on s’accorde, unanimement, pour faire remonter cette langue à notre premier père, il n’en est pas de même pour la fixation de son nom et de son étymologie. Les uns l’attribuent au patriarche Héber, fils de Salé, dont le nom d’après les hébreux signifie : passage où, d’après les auteurs syriaques : blé, froment ; les autres en font remonter la paternité à Abraham, en raison du mot Héber, lequel veut dire au delà, en avant. Ils s’appuient sur ce fait qu’Abraham franchit, le premier, l’Euphrate, d’après l’ordre de Dieu, pour s’établir avec ses fils dans la terre de Chanaan.

Rabbi Salomon se range à cette opinion (sup. 10. Genèse) : Les Hébreux, déclarait-il, furent ainsi nommés parce qu’ils habitaient en nomades, en étrangers, le pays de Chanaan et l’Égypte. Partagent le même avis : Lud, Luait, Lyranus, évêque de Bruges, et hébraïsant très distingué.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas contestable, l’histoire en fait foi, que ce fut à l’époque du patriarche Héber fils de Salé (Rabbi Joseph le qualifie de très sage prophète, parce qu’il donna à son fils le nom de Phaleg, lequel signifie Division), qu’arrivèrent la division des langues et la dispersion des peuples. Et ce fut ce saint Patriarche qui conserva pure, intacte, la langue originelle, c’est-à-dire la langue hébraïque, car son nom ne figure pas parmi ceux des hommes qui ont travaillé à l’édification de la Tour.

Après le déluge, la famille de Sem la garda dans toute sa pureté ; d’où elle parvint, aux dires des Hébreux, jusqu’au Sanhédrin, dans sa forme primitive sans aucune altération. Mais revenons à notre sujet.

Puisque la langue hébraïque est la première de toutes les langues, nous l’avons établi, il faut bien admettre qu’elle a été donnée à l’homme par la Nature. Pour qu’on ne soit pas tenté de m’accuser de me perdre dans des rêveries rabbiniques, qu’on veuille bien faire attention à ce que l’expérience quotidienne nous montre chez les enfants.

Ne les entendons-nous pas, alors que sortis à peine du sein de leur mère, ils sont déjà soumis aux calamités, aux souffrances de cette vallée de misères, ne les entendons-nous pas traduire leur douleur par des mots hébraïques, quand ils ne l’expriment pas par des larmes !

Plus tard, lorsqu’ils ont un peu grandi, ne les entendons-nous pas réclamer le sein maternel, en balbutiant des sons qui se rapprochent beaucoup des mots hébraïques. Ils semblent interpeller leur mère, lui parler Da, Da, ten, ten, répètent-ils : Or, en hébreu, Da signifie : mamelle, Then, signifie : donne : et ils ajoutent em, qui veut dire mère ; comme s’ils disaient : Mère, donne-moi ton sein ! Mais, n’insistons pas davantage sur ce sujet, pour le moment !

Le sixième argument de Raguseius est celui-ci : Adam n’a pas donné leurs noms aux animaux d’après leur nature propre ; mais plutôt d’après les particularités de leur forme extérieure.

Je m’étonne qu’il n’ait pas tenu compte, sur ce point, de l’opinion contraire, professée par la presque unanimité des Pères.

Voici ce que dit, à ce sujet, l’Écriture Sainte : Adam donna à chaque être vivant un nom, qui devint le nom définitif de cet être.

Les Pères ajoutent que ce nom était celui qui se rapportait le mieux à la nature de l’être qu’il spécifiait. Cette opinion est celle d’Eusèbe de Césarée, (lib., II, c. 4, Preparat. evang.). « Examinons dit-il, de quelle façon Moïse, homme avisé et sage, a traduit dans la Genèse, ce qui avait été dit verbalement par Adam, longtemps auparavant : Dieu, écrit le législateur des Hébreux, forma avec de la terre les animaux terrestres et les oiseaux du ciel ; et il les conduisit vers Adam, afin que celui-ci examinât quel nom il leur donnerait ; et ce nom qu’il imposa à l’âme de vie de chaque animal, devint le nom propre de cet animal.

Moïse, en déclarant que le nom, donné par Adam, fut le nom propre de l’être auquel il s’appliquait, Moïse n’a certainement pas voulu dire autre chose que ce nom était celui qui s’appropriait le mieux à la nature de l’être qu’il désignait. Ce qui est nommé, ajoute-t-il, c’est la nature même de l’être.

Et, de fait, le nom d’Adam, lui-même peut se traduire par Fils de la terre, ou formé de la terre ; en hébreu, Adam signifie terre ; et, en transposant : nature rouge, corporelle. C’est pour cela que cette expression désigne le fils de la terre, c’est-à-dire l’homme corporel.

L’être humain est également appelé enos ; et ce mot désigne l’homme raisonnable, non l’être corporel ; nouvelle désignation selon la nature de l’être. Les Hébreux donnent encore à l’homme le nom d’Isch, qui vient du mot esch, lequel signifie : feu. Ils expriment ainsi les qualités ignées chaudes de la nature mâle ; les qualités femelles, au contraire, sont désignées par le mot Ischa, parce qu’elles procèdent de l’homme. Il ajoute un peu plus loin : chez les Hébreux, en effet, tous les noms sont adaptés, d’une façon merveilleuse, aux choses qu’ils expriment et cela jusqu’aux éléments constitutifs des lettres elles-mêmes.

Et, après avoir établi que tous les noms furent donnés par Adam, d’après la nature même des êtres auxquels ils s’appliquaient, Eusèbe ajoute : A quoi bon insister et entasser preuves sur preuves, puisqu’il est prouvé que, chez les Hébreux, chaque chose a reçu la dénomination qui lui convenait le mieux, celle qui se rapportait le mieux à sa nature propre. Ainsi s’exprime ce savant Père de l’Église.

La plupart des anciens auteurs, tant hébreux que grecs, ont professé ouvertement une opinion identique ; on la retrouve dans le Zohar, cet ouvrage d’une insondable profondeur. Les Rabbins, Platon (dans son Cratyle), Plotin, Jamblique, Joseph, l’Auteur de la paraphrase chaldaïque, Origène l’ont partagé également. Enfin, après tous ces Pères et écrivains célèbres, le très érudit Génebrardus l’a faite sienne, à son tour, dans sa Chronologie, fol. 21 : Adam, dit-il, sur l’ordre de Dieu, imposa leur nom à toutes choses, non d’après leur forme extérieure, mais selon la nature de chacune d’elles.

J’ajouterai que, de même que la Parole nous a été donnée par Dieu, pour exprimer les sentiments, les conceptions de notre esprit ; de même, il est unanimement admis, et avec raison, que leurs noms ont été donnés aux choses non seulement pour les désigner, mais encore pour déterminer leur nature, pour préciser leur ipséité.

Nous avons longuement traité ce sujet, dans notre commentaire sur les Conclusions cabalistiques de Pic de la Mirandole.

Septième argument. — Nous nous inscrivons en faux contre cette assertion de Raguseius : qu’on ne possède plus, aujourd’hui, les caractères hébraïques, en usage avant la captivité de Babylone.

En effet, toute la loi traditionnelle se rapporte à un seul et même type de lettres ainsi que l’enseigne dans le Talmud, toute l’école au témoignage de Genebrardus [8].

Il résulte de ce fait qu’il n’est pas vraisemblable que les juifs aient transcrit la loi elle-même en caractères différents, l’aient conservée telle, dictée et transmise de leurs descendants, alors qu’ils se conformaient, avec un soin minutieux, aux règles concernant l’emploi des lettres, observant jusqu’aux points les plus futiles.

D’autre part, s’ils avaient jamais modifié la forme des caractères, il leur aurait fallu, également et nécessairement, changer les mystères qui se cachaient sous ceux-ci.

Peut-on modifier un triangle [9], sans changer, en même temps, sa nature de triangle ! On ne saurait nier, toutefois, que quelque modification ait pu être apportée dans la forme des lettres. Rabbi Mosès Gerundensis, s’il faut en croire Genebrardus, paraît incliner vers cette hypothèse. Il déclare que les Juifs, ne voulant avoir rien de commun, au point de vue du culte, avec les dix tribus dissidentes d’Israël, adoptèrent les caractères dont on se sert aujourd’hui, c’est-à-dire les caractères carrés, qui ne sont pas tout à fait identiques avec les caractères primitifs.

Saint Jérôme adopte cet avis, dans la préface de la Vulgate. Mais, demandera-t-on, de quelles lettres, de quels caractères se servaient donc autrefois les Juifs ?

Ils employaient deux sortes d’écriture, et se servaient de deux dialectes différents. L’un était à peu près semblable à l’hébreu rabbinique dont on fait usage de nos jours, ou s’en rapprochait sensiblement ; l’autre était le Samaritain. S’étant aperçus que les choses saintes étaient confondues parfois avec les profanes, ils firent choix, pour leur usage propre, d’un dialecte en quelque sorte sacré composé de caractères se rapprochant de l’hébreu rabbinique actuel, abandonnant du même coup l’araméen aux étrangers. Et par étrangers, dit Genebardus, Rabbi Hista entend les Samaritains.

Rabbi affirme qu’à l’origine, la loi fut donnée dans les caractères actuels, caractères désignés, dans le Talmud, sous le nom d’Assyriens. Ils furent modifiés, quelquefois, mais rétablis dans leur forme primitive.

Par contre, Rabbi Simon assure qu’à aucune époque, la façon d’écrire et de lire la loi n’aurait été modifiée.

Pour notre compte, nous partageons plutôt l’avis des auteurs précédents, ainsi que nous l’avons dit plus haut.

Toutefois, ils se trompent grossièrement ceux qui croient que les caractères hébraïques actuels diffèrent des anciens parce qu’Origène, le prêtre Adamantius et saint Jérôme racontent que, de leur temps, le Thau avait la forme d’une croix. Ces Pères n’ont jamais prétendu que la lettre Thau exprimait spécifiquement la croix. Ils ont constaté tout simplement que cette lettre affectait la forme d’une croix, d’un gibet, d’une potence, forme que présente encore le Thau actuel.

Sont également dans l’erreur ceux qui prétendent qu’après l’occupation romaine, les Massorètes ou les Rabbins, par haine de la croix, modifièrent la forme du Thau.

Si c’était exact, quelque historien des choses d’Israël eut fait mention d’un fait de cette importance. D’autre part si les Rabbins avaient modifié la forme du Thau, parce que celle-ci rappelait celle de la croix, pourquoi n’auraient-ils pas changé les autres lettres hébraïques, qui aujourd’hui encore, affectent la même forme.

Tels Tsadé, Gimel renversé, Zain, Tsadé final, Noun final, etc., sur la forme desquelles un homme pourrait être suspendu, les bras en croix ?

Pourquoi auraient-ils attendu l’an 500 de l’ère chrétienne, pour changer la forme du Thau en haine de la croix ? Qui les aurait empêchés de procéder plus tôt à cette transformation ?

Concluons tous qu’à l’époque d’Origène et de saint Jérôme, le Thau n’offrait pas une autre forme cruciale que celle qu’il affecte encore de nos jours.

On lit, en effet dans Lipsius, liv. 3 de la Croix, c. 5, annot. c. 5, que le gibet des anciens, la fourche patibulaire présentait la forme de la lettre thau, ainsi qu’on le voit dans la figure ci-dessous :

Les condamnés à mort, avant de subir leur peine, portaient cette croix sur leur dos à travers la ville. Arrivés au lieu du supplice, ils étaient attachés sur cette croix étendue sur le sol, après quoi on la redressait de cette façon.

Ajoutons, pour établir nettement que les caractères hébraïques actuels sont les mêmes que ceux d’autrefois, ajoutons, dis-je, que la forme même des lettres est significative. En effet, Beth veut dire : Maison et affecte la forme d’un toit, d’un abri ; Vav, signifie crochet et en présente l’aspect ; Zain se traduit par bâton ; Caf, par courbure ; Schin, par dent, etc.

Mais, je dois répondre aux deux auteurs principaux, qui, dans les Temps modernes, ont écrit contre la Cabale. J’ai réfuté les arguments du premier ; passons aux calomnies du second, et la tâche que je m’étais imposée sera terminée.

La plupart des critiques de Mersenne, sur les problèmes du très savant et très profond Georgius Venetus, nous venons de les réfuter, car elles sont les mêmes que celles de Raguseius.

Nous ne nous attarderons pas à y répondre de nouveau. Nous nous bornerons à examiner rapidement quelques-uns des arguments personnels de ce détracteur de la Cabale, ce qui ne nous coûtera pas grande peine.

Relevons d’abord, en le parcourant hâtivement, les absurdités qui pullulent dans son Commentaire sur la Genèse. Il y confond, ch. 1. v. 2, art. 3, la doctrine occulte d’Agrippa, justement condamnée, avec la Cabale. Il s’efforce de démontrer, à l’aide d’arguments vides de sens, de raisonnements stupides, qu’il n’y a aucune différence entre les onomanciens, les magiciens et les cabalistes, si ce n’est celle du nom. Cette différence, au contraire, est colossale ! elle saute aux yeux, si l’on compare les définitions mêmes de ces sciences.

L’onomancie, d’après son nom, est l’art de prédire diaboliquement l’avenir au moyen des noms.

La Magie est également un art diabolique ; grâce au concours des esprits infernaux, elle opère ou semble opérer des merveilles.

La Cabale au contraire est nettement opposée à ces pratiques. C’est un commentaire de l’Écriture Sainte.

Elle élève l’Esprit jusqu’aux hauteurs les plus sublimes ; conduit l’homme des choses mortelles et passagères jusqu’à la perception des mystères divins, le rend vertueux, le guide sûrement dans la voie de la sagesse.

A l’appui de sa thèse, Mercennus exhibe l’alphabet d’un onomancien fameux (il l’avoue lui-même), alphabet qui n’avait pas encore été divulgué. Et, en agissant ainsi, il se fait l’artisan et le propagateur d’un mal qui sans lui, serait demeuré latent et inconnu. Il essaie bien, il est vrai, de démontrer l’inanité de pratiques, qu’il est le premier à déclarer sans valeur, mais il le fait avec tant de faiblesse qu’il semble plutôt leur apporter un regain de force et de vigueur.

Somme toute, il sert mal la cause qu’il entend défendre. Il désire évidemment qu’on mette de côté les ouvrages de ce savant onomancien, ainsi que ceux d’Agrippa, de Cattanus et autres magiciens insensés ; il le conseille à ses lecteurs ; et, en même temps, il leur enseigne tout ce qui y est contenu ! Il fait remarquer, en dissertant sur la valeur des nombres, en examinant pour quelle raison l’Unité l’emporte sur le quinaire et non sur le quaternaire ; pourquoi le même quaternaire est supérieur au senaire et non au quinaire, etc. Il fait remarquer, dis-je, que le dit auteur du traité onomancien ne s’inspire ni des Platoniciens, Chaldéens, Mages, Cabalistes, ni d’Averroès ou d’Aristote, mais de sa seule expérience !

Ne pense-t-on pas que toutes ces dissertations sont de nature à inciter les curieux à tenter l’épreuve de la magie diabolique, par l’onomancie, alors qu’ils ignoraient jusque-là l’A. B. C. de cette science maudite.

Mercenus cite, en outre, presque en entier, le traité de Thomas Campanella Du sens des choses et de la Magie.

De cette façon, ceux qui, auparavant n’avaient jamais entendu parler de cet ouvrage dangereux, peuvent le lire dans le Commentaire sur la Genèse de notre auteur.

Mais, chose plus surprenante encore, Mercenus ne se contente pas de citer les raisons qu’invoque Campanella pour attribuer une âme à toute chose, raisons qu’il traite pourtant d’absurdes, d’erronées, d’inexactes, de contraires au bon sens ; mais il les explique longuement, sans les réfuter comme il conviendrait. Et cela probablement parce qu’il ignorait l’argument topique à opposer. Son ignorance éclate d’ailleurs en divers autres passages : notamment ci-après, où il aborde la fameuse proposition : l’homme possède-t-il en soi le pouvoir de guérir certaines maladies ? et cette autre : qu’est-ce que l’Idiosyncrasie ?

S’étant donc proposé de résoudre cette double question et ne pouvant y parvenir, il s’écrie pompeusement : Qui peut se vanter de connaître l’âme humaine ? Qui peut dire par quelle propriété intrinsèque, intime, elle s’individualise, se différencie d’une autre ?

Il est facile au lecteur de constater que Mercenus n’a pas compris la question. Il suffira pour cela de considérer le titre qu’il a placé en tête de sa discussion : Que l’homme ne possède pas en soi le pouvoir de guérir toutes les maladies !

Contrairement aux auteurs qui ont traité de ce sujet, il n’écrit pas une ou quelques maladies ; mais toutes les maladies. Or, personne n’a jamais prétendu que l’homme avait le pouvoir latent de guérir toutes les maladies ; ceux, qui ont parlé de ce pouvoir, l’ont restreint à quelques-unes seulement.

Pomponatius qui s’est étendu tout particulièrement sur cette question, dans son traité : Des incantations, chap. 4. s’exprime ainsi : les uns, assure-t-on, guérissent la fièvre quarte, mais ne peuvent rien contre les coliques ou la fièvre tierce. D’autres enlèvent le mal de tête, d’autres les maux de jambes, d’autres, etc. Il en est de même des herbes, qui conviennent les unes à certaines maladies, les autres à d’autres !

Mercenus fait donc preuve soit d’ignorance, soit de mauvaise foi. Par exemple ch. 1. v. 26, col. 14, il se moque des cabalistes, parce que ceux-ci affirment que les lettres du nom d’Adam : A. D. M., symbolisent les trois noms hébreux

A. D. M. : Adam, David et le Messie ! Ce qui prouverait que l’âme du premier se serait successivement réincarnée dans les deux autres ; et il conclut que les Cabalistes, avec Pythagore, admettent la métempsychose !

Sur cette question encore, comme sur toutes les autres se rapportant aux mystères hébraïques, qu’il va chercher dans les ouvrages des anciens sages pour les discuter ; sur cette question encore, dis-je, il décèle la plus complète ignorance, à moins qu’il ne commette une grossière erreur de traduction, ce qui n’arriverait pas au plus modeste des hébraïsants.

Les Cabalistes n’ont jamais affirmé la transmigration des âmes : cela ressort, de toute évidence, du Talmud même. Pythagore n’a pas davantage émis cette opinion, s’il faut en croire Aristoxenus, écrivain remarquable et Porphyre. Le mystère que les cabalistes trouvent dans les lettres A. D. M, est celui-ci : Lorsque notre premier Père reçut son nom de l’ange Raziel, il put lire dans ce nom qu’il serait celui du Sauveur du genre humain.

Voici comment :

Adam put prévoir que le Messie naîtrait de David, dont la première lettre D, est la seconde de son nom, à lui, A D M. Il sut de même que la dernière lettre de son nom, M, préfigurait et désignait d’avance le Messie à venir.

Par cette lettre également, il lui fut révélé que le Christ s’incarnerait dans une Vierge, dont la lettre finale (Mem fermé) figurait le sein très pur et immaculé.

C’est pour la même raison qu’Isaïe, pressentant que cette lettre M, la dernière du nom d’Adam, annonçait la venue du Messie et signifiait en même temps que la Vierge, de laquelle il naîtrait, resterait pure, après comme avant son enfantement, c’est pour cette raison, dis-je, que le saint Prophète prophétisant au sujet de la Vierge sainte et du Messie, écrivît pour donner plus de force encore à sa parole : Le Marboh ha meschiroh (pour multiplier son royaume) voulant établir péremptoirement, en se servant de l’M fermé et non de la lettre ordinaire, que le sein très chaste de la Vierge est resté fermé, sans aucune souillure, aussi bien après qu’avant sa parturition.

Le nom d’Adam A. D. M. renferme d’autres mystères, qui ne permettent pas aux cabalistes de nier que ce Messie, pendant si longtemps attendu, ne soit déjà venu.

Mais, revenons à notre sujet.

C. 3, v. 21, Mercenus s’en prend violemment aux cabalistes. Il les traite de champions des athées, de protagonistes de leurs doctrines erronées, et cela, parce qu’ils admettent la Nomancie [10] et prétendent trouver dans les lettres de ridicules mystères.

Contre ces rhéteurs, contre ces inventeurs de sornettes, s’exclame-t-il, il convient que tous se dressent ; que les pouvoirs publics eux-mêmes prennent les mesures qui s’imposent pour parer aux dangers d’une doctrine, laquelle menace de contaminer un grand nombre de citoyens, les hommes simples et les chercheurs surtout !

Certes, en cette diatribe passionnée, Mercennus, sans qu’il s’en doute, prononce sa propre condamnation.

Le gouvernement devrait bien, effectivement lui demander compte non pas de répandre la Cabale, qu’il ignore, mais d’enseigner ouvertement, dans ses écrits, la Magie diabolique !

Cet incroyable moine expose, en effet, tous les genres de divination ; il indique clairement comment on y procède : par l’hydromancie, au moyen d’un anneau plongé dans l’eau ; par la pyromancie en jetant une victime dans les flammes ; par la géomancie, en traçant des figures sur le sable ; par la lécanomancie, à l’aide d’un bassin rempli d’eau ; par la capnomancie, en projetant des grains de pavot sur des charbons ardents ; par la cascinomancie, au moyen de tenailles, d’une hache, d’un crible ; par l’élanomantie, au moyen de farine et de gâteaux ; enfin par l’anthropomancie, en se servant de victimes humaines ! Toutes choses, et j’en omets volontairement, qui me font frissonner en écrivant, et même rien qu’en les lisant dans le livre de Mercennus.

Il alléguera, peut-être, qu’en établissant la réalité de ces divinations diaboliques, il a, du même coup, affirmé contre les Athées l’existence d’un Dieu unique ! Ignore-t-il donc ce que dit le saint Apôtre : Il ne faut pas commettre le mal, même dans l’espérance d’en faire sortir le bien !

Autre contradiction : Mercenus dit, plus haut, que les cabalistes sont les propagateurs des erreurs des Athées ; puis, quelques pages après, il déclare que la Cabale n’est qu’un tissu de sornettes !

Ce qui ne l’empêche pas, ch. I. rat. 3., d’émettre l’avis qu’on peut établir l’existence de Dieu, à l’aide de la Cabale.

D’où il résulte, de son propre aveu que la Cabale n’est pas entièrement condamnée.

Abordons, maintenant, les propositions de Venetus.

Au sujet de la première, Mercennus, avec Léon l’Hébreu, félicite les anciens auteurs de ce que, pour exposer et transmettre au peuple les choses sacrées, ils ont eu recours aux symboles, aux expressions obscures et voilées !

Or, lui-même, attaque, condamne et tourne en ridicule les arcanes cabalistiques, sous le prétexte qu’ils sont très obscurs !

En outre, dans sa critique passionnée du sepher Ietzirah, ou livre de la création, lequel est attribué au patriarche Abraham, il déclare que les livres de la Cabale doivent être pris exotériquement dans leur sens extérieur, et qu’il est inutile, en interprétant les allégories dans leurs moindres détails, d’y chercher un sens secret.

Je ne saurais assez m’étonner de voir Mercennus émettre et écrire de semblables absurdités.

Si, en effet, on ne doit pas prendre naïvement à la lettre les fictions poétiques, imaginées dans l’intérêt de l’humanité, à plus forte raison doit-on scruter, examiner avec soin, interpréter sans négligence, minutieusement, les livres mystérieux, symboliques des cabalistes, puisque ceux-ci, comme l’a très exactement établi Galatinus, peuvent projeter une lumière éclatante sur le sens caché de l’Écriture Sainte.

Cette façon d’enseigner des cabalistes offre de grands avantages.

D’abord, elle se sert d’images sensibles, que les ignorants peuvent saisir aussi bien que les sages. Exemple, cette parabole : Un homme sortit pour ensemencer son champ ; tout le monde comprend quelle est cette semence et ce qu’elle produira, etc.

Secundo : les récits s’en retiennent aisément ; une parabole se fixe dans la mémoire la plus rebelle.

Tertio : les idées ayant pour point de départ la sensation, une histoire qui frappe notre imagination imprime plus facilement un symbole dans notre cerveau.

Quarto : c’est un procédé très précieux pour l’esprit à cause du rapport secret, conforme aux lois de l’esprit, qui unit la parabole à la chose spirituelle qu’elle symbolise.

Saint Paul, dont la doctrine est conforme à celle des cabalistes, dit : Les mystères de Dieu, depuis la création du monde, peuvent se lire intellectuellement dans les choses créées.

3e proposition. — Dans son inexpérience de la langue hébraïque et son ignorance des mystères, Mercennus rejette les 32 vases de la sagesse des anciens philosophes hébreux. Cela semble résulter de ce qu’il n’a produit aucun argument à leur encontre.

Pour éviter ce sujet, inconnu de lui, il déclare qu’il le traite à la proposition 206. Or, j’ai lu moi-même attentivement cette proposition, et je dois constater qu’il n’y souffle mot de la question. Il y débite, toutefois, quelques erreurs à propos du Sépher Ietzirah ou livre de la création, dans lequel il est longuement traité de ces 32 voies.

Mais il se borne, selon son habitude, à décocher de vaines attaques contre Guillaume Postel. Il procède de même, dans la plupart de ses controverses ; c’est ainsi qu’il traite Archangelus de Burgonovo de magicien, d’athée ; qu’il qualifie d’insensés Charron, Robert Fludd et tous les autres savants adeptes de la Cabale, les déclarant dignes, à son jugement féroce, du bûcher, de l’eau, de la roue, des tortures les plus incroyables ! Et, après l’avoir, à maintes reprises, traité d’idiot, d’athée, d’instaurateur d’une religion nouvelle, il pense accabler définitivement Postel sous cette véhémente apostrophe :

« Je me demande d’où te peut venir une semblable déformation de l’esprit ! C’est sans doute, qu’en ta qualité d’Européen, peu apte à supporter les ardeurs du soleil d’Orient, tu y as laissé là-bas le peu de cervelle qui te restait. Aussi, grâce à de nouvelles allégories, grossièrement ébauchées, maladroitement amalgamées avec les anciennes, as-tu pu facilement dans tes ouvrages entasser tes folies et élever en France un monument de sottises ! »

Telles sont les discrètes et bienveillantes observations de cette très discrète personne religieuse.

Il n’est pas surprenant que, dans son impuissance à répondre aux solides arguments de Postel, il se répande en insultes contre lui et termine sa discussion par cette conclusion aussi subtile qu’élégante : D’ailleurs, tout ce que j’ai cité de cet auteur, se réfute de lui-même.

Prob. 2. Mercennus déclare qu’il n’y a peut-être pas une seule des propositions de Venetus qu’il n’ait examinée et où il n’ait dû réfuter les erreurs des rabbins, des platoniciens et des magiciens dont elles fourmillent. Or, l’inexactitude de cette affirmation saute aux yeux, puisque, de la 1re à la 2e, c’est à peine s’il en critique quatre ou cinq.

Prob. 227. — Il se moque de Venetus, parlant de la stérilité de Rachel à propos de la lettre , Hé ; et il part en guerre contre les cabalistes, qu’il accuse de s’amuser à des sornettes.

Je conseille, dit-il en marge, à tout homme de bon sens de ne pas employer des heures précieuses à la lecture des cabalistes, s’il ne veut perdre son temps. Et, il ajoute aussitôt : « Je parle par expérience ! »

Pour moi, plus expérimenté encore que lui en cette matière, — qu’il me permette de le lui dire, — je constate, qu’il a perdu effectivement des heures utiles dans la lecture des ouvrages cabalistiques (s’il les a jamais lus ou étudiés), puisqu’il n’y a absolument rien compris !

Cela ressort de ses controverses avec un homme, qui de l’avis de l’Europe entière est considéré comme le plus savant des hébraïsants actuels, je veux dire le Dr Otton, de Fribourg, doyen des philosophes, et avec moi-même, controverses au cours desquelles il a fait preuve d’une ignorance de l’Écriture Sainte telle qu’il ne s’en est jamais révélée, de mémoire d’homme.

Prob. 223. — Mercennus qualifie Venetus de magicien : Il écrit, dans une note marginale : « Ce qu’on dit, ici, au sujet des esprits, est de la magie ou favorable à la magie !

Voilà, certes, une allégation imprudente. De plus, je le demande n’est-ce pas une véritable calomnie ?

Et, ce débordement d’injures ne pourrait-il fournir aux hérétiques une belle occasion de partir en guerre contre les moines, alors qu’il leur est donné de voir un moine se répandre en injures contre un autre moine !

Penses-tu, Mercennus, que ce soit te conduire en vrai moine correct, que d’accabler d’insultes un de tes frères ? Ne prends-tu donc le nom de Minime que pour abaisser jusqu’à toi, sous le poids des outrages, les plus grands hommes de notre temps ? Respecte donc, je te prie, l’honneur des gens, la religion, ton propre nom ! Juge plus équitablement tes frères ! Marche sagement, saintement sur les traces du Christ, notre Sauveur, cela vaudra mieux. Médite sa vie et prends-là pour modèle ! En un mot, apprends à mieux connaître la pureté sainte de Georges Venetus ; et, soit en public, soit dans le silence de ta cellule, juge plus respectueusement son caractère !

Certes, il m’est pénible, je suis même confus d’être obligé, contrairement à mon habitude, pour repousser des calomnies, pour réfuter des opinions erronées, je suis confus, dis-je, d’être contraint de me répandre en longues diatribes, qui renferment peu d’arguments, au lieu d’écrire, comme je le pourrais, tant de choses que j’estime solides et très profitables.

Aussi, pour mettre fin à cette apologie, examinons et réfutons encore cette dernière erreur de Mercenus. Il prétend, à diverses reprises, que la Cabale n’a aucun sens ! Il déclare que vouloir retrouver dans les astres, comme elle le fait, les formes hiéroglyphiques des lettres hébraïques est une rêverie sans valeur puisque les corps célestes sont, assurément, antérieurs aux lettres, qu’ils possédaient leurs forces, leurs influences propres avant que les caractères ne fussent inventés.

Et il se figure, par ce raisonnement, avoir détruit de fond en comble les bases mêmes de la Cabale.

Le seul exposé de cette opinion en démontre le ridicule ! De ce que les astres ont été créés avant les lettres, s’ensuit-il, nécessairement, que celles-ci n’aient pu être établies d’après la forme des dits astres !

Aucun homme sensé n’oserait le soutenir ! Mais puisque Mercennus n’a compris aucun des mystères hébraïques, ni cabalistiques dont il parle à propos des propositions de Venetus, ainsi que dans son propre commentaire de la Genèse, si Dieu nous en accorde le temps et les forces, nous examinerons longuement plus tard, les autres innombrables erreurs commises par lui.

En attendant, qu’ils nous laissent en paix, lui et tous ceux qui s’acharnent contre la science cabalistique. Qu’ils nous laissent en repos, dis-je, et qu’ils tâchent de revenir à une mentalité plus saine ! Mais, ce que je souhaite par-dessus tout, c’est qu’ils soient heureux, qu’ils jouissent de la lumière pour l’éternité ceux qui ont perçu la lumière au travers de la tradition : ceux-là approuveront et confirmeront mon jugement sur la Cabale.

FIN

Retour à la seconde partie.

Lire le début de cet article : Profonds mystères de la Cabale divine [1].

Plus sur le sujet :

Profonds mystères de la Cabale divine 3 par Jacques Gaffarel (1625). Traduit pour la première fois du latin par Samuel Ben Chesed.

Image par Robert Pastryk de Pixabay

Notes

[8] Chronologie, Fol. 13.

[9] Lui ajouter un côté ou un angle, veut dire l’auteur.

[10] Astrologie onomantique, tradition arabe.

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