Vintras et Boullan

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Vintras et Boullan par Fabre des Essarts.

Vers le milieu du 19e siècle, un homme que Stanislas de Guaita traite de « grandiose aventurier » se fit l’apôtre d’une secte qui ne tendait rien moins qu’à faire renaitre, sous une forme nouvelle et aggravée, les pratiques markosiennes. Avec lui le quiétisme cesse d’être la méthode « d’assoupissement et d’inertie » qu’il a été au temps de Madame Guyon ; il redevient comme au temps de Markos et de Carpocrate la libre satisfaction de tous les charnels appétits.

Pour lui les péchés ne sont pas seulement comme pour Molinos les degrés de l’échelle qui conduit au ciel ; ce sont des actes de vertu. Toutes les œuvres de chair sont par lui justifiées et préconisées.

Ouvrier, fils d’ouvrier, Eugène Vintras, dont le nom est bien oublié aujourd’hui, se faisait mystiquement appeler Strathanaël et se donnait comme la réincarnation du prophète Elie. De là le nom de la doctrine, la religion du Carmel.

Au dire de l’un de ses fidèles disciples, Vintras « fut appelé du ciel par une série d’apparitions de l’archange Saint-Michel »[1]. Il exerçait d’après tous ceux qui l’ont connu, d’après l’abbé André lui-même qui requit contre lui les foudres de Rome, une puissance de fascination que l’on ne peut guère comparer qu’à celle du père Enfantin. A peu près illettré, il fut pris soudain d’une fièvre de production qui lui fit dicter ou écrire en quelques années des monceaux de volumes et de brochures. Tout cela débordant d’un voluptueux mysticisme, haché, heurté, bizarre, apocalyptique, mais coupé, çà et là de curieuses et poétiques envolées.

Le petit village de Tilly-sur-Seules, illustré depuis par les visionnaires de 1896, fut le lieu que Vintras choisit pour le centre de son culte. Entouré de ses fidèles adeptes, qu’il intitulait les fils de la Miséricorde, il y célébrait un office qui, si l’on en croit les déclarations assez suspectes d’Alexandre Geoffroy, exigeait que l’officiant et les assistants de tout sexe fussent complètement dévêtus.

De respectables témoignages consignent les faits inexplicables qui se passaient au cours de ces cérémonies et qui reproduisaient presque identiquement les mystères de la hiérurgie markosienne.

« Des dessins bizarres et des signes inconnus apparaissaient en caractères de pourpre sur des hosties, immaculées quelques instants auparavant ; un vin délicieux ruisselait dans les calices, devant nombre de témoins sans trêve renouvelés ; d’un tableau représentant une descente de croix le sang découlait rouge et vivant, à la grande stupeur des magistrats chargés d’une enquête »[2].

Veut-on avoir quelque idée du style lubrico-mystique de Vintras ? Voici un extrait d’un billet adressé à son cher Jéhoraël, ce même Geoffroy, qui a fait, sur les détails de la liturgie, de si curieuses révélations : « Mon tout aimé Jého, lorsque mes affections cherchent les tiennes, tout est en feu et je suis près de toi ! Je plonge alors dans une mer de flammes, dont chaque vague est une lame bouillante. Les jouissances célestes, nous voyant dégagés de nos sens et de leurs rudesses, descendent sur nous ; elles nous enivrent d’une sainte et divine volupté. »

Vintras et Boullan par Fabre des Essarts
Hostie consacrée par Vintras – Vintras et Boullan par Fabre des Essarts.

Ce n’est pas sensiblement inférieur au Cantique des Cantiques, mais c’est plus immoral, étant donné le sexe de l’Aimé.

Vintras s’était fait un certain nombre de disciples parmi les intellectuels de son époque. Il faut citer surtout le docteur Soudan, qui fut consacré prélat de la petite église, et plusieurs prêtres distingués. Vers 1876, un groupe carmélien existait à Rouen assez sérieusement constitué. Notre ami Lessard, le vaillant fondateur de la revue la Religion Universelle, se souvient d’avoir assisté, en cette ville, à une cérémonie, où l’officiant portait une chasuble rouge avec la croix sur la partie antérieure, et, où les fidèles faisaient la triple communion sous les espèces du pain, du vin et du feu.

Un docteur en théologie, le chanoine Boullan, se disant le continuateur orthodoxe de Vintras, tenta, en 1876, de faire à Lyon ce que celui-ci avait fait à Tilly-sur-Seules. Le maitre s’étant donné comme la réincarnation du prophète Elie, le disciple ne voulut point trop déchoir et déclara qu’il était Jean-Baptiste ressuscité.

Mais comme il arrive toujours, le disciple exagéra la doctrine du maitre.

« C’est par un acte d’amour coupable que la chute édénale s’est effectuée, c’est par des actes d’amour religieusement accomplis que peut et doit s’opérer la rédemption. » Tel est le fond de l’élastique morale de Boullan. On juge jusqu’où elle peut conduire.

Le nouveau Jean-Baptiste s’est chargé lui-même de nous indiquer les deux modes sous lesquels doit opérer cette universelle médication érotique. Nous devons nous unir aux êtres supérieurs, pour monter ; c’est ce qui constitue l’union de sagesse.

Nous devons nous unir aux êtres inférieurs, pour les relever ; c’est ce qui produit l’union de charité.

« Hors des unions, point de salut ; tous les hommes dans la secte possèdent toutes les femmes et réciproquement. Ce communisme de l’Amour fait partie intégrante de la Religion ; l’autel est un lit ; l’hymne sainte, un chant d’universel épithalame ; le baiser est un acte sacerdotal et qui s’étend à tous les êtres ; il se multiplie en s’épanouissant, comme une fleur, vivace à travers toutes les sphères concentriques des natures visible et invisible »[3].

Pour Boullan, « l’amour vrai approche tout, justifie tout, sanctifie tout ». Ne croirait-on pas entendre comme un écho renforcé de la voix de Saint-Sorlin ?

Les réunions cultuelles du néo-vintrasisme avaient lieu dans la maison d’un architecte, qui avait été fanatisé par le verbe suggestif de Boullan. Boullan avait, en effet, comme son maître, mais à un degré moindre, le don de la fascination. Il me souvient de l’avoir rencontré une fois à Paris et d’avoir échangé quelques mots avec lui. J’entends encore cette parole sibylline et je vois encore ce regard de feu qui semblait fouiller dans ma pensée.

Que se passait-il au juste dans ce sanctuaire de Lyon, rigoureusement fermé aux profanes ? Des horreurs, des actes de révoltant sadisme, d’immondes promiscuités, si l’on s’en rapporte au récit très sincère, mais très discutable de notre ami Oswald Wirth, consigné par de Guaita, dans le Temple de Satan.

Je dis discutable, car Wirth n’a assisté personnellement à aucun office. Tout ce qu’il dit, il le tient d’une femme : sexus mendax !

En 1892, nous adressâmes de Paris une pressante missive à Boullan, en vue d’obtenir de lui quelques éclaircissements sur le Credo et le Rituel de la religion du Carmel. Nous avons de lui quatre lettres fort curieuses qui, toutes, respirent le mysticisme le plus pur et le plus élevé. La signature de Boullan est accompagnée du triple Tau surmonté du sceptre augural, symbole déjà adopté par Vintras. Il se réclame particulièrement de la tradition johannite, parle haut et fort. de l’esprit de tolérance et semble rêver une entente universelle entre les spiritualistes de toutes les églises. Il professe, du reste, un culte agenouillé pour Vintras, « dont la Science, affirme-t-il, dépassait de beaucoup celle de tous les Docteurs ! » Mais pas un mot sur le Rituel. Aucun renseignement sur la messe carmélienne de Lyon.

Un témoignage tout aussi respectable que celui de la personne dont Oswald Wirth s’autorise, nous déclare que le récit du Temple de Satan est une odieuse calomnie ou tout au moins l’interprétation malveillante d’une liturgie bizarre. Notre témoin a lui-même assisté à un office conjuratoire et n’a rien vu d’inconvenant.

La mort de Boullan est aussi mystérieuse que son culte. Un jour, après la célébration de l’Office, il fut pris de vomissements et ne tarda pas à expirer « entre les mains de ses adeptes ». On a parlé d’empoisonnement, d’envoûtement, mais le mystère est encore à éclaircir. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que l’abbé Roca, qui avait été quelque temps son alter ego à Lyon, mourut d’une façon analogue, après avoir fait une solennelle scission avec le Carmel. On a raconté que Boullan et Roca s’étaient réciproquement envoûtés.

Ainsi finit le dernier fils de Markos.

Vintras et Boullan par FABRE DES ESSARTS, Patriarche de l’Église Gnostique de France.

La Nouvelle Revue, 1902.
Source gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.

[1] La relation de ces apparitions a été publiée sous le titre de Livre d’Or, par l’abbé d’Orelle, curé de Montlouis.

[2] S. de Guaita, le Temple de Satan.

[3] S.d. Guaita, op. cit.

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