Ordre du Temple et les deux pontificats

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Ordre du Temple et les deux pontificats par Marcel Clavelle.

Où l’on arrive à Shamballah en passant par Jeanne d’Arc, les Templiers, le Saint Graal et les Rose-Croix.

Introduction

Il existe fort peu de documents sur la doctrine des Templiers et sur le rôle occulte joué par l’Ordre dans la Chrétienté. Nous pensons pourtant, avec M. René Guénon, que le rôle principal de l’Ordre du Temple fut d’assurer la communication entre la Chrétienté et le centre spirituel suprême qui conserve le dépôt de la Sagesse « non humaine ». Cette question est d’ailleurs intimement liée à celle des deux Pontificats, car le dépôt de cette Sagesse fut précisément confié à Jean l’Évangéliste, le disciple « que Jésus aimait ». L’Ordre du Temple apparaît donc comme une manifestation, une « cristallisation » de ce courant johannite qui constitue la « substantifique moelle » du Christianisme. Mais le Temple ne fut pas la première ni la dernière manifestation de l’Église intérieure : il fut un anneau de la chaîne traditionnelle que nous allons essayer de reconstituer.

J. K. Huysmans qui était très renseigné sur les diverses doctrines chrétiennes orthodoxes et hérétiques écrit dans Là-Bas : « Les temps depuis la première apparition du Messie se divisent, comme vous le savez, en deux périodes, la période du sauveur Victimal et expiant, celle où nous sommes, et l’autre, celle que nous attendons, la période du Christ lavé de ses crachats, flamboyant dans la suradorable splendeur de sa personne. Eh bien ! il y a un pape différent pour chacune de ses ères ; les Livres saints annoncent ces deux Souverains Pontificats.

C’est un axiome de la théologie que l’esprit de Pierre vit en ses successeurs. Il y vivra plus ou moins effacé, jusqu’à l’expansion souhaitée du Saint-Esprit. Alors Jean qui a été mis en réserve, dit l’Évangile, commencera son ministère d’amour, vivra dans l’âme des nouveaux papes. »

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Les deux pontificats

Revenant à la question des deux Pontificats nous signalerons un occultiste qui eut parfois d’étranges intuitions et qui semble avoir vu juste sur ce point ; nous voulons parler d’Adolphe Bertet et nous extrairons de son Apocalypse du Bienheureux Jean dévoilée[1] quelques lignes particulièrement précises.

«  … En pratique, il y a deux chefs donnés par Jésus à son Église, dans le chapitre XXI et dernier de l’Évangile de Jean : un chef apparent dans la personne de Pierre, l’homme de la foi ; un chef secret dans la personne de Jean, le disciple bien-aimé, l’homme de la science.

Ainsi Pierre et les papes, ses successeurs, ce sont les chefs apparents de l’Église ; ceux qui doivent être sacrifiés au besoin pour le salut de tous ; ils sont le bras qu’on ampute, l’œil qu’on arrache s’ils scandalisent, le soldat dévoué qu’on envoie à la mort s’il faut une victime : mais, Jean, c’est l’esprit et non le bras de l’Église ; c’est le véritable chef, le dépositaire de la doctrine secrète, le directeur mystérieux, dont la pensée s’impose à tout le corps de l’Église comme une émanation ou une inspiration de Dieu lui-même ; et il faut, pour le succès de l’entreprise, que ce dépositaire d’un pouvoir occulte reste caché jusqu’à ce que Jésus revienne dans sa gloire pour inaugurer définitivement son règne sur la terre, et placer sur le trône, comme son représentant, un chef unique, l’homme de la science, qui doit rester caché jusque-là : c’est là le véritable Orient promis. »

Remarquons qu’aux deux Pontificats du Christianisme correspondent les deux sacerdoces de l’Ancienne Alliance, l’un « selon l’ordre d’Aaron », l’autre « selon l’ordre de Melchissédec » ; et Melchissédec, comme l’a montré R. Guénon, est le nom donné au Roi du Monde dans la tradition judaïque.

Nous allons maintenant essayer de retrouver dans l’histoire quelques traces de l’« Église johannite ». Il semble bien qu’à ce point de vue la France ait joué un rôle particulièrement important et elle est bien la « fille aînée de l’Église », mais de l’Église vraiment universelle.

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Ordre du Temple et les deux pontificats
Ordre du Temple et les deux pontificats

L’Ordre du Temple

Trois siècles plus tard, nous trouvons une troisième et très importante manifestation de l’Église johannite qui se terminera d’une façon tragique et dont la chute marquera le début de la décadence du monde chrétien ; nous voulons parler de cet Ordre du Temple dont les membres professaient une si grande dévotion pour saint Jean[2] et qui fut fondé à Jérusalem en 1118. Nous signalerons ici un rapprochement de dates fort significatif : la légende du Saint Graal commença de se répandre vers 1160 à 1170 et celle du Prêtre Jean vers 1145[3].

Nous n’insisterons pas sur le cycle des romans du Saint Graal qui sont certainement connus de tous nos lecteurs[4] et nous nous bornerons à rappeler que la coupe du Graal désigne la Tradition elle-même[5]. Il semble bien qu’au Moyen Âge on ait tenté d’établir en Europe occidentale un « centre spirituel » pour la conservation du « saint Vase », mais on dut y renoncer pour des raisons que nous n’avons pas à développer ici et c’est pourquoi il est dit que « Perceval finit par transférer le Graal et rebâtir le temple dans l’Inde, et c’est le Prêtre Jean qui hérite de la garde du Saint-Vaissel »[6].

Il semble naturel de rapprocher le Prêtre-Jean gardien du Vase sacré, de l’apôtre Jean à qui Jésus confia la garde de Marie dont nous avons vu plus haut la signification symbolique[7].

C’est sans doute à ce mystérieux Prêtre Jean qu’il faut rattacher la fondation de la milice « templière » qui semble avoir eu la double mission de servir de lien entre l’Europe et le Centre suprême et de protéger ce dernier en arrêtant l’invasion en Orient des barons chrétiens[8] ; ceci permet de saisir pourquoi les troubadours, qui étaient des « Fidèles d’Amour », furent presque tous hostiles aux Croisades.

Lorsqu’on comprend que les Templiers — qui juraient de protéger et de défendre « l’église catholique, apostolique et johannite »[9] — étaient les dépositaires du Pouvoir suprême, principe commun dont procèdent et dépendent régulièrement les deux pouvoirs spirituel et temporel, on entreprit à la destruction de l’Ordre une explication plus profonde et plus vraie que celles proposées par les historiens : Clément V et Philippe le Bel ont voulu se rendre indépendants en faisant disparaître les serviteurs de Celui « à qui appartiennent dans tous les siècles le règne, la puissance et la gloire » parce qu’il est en ce monde la représentation même de la Divinité[10].

Jeanne d’Arc et les deux pontificats

Avec la destruction de l’Ordre du Temple se termina la période de splendeur de la civilisation chrétienne et l’Europe commença à se constituer en nationalités distinctes. Un siècle plus tard, il y eut pourtant, semble-t-il, une nouvelle intervention du mystérieux Pouvoir suprême. Jeanne d’Arc en arbora le symbole sur l’étendard qu’elle portait elle-même dans les combats et sur lequel était représenté le « Roy du Ciel » en « majesté », ayant pour siège l’arc-en-ciel[11], portant d’une main le globe et, de l’autre, bénissant[12] ; en outre, deux anges agenouillés, saint Michel et saint Gabriel, présentant à Dieu une fleur de lys.

Les historiens rapportent un épisode particulièrement significatif de la vie de Jeanne d’Arc, mais il ne semble pas qu’ils en aient saisi l’importance ; voici le récit qu’en fait Gabriel Hanoteaux : « Pour Jeanne d’Arc, Dieu[13] est le vrai roi de France et celui-ci n’a reçu le royaume “qu’en commande”. Jeanne voulut même traduire par une cérémonie sensible, le fait juridique et, si l’on peut dire, hiérarchique et constitutionnel dont elle était convaincue.

Un jour, la Pucelle demanda au Roi de lui faire un présent… mais rien moins que le royaume de France. Après un moment de réflexion le Roi, étonné fit le cadeau.

Jeanne l’accepta :Et voilà, maintenant le plus pauvre chevalier du royaume” dit-elle en montrant le Roi à l’assistance. Tout de suite après, elle livra au Dieu tout puissant le don qu’elle venait de recevoir. Puis, au bout d’un instant, obéissant à un ordre de Dieu, elle investit le roi Charles du royaume. Et du tout, fit dresser une charte solennelle ». »

Cette « investiture » ne nous autorise-t-elle pas à penser que le « Roy du Ciel fils de sainte Marie » dont parlait Jeanne d’Arc n’est autre que le « Roi du Monde », chef de la hiérarchie initiatique ?

On comprend alors ce qu’écrivait Guy Pape, conseiller du roi au Parlement de Grenoble vers 1440, en parlant de Jeanne d’Arc, déléguée du Roy du Ciel :

« De mon temps, j’ai vu encore la pucelle nommée Jeanne qui commença à régner l’année de mon doctorat. Prenant les armes, par l’inspiration divine, elle restaura le royaume de France, en chassant les Anglais à force ouverte et en restituant Charles au royaume de France, sur lequel la Pucelle régna trois ou quatre ans ».

Ainsi, d’après un contemporain, dit M. G. d’Orcet à qui nous empruntons cette citation, ce ne serait pas Charles VII, mais Jeanne d’Arc qui aurait régné sur la France pendant trois ans ; aussi Charles ne fit-il aucun effort pour la tirer des mains des Bourguignons on des Anglais[14]. Mais, en revanche, il exécuta fidèlement les plans politiques qu’elle lui avaient apportés.

À l’appui de notre thèse, nous rappellerons enfin que le comte d’Armagnac écrit à Jeanne du fond de l’Aragon où il s’était retiré, pour lui demander « qui était vrai pape », de Martin V, élu au concile de Constance, ou des deux successeurs que quelques cardinaux avaient donnés, dans les montagnes de Valence, au vieux pape déposé, Benoit XIII. Jeanne répondit au comte qu’elle ne pouvait rien lui « faire savoir au vrai, pour le présent, parce qu’elle était trop empêchée au fait de la guerre », mais que, quand elle serait à Paris, « à requoi (en repos) », elle lui ferait « savoir tout au vrai auquel il devait croire et ce qu’il aurait à faire, après qu’elle l’aurait su par le conseil de son droiturier et souverain seigneur, le roi de tout le monde »[15].

La Rose-Croix

La Renaissance et la Réforme précipitèrent l’anarchie européenne et l’obscurcissement de la Spiritualité. Seuls les Rose-Croix conservèrent en totalité ou en partie les enseignements de « l’Église intérieure ».

Le manifeste des Frères de la Rose-Croix publié en 1615 marque une dernière tentative de l’Église Johannite pour rappeler à l’Église romaine l’autorité dont elle tient son pouvoir : les Frères y proclament, dit le contemporain Naudé, que par leur moyen le triple diadème du pape sera réduit en poudre.

N’est-ce point là l’attitude d’un maître qui menace un subordonné indigne ou incapable, de lui retirer le poste d’honneur qui lui a été confié, et cette attitude n’est-elle pas à rapprocher de celle adoptée par Charlemagne par les Templiers et aussi par Jeanne d’Arc[16].

Le légendaire Christian Rosencreutz qui au cours de ses voyages en Orient s’arrêta à Chypre et à Jérusalem est un équivalent symbolique de l’historique Hugues de Payens, et les neuf chevaliers qui fondèrent l’Ordre du Temple correspondent aux neuf prétendants des Noces chymiques auxquels on remet lorsqu’ils sont admis chevaliers la bannière blanche portant la croix rouge qui écartelait le manteau des Templiers.

L’influence des Rose-Croix eut-elle quelque part, comme on l’assure, au « grand dessein » d’Henri IV ? Peut-être, mais il semble bien que ce fut là la dernière tentative de l’Église johannite pour ralentir la décadence européenne, et d’après Henri Neuhaus les véritables et primitifs Rose-Croix émigrèrent dans l’Inde au moment de la guerre de Trente Ans.

Devons-nous conclure que personne en Occident ne possède plus le dépôt de la connaissance initiatique ?

Nous ne pensons pas qu’il en soit ainsi, mais les porteurs du flambeau traditionnel « sont des individus réunis par un lien purement spirituel et qui ne constituent pas une association ». C’est ce qu’a fort bien compris d’Eckhartshausen qui a écrit de si magnifiques pages sur cette « Église intérieure » que Claude de Saint-Martin a décrite dans son Crocodile sous le nom de « Société des Indépendants ».

Plus sur le sujet :

« L’Ordre du Temple et la question des deux pontificats », Marcel CLAVELLE.

In Le Voile d’Isis, numéro spécial « Les Templiers », 1930.
Image : The original uploader was Hinterkappelen at German Wikipedia.(Original text: Adrian Sulc) / CC BY-SA

Notes

[1] 1re édition, Puis, 1861. 2e édition, 1870. C’est d’après cette dernière que nous citons Bertet.

[2] Aroux, Dante hérétique, p.167.

[3] A cette époque, l’évêque de Gabala, envoyé de l’Église d’Arménie, signale au pape Eugène III un prince appelé Jean, qui aurait son empire derrière l’Arménie et la Perse, à l’extrémité de l’Orient, et qui réunissant l’empire et le sacerdoce, aurait fait de nombreuses conquêtes : lui et ses sujets professeraient le nestorianisme (voir F. Denis, Le Monde enchanté).

[4] Voir à ce sujet le Secret de la Chevalerie de V. E. Michelet et le Roi du Monde de R. Guénon.

[5] La « dive bouteille » de Rabelais est un équivalent symbolique du Graal et elle est vraiment « toute pleine de Mystères » puisque pleine du vin tant Divin « de la Connaissance ». Nous entraînerons nos lecteurs à méditer les quatre vers suivants :

En la tant divine liqueur,

Qui est dedans tes flancs repose,

Bacchus qui fut d’Inde vainqueur,

Tient toute vérité enclose.

(Pantagruel, livre V. ch. XLV.)

[6] Henri Martin, Histoire de France, tome III, 398 (en note).

[7] D’après M. Guénon, depuis l’époque des invasions musulmanes le prêtre Jean aurait cessé de se manifester, et il serait représenté extérieurement par le Dalaï-lama. D’autre part il est curieux de noter que si dans l’esprit des premiers chrétiens l’apôtre Jean ne devait pas mourir, il est dit du Dalaï-Lama qu’il est toujours le même. Nous signalerons encore un fait qui semble bien confirmer notre thèse : d’après Mme A. David-Neel, les Tibétains appellent leur souverain Gyapgueunebou, c’est-à-dire le protecteur du Centre.

On parle beaucoup au Tibet d’un pays situé au nord et que l’on nomme Tchang-Chambala et nous citerons à ce propos une note de Mme David-Neel : Tchang-Chambala (Chambala du Nord) est, pour les initiés des sectes mystiques, une fiction symbolique correspondant à des faits d’ordre psychologique et spirituel. Certains lettrés considèrent Chambala comme un État idéal, une sorte d’équivalent oriental d’Utopie. D’autres en parlent comme d’un séjour paradisiaque du genre de Zangdogpalri (la noble montagne de cuivre), résidence de l’admasamhhâva. J’ai connu des gens qui prétendaient y avoir été et d’autres, plus modestes, qui se bornaient à dire qu’ils en connaissaient le chemin (Voyage d’une Parisienne à Lhassa, p. 272).

Nous nous demandons s’il n’y a pas lieu d’établir un rapprochement entre la « noble montagne de cuivre » de la tradition tibétaine et le nom de l’île de Chypre, résidence centrale des Templiers.

[8] Aroux si hostile aux templiers donne de précieux renseignements sur ce sujet : « Les Croisés qui reviennent de Syrie parlent de la trahison des Templiers et de leur liaison avec les Infidèles. Ils sont en rapport avec les haschissins de Syrie ; ils accueillent le Soudan, permettent l’exercice du culte mahométan et avertissent les infidèles de l’arrivée de Frédéric II » (Dante hérétique, p. 18).

[9] V. E. Michelet, le Secret de la chevalerie, p. 44.

[10] Les Templiers refusèrent à plusieurs reprises de se soumettre à l’autorité du pontife romain ; c’eût été en effet le renversement des rapports normaux.

[11] L’arc-en-ciel, le « pont céleste » est un symbole naturel du pontificat (R. Guenon, Roi du Monde, p. 12).

[12] Le globe du Monde est l’insigne du pouvoir Impérial ou de la monarchie universelle et la main bénissante est un signe de l’autorité sacerdotale.

[13] Dieu ou son représentant sur la terre.

[14] La condamnation de Jeanne d’Arc, comme celle des Templiers, fut l’œuvre des deux pouvoirs spirituel et temporel. Dans un autre ordre d’idées, il y a lieu de noter la vénération toute particulière de Jeanne pour la mémoire de Charlemagne.

[15] Henri Martln, Histoire de France, t. VI. Avant de quitter le personnage de Jeanne d’Arc, nous remarquerons qu’il serait assurément intéressant d’élucider le rôle joué par sa mère Élisabeth Romée, qui partit en pèlerinage au Puy au moment où sa fille quittait Vaucouleurs pour se rendre à Chinon. Le sanctuaire du Puy, qui renferme une Vierge noire, fut sans doute au 15e siècle le sanctuaire et le Palladium de la monarchie française.

[16] Au cours du procès ne semble-t-il pas que parfois les rôles sont renversés et que Jeanne soit à son tour accusatrice ? Parfois même elle menace.

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