Le chant du Signe

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Le chant du Signe par Melmothia.

Lorsqu’un archĂ©ologue trouve un bidule qui n’est ni une pointe de flĂšche ni une tasse, il le range soigneusement dans la catĂ©gorie « objets de culte ». Parfois, il ajoute une Ă©tiquette « servant dans un rituel de fertilitĂ© ». Nous aussi, en Ă©sotĂ©risme nous avons notre grand tiroir par dĂ©faut : le symbole. Une image pas trĂšs claire, c’est un symbole. Une inscription indĂ©chiffrable ? SĂ»rement un symbole. En gĂ©nĂ©ral, lorsqu’on ne comprend pas quelque chose, on dit que c’est un symbole. On n’est guĂšre plus avancĂ©, mais on est content.

Or, si vous demandez autour de vous ce qu’est un symbole, les adeptes du relativisme se contenteront de vĂ©rifier que le plafond n’a pas bougĂ© en soupirant : « Mais tout est symbole! », tandis que les obsĂ©dĂ©s du ‘plus vieux-plus mieux’ se lanceront dans une diatribe Ă©tymologique Ă  base de tessons coupĂ©s en deux. Ceux-lĂ  sont les pires : pas du tout avancĂ©s, mais trĂšs trĂšs contents.

Du cĂŽtĂ© des gens qui s’autorisent Ă  penser pour les autres, la confusion rĂšgne quasiment Ă  l’identique et vous n’en saurez guĂšre plus Ă  l’arrivĂ©e. La plupart des auteurs utilisent indiffĂ©remment les termes signes, symboles, figures, images, et lorsqu’ils ne le font pas, chacun y va de son acception personnelle et quoiqu’il arrive, on garde les deux pieds bien calĂ©s dans la linguistique.

Pourquoi un tel chaos ? Parce qu’en route, nous avons perdu une case, celle qui nous permettrait de comprendre ce qu’est prĂ©cisĂ©ment un symbole. Mais n’allez pas fouiller les placards ni le frigo, ça fait longtemps qu’elle a disparu. Descartes l’a avalĂ©e en la faisant passer avec un verre de Cogito pour ĂȘtre bien sĂ»r qu’elle ne viendra plus mettre des bĂątons dans les roues de la connaissance.

Or, comme rien n’est plus difficile que d’analyser ou d’identifier la grille de lecture que nous posons sur le monde tant elle nous semble naturelle et lĂ©gitime, on n’est pas sorti de l’auberge. Et c’est pourtant Ă  ça que je veux vous inviter.

Le chant du Signe
Land Art, Eigg, Kris Cohen, 2005.

1. Iconoclasme

Les disciples de Descartes nous ont appris que seule la pensĂ©e rationnelle avait droit de citĂ©. Je vous entends d’ici faire « tsss-tsss » entre vos dents, mais quelle est la premiĂšre question que suscite un symbole sinon « qu’est-ce que ça veut dire ? » VoilĂ , on y est. Nous avons appris nos classiques et traitons les images comme des cryptogrammes Ă  dĂ©coder.

L’imagination, cette « folle du logis », selon l’expression classique, ne vaut rien par elle-mĂȘme. Elle vaut si on lui substitue des mots pour l’élucider, autrement dit pour la rĂ©duire. Ce n’est qu’alors qu’elle devient tolĂ©rable [1].

On en revient donc toujours Ă  « c’est bien beau, mais Ă  quoi ça sert ? » ; si on ne parle pas de « fonction » de la pensĂ©e rationnelle, on parle volontiers de « fonction » de l’imaginaire. Il paraĂźt lĂ©gitime d’en questionner la lĂ©gitimitĂ©, faute de quoi on le congĂ©die dans les domaines suspects du mysticisme, de l’art, ou de la folie. De l’image, d’accord, mais Ă  condition qu’on l’interprĂšte. Ou alors pour faire joli.

Les plus forts lĂ -dedans sont les psychanalystes. Car ils prĂ©tendent rĂ©habiliter l’imagination, le rĂȘve et les arts tout en les rĂ©duisant Ă  des symptĂŽmes. Vous avez rĂȘvĂ© d’une laitue ? A quoi vous fait penser ce mot ? MarchĂ©, sac Ă  main, fraises des bois
 Quelque part un refoulĂ© s’est cachĂ© façon image d’Épinal, il faut dĂ©vider le fil du langage pour dĂ©couvrir que ce rĂȘve est un dĂ©sir refoulĂ© de coucher avec votre mĂšre. Vous avez rĂȘvĂ© laitue pour ne pas rĂȘver de baiser maman. Vous avez peint la Joconde ? MĂȘme question et mĂȘme rĂ©ponse. La Joconde c’est maman.

Il doit faire Ă©troit dans la besace des psychanalystes, mais c’est ce que Freud a trouvĂ© le mieux imitĂ© de la science. Il faut dire que chez ces gens-lĂ  comme dirait Brel, on rĂȘve de Nobel, pas de Goncourt. L’enjeu est de taille : manger Ă  la cantine des biologistes. D’ailleurs son rĂȘve n’est-il pas de dissĂ©quer un nĂ©vrosĂ© pour dĂ©couvrir les zones cĂ©rĂ©brales oĂč se logent les symptĂŽmes ?

En rangeant le vestiaire d’Auguste Comte, Freud y trouve l’imagination et la recycle en outil thĂ©rapeutique d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, il s’agit de remettre en fonction toutes ces braves hystĂ©riques pour qu’elles arrĂȘtent d’encombrer les asiles et retournent faire de la soupe Ă  leur mari. Quelques annĂ©es plus tard les braves Ă©poux autrichiens iront voter pour qu’on extermine les juifs, Ă  croire qu’en ressortant du SAV, leurs femmes leur ont rĂ©clamĂ© des orgasmes. Son refoulĂ© est d’abord le refoulĂ© de la sociĂ©tĂ© et celui de la pensĂ©e scientifique en pleine expansion.

Satisfait de ses succĂšs, dans la foulĂ©e, il va jusqu’à se mĂȘler d’art. Entre deux hystĂ©riques, il analyse Michel Ange et lui trouve un arriĂšre-goĂ»t d’homosexualitĂ© refoulĂ©e. CQFD. Il pense avoir trouvĂ© la source du gĂ©nie: la nĂ©vrose. L’origine de la civilisation aussi. Les Anthropologues en rient encore. Totem et Tabou voisine « Monsieur et Madame ont un fils
 » dans leurs fichiers blagues.

Dans cette histoire, le langage sera Ă©videmment le grand gagnant. La psychanalyse va en faire l’outil d’accĂšs au sens par excellence, marabout-bout-de-ficelle thĂ©rapeutique. Lacan ira plus loin, l’inconscient « est structurĂ© comme un langage » selon la formulation classique. Sujet-verbe-complĂštement voilĂ  notre DOS Ă  nous.

Naturellement, si j’ose dire, nous sommes programmĂ©s pour chercher du sens. Mais grĂące Ă  Descartes, Freud et ses amis, nous savons qu’il faut privilĂ©gier celui qui passe par le langage ou les maths. Logique et grammaire seront les deux mamelles de la pensĂ©e propre sur elle. L’autre versant, la pensĂ©e analogique ou sympathique, appelez-la comme vous voulez, gĂšne aux entournures. On veut de la Raison, on veut des Mots. VoilĂ  les outils mentaux atrophiĂ©s avec lesquels nous devons aborder le symbole, alors que celui-lĂ , au lieu d’aller dans le sens de la rĂ©duction, s’entĂȘte Ă  se dĂ©ployer. Et c’est lĂ  que ça coince. C’est difficile Ă  penser. Une approche naĂŻve des symboles consisterait Ă  penser qu’il existe des tables ou un dictionnaire, Ă  l’image des clefs des songes : « J’ai rĂȘvĂ© d’un corbeau
 tiens ! Je vais recevoir une lettre » Or, ce n’est pas comme ça que ça marche.

Heureusement, tandis que la linguistique et la philo subordonnent le symbole au signe en partant du principe que tout est langage et que le langage c’est bon –mangez-en, un petit groupe de rĂ©sistants s’essaie depuis un siĂšcle Ă  progresser Ă  contre-courant. En tĂȘte du cortĂšge : Carl Gustav Jung dont les thĂ©ories opposent Ă  l’inconscient freudien entiĂšrement confectionnĂ© en libido, un inconscient collectif fourrĂ© aux archĂ©types et rĂ©vĂ©lateur d’un appĂ©tit humain de transcendance. DerriĂšre lui, ou plutĂŽt dans ses traces : Gaston Bachelard, Henri Corbin, Gilbert Durand, etc. nous proposent une dĂ©finition opĂ©rative du symbole opposable point par point Ă  son frĂšre ennemi le signe. Et si j’emploie « opĂ©rative », c’est que le dĂ©bat ne porte pas sur un dĂ©tail de dĂ©finition pour intellos rances, mais vĂ©hicule des enjeux idĂ©ologiques qui nous concernent.

Car rĂ©duire un symbole au signe, c’est passer radicalement Ă  cĂŽtĂ©, et c’est bien dommage dans les domaines qui nous intĂ©ressent puisque ceux-ci – Ă©sotĂ©risme, magie, voyance, etc. – impliquent une comprĂ©hension du monde mĂ©diĂ©e par une logique analogique avec de vrais morceaux de symboles dedans.

2. La nature du symbole

Il est de coutume d’introduire une dĂ©finition en faisant un peu d’étymologie, ce ne sera pas le cas ici et je vais vous dire pourquoi : c’est franchement peu Ă©clairant. Le sens des mots Ă©volue ; le terme sumbolon pour les Grecs ne renvoyait certainement pas Ă  la rĂ©alitĂ© que nous essayons d’évoquer. L’étymologie d’un mot ne rĂ©vĂšle d’ailleurs pas son essence, mais simplement son origine – ou son origine supposĂ©e.

Elle n’a pas valeur de preuve ni de dĂ©finition et il est naĂŻf d’espĂ©rer y retrouver l’essence d’une chose dissimulĂ©e Ă  la façon d’un cryptogramme, or c’est une illusion assez courante dans le monde de l’ésotĂ©risme.

Pour nous y retrouver, nous allons plutĂŽt nous appliquer Ă  relever ce qui diffĂ©rencie un symbole d’un signe. Les signes se distinguent en premier lieu par leur caractĂšre conventionnel, ce qu’on appelle l’arbitraire du langage : le terme n’a pas de rapport direct avec la « chose », il a Ă©tĂ© simplement dĂ©cidĂ© que tel mot renverrait Ă  tel objet. Ainsi, en français, on dit « chat », mais on dit « cat » en anglais, « gato en espagnol, etc., « Les signes de cette sorte n’étant qu’une moyen d’économiser des opĂ©rations mentales [
] Il suffit que l’on dĂ©clare qu’un disque rouge barrĂ© de blanc signifie que je ne doive pas avancer, pour que ce signal devienne celui du ‘sens interdit’ » [2] .

À l’inverse, les significations du symbole ne sont pas arbitraires, elles tiennent directement de la chose concernĂ©e. Elles relĂšvent d’évidences littĂ©rales aussi bien que d’une lecture culturelle et affective de l’objet : « On lit et analyse l’objet c’est-Ă -dire ce qui se trouve lĂ , posĂ© devant nous. On y verra par exemple un arbre, on y reconnaĂźtra des racines, un tronc, des branches et une cime ; on pourra l’inscrire entre ciel et terre, y lire une tension verticalisante et un dĂ©ploiement horizontal, […] et puis deuxiĂšme mouvement, on explorera le contexte, l’histoire et la logique de l’apparition de l’arbre, etc. » [3].

Cette dĂ©finition concerne en prioritĂ© les symboles « naturels », constituants du monde avec lesquels les hommes vivent et interagissent : l’eau, le feu, les plantes, le ciel, les astres, etc. S’ajoutent Ă  cela des compositions imaginaires telles que le PhĂ©nix & d’autres types de symboles, ceux-lĂ  produits par la culture.

On pourrait, dans ce dernier cas, parler de symboles « secondaires » ; ce sont les chiffres, certains signes investis : cercle, pentacle, etc. Cependant, s’ils n’Ă©mergent pas du monde naturel, ceux-lĂ  ne sont jamais « dĂ©cidĂ©s » par l’homme. Comme le dit Jung : « Le signe est toujours moins que le concept qu’il reprĂ©sente, alors que le symbole renvoie toujours Ă  un contenu plus vaste, que son sens immĂ©diat et Ă©vident. En outre, les symboles sont des produits naturels et spontanĂ©s. Aucun gĂ©nie n’a jamais pris une plume ou un pinceau en se disant : maintenant, je vais inventer un symbole » [4].

Un symbole ne sera jamais expliquĂ© une fois pour toutes. C’est une image infiniment ouverte, infiniment extensible, qui va jusqu’à amalgamer les contraires. Ainsi, l’eau sera symbole de vie, parce que la vie est nĂ©e dans les ocĂ©ans, parce que le foetus baigne dans le liquide amniotique, parce que l’eau est vitale Ă  l’organisme, etc. Elle est purificatrice parce qu’elle lave, mais Ă©galement parce que sa transparence connote la puretĂ©. Mais elle peut-ĂȘtre Ă©galement lĂ©tale, auquel cas, elle renvoie aux notions d’engloutissement, de chaos, etc.

« Le propre du langage symbolique est de rassembler sous un seul point de vue, d’expliquer, d’exprimer en un seul mot plusieurs propriĂ©tĂ©s d’un mĂȘme objet, de telle sorte qu’elles se produisent instantanĂ©ment et Ă  la fois, et que l’ĂȘtre soit capable de les saisir par une intuition soudaine et d’un seul coup d’Ɠil » [5].

A dĂ©faut d’un sens dĂ©finitif auquel rĂ©duire le symbole, puisqu’il ne cesse de s’étendre et de s’enrichir, ne reste en dĂ©finitive que le symbole lui-mĂȘme, dans tout ce qu’il signifie ou implique. En langage anthropologique, on formule l’équation ainsi : « le symbole est un signifiant Ă©ternellement veuf du signifiĂ© » [6].

Et voilĂ  le virage intĂ©ressant. Ce renvoi du sens aux calendes grecques a pour consĂ©quence qu’en dernier ressort le symbole ne « vaut que par lui-mĂȘme ».

Dans l’arbre, l’eau, le feu, etc. seront prĂ©sentes toutes ces qualitĂ©s et ces valeurs que chacun de ces symboles nous Ă©voque, actualisĂ©es ou, pour ainsi dire « incarnĂ©es » dans l’image. Durand parlera de dimension Ă©piphanique du symbole, la prĂ©sence ici et maintenant d’un indicible.

De lĂ , l’importance de son utilisation en magie dont l’un des prĂ©supposĂ©s est que l’objet magique rend prĂ©sentes et actives les forces qu’il symbolise. À dĂ©faut d’ĂȘtre Ă©lucidĂ© en un sens qui tiendrait dans la main ou dans une phrase, le symbole devient lui-mĂȘme lieu de la transcendance.

Un dernier point important : les images symboliques sont permĂ©ables entre elles ; il n’existe pas de cloison Ă©tanche, plutĂŽt un rĂ©seau de liens complexes. AprĂšs avoir considĂ©rĂ© l’aspect purificateur et rĂ©gĂ©nĂ©rant de l’eau, l’observateur notera que le flux de la riviĂšre est une bonne mĂ©taphore de la fuite du temps. De lĂ , son lien avec la lune dĂ©jĂ  marquĂ© Ă  propos de la fĂ©minitĂ© et de la fertilitĂ©, se trouvera renforcĂ© par l’aspect cyclique, etc.

L’interprĂ©tation d’un symbole mĂšne naturellement Ă  en frĂ©quenter d’autres et Ă  reconnaĂźtre des redondances, par recoupements de sens, oppositions, amalgames, etc.

On peut ainsi considĂ©rer que notre univers imaginaire est quadrillĂ© par des nĂ©buleuses d’images qui le peuplent et le structurent, tout comme le langage et les maths quadrillent dans notre esprit l’univers rationnel. Une logique spĂ©cifique prĂ©side Ă  ce tissage de sens, non pas cartĂ©sienne, mais analogique, une logique que le petit groupe de rĂ©sistants sus-citĂ©s tente depuis un siĂšcle de dĂ©crire dans leurs Ɠuvres sous les appellations variĂ©es d’« archĂ©types » ou de « constellations symboliques ».

Plus loin avec Melmothia : Architecture bas de plafond.

Plus sur le sujet :

Le chant du Signe, Melmothia 2007. 

(1) Ce que Gilbert Durant appelera «l’iconoclasme» de l’occident.

(2) Gilbert Durand, L’imagination symbolique, Editions PUF, 1964, p.9

(3) Perot Jean Luc, « Regards symboliques », Site de l’association Rota Solis, Tradition & Sciences Traditionnelles.

(4) C.G. Jung, L’homme et ses symboles, Robert Laffont, 1964, p. 55.

(5) Vanden Berghen Christian, « Symbole, symbolique et symbolisme », sur le Site de l’association Rota Solis, Tradition & Sciences Traditionnelles.

(6) Gilbert Durand, Op. Cit. p. 8. Image by Gerd Altmann from Pixabay

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