La Morale du MithraĂŻsme 2

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La Morale du MithraĂŻsme 2 par Salomon Reinach. 

Je ne prĂ©tends point exposer, dans cette courte confĂ©rence, ce que nous savons de la religion de Mithra. C’est un sujet singuliĂšrement difficile, oĂč toute l’érudition de M. Cumont n’a pas rĂ©ussi Ă  faire complĂštement la lumiĂšre. Contentez-vous de ces quelques indications, dont chacune pourrait fournir matiĂšre Ă  des discussions fort longues. Mithra est un jeune dieu, beau comme le jour, qui, vĂȘtu du costume phrygien, a sĂ©journĂ© autrefois parmi les hommes et gagnĂ© leurs affections par ses bienfaits. Il n’est pas nĂ© d’une mĂšre mortelle. Un jour, dans une grotte ou une Ă©table, il est sorti d’une pierre, Ă  l’étonnement des bergers qui seuls assistĂšrent Ă  sa naissance. Il grandit en force et en courage, vainqueur des animaux malfaisants qui infestaient la terre. Le plus redoutable Ă©tait un taureau, divin lui-mĂȘme, dont le sang, rĂ©pandu sur le sol, devait le fĂ©conder et y faire germer de magnifiques moissons. Mithra l’attaque, le terrasse, lui plonge un couteau dans la poitrine et, par ce sacrifice, assure aux hommes la sĂ©curitĂ© et la richesse. Puis il remonte au ciel et, lĂ  encore, il ne cesse pas de veiller sur les mortels. Ceux qui le prient sont exaucĂ©s ; ceux qui, dans des cavernes analogues Ă  celles oĂč il a vu le jour, se font initier Ă  ses mystĂšres s’assurent sa protection puissante, au lendemain de la mort, contre les ennemis d’outre-tombe qui menacent le repos des dĂ©funts. Bien plus, il leur rendra un jour une vie meilleure, il leur promet la rĂ©surrection. Quand le temps fixĂ© par les destins arrivera, Mithra Ă©gorgera un autre taureau cĂ©leste, source de vie et de fĂ©licitĂ©, dont le sang rĂ©parera l’énergie affaiblie de la terre et rendra l’existence, une existence bienheureuse, Ă  ceux qui auront cru en Mithra.

La Morale du MithraĂŻsme 2
Statue de Mithra, date inconnue, Musée Pio-Clementine, Vatican.

On voit assez que cette religion mithriaque avait bien des points communs avec le christianisme. Il devait y en avoir d’autres que nous ignorons, car Tertullien, vers l’an 200, attribuait Ă  un artifice du diable la ressemblance, si dangereuse pour les Ăąmes simples, entre les deux religions. Il y avait, d’ailleurs, des analogies non moins frappantes portant sur le culte et le rituel. « Les mithraĂŻstes, dit M. RĂ©ville, se rĂ©unissaient dans de petits sanctuaires creusĂ©s dans le roc ou souterrains, oĂč le nombre des assistants Ă©tait nĂ©cessairement restreint, comme dans les catacombes. À l’entrĂ©e de la nef’ ou du couloir central, il y avait des rĂ©cipients pour l’eau sacrĂ©e des lustrations. De nombreuses lampes, disposĂ©es le long des galeries latĂ©rales ou suspendues Ă  la voĂ»te, Ă©clairaient d’une vive lueur le centre du sanctuaire. On y multipliait volontiers les dĂ©corations en stuc peint ou en mosaĂŻque, les couleurs voyantes, les images ou statues des divinitĂ©s. Devant la scĂšne centrale du taureau mis Ă  mort par Mithra, brĂ»lait une lampe perpĂ©tuelle. » L’initiation aux mystĂšres de Mithra comportait des Ă©preuves nombreuses, d’un caractĂšre sĂ©vĂšrement ascĂ©tique ; ces rites d’initiation s’appelaient sacramenta (sacrements). L’un d’eux Ă©tait un baptĂȘme par le sang, du sang de taureau ; il y avait aussi un baptĂȘme par l’eau pure et des onctions pratiquĂ©es sur le front avec du miel. On consacrait aussi, au moyen de formules, le pain et le vin, qui Ă©taient ensuite distribuĂ©s aux fidĂšles. Les membres des communautĂ©s mithriaques se donnaient le nom de FrĂšres et avaient Ă  leur tĂȘte un chef qu’on appelait le PĂšre. On pourrait multiplier ces rapprochements, qui mĂ©riteraient d’ĂȘtre plus connus. Les PĂšres de l’Église n’en Ă©taient pas moins frappĂ©s que les paĂŻens. Saint Augustin raconte qu’il a causĂ© un jour avec un prĂȘtre « Ă  bonnet phrygien » et que celui-ci lui a dit qu’ils adoraient le mĂȘme Dieu. Or, il faut remarquer que si Tertullien, pour expliquer les ressemblances du mithraĂŻsme et du christianisme, allĂšgue la malignitĂ© du diable, aucun auteur chrĂ©tien n’a jamais prĂ©tendu que le mithraĂŻsme fut un plagiat du christianisme ; c’est donc qu’ils savaient que la lĂ©gende et le rituel de Mithra Ă©taient chronologiquement antĂ©rieurs Ă  la prĂ©dication chrĂ©tienne, chose que nous considĂ©rons comme certaine, sans que les textes dont nous disposons permettent de l’établir, mais qui ressort assez nettement du silence des PĂšres de l’Église. D’autre part, l’empereur Julien, qui Ă©tait initiĂ© aux mystĂšres de Mithra et dont l’aversion pour le christianisme est assez connue, n’a jamais accusĂ© le christianisme d’avoir empruntĂ© sa doctrine ou sa tradition sacrĂ©e au mithraĂŻsme. Nous devons, je crois, imiter cette discrĂ©tion et, sans parler de plagiat, reconnaĂźtre dans la frappante analogie des deux religions l’influence, subie par l’une et par l’autre, de vieilles conceptions populaires rĂ©pandues dans le monde antique, remontant Ă  une Ă©poque sans doute antĂ©rieure aux lĂ©gendes littĂ©raires du paganisme et qui constituaient le milieu mystique oĂč le christianisme et le mithraĂŻsme ont pris corps.

On a dit souvent que, si le mithraĂŻsme n’avait pas trouvĂ© sur son chemin le christianisme, il serait devenu la religion unique de l’ancien monde. Cela est vrai mais lorsqu’on parle de la lutte du christianisme avec le paganisme, on commet gĂ©nĂ©ralement deux graves erreurs. La premiĂšre consiste Ă  croire que le christianisme, dans sa pĂ©riode d’épreuves et de combats pour l’empire des Ăąmes, ait eu devant lui, comme principal ou unique adversaire, le paganisme d’HomĂšre et de Virgile, les dieux de l’Olympe. Ces derniers Ă©taient morts, ou ne valaient guĂšre mieux, et cela depuis la fin de la RĂ©publique. On Ă©levait encore des temples, on leur sacrifiait des victimes, mais on ne croyait pas en eux, parce qu’on ne les aimait pas. Le reste de piĂ©tĂ© qui s’attachait Ă  eux Ă©tait purement intellectuel. Au contraire, dĂšs l’époque oĂč JuvĂ©nal se plaignait que l’Oronte se dĂ©versĂąt dans le Tibre, les dieux de l’Asie et de l’Égypte avaient trouvĂ© de nombreux dĂ©vots Ă  Rome et l’on peut dire qu’à la fin du IIe siĂšcle ces cultes orientaux, le mithraĂŻsme en tĂȘte, Ă©taient les seuls rivaux sĂ©rieux du christianisme. S’il les a vaincus, c’est sans doute parce qu’il Ă©tait infiniment mieux dĂ©gagĂ© qu’eux de toute attache avec le polythĂ©isme mort ou mourant. Il s’était greffĂ© sur le vieux tronc du judaĂŻsme, mais il refusait toute solidaritĂ©, toute accointance avec les dieux des peuples que la lumiĂšre du vrai Dieu n’avait pas Ă©clairĂ©s. Son exclusivisme, motif des persĂ©cutions qu’il supporta, fut aussi la cause de son triomphe. Alors que le mithraĂŻste conciliait HĂ©lios avec Mithra, assimilait Jupiter au dieu suprĂȘme des Persans, faisait une place Ă  Diane, Ă  Éros et Ă  d’autres vieilles divinitĂ©s de l’Olympe, le christianisme dĂ©daignait tout syncrĂ©tisme, rejetait fiĂšrement tout compromis et apportait au monde ce dont le monde avait besoin, une religion orientale dĂ©gagĂ©e de toute attache avec des cultes qu’une longue alliance avec la sociĂ©tĂ© paĂŻenne avait souillĂ©s.

La seconde erreur trĂšs rĂ©pandue est celle qui consiste Ă  croire que cette lutte entre le christianisme et le paganisme fut celle de la morale contre l’immoralitĂ©, de la chastetĂ© contre la luxure, des sentiments humains et affectueux contre la cruautĂ© et l’égoĂŻsme. AssurĂ©ment, les PĂšres de l’Église l’ont quelquefois prĂ©tendu, mais, dans l’ardeur du combat, on ne mesure pas toujours ses paroles et, si les controverses politiques rendent souvent injustes, les querelles religieuses sont les mĂšres de toutes les calomnies. Il suffit de rappeler, Ă  cet Ă©gard, un fait significatif. Au XIIe et au XIIIe siĂšcle, lorsque l’Église Ă©tait engagĂ©e dans une lutte sans merci contre les manichĂ©ens de France, les hĂ©rĂ©tiques connus sous le nom de Cathares ou d’Albigeois, on rĂ©pĂ©tait partout que ces malheureux, dont la chair grillait sur les bĂ»chers, se livraient Ă  des dĂ©bauches infĂąmes et donnaient l’exemple des pires dĂ©rĂšglements. Or, dans les conseils que les inquisiteurs de ce temps rĂ©digeaient pour leurs jeunes Ă©lĂšves, et dont nous avons heureusement conservĂ© quelques exemplaires, il est dit formellement que ces accusations ne sont pas fondĂ©es et qu’on n’a jamais pu en recueillir de preuves. Cela n’empĂȘchait pas que l’Église en fit usage pour ameuter la conscience populaire contre ces hĂ©rĂ©tiques. En rĂ©alitĂ©, dĂ©s qu’on regarde les choses de prĂšs, on s’aperçoit que les accusations de dĂ©vergondage, de sacrifices humains et d’autres turpitudes, lancĂ©es par une secte contre une autre, par une orthodoxie contre une hĂ©rĂ©sie, n’ont pas la moindre valeur ; ce sont des armes de guerre, d’une guerre d’ailleurs peu loyale : ce ne sont pas des documents historiques.

Or, en ce qui concerne le mithraĂŻsme, il est remarquable que les polĂ©mistes chrĂ©tiens qui en ont parlĂ© n’ont mĂȘme pas formulĂ© contre sa morale d’accusations prĂ©cises. Ils se sont contentĂ©s de dire que, les initiations aux mystĂšres de Mithra se faisant dans les tĂ©nĂšbres d’une caverne, il Ă©tait probable que ces initiations cachaient quelques vilaines pratiques, puisqu’on n’a pas l’habitude de chercher l’obscuritĂ© sans avoir pour cela de bonnes raisons.

VoilĂ  qui est bien faible et peu concluant ; c’est exactement, d’ailleurs, ce que devaient dire les paĂŻens lorsqu’ils voyaient les chrĂ©tiens se rĂ©unir dans les catacombes ; c’est ce que l’Église a dit de tous ceux, chevaliers du Temple ou francs-maçons, qui n’admettaient pas le public Ă  leurs cĂ©rĂ©monies.

Loin que la morale chrĂ©tienne ait eu Ă  combattre l’immoralitĂ© mithriaque, on peut affirmer que les deux religions en prĂ©sence avaient la mĂȘme morale et qu’elles prĂ©sentaient, Ă  cet Ă©gard, une analogie plus Ă©troite encore que celle de leurs traditions, de leur liturgie et de leur rituel.

Le mithraĂŻsme, au dire de Porphyre, recommandait la continence, et c’était parfois, comme dans le christianisme, la continence absolue. AprĂšs avoir dit que le mithraĂŻsme cĂ©lĂšbre, comme le christianisme, l’oblation du pain, c’est-Ă -dire la communion, professe la doctrine de la rĂ©surrection, orne ses adeptes d’une couronne analogue Ă  celle du martyre pour la foi, Tertullien ajoute : « Bien plus, il interdit Ă  son pontife suprĂȘme d’ĂȘtre mariĂ© plus d’une fois ; il a des vierges, il a des hommes vouĂ©s Ă  la continence. » Habet et virgines, habet et continentes. Ce tĂ©moignage d’un ennemi du mithraĂŻsme est formel.

Quant aux idĂ©es de fraternitĂ© qui prĂ©valaient parmi les mithriastes, nous en avons la preuve certaine dans les noms qu’ils se donnaient : fratres, consacranei. Les cĂ©rĂ©monies mĂȘmes de l’initiation, dans la faible mesure oĂč elles nous sont connues, avaient pour objet de mettre Ă  l’épreuve et en lumiĂšre la soumission des initiĂ©s Ă  l’égard du chef religieux, le PĂšre, et aussi leur empire sur eux-mĂȘmes, leur courage Ă  supporter les jeĂ»nes, les souffrances physiques, les intempĂ©ries, leur vaillance en prĂ©sence des dangers dont on leur offrait l’image menaçante. Ici encore, nous pouvons tirer argument du silence de Tertullien. Si la doctrine mithriaque avait renfermĂ© des Ă©lĂ©ments impurs, si l’enseignement donnĂ© aux initiĂ©s n’avait pas Ă©tĂ© inspirĂ© d’une haute conception morale, n’aurait-il pas fait ressortir, Ă  cet Ă©gard, la supĂ©rioritĂ© du christianisme, aprĂšs avoir signalĂ© la part du diable dans l’analogie extĂ©rieure des deux religions ?

Mais il y a plus : nous savons par Julien, le tĂ©moin le plus autorisĂ©, que le mithraĂŻsme avait une morale dogmatique et impĂ©rative, comme le paganisme grĂ©co-romain n’en a jamais eu. À la fin de son beau livre, Les CĂ©sars, oĂč Julien montre les empereurs romains passant en jugement devant le tribunal des dieux et qui se termine par la glorification de Marc AurĂšle, l’empereur philosophe Ă©crit ceci : « Quant Ă  toi, dit Mercure en s’adressant Ă  moi, je t’ai fait connaĂźtre Mithra, ton pĂšre. À toi d’observer ses commandements (…), afin d’avoir en lui, durant ta vie, un port et un refuge assurĂ©s et que, lorsqu’il te faudra quitter le monde, tu puisses, avec une douce espĂ©rance, prendre ce dieu comme guide. »

Cela est une allusion Ă©vidente Ă  l’initiation de Julien au mithraĂŻsme ; mais c’est encore autre chose et davantage. Mithra est devenu le pĂšre de Julien, qui obĂ©it Ă  ses commandements. Qu’est-ce que ces commandements, sinon une loi morale ? Et l’obĂ©issance Ă  ces commandements doit avoir un double effet. D’une part, sa vie durant, Julien, en se conformant aux ordres de Mithra, atteindra au bonheur par la sagesse ; d’autre part, la mort lui sera douce et l’immortalitĂ© bienheureuse lui sera assurĂ©e comme la rĂ©compense de ses vertus. Ne sommes-nous pas lĂ  en plein courant de pensĂ©e chrĂ©tienne ?

Nous y sommes encore, et plus profondĂ©ment, lorsque nous Ă©tudions, Ă  la lumiĂšre de tant de tĂ©moignages qui nous la racontent, la vie si courte et si belle de l’empereur Julien. Il faut savoir oublier un instant sa lutte, d’ailleurs sans violences, contre le christianisme, pour se pĂ©nĂ©trer de ce qu’il y a de vraiment chrĂ©tien, au sens le plus Ă©levĂ© et, si j’ose dire, le plus philosophique de ce mot, dans une vie toute consacrĂ©e Ă  la sagesse, Ă  l’amour de l’humanitĂ© et de la patrie. Dans la longue sĂ©rie des empereurs et des rois chrĂ©tiens, personne peut-ĂȘtre, si ce n’est Saint Louis, n’a montrĂ© sur les marches du trĂŽne et sur le trĂŽne lui-mĂȘme plus de constance, plus d’abnĂ©gation, plus de clĂ©mence que Julien. Il aimait Ă  rĂ©pĂ©ter le mot du vieux sage Pittacus : « On doit prĂ©fĂ©rer le pardon Ă  la vengeance » et, bien des fois, il agit en consĂ©quence. Écrivant contre un mĂ©chant philosophe, HĂ©raclius, Julien lui demande avec Ă©motion : « Qu’as-tu donc fait de grand dans ta vie ? Qui as-tu assistĂ©, alors qu’il luttait pour la justice’ ? De qui as-tu sĂ©chĂ© les larmes, alors qu’il pleurait, en lui enseignant que ta mort n’est pas un mal, ni pour celui qui la subit. ni pour ses proches ? » Je remplirais une heure si je voulais extraire des oeuvres de Julien tout ce qui honore son coeur et son caractĂšre. Or, cet homme Ă©tait un dĂ©vot du dieu Soleil, un initiĂ© de Mithra, et la loi morale Ă  laquelle il conforme sa pensĂ©e et ses actes n’est pas seulement celle de la sagesse antique, mais, en particulier, celle que son initiateur au mithraĂŻsme lui a apprise ; il nous le dit en termes formels dans le passage que j’ai rappelĂ© plus haut.

J’allais dĂ©duire de ce qui prĂ©cĂšde une conclusion toute naturelle, Ă  savoir que la morale est indĂ©pendante de la religion, mais que toute religion, Ă  un moment quelconque de son Ă©volution, adopte et fait sienne la morale de son temps, lorsque je me suis souvenu d’avoir lu quelque chose d’analogue dans un des livres charmants et profonds d’Anatole France, Le Mannequin d’osier [3]. J’ai recherchĂ© et retrouvĂ© ce passage, qui m’a semblĂ© infiniment prĂ©fĂ©rable Ă  tout dĂ©veloppement que je pourrais tirer de mon cru. Je vais donc vous en donner lecture et ce sera la meilleure maniĂšre de terminer cette trop longue confĂ©rence

Chaque Ă©poque a sa morale dominante, qui ne rĂ©sulte ni de la religion ni de la philosophie, mais de l’habitude, seule force capable de rĂ©unir les hommes dans un mĂȘme sentiment, car tout ce qui est sujet au raisonnement les divise et l’humanitĂ© ne subsiste qu’à la condition de ne point rĂ©flĂ©chir sur ce qui est essentiel Ă  son existence. Et prĂ©cisĂ©ment parce que la morale est a somme des prĂ©jugĂ©s de la communautĂ©, il ne saurait exister deux morales rivales en un mĂȘme temps et dans un mĂȘme lieu. Je pourrais illustrer cette vĂ©ritĂ© d’un grand nombre d’exemples. Mais il n’en est pas de plus significatif que celui de l’empereur Julien, dont j’ai naguĂšre quelque peu pratiquĂ© les ouvrages. Julien, qui d’un cƓur si ferme et d’une si grande Ăąme combattit pour ses dieux, Julien, l’adorateur du Soleil, professait toutes les idĂ©es morales des chrĂ©tiens. Comme eux, il mĂ©prisait les plaisirs de la chair, vantait l’efficacitĂ© du jeĂ»ne qui met l’homme en communication avec la divinitĂ©. Comme eux, il soutenait la doctrine de l’expiation, croyait en la souffrance qui purifie, se faisait initier Ă  des mystĂšres qui rĂ©pondaient, aussi bien que ceux des chrĂ©tiens, Ă  un vif dĂ©sir de puretĂ©, de renoncement et d’amour divin. Enfin, son nĂ©o-paganisme ressemblait moralement comme un frĂšre au jeune christianisme. Quoi de surprenant Ă  cela ? Les deux cultes Ă©taient deux enfants jumeaux de Rome et de l’Orient. Ils rĂ©pondaient tous deux aux mĂȘmes habitudes humaines, aux mĂȘmes instincts profonds du monde antique et latin. Leurs Ăąmes Ă©taient pareilles. Mais par le nom et le langage ils se distinguaient l’un de l’autre. Cette diffĂ©rence suffit Ă  les rendre mortellement ennemis. Les hommes le plus souvent se querellent pour des mots. C’est pour des mots qu’ils tuent et se font tuer le plus volontiers. Regardez les grands rĂ©volutionnaires et dites s’il en est un seul qui se montra quelque peu original en morale. Robespierre eut toujours sur la vertu les idĂ©es des prĂȘtres d’Arras qui l’avaient interdit.

Plus sur le sujet :

Lire le début de cet article.

La Morale du Mithraïsme 2, Salomon Reinach, Cultes, mythes et religions, Tome II, Éd. Ernest Leroux, Paris, 1906, pp. 220-233.

Illustration : Jona Lendering [CC0], via Wikimedia Commons

[3] A. France. Le Mannequin d’osier, p. 318 sq.

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