Caïn était un grand homme de chasse, il avait également élevé tous ses enfants mâles à la chasse, et surtout son dixième fils, en qui il avait mis tout son attachement. Il ne donna à ce fils d’autre talent que celui de la chasse. Ses autres enfants étaient plus portés aux travaux d’imagination et aux ouvrages manuels. Caïn donna à ce dixième fils le nom de Booz, qui veut dire « fils d’occision ». C’est ce dernier fils qui donna la mort à son père Caïn. Caïn ayant résolu d’aller à la chasse des bêtes féroces, accompagné de ses deux enfants, Hénoch, ses petits fils, ne prévint pas Booz de son projet. Booz de son côté projeta d’aller aussi à la chasse, le même jour que son père avec deux de ses neveux, fils de Tubal-Caïn. Booz n’ayant pas d’enfants avait mis toute son amitié dans ses deux neveux. Ils partirent donc ensemble pour aller à la chasse ; mais Booz, sans le savoir, prit la même route que son père Caïn, et, étant tous deux deux dans un fourré qu’ils avaient coutume de battre, Booz aperçut l’ombre d’une figure au travers de ce fourré nommé Onam, qui veut dire douleur, décocha alors une flèche qui alla percer le coeur de son père, l’ayant pris pour une bête féroce. Jugez de la surprise et du frémissement de Booz, lorsqu’il se fut transporté dans l’endroit où il avait tiré son coup de flèche et qu’il vit son père tué par sa propre main. La douleur de Booz fut d’autant plus grande qu’il savait la punition et la menace que le créateur avait lancées contre celui qui frapperait à mort la personne de Caïn qui serait frappé de sept fois de peines mortelles ou serait puni de sept morts.

Booz appela à lui ses deux neveux et les présenta devant le cadavre. Aussitôt ils eurent reconnu la forme et la figure de Caïn, ils jetèrent un grand cri d’exclamation et firent en même temps un signe d’horreur, ce qui augmenta encore plus la désolation du malheureux Booz. Après qu’il eut raconté comment il était la cause innocente de la destruction de la forme corporelle de son père Caïn, il leur dit : « Mes amis, vous êtes témoins de mon crime ; quoiqu’involontairement, j’ai transgressé les ordres et la défense du Créateur, je suis coupable devant l’Éternel et les hommes. Je suis le plus jeune des fils de Caïn, le dernier de sa postérité, le plus coupable et le plus criminel. Vengez sur la personne de ce dernier né, la mort de son père et le scandale qu’il vient de vous donner ».

L’intellect démoniaque qui connaît la faiblesse des hommes quand ils sont dans l’affliction suscita aussitôt une passion outrée de vengeance aux deux neveux de Booz sur la mort de Caïn. Ils armèrent leurs arcs d’une flèche pour tirer sur leur oncle. Mais lorsqu’ils étaient prêts de la lancer sur lui, une voix se fit entendre et dit : « Quiconque frappera de mort celui qui a tué Caïn, sera puni soixante-dix-sept fois de mort ».

À cette effrayante menace spirituelle divine, les deux neveux de Booz tombèrent à la renverse, mais étant revenus de leur évanouissement, ils portèrent leurs armes à Booz en disant : « Le Créateur t’a fait grâce, Booz, de la mort que tu as donnée à ton père Caïn. Nous sommes à présent les plus coupables devant l’Éternel, puisque nous avons conçu volontairement d’exécuter sur toi notre pensée vindicative ». Booz répondit à ses neveux : « Que la volonté du Créateur s’accomplisse ».

Après cette résignation de Booz, ils se retirèrent tous ensemble dans la ville d’Hénoch. La tristesse et l’abattement avec lesquels ils se présentèrent dans la ville, mirent la postérité de Caïn dans la dernière consternation, cette douleur redoubla encore quand cette postérité apprit que la destruction de la forme de leur père Caïn avait été faite par le dernier de sa lignée. Le malheureux Booz, se voyant réduit à supporter l’inimitié générale fut forcé de se retirer de cette troupe de possédés d’intellect démoniaque et fut prendre sa retraite dans le désert de Jéraniaz, qui veut dire : « Écoutez le Créateur ». C’est dans cet endroit que Booz finit ses jours dans la contrition et la pénitence.

Voilà comment Caïn fut le vrai type de la prophétie lorsqu’il dit, après le crime qu’il commit sur son frère Abel : « Ceux qui me rencontreront, Seigneur, me tueront ». Na-t-il pas été rencontré par son fils dans un fourré ? N’a-t-il pas été tué par un homme comme il l’avait dit ? Ce qui forme réellement le type de prophétie, c’est que la rencontre des deux personnes, Caïn et Booz, n’est point préméditée, et que l’un et l’autre se sont trouvés sans se connaître, dans le lieu où Caïn reçut le coup de la Mort. Je veux vous faire remarquer combien est ridicule et absurde l’observation que les hommes du siècle ont faite sur ce parricide de Caïn par son fis Booz. Ce type, ignoré de la plus grande partie des hommes d’aujourd’hui, leur a fait croire et même assurer qu’Adam n’est pas le premier homme, puisque, disent-ils, lorsque Caïn eut tué son frère Abel, il dit au Seigneur : « Seigneur, que vais-je devenir ? Ceux qui me rencontreront me tueront ! ». Si ces hommes avaient été instruits du type que faisaient ces paroles adressées au Créateur, ils auraient vu clairement que c’était celui des prophètes, ainsi que nous l’avons vu s’effectuer réellement parmi les hommes de la terre et sur Caïn lui-même. Mais me direz-vous, comment le Créateur pouvait-il mander des prophètes chez les hommes pour les contenir dans leurs actions aux lois qu’il leur avait données, puisque vous dites que le Créateur ne prend aucune part aux causes secondes qui s’opèrent parmi les hommes ? Je répondrais que le Créateur ne peut ignorer l’être pensant démoniaque qui opère continuellement des faits séduisants et pernicieux pour le mineur spirituel, ainsi qu’il était déjà arrivé dans la séduction d’Adam et de sa postérité. Le Créateur a jugé nécessaire pour l’avantage de l’homme d’élire spirituellement des êtres mineurs et de les douer de l’esprit prophétique, non seulement pour contenir l’homme dans ses lois, préceptes et commandements, mais encore pour la plus grande molestation des esprits malins et pour la manifestation de la plus grande gloire divine. La pensée de l’être spirituel bon ou mauvais, comme l’action bonne ou mauvaise devant le Créateur, voilà comment l’Éternel prend conscience des causes secondes. Les grands élurent prêtres et prophètes après Abel et Hénoch sont, Noé, Mekisedek, Joseph, Moïse, David, Salomon, Zorobabel, Le Messiah.

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Telle est dans ses grandes lignes la doctrine originale de Martinez. On a prétendu tour à tour qu’il l’avait tirée de la Kabbale, du Talmud, des mystères anciens, du néo-platonisme, d’Ammonius Sacca et de Plotin, de la gnose du IIème siècle et enfin des enseignements rosicruciens du moyen-âge. Aucune de ces suppositions n’est exacte au sens propre du terme. Elle ressemble par un point ou par un autre à chacun de ces mouvements parce que, comme eux, elle dérive, ainsi que je vous l’expliquais tout à l’heure, de la tradition universelle primordiale à laquelle se rattacheront bien plus tard, les Vintras et les illuminés modernes. Elle constitue un rameau de la gnose universelle, souche commune sur laquelle se sont épanouies toutes les religions connues et toutes les initiations véritables. Martinez y a ajouté le sceau particulier de son génie…, il ne doit rien à personne et tout à Dieu.

Tous les fondateurs de religions, tous les maîtres de l’ésotérisme entrent en effet en contact plus ou moins immédiat avec la sphère spirituelle…, c’est à dire avec le monde des idées…, c’est à dire avec Dieu. Ils voient la vérité une et essentielle, c’est pourquoi au fond de toutes les doctrines, on retrouve la même substance. Mais chacun d’eux jette sur cette substance unique le voile des concepts et du vocabulaire adaptés à sa culture propre, à son époque et à la mentalité de ses auditeurs…, pour la rendre intelligible d’abord…, efficace ensuite. D’où les divergences que le lecteur superficiel assimile à des contradictions ou à des antinomies irréductibles lorsque le voile, c’est à dire la forme, seul est en jeu.

Aussi Martinez fut critiqué et même bafoué en maints volumes appuyés de documents dont une intelligence avertie aurait dû tirer des conclusions tout autre que péjoratives. L’une de ces critiques alla même jusqu’à traiter le Maître d’escroc et de charlatan tout en se glorifiant de ne point être un initié. Il est parfaitement exact que cet auteur, malgré des prétentions à des connaissances kabbalistiques supérieures à toutes celles de ses contemporains, soit, en effet étranger aux idées qu’il condamne d’un ton doctoral et sans appel. Il a même poussé l’inconscience jusqu’à démolir le Comte Joseph de Maistre dont il n’est pas digne, comme littérateur et philosophe, de dénouer la chaussure. Mais, laissons là les critiques dont aucune n’a enlevé un seul disciple à Martinez, ni atteint en quoi que ce soit à la réalité des enseignements du Maître, et revenons, non plus aux doctrines, mais à l’oeuvre de Martinez.

Tous les adeptes de Martinez, exception faite pour Du Guers dont nous avons parlé plus haut, ont considéré leur Maître comme le plus grand des Initiés qu’ils aient rencontré au cours de leur vie. Bacon de la Chevalerie, lui-même, malgré les injures dont il l’abreuve, même après sa mort, s’est drapé dans sa dispute de R+ comme dans un sacerdoce idéal, au-dessus de toute discussion. Voyons donc par quelles réalisations pratiques le Grand Illuminé concrétisa sa doctrine de la réintégration. Je serai bref, car ici, nous sommes sur un terrain dont l’exploration doit être circonspecte.

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, Martinez a recruté tous ses disciples dans les loges maçonniques. Il considérait la Maçonnerie comme une base nécessaire pour l’oeuvre qu’il avait entreprise. Dans sa pensée, en effet, l’enseignement maçonnique du XVIIIème siècle était un acheminement progressif vers les doctrines des Élus Cohens. Il avait raison, et tout initié compétent doit le reconnaître. Aussi, la faute commise par les rénovateurs, si elle est excusable dans une certaine mesure, n’en est pas moins flagrante. Ils se sont trompés, non pas sur le principe lui-même, mais sur la manière de l’exploiter pour en tirer les conséquences ultimes, les seules efficaces. C’est pourquoi dès les années 1897-1900, ceux qui savaient ont réagi dans l’ombre et amorcé le redressement essentiel qui a pris toute sa valeur à partir de 1920…, mais, n’anticipons pas !

L’Ordre des Élus Cohens, appuyé sur la Maçonnerie conduit en quatre étapes à l’initiation intégrale. Ces étapes constituent une échelle dont chaque degré correspond à une possibilité plus grande de réintégration.

Au bas de l’échelle se trouvent les trois grades de la maçonnerie symbolique, connus de tous ceux que la question intéresse. Ces grades aboutissent dans ce cycle préliminaire à un quatrième : le Grand Elu qui complète et développe l’idée maçonnique dans sa totalité. C’est ce que Martinez appelait « la première classe ». Dans la deuxième la doctrine maçonnique se hausse sur un plan supérieur. Elle comprend trois échelons : Apprenti-Cohen, Compagnon-Cohen et Maitre-Cohen. Alors, s’ouvre la troisième classe, le Temple proprement dit, avec deux échelons : le Grand Elu Cohen ou Grand Architecte, et le Grand Elu de Zorobabel.

Enfin, voici le Saint des Saints, la quatrième classe, constituée par un seul échelon : le R+ .

Cette classe est entièrement secrète et seuls les Adeptes en connaissent la valeur, la forme et les procédés de réalisation… à noter que certains grades sont divisés en deux parties dont chacune est une étape partielle sur la voie hiérarchique. Ici, j’attirerai votre attention sur un point spécial : la 1ère classe comprend 4 grades, la 2ème classe trois grades, la 3ème classe, deux grades et la 4ème classe, 1 seul grade. Si vous partez du sommet, vous obtenez la formule théosophique : 1+2+3+4 = 10. Ceux qui sont familiers avec la science des nombres en comprennent la signification.

Comment l’enseignement de Martinez était-il inculqué aux adeptes à travers cette hiérarchie ?

Voici, la première classe était nettement maçonnique et c’est à peine si quelques allusions très voilées laissaient soupçonner une lointaine lumière. Ces allusions devenaient plus transparentes dans le 4ème grade et provoquaient inévitablement le désir de savoir.

Dans la deuxième classe, appelée Elone du Porche, nous sommes en plein système mixte. D’un coté l’affirmation nette des doctrines maçonniques courantes et de l’autre un enseignement par paraboles et énigmes, précurseurs immédiats d’une nouvelle révélation.

Dans la troisième classe, l’ésotérisme maçonnique fait place à l’occulte martinéziste. Toutes les allusions dogmatiques convergent vers la doctrine du traité de la réintégration. Dans cette classe, on n’initie pas les adeptes, on leur donne une ordination…, et cette ordination leur transmet les pouvoirs sacerdotaux correspondant à leur situation dans la hiérarchie…, pouvoirs encore incomplets, mais bien déterminés et bien réels.

Quant au Grand Elu de Zorobabel, il était considéré comme un compagnon R+ et ce degré correspondait à la période de recueillement qui doit précéder toute accession à la suprême investiture sacerdotale. Je ne vous parlerais pas des R+, sinon en vous indiquant qu’ils étaient des hommes aptes à se réintégrer dans les pouvoirs des esprits mineurs, autant qu’un corps matériel appelé à se dissoudre dans la mort, peut le permettre.

Je ne vous dirais pas aujourd’hui comment la doctrine de martinez fut amputée d’un coté et agrandie de l’autre par L.C. de Saint Martin…, comment elle fut conservée dans son intégralité par Willermoz lorsqu’il l’incorpora dans les hauts grades de la stricte observance templière, comment elle fut renovée par Papus entre 1884 et 1887 sous une forme plus simple et malheureusement défectueuse…, comment le courant primitif, jamais interrompu, quoiqu’en pensent les écrivains profanes, reprit sa force et même une vigueur nouvelle avec Jean Bricaud…, tout cela nous entraînerait trop loin et hors du cadre qui a été tracé et n’ajouterait rien au mérite de Martinez et à la teneur de son message.

Je vais donc m’arrêter ici, en portant, si cela m’est permis, un jugement sur ce grand illuminé du XVIIIème siècle.

Martinez ne fut pas un thaumaturge au sens propre du terme…, il n’a jamais prétendu opérer de miracle et l’histoire ne nous livre à son actif aucun fait précis de l’ordre supra-normal. Il fut tout simplement un illuminé et un mage. Il se cantonna, en effet, dans l’enseignement d’une doctrine, tirée, comme nous l’avons déjà dit, de la tradition gnostique universelle, dans une méthode théurgique entièrement classique et suprêmement désintéressée, et enfin dans la prédication d’une ascèse dégagée de toute préoccupation temporelle.

Il n’eut jamais qu’un but : la spiritualisation des individus et par là, l’acheminement de toute l’humanité vers une tension béatifique spéciale, susceptible de restituer dès ici-bas la Cité Céleste, le royaume de Dieu sur la terre. C’est pourquoi son enseignement, après la théorie, enseigne la pratique, c’est-à-dire les moyens de réaliser l’Idéal. En somme, Martinez s’apparente d’un coté à l’Aéropagite ou aux augustins, la forme à part bien entendu, d’un autre il rejoint les mystiques comme les François d’Assise et les Thomas d’Aquin.

Compte tenu du milieu très spécial dans lequel il a évolué, il est certain que sa doctrine eut un impact important sur le plan social, à l’insu des historiens et critiques, et par là, il se rattache indubitablement aux grands réformateurs.

Plus sur le sujet :

Martinez de Pasqually par Constant Chevillon, 1935.

Image par Johannes Plenio de Pixabay

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