L’Evangile de Cagliostro

L’Evangile de Cagliostro

I. – La huitiĂšme annĂ©e du rĂšgne de Joseph, empereur [9], Cagliostro vint Ă  Rovoredo et y demeura. Et celui qui Ă©crit cela, le voyant passer, le regarda par la fenĂȘtre de son hĂŽtel, et la femme de Cagliostro Ă©tait avec lui ; il Ă©tait sept heures du soir environ. Et les uns disaient que c’était un mage, les autres que c’était l’AntĂ©christ, et ils discutaient entre eux. Lui, se moquait d’eux disant : Qui je suis, je l’ignore, mais je sais ceci que je guĂ©ris les malades, que j’éclaire ceux qui doutent, que je donne de l’argent aux malheureux. On a Ă©crit sur moi beaucoup de sottises et de mensonges, car personne ne sait la vĂ©ritĂ©. Mais il faut que je meure, et alors ce que j’ai fait sera connu par les notes que je laisserai [10].

Et quand la nuit fut venue, beaucoup de gens se rĂ©unissaient, et l’interrogeaient sur bien des choses. Et de mĂȘme, le matin, il recevait des malades et leur donnait des consultations. Mais on avait trĂšs peur de lui. Pendant la nuit quelques personnes, d’esprit curieux, venaient Ă  lui et il leur parlait ouvertement de ses actes. Baptiste frĂšre de Nicolas, et Éloi, et d’autres. Et ils le menĂšrent chez eux, dans une hĂŽtellerie qui avait des fenĂȘtres grillĂ©es et il s’enfuit de lĂ , s’écriant que c’était une Bastille, et il refusa d’y habiter. Il demeura donc dans l’hĂŽtel.

II. – Et aprĂšs quelques jours il chercha Ă  acheter une maison pour y demeurer. Et il visita la maison de Festus, mais ils ne furent pas d’accord pour le prix. Il vint donc aux Echares et comme la maison lui plut, il retourna pour en parler Ă  sa femme, et ils s’entendirent Ă  ce sujet. Et ils Ă©taient encore Ă  l’hĂŽtel. DĂšs le lever du jour, il Ă©tait lĂ  recevant la foule, et soignant les malades. Et un homme trĂšs fortunĂ© vint Ă  lui, qui souffrait de lithiase rĂ©nale et, trĂšs ĂągĂ©, avait des calculs. Il criait : Seigneur, si tu le peux, viens Ă  mon aide. Et il lui dit : Tu es vieux, ta maladie est invĂ©tĂ©rĂ©e, et tu cherches un remĂšde ? Cependant, reviens demain et je te prĂ©parerai un mĂ©dicament. Et le mĂ©decin qui avait soignĂ© ce malade, entendait tout cela, et rĂ©flĂ©chissait attentivement en lui- mĂȘme. Et quand ils furent sortis, il tĂ©moignait Ă  tous que Cagliostro avait bien parlĂ© et il lui rendait hommage d’aprĂšs les principes de son art. Et le bruit se rĂ©pandait dans le peuple que c’était un prophĂšte, qu’il ne recevait d’argent de personne, ni de cadeaux en nature et qu’il ne faisait aucune diffĂ©rence entre le pauvre et le riche, ne faisant que conquĂ©rir les coeurs et se les attacher pour aider Ă  son oeuvre de misĂ©ricorde. Et tous couraient Ă  lui, emportant des ordonnances et de petites sommes pour acheter des mĂ©dicaments. Mais il y en avait beaucoup qui hochaient la tĂȘte, et se refusaient Ă  croire jusqu’à ce qu’ils aient vu des rĂ©sultats.

Ill. – Mais peu aprĂšs il arriva que celui qui souffrait de calculs, ayant pris son mĂ©dicament, rendit une grande quantitĂ© d’urine presque purulente, et commença Ă  aller mieux. Et les mĂ©decins Ă©taient trĂšs Ă©tonnĂ©s qu’une pincĂ©e de poudre ait pu avoir tant d’action et ils fouillaient leurs livres pour chercher une explication. Cagliostro vint de nouveau chez Festus, et habita chez lui. Ensuite une femme des environs de VĂ©rone qui avait un cancer du sein lui fut amenĂ©e tremblante et tout en larmes. Et, ayant convoquĂ© les mĂ©decins, Cagliostro leur dit : Voyez, vous, et jugez. Eux, l’ayant examinĂ©e dirent Ă  l’unanimitĂ© que, seule, une opĂ©ration pouvait la sauver, et encore Ă©tait-ce douteux. Cagliostro rĂ©pondit : Moi, je n’enlĂšve rien Ă  personne et je ne suis pas venu mutiler les hommes avec l’acier. Et sur-le-champ il fit un emplĂątre et il dit Ă  la femme : Prends une serviette et te l’attache. Elle lui dit : Seigneur, je n’en ai pas. La femme de Cagliostro, s’étant absentĂ©e, revint et rapporta une serviette propre et neuve et la donna Ă  la femme qui se pansa comme Cagliostro le lui avait dit. Et elle lui dit : Seigneur, combien de temps dois-je rester dans cette ville, pour que tu me guĂ©risses et que je sois rendue Ă  la santĂ© ? Cagliostro lui rĂ©pondit : Quelque temps. Or, la femme lui dit : Et comment le pourrai-je ? Il me faudrait entrer Ă  l’hĂŽpital et je n’ai ni or ni argent. Et Cagliostro se fĂącha contre elle et lui dit : Va, mange et bois, je payerai ton hĂŽtelier pour toi. Et la femme s’en alla joyeuse, et avec une hĂąte extrĂȘme. Or Cagliostro ayant fait venir l’hĂŽtelier, traita avec lui sans discuter, pour qu’il l’hĂ©bergeĂąt sans lui demander un sou. Et c’était un concert unanime de tous pour le louer et pour dire qu’un grand secours Ă©tait venu du Ciel sur la terre. Et le lendemain les mĂ©decins vinrent voir la femme et la trouvant toute joyeuse logĂ©e Ă  l’hĂŽtel, ils furent stupĂ©faits.

IV. – Et Cagliostro parlant au mĂ©decin qui avait soignĂ© le malade aux calculs lui dit : Fais ce qui est nĂ©cessaire pour que ton malade te paye largement ce qu’il te doit, et moi je ferai de sorte que pendant dix ans encore la mort n’aura pas prise sur lui, et, moi, je triompherai de tout [11]. Mais je ne dis pas qu’il ira vingt ans encore. Et cette parole fut connue du malade, qui sachant qu’il avait encore dix ans Ă  vivre au moins, en fut profondĂ©ment rĂ©confortĂ©. Et il y avait un haut fonctionnaire, attachĂ© au service des finances, qui avait rencontrĂ© Cagliostro Ă  l’étranger et que Cagliostro connaissait bien. Il le voyait tous les jours, travaillait avec lui, en Ă©tait fier, et se rĂ©jouissait d’ĂȘtre dans son intimitĂ©. On le prenait Ă  l’écart et on l’interrogeait en secret, lui disant : Tu peux nous dire la vĂ©ritĂ©, car tu es de ses intimes. Il leur dit : Interrogez, que voulez-vous savoir ? Et ils lui dirent : Dis-nous s’il est vrai que Cagliostro a soupĂ© avec le Christ notre Seigneur aux noces de Cana, et s’il a bu l’eau changĂ©e en vin, comme beaucoup l’ont racontĂ© ? Il leur rĂ©pondit et leur dit : Non, mais il est nĂ© cependant avant les siĂšcles ; cela est vrai, mais ne le dites Ă  personne. Et on se moquait, de lui. Et il y avait une grande divergence d’opinions entre tous au sujet de sa religion : les uns disaient qu’il Ă©tait mahomĂ©tan et les autres qu’il Ă©tait juif, Comme ils se disputaient Ă  ce sujet, Cagliostro leur dit : Pourquoi balancez-vous et dites vous des erreurs ? Chacune de ces sectes laisse une trace indĂ©lĂ©bile, voulez-vous venir et vous rendre compte ? Et l’un aprĂšs l’autre, les gens s’en allaient et ne savaient que rĂ©pondre. Quelques-uns pensaient qu’il faisait revenir les morts et les faisait parler avec les vivants et manger avec eux. Il venait aussi des gens hostiles essayant de le faire parler et de le prendre en flagrant dĂ©lit de mensonge et de le contredire. Mais ils admiraient la sagesse de ses paroles et s’en allaient en dĂ©clarant que cet homme ne pouvait ĂȘtre surpris.

V. – Et tandis que cela se passait, on reçut des lettres de Milan annonçant que Cagliostro Ă©tait aussi dans cette ville. Et tout le peuple poussait les hauts cris et se demandait avec stupeur comment cela Ă©tait possible. Et beaucoup disaient que l’un ou l’autre Ă©tait un faux personnage, et quelques-uns les dĂ©testaient tous deux. Et personne ne pouvait comprendre jusqu’à ce que le mystĂšre fut rĂ©vĂ©lĂ©. Or, celui qui Ă©tait Ă  Rovoredo continuait jour et nuit Ă  soigner les malades, rĂ©pondant Ă  tous avec humanitĂ© et leur promettant la guĂ©rison de leurs maladies avant quinze jours. Et lorsque certains manifestaient quelques hĂ©sitations au sujet de ses remĂšdes, il leur rĂ©pondait confidentiellement : je vous pardonne parce que vous ne me connaissez pas. Et il en Ă©tait de mĂȘme pour sa femme qui disait : Mon mari guĂ©rit tout, sauf les morts. Or, elle n’admettait dans sa chambre ni servante, ni femme de chambre, ni personne. Et elle se servait pour sa toilette d’une prĂ©paration dite des cinq gouttes. Cette prĂ©paration Ă©tait trĂšs connue en Angleterre, car Cagliostro qui l’avait inventĂ©e avait, avec le prix de sa vente, dotĂ© les deux filles d’un officier. Et en en mĂ©langeant cinq gouttes avec une eau de toilette trĂšs bonne, cela donnait au visage une blancheur de lait et un Ă©clat de rubis. Et Ă©tant revenu chez Baptiste, frĂšre de Nicolas, il discutait avec les mĂ©decins, leur disant : Toute maladie vient de l’une ou l’autre de ces deux causes : ou l’épaississement de la lymphe, ou la corruption des humeurs dans notre corps [12]. Et il ne reconnaissait pas d’autre principe aux maladies.

Et il disait aussi : Les ballons, ces globes volants [13] qu’un homme audacieux inventa, qui les dirigera oĂč il voudra ? Sachez que les ballons ne pourront ĂȘtre dirigĂ©s, que si on leur enlĂšve d’abord leur forme sphĂ©rique, et personne ne songe Ă  cela. Or, il parlait italien et français, et aussi une langue entre les deux idiomes [14].

Et il y avait une grande puissance dans ses paroles. Et certaines femmes trĂšs attachĂ©es Ă  lui et qui lui parlaient de leurs maladies, le suppliaient, le pressaient, de ne jamais s’en aller Ă  l’étranger. Car personne ne savait combien de temps il devait rester avec nous. Or il y avait dans la ville une jeune fille lunatique qui hurlait, l’écume aux lĂšvres et les dents serrĂ©es, et se jetait sur ceux qui l’approchaient dans sa colĂšre et dans sa fureur. On voulait l’amener Ă  lui, mais on ne le pouvait. Donc lui-mĂȘme vint la voir pour chasser l’esprit de sa maladie et jamais, jusque-lĂ , il n’avait agi ainsi avec aucun autre malade. Et plusieurs parmi les plus hautes gens de la noblesse croyaient en lui et conservaient toutes ses paroles avec soin.

VI. — Et chaque jour une grande foule assiĂ©geait la porte de Festus, cherchant Ă  voir Cagliostro, et des villes, des chĂąteaux, de toute la rĂ©gion, on lui amenait des malades en voiture, en chaises, en brancards, Ă  tel point que la place Ă©tait remplie et que la foule en se pressant s’écrasait devant la maison. Et Ernest, qui Ă©tait doyen des mĂ©decins dans la ville, voyant le trouble et l’affolement de l’opinion publique, demanda aux magistrats de lui dĂ©fendre de soigner dĂ©sormais les malades, faisant valoir cet argument, que, d’aprĂšs la loi, l’exercice de la mĂ©decine est interdit Ă  tout homme qui n’a pas Ă©tĂ© examinĂ© et diplĂŽmĂ© par les autoritĂ©s mĂ©dicales que l’Empereur a Ă©tablies, choisies pour cela, et que celui qui n’observe pas la loi, est l’adversaire de l’Empereur, et, par consĂ©quent, coupable. Et les magistrats s’étant rĂ©unis, lui interdirent de s’occuper dĂ©sormais de mĂ©decine, et le menacĂšrent. Mais, lui, leur rĂ©sistant, protestait et disait : je n’ai jamais rien ordonnĂ© Ă  aucun malade qu’en prĂ©sence et avec l’approbation de son mĂ©decin. Et ceux a qui j’ai ordonnĂ© quelque chose, vous le savez, vont mieux. De plus, je n’ai jamais donnĂ© un mĂ©dicament sans prĂ©ciser Ă  l’avance quelle serait son action. Et voici ; je n’ai jamais invitĂ© ni n’invite personne Ă  venir me trouver ; mais quand il vient Ă  moi spontanĂ©ment des gens, pourquoi ne leur rĂ©pondrais-je pas ? Et tous me sont aussi tĂ©moins que jusqu’à ce jour, je n’ai rien sollicitĂ© de personne, et rien acceptĂ© du plus petit jusqu’au plus grand, mais qu’au contraire je suis venu en aide aux pauvres, leur fournissant ce qui Ă©tait utile au traitement de leurs maux. Et la voix du peuple s’élevait pour lui et grondait dans l’AssemblĂ©e. Les magistrats, entendant cela, estimĂšrent bon de lui faire grĂące et le laissĂšrent soigner les malades. Mais lui, indignĂ©, dĂ©sirait Ă©chapper Ă  leur pouvoir et rĂ©solut de se transporter au-delĂ  de la riviĂšre AthĂ©sis [15] dans le bourg de Lagarinum qu’on appelle la Ville [16]. Et lĂ  les autoritĂ©s le reçurent avec joie et on voulait faire un festin de son honneur, mais il refusa. Et c’était la soirĂ©e du dimanche, environ vers trois heures. Et un certain Joseph, pĂšre de Joseph le prĂȘtre, qui souffrait de violentes fiĂšvres, cherchait Ă  pĂ©nĂ©trer auprĂšs de lui : et un jeune homme obtint de Cagliostro, au nom de la femme d’un des consuls de la ville, qu’il lui permĂźt de venir. Et le nom de ce jeune homme Ă©tait ClĂ©ment. Et Joseph fut reçu secrĂštement avec son plus jeune fils. VII. – Or, il y avait, assis dans la maison du Consul Gaspard, des gens de naissance noble et des femmes, et Cagliostro se tenait debout au milieu d’eux, et parlait, et il y avait une grande foule dans le vestibule. Ayant pris par le bras l’homme qui souffrait depuis longtemps dĂ©jĂ  de fiĂšvre et de vertige, et ayant emmenĂ© aussi son fils, il entra dans une petite chambre et, voyant que l’homme vacillait sur ses jambes, il le fit asseoir. Et dĂšs qu’il eut reconnu sa maladie, il rĂ©pondit aux interrogateurs : Ce sont les vers qui le font souffrir, et personne ne comprit encore. Mais ils s’étonnaient et se taisaient. Et se tournant vers joseph, il dit : Prends courage, je te guĂ©rirai en huit jours. Aie seulement confiance en Dieu et en moi, et fais ce que je t’ordonnerai. Et le malade avoua qu’il Ă©tait chrĂ©tien et ne dissimula pas sa croyance. Et aprĂšs cela, ayant renvoyĂ© la foule, il traversa et revint dans la ville oĂč il y avait un jeune homme, soldat de la garde, malade (il l’avait dĂ©jĂ  visitĂ© et il allait mieux) et oĂč Ă©tait aussi la jeune fille aliĂ©nĂ©e, qui semblait peu Ă  peu se calmer : il y avait lĂ  un grand nombre de gens qui rendaient tĂ©moignage en eux-mĂȘmes au sujet de ses oeuvres de charitĂ© et qui le bĂ©nissaient.

VIII. – Et tous s’émerveillaient au sujet du jeune soldat, car bientĂŽt il se leva, alors qu’il y avait dĂ©jĂ  cinq mois qu’il Ă©tait couchĂ© immobile et comme mort avec une enflure des cuisses et des douleurs articulaires. Et l’origine de sa maladie, c’était cette peste qui fut amenĂ©e de l’autre bout du monde par l’intempĂ©rance pour punir l’oeuvre de chair. Et Cagliostro voyant le nombre Ă©norme de gens qui venaient chaque jour Ă  lui atteints de cette mauvaise maladie, se troublait en lui-mĂȘme et disait : C’est Ă  peine si j’ai trouvĂ© tant de malades de ce genre Ă  Paris et Ă  Constantinople. Malheur Ă  vous, car votre luxure est descendue sur vous et sur vos enfants, et il citait ce proverbe que les petites villes sont plus perverties par les plaisirs du monde que les grandes et qu’elles en meurent.

Quant Ă  lui, il prenait peu de nourriture, ne se couchait pas dans un lit, mais dormait sur un fauteuil, appuyĂ© sur un oreiller. Et il arriva que comme on lui amenait des malades mĂȘmes d’un hĂŽpital, il ne voulut pas les recevoir, disant : je sais que, quelle que soit la prescription que je leur fasse, ils ne l’exĂ©cuteront pas et rejetteront mes paroles. Car ceux qui ont pouvoir sur eux ne les laissent pas libres.

Et mes ressources ne me permettent pas de faire face Ă  tous les besoins et de les retirer de l’hĂŽpital. C’est pourquoi, allez et rĂ©pondez-leur qu’ils ont leurs mĂ©decins et leurs chirurgiens, qu’ils les consultent ! Et un des chirurgiens de la ville, trĂšs petit et trĂšs vif, l’assistait sans interruption et prenait en note les formules de ses purgatifs. Et il y avait aussi d’autres mĂ©decins avec lui qui Ă©coutaient ses avis avec confiance. Quant a ceux qu’il savait ses ennemis, qui mĂ©disaient de lui dans les rues et excitaient le peuple, il ne les poursuivait pas de sa colĂšre, car il disait : Personne ne peut faire le bien sans faire d’envieux. Partout oĂč j’ai Ă©tĂ© parmi les nations, j’ai supportĂ© beaucoup de la part des hommes et je n’ai voulu faire de mal Ă  personne, mais au contraire aider tout le monde. C’est lĂ  en effet la charitĂ© qui assimile l’homme Ă  Dieu, de rendre le bien pour le mal et d’arracher notre genre humain Ă  ses misĂšres. Et il racontait longuement qu’en Angleterre, en France, en Russie, il avait eu Ă  souffrir pour faire du bien aux autres, et il leur pardonnait Ă  tous. Et un matin de trĂšs bonne heure, la femme d’un capitaine de Milan, femme belle et de grande distinction qui avait une recommandation pour Baptiste, frĂšre de Nicolas, vint pour voir Cagliostro, car elle avait entendu dire et avait lu de lui beaucoup de choses, a savoir qu’il guĂ©rissait toutes les maladies et qu’il n’y en avait pas de semblable Ă  lui sur toute la terre. Baptiste la reçut donc et la conduisit Ă  Cagliostro qui les accueillit avec amabilitĂ© et quand le temps fut venu de leur dĂ©part, Baptiste dit Ă  Cagliostro : Si je t’ai quelquefois ennuyĂ©, aujourd’hui, j’ai payĂ© ma dette. Et Cagliostro le reconnut et les renvoya.

IX. – Quand le soir fut venu, on lui demanda s’il Ă©tait vrai, comme le bruit en courait partout, qu’il possĂ©dait une potion par la vertu de laquelle il rendait la jeunesse aux hommes, et il rĂ©pondit, niant le fait : Je vous assure qu’il n’y a rien de commun entre moi et les fables savantes de la fille du roi de Colchide. Mais il raconta comment chez une dame noble que la crainte de la vieillesse rendait dangereusement folle, il avait guĂ©ri par imagination cette maladie, en lui donnant une potion qui devait, lui annonçait-il, lui donner l’éternelle jeunesse. Et les autres femmes s’attristaient Ă  ces paroles, sachant que le remĂšde n’existait pas, et que leur espoir de voir rĂ©parĂ©s les outrages du temps Ă©tait illusoire. Et les hommes les plaisantaient. Et Cagliostro dit : Mes serviteurs eux-mĂȘmes trompent et se trompent sur moi ; mĂ©fiez-vous de leurs mensonges, car de tels hommes ne peuvent ĂȘtre retenus par aucun moyen dans la voie droite de la vĂ©ritĂ©. Et une femme appartenant Ă  la noblesse de la ville, ayant cachĂ© son nom envoya un messager pour lui dire : Seigneur, une dame a quelque chose Ă  vous dire : venez dans telle villa, elle y sera, vous y recevra avec honneur, et vous remettra douze piĂšces d’or en rĂ©compense. La colĂšre saisit Cagliostro et il s’emporta disant : Elle ne me connaĂźt donc pas, ni moi, ni mes paroles ; Elle ne verra pas ma face jusqu’à ce que le bandeau qui couvre ses yeux soit tombĂ©.

Et on cherchait Ă  l’observer, pour voir s’il allait Ă  l’église le dimanche, s’ils communiaient, lui, sa femme et ses domestiques. Et personne ne le savait sĂ»rement : les uns l’affirmant, les autres le niant. Et cependant lorsqu’il renvoyait la foule de ses malades aprĂšs audience, il Ă©tendait le bras et faisait le signe de la croix. Et aussi lorsque le soldat qui avait Ă©tĂ© malade, couchĂ©, pendant cinq mois, Ă©tait venu se jeter Ă  ses genoux, guĂ©ri et reconnaissant, il lui avait dit : Pourquoi me remercier ? Va Ă  l’église, quand le prĂȘtre dit la messe, et confesse lĂ  que Dieu t’a guĂ©ri de ta maladie. Et Ă  cause de cela on disait : Voyez, non seulement il est chrĂ©tien, mais il est mĂȘme catholique. D’autres rĂ©pondaient : Non, mais il veut que chacun tĂ©moigne de sa ferveur selon la tradition de la loi de ses pĂšres, pour ne pas causer de scandale dans le peuple, et pour que les autoritĂ©s ne sĂ©vissent pas contre lui. D’autres, compĂ©tents en mĂ©decine, niaient la guĂ©rison du soldat et dĂ©nigraient Cagliostro sur ses mĂ©dicaments, dissuadaient les gens de les prendre, en donnant des raisons tirĂ©es des rĂšgles savantes de leur art. Or, lui conseillait Ă  presque tous de boire une tisane, dont la formule se trouve dans Hippocrate, car il n’y a pas de boisson plus saine que cette tisane, disait-il. Ceux qui le blĂąmaient s’écriaient : mais la mĂȘme tisane ne peut convenir Ă  tous ! Et ils ajoutaient : Aucun de ceux qu’il a soi-disant guĂ©ris n’est devenu entiĂšrement bien portant. OĂč sont ses promesses ? Il prĂ©tendait qu’en quelques jours il enlĂšverait toute maladie ? Joseph, pĂšre de joseph le prĂȘtre, Ă  qui il avait prĂ©dit que dans trois jours il expulserait des vers, n’en a pas expulsĂ©, et jusqu’à prĂ©sent n’est-il pas encore malade ? Et l’on ne rĂ©pondait Ă  ces objections qu’une seule chose, c’est que cet homme ne cessait de faire du bien aux pauvres. Et chaque jour, de toute l’Italie, venaient des gens en grand nombre, et des femmes de la haute noblesse, et du nord aussi beaucoup de voyageurs pour le voir et le consulter ; il en arrivait mĂȘme des montagnes de l’Allemagne et des rivages de la MĂ©diterranĂ©e, cherchant la consolation dans leur confiance.

X. – Or, un jour Cagliostro Ă©tait assis avec Baptiste, frĂšre de Nicolas et un autre, il parla et commença Ă  raconter les embĂ»ches qu’on lui avait tendues Ă  Londres, et comment un jour, dĂ©fendant lui-mĂȘme sa cause devant les juges et les princes du peuple contre un calomniateur, il s’écria Ă  pleine voix :  » Aussi vrai que Dieu existe, que celui de nous deux qui fait un faux tĂ©moignage, meure sur le champ. » Et la main de Dieu s’abattit sur son accusateur et il tomba en arriĂšre, mort. Baptiste s’étant retournĂ© vers son ami, lui dit : Sortons, car cet homme nous reçoit aujourd’hui trop familiĂšrement [17]. Et ils sortirent. Or ceux qui Ă©taient dans la ville, voyant la foule qui venait des contrĂ©es les plus Ă©loignĂ©es, Ă©taient dans l’admiration. Et quelques-uns, pour cela mĂȘme, venaient Ă  lui, de peur que les Ă©trangers ne leur reprochassent leur indiffĂ©rence, disant : Comment, nous, nous venons de loin pour le voir, et vous, qui l’avez avec vous, vous ne vous en souciez pas, et vous [18] Cet homme se moque de nous ; il ne respecte pas notre bon sens ; il abuse de notre crĂ©dulitĂ©. rougissez de rendre hommage Ă  la vertu ? D’autres, qui ne craignaient pas le jugement d’autrui, s’opposaient trĂšs fortement Ă  cette opinion. Et ils disaient : Qui est cet homme ? D’oĂč vient-il ? On l’ignore. Comment sa renommĂ©e s’est-elle rĂ©pandue dans tout l’univers ? Est-ce que vraiment il donne des preuves en guĂ©rissant tous les malades comme il le promet ? Pas du tout. Alors quoi ? Il parcourt le monde, distribue de l’or, dit des choses profondes et obscures. Tout le monde peut ainsi paraĂźtre grand : qu’il guĂ©risse publiquement quelqu’un dĂ©laissĂ© par les mĂ©decins et nous croirons en lui. Et quelques-uns rĂ©pondaient : Il est un fait sur, c est qu’il a un remĂšde trĂšs efficace pour guĂ©rir les fiĂšvres pĂ©riodiques, et que beaucoup ici en ont Ă©tĂ© guĂ©ris. Et comme les autres mettaient en doute que la santĂ© ainsi rĂ©tablie le soit dĂ©finitivement et sĂ»rement, de nouveau la discussion recommençait. DĂšs lors, Cagliostro ne guĂ©rit plus aucun habitant de la ville ou de la rĂ©gion de Roveredo, mais il guĂ©rissait seulement les Ă©trangers, surtout ceux qui venaient de loin. Le bruit se rĂ©pandait que le PrĂ©fet et les magistrats lui avaient interdit de nouveau d’exercer la mĂ©decine. Et lui en donnait une autre raison : il disait que cette citĂ© Ă©tait maudite parce que quelques uns des littĂ©rateurs du pays18 l’avaient calomniĂ© sans raison.  » VoilĂ  pourquoi je ne ferai plus agir mon pouvoir parmi vous, mais j’irai au loin rendre les parents Ă  leurs enfants et arracher pour leurs parents les enfants aux griffes de la mort et aux cavernes des tĂ©nĂšbres. La gloire me revĂȘtira du vĂȘtement de sa splendeur, les mĂšres me couronneront de roses, et les Ă©pouses oindront mes cheveux d’aromates, les vieillards me chanteront avec les jeunes gens des cantiques au son de la trompette et au tonnerre des tambours. LĂ , la haine ne distille pas son venin et l’incrĂ©dulitĂ© ne pousse pas ses racines.  » Ils pensaient donc que bientĂŽt il partirait de chez eux, et beaucoup s’en rĂ©jouissaient trouvant qu’il troublait la citĂ©, car il lisait sur les visages les secrets des vices de chacun. Car il Ă©tait physiognomoniste et mĂ©toposcopiste. Et lorsque des malades revenaient sans changement le trouver, il disait : Que voulez-vous que je fasse pour vous ? le mĂ©dicament qu’il vous faudrait est Ă  l’autre bout du monde, puis-je partir sur l’aile des vents pour aller le chercher et vous le rapporter ? Et, fermant la porte, il se retirait de la foule et Ă©crivait en Arabe, en Français, et se reposait.

XI. – Du reste le jour ne se passait pas sans qu’un nouveau flot de malades ne vint le trouver, arrivant de leurs villes pour se montrer Ă  lui. Et ceux qui ne pouvaient pas venir envoyaient leurs mĂ©decins entendre les paroles de sa bouche. Et il vint aussi une jeune enfant, fille d’un certain PompĂ©e qui avait Ă©tĂ© juge dans la CitĂ© : elle tombait souvent, se frappait dans ses crises, et Ă©cumait : son nom Ă©tait Élisabeth. Il lui ordonna de prendre de l’émĂ©tique et la renvoya. Il ordonna le mĂȘme traitement Ă  d’autres femmes nobles, hystĂ©riques, venues Ă  lui d’Allemagne sur la recommandation de sa femme de chambre [19] qui Ă©tait son amie. Car cette femme avait racontĂ© Ă  sa maĂźtresse les oeuvres de Cagliostro Ă  Strasbourg ; comment son pĂšre Ă  qui les mĂ©decins voulaient couper le bras pour gangrĂšne, avait guĂ©ri subitement, et comment une femme en couches, Ă  qui on se prĂ©parait Ă  faire une opĂ©ration cĂ©sarienne, car elle Ă©tait mourante, fut sauvĂ©e ainsi que son enfant en prenant des mains de Cagliostro quelques gouttes d’élixir. Pour cela et pour beaucoup d’autres actes mĂ©ritoires les Strasbourgeois firent graver son portrait avec, au-dessous, quelques vers en langue française rendant tĂ©moignage Ă  ses mĂ©rites [20]. Or, un jour oĂč une princesse allemande vint le voir, extraordinairement belle et vertueuse, Cagliostro se levant, lui donna un exemplaire de son portrait qui avait Ă©tĂ© fait Ă  Strasbourg disant : Voici, moi, je serai toujours et partout avec toi. Et il n’avait jamais agi ainsi avec personne. Ce jour-lĂ , la foule murmurait donc et disait : On nous raconte de grandes choses faites au loin, et que nous n’avons pas vues de nos yeux, et oĂč nous n’étions pas. Qu’il fasse donc ici quelque merveille ! Mais il ne le peut pas. Ils disaient cela sachant que Cagliostro avait donnĂ© Ă  un certain mĂ©decin sourd qui l’avait consultĂ©, une potion Ă©nergique, qu’il avait soufflĂ© fortement dans ses oreilles, lui promettant que dans six jours ses oreilles s’ouvriraient et qu’il entendrait nettement un tel souffle. Et aprĂšs tout cela, le mĂ©decin n’entendait encore rien, et il Ă©tait encore nĂ©cessaire de lui parler par gestes. Quant au vieillard, souffrant des calculs, que ses amis engageaient Ă  parcourir la ville Ă  cheval et Ă  se montrer en public pour rendre tĂ©moignage de sa guĂ©rison par Cagliostro, il leur rĂ©pondait : Allez-vous en, vous vous moquez de moi, je suis en effet plus mal qu’auparavant et si je m’étais ainsi traitĂ© autrefois, je reposerais dĂ©jĂ  auprĂšs de mes pĂšres depuis longtemps. D’autres parlaient de mĂȘme et commençaient Ă  mĂ©priser ses avis. D’autres rĂ©pandaient le bruit que les mĂ©decins et les pharmaciens, par jalousie, le trahissaient et falsifiaient ses ordonnances, ou le calomniaient afin qu’on ne puisse le connaĂźtre en vĂ©ritĂ©. Mais le nombre augmentait de ceux qui disaient : Les paroles de mensonge, ce sont celles dites pour trouver des excuses Ă  ses bĂȘtises. Et apprenez que cette femme, avec qui il est, n’est pas sa femme (elle Ă©tait romaine et du nom de SĂ©raphim21) c’est seulement une aide pour ses jongleries : elle ne va pas communier aux jours de fĂȘtes pour rester Ă  garder ses merveilleux bijoux Ă  la maison, de peur des voleurs. Et lui non plus n’approche pas de la sainte table, car son Ăąme ne peut trouver la paix Ă  penser aux choses de Dieu, et il dit en avoir obtenu la dispense du prince des prĂȘtres. Malheur Ă  l’homme qui ne croit pas et place les oeuvres du siĂšcle avant celles du ciel ! Aujourd’hui il a renvoyĂ© son domestique, servant chez lui depuis quinze ans, bon et zĂ©lĂ©, parce qu’il avait acceptĂ© de l’argent de ses visiteurs. Mais il n’a rien Ă  craindre et quelque part ailleurs il va aller l’attendre, et lĂ , il le reprendra. Toutes ces mĂ©disances se rĂ©pĂ©taient dans la foule et soulevaient des dissensions trĂšs grandes. Et Cagliostro, poussĂ© par l’esprit de corps, vint un jour dĂźner chez un homme, considĂ©rĂ© comme faisant partie de la franc-maçonnerie, et sa femme y Ă©tait aussi. Et lui-mĂȘme Ă©tait un des chefs de cette SociĂ©tĂ©, maĂźtre de cette secte dite des IlluminĂ©s,, et il avait quelques disciples qui voulaient ĂȘtre initiĂ©s et mĂȘme suivre cette mĂȘme route. Et entre autres, un seigneur du voisinage demandait son admission, et avait versĂ© une somme de 3oo piĂšces d’or, et il Ă©tait avec lui nuit et jour, et avec un autre frĂšre, venu des bords de la mer, mais Cagliostro lui rĂ©pondit : il faut que trois maĂźtres se trouvent rĂ©unis pour pouvoir faire la rĂ©ception d’un nĂ©ophyte dans cette secte. Ils Ă©crivirent donc Ă  un certain disciple qui habitait fort loin de cette ville, pour le prier de venir en hĂąte, et il partit aussitĂŽt. Et les autres, pleins de zĂšle, veillaient et attendaient. Et de nombreuses pensĂ©es agitaient leurs coeurs, et ils Ă©taient comme ceux des mystĂšres que le thyrse avait frappĂ©s, ou qui faisaient rĂ©sonner les cymbales sur le mont Dindyme [22].

Lorsqu’il fut arrivĂ©, prenant avec eux un autre disciple, Cagliostro reçut le nĂ©ophyte et l’ayant activement instruit des Ă©lĂ©ments de leur doctrine il le reçut aux EleuthĂ©ries [23] et lui permit de siĂ©ger au milieu des frĂšres et de connaĂźtre les secrets de leur communion des dĂ©serts de Scythie jusqu’au fleuve d’Éthiopie, et l’on dressa chez Cagliostro une grande table de festin, et on y prit place. Il y avait une immense quantitĂ© de lustres, et sa femme mangeait avec eux. Comme ils soupaient encore fort tard dans la nuit, cela surexcitait la curiositĂ© des gens, et par les portes et les fenĂȘtres on essayait de jeter un coup d’il et de pĂ©nĂ©trer leurs mystĂšres. Et les uns racontaient qu’ils avaient vu une chose, les autres une autre, du sang qu’ils buvaient, des torches en croix, des Ă©pĂ©es nues, et on affolait le peuple avec des fables [24]. Cagliostro passait pour affiliĂ© aux rites des Égyptiens et aux Thesmophories des mystĂšres d’Eleusis. Et lorsqu’ils se levĂšrent de table, le NĂ©ophyte resta avec eux et l’autre initiĂ© qui Ă©tait Ă©tranger retourna rapidement dans son pays. Mais le domestique qu’il avait renvoyĂ©, qui logeait dans une Ă©table, se dit : Que la paix de Dieu ne soit plus en moi jusqu’à ce que je fasse les mĂȘmes merveilles que mon maĂźtre. Et il commença Ă  vendre des cĂ©rats et des mixtures : mais il le faisait en secret par peur de son maĂźtre. Mais Cagliostro n’allait nulle part, s’occupant uniquement de Festus, qui Ă©tait arrivĂ© malade de Trente, et qu’il soignait.

XII. – Et un jour il demanda Ă  quelqu’un s’il voulait lui aussi, ĂȘtre affiliĂ© Ă  ceux qu’on appelle IlluminĂ©s. Et l’homme refusa disant qu’il aimait mieux rester dans ces demi tĂ©nĂšbres oĂč l’on ne voit presque rien, que devenir complĂštement aveugle dans une telle lumiĂšre. Et il donnait d’autres raisons pleines du sel de la sagesse. Quelques-uns, entendant ces conversations, se disaient entre eux : Il appartient certainement Ă  la confraternitĂ© des frĂšres maçons (que l’on nomme francs-maçons) et peut-ĂȘtre est-il envoyĂ© par eux pour guĂ©rir les malades qui sont dans le monde et ses largesses viennent de leurs coffres et de leur trĂ©sor, car on dit qu’ils ont pour premier prĂ©cepte de faire du bien a tout le monde. Mais d’autres rĂ©pondaient : S’il est vrai qu’une telle charitĂ© les anime, ce n’est pas lui qu’ils enverraient, mais un ĂȘtre qui ne leurrerait pas les hommes par une vaine confiance. Et de nouveau, on disait : Ce fin matois, il est vrai, fait quelques aumĂŽnes, et ne reçoit pas de paiement de la masse, mais c’est pour attendre de temps Ă  autre un homme trĂšs riche, et gagner cent fois plus avec lui. Quand il arrive dans une ville, il y reste tant que l’opinion publique l’encense, et quand l’effet de ses mĂ©dicaments Ă  longue Ă©chĂ©ance ne se produit pas, rĂ©vĂ©lant la vanitĂ© de ses promesses, il part, et passe ainsi de ville en ville, et sa supercherie n’a pas de terme. Son procĂ©dĂ©, et le summum de son ambition, c’est qu’on le regarde comme l’instrument de la grande puissance qui vient d’en haut : et ainsi il parcourt les terres et les mers, et se pose en mĂ©decin universel. Mais, voyons, si rĂ©ellement il enlevait tout mal, est-ce que les gouverneurs, les princes de la terre ne l’auraient pas forcĂ© depuis longtemps Ă  demeurer au milieu des ministres) dans leurs pĂ©nates ? Mais beaucoup, plus justes, rĂ©sistaient Ă  ces discours. Ils s’irritaient mĂȘme contre celui qui prenait en note ses paroles, pensant qu’il Ă©crivait pour se moquer de lui, mais celui qui Ă©crivait, ne le mĂ©prisait nullement, mais racontait fidĂšlement ce qui se passait Ă  Rovoredo, rendant tĂ©moignage par un simple rĂ©cit. Et son rĂ©cit fut fait selon l’habitude des Orientaux, comme on le voit dans les textes grecs que les Latins ont traduit mot Ă  mot. Et il arriva, comme un prĂȘtre venait vers Cagliostro, qu’il lui dit : J’ai telle et telle maladie : dis-moi ce qu’il faut faire pour aller mieux. Et il le lui dit ! Mais de nouveau le prĂȘtre dit Ă  Cagliostro : Donne-moi aussi des remĂšdes pour les maux Ă  venir. Cagliostro rĂ©pondit, et lui dit : Si j’étais allĂ© te confesser les pĂ©chĂ©s que j’ai faits, tu me renverrais avec l’absolution, si alors je te demandais de m’absoudre aussi des pĂ©chĂ©s que je ferai, est-ce que tu m’absoudrais ? Il lui rĂ©pondait : Non. Cagliostro lui dit : Et moi je ferai de mĂȘme envers toi. Et voici qu’une dame noble, venue de Trente, et qui Ă©tait sourde, le pria de lui rendre l’ouĂŻe. Et son mari Ă©tait avec elle et Ă©coutait. Et Cagliostro dit Ă  la femme : Observe le commandement que je vais t’imposer et je te guĂ©rirai : Ce commandement, le voici : Si tu vas mieux,publie dans les actes qui chaque semaine sont rĂ©pandus chez vous dans le public [25] comment je t’ai guĂ©rie : si au contraire ton infirmitĂ© ne te quitte pas, fais de mĂȘme connaĂźtre Ă  tous les vivants par ces actes que je suis Agyrta [26]. Et Festus Ă©tait assis et prĂ©sent, et il goĂ»tait avec un grand bonheur toutes les choses qui se passaient devant lui.

XIII. – Or il y avait un homme des plus haut placĂ©s, furieux contre Cagliostro, qui dans les rues et les places mĂ©disait de lui : et cet homme voulut faire parler le jeune homme qui Ă©crivait ce livre et il lui dit : Que t’en sembles de Cagliostro ? Le jeune homme rĂ©pondit : Ce n’est pas Ă  moi de juger un homme sur qui chacun porte une apprĂ©ciation diffĂ©rente, car il n’y a pas deux ĂȘtres qui pensent de mĂȘme Ă  son sujet. Il lui dit : Toi aussi, tu hĂ©sites ! Que tu es lourd d’esprit ! Des fous et des aveugles prĂ©tendent que cet homme fait du bien Ă  son prochain : mais moi j’ai dit et je dis que cet homme fait du mal Ă  tout ĂȘtre vivant, de sa naissance Ă  sa mort. En effet, par ses discours, de toutes les rĂ©gions qui sont sous la voĂ»te du ciel, arrivent Ă  grands frais et a grande peine des voyageurs, pour recouvrer la guĂ©rison de lui et, trompĂ©s, ils s’en retournent chez eux, deux fois plus mal qu’auparavant. Lui, mange, boit, et se moque d’eux dans son coeur et il lui suffit de se laisser encenser par les hommes. Quand il eut dit cela,, il souhaita le bonsoir au jeune homme et partit. Et le jeune homme vint dans un endroit oĂč il y avait un pharmacien savant, instruit, et plein de justice, et il lui demanda ce qu’il disait de cet homme. Celui-lĂ , sans colĂšre et sans injures, raconta comment il avait sondĂ© prudemment la science de Cagliostro dans sa partie, mais que lui, comme un poisson qui se serait Ă©chappĂ© des mains du pĂȘcheur, avait fui l’hameçon. Et il ajoutait : Si j’avais voulu gagner beaucoup d’argent en fabriquant les mĂ©dicaments qu’il ordonnait, j’aurais pu le faire, mais je n’ai pas voulu et j’ai renvoyĂ© ces malades par charitĂ© pour eux. J’ai pitiĂ© de ceux qui prĂŽnent Cagliostro comme un grand naturaliste et un grand chimiste. Et en effet, il y avait des gens qui rĂ©futaient violemment les histoires racontĂ©es dans le vulgaire sur les mystĂšres francs-maçonniques cĂ©lĂ©brĂ©s par lui avec ses disciples une nuit. Ils expliquaient que Cagliostro n’avait fait que rĂ©vĂ©ler les arcanes des sciences physiques et chimiques et le peuple crut qu’il les avait initiĂ©s par de simples cĂ©rĂ©monies autorisĂ©es. C’est un homme. de bien, instruit de toute la science des Orientaux et des EuropĂ©ens, et mĂȘme, il dĂ©teste les charlatans. Et Ă  ces mots, beaucoup souriaient et rĂ©pĂ©taient le vieux proverbe : – Le potier n’aime pas le potier « . Est-ce qu’au commencement il ne voulait pas parier une grosse somme, que, tel jour, les malades, les boiteux et les gens ayant des fractures, se lĂšveraient et marcheraient sans trace de leur affection ! Et quel charlatan fut jamais aussi impudent ? C’est vraiment le maĂźtre en l’art ! Et pendant qu’on parlait ainsi, lui Ă©tait Ă  la maison avec Baptiste, pĂšre de Nicolas, et Éloi, homme noble de Vicenze, et leur esprit se dĂ©lectait aux enseignements de son gĂ©nie. Et en effet, il parlait beaucoup et avec grandeur, rendant tĂ©moignage Ă  lui-mĂȘme, et un jour il commença Ă  dire : Dans la ville de Pierre, dit le Grand [27], un des ministres de la reine des Russes avait un frĂšre qui avait perdu la raison et se croyait plus grand que Dieu. Et personne ne pouvait rĂ©sister Ă  la violence de sa fureur, et il criait Ă  haute voix, menaçant toute la terre et blasphĂ©mant le nom du Seigneur. On le gardait Ă  vue. Et ce ministre me suppliait de le guĂ©rir. Quand j’entrai prĂšs de lui, il se mit aussitĂŽt en fureur, et me regardant avec fĂ©rocitĂ©, et se tordant les bras, car il Ă©tait attachĂ© avec des chaĂźnes, il semblait vouloir se jeter sur moi. Et il hurlait : Qu’on prĂ©cipite dans le plus profond abĂźme celui qui ose ainsi paraĂźtre en prĂ©sence du grand Dieu, de celui qui domine tous les Dieux et les chasse loin de sa face. Mais moi, chassant toute Ă©motion, je m’approchai avec confiance et je lui dis : Te tairas-tu, esprit menteur ? Est ce que tu ne me reconnais pas, moi qui suis Dieu par-dessus tous les Dieux, qui m’appelle Mars, et vois ce bras en qui est toute la force pour agir du sommet des cieux aux profondeurs de la terre ? je venais Ă  toi pour te prendre en pitiĂ© et te faire du bien : et voilĂ  comme tu me reçois, sans considĂ©rer que j’ai le pouvoir de rĂ©parer, mais aussi celui de rĂ©duire Ă  nĂ©ant. Et aussitĂŽt je lui donnai un tel soufflet qu’il tomba par terre Ă  la renverse. Lorsque ses gardiens l’eurent relevĂ© et qu’il fut un peu adouci, j’ordonnai qu’on m’apportĂąt un repas et je me mis Ă  dĂźner, lui interdisant de manger avec moi. Et lorsque je vis qu’il s’était humiliĂ©, je lui dis : Ton salut est dans l’humilitĂ©, ĂȘtre dĂ©pourvu de toute force devant moi, approche-toi et mange. Et aprĂšs qu’il eut un peu mangĂ©, nous montĂąmes tous deux en voiture et nous allĂąmes hors de la ville sur le bord de la NĂ©va, oĂč les gardiens avaient prĂ©parĂ© par mon ordre une barque et ils Ă©taient assis sur la berge. Quand nous fĂ»mes montĂ©s, on rama, et la barque commença a avancer. Alors, voulant le jeter dans le fleuve pour que la brusque terreur amenĂąt sa guĂ©rison (il y avait des gens postĂ©s pour venir a son secours) je le saisis tout Ă  coup, mais lui, m’entourant brusquement Ă  son tour de ses bras, nous tombĂąmes tous deux dans l’eau, lui S’efforçant de m’entraĂźner au fond, et moi, placĂ© au-dessus de lui, je l’écrasai de mon poids, et aprĂšs une lutte qui ne fut pas courte, j’arrivai adroitement Ă  me dĂ©gager et je sortis de l’eau en nageant ; lui, retirĂ© par les gardiens, fut placĂ© dans une chaise Ă  porteurs. Et quand nous fĂ»mes de retour et changĂ©s, il me dit : en vĂ©ritĂ©, j’ai reconnu que tu es Mars et qu’il n’y a pas de force Ă©gale Ă  la tienne, et je te serai soumis en toutes choses. Je lui rĂ©pondis et lui dis : Ni toi tu n’es un rival pour l’Éternel, ni moi je ne suis Mars, mais je suis un homme comme toi. Tu as le dĂ©mon de l’orgueil, et cela te rend fou : moi, je suis venu t’arracher Ă  cet esprit du mal, et si tu veux m’ĂȘtre soumis en toutes choses, tu agiras comme le commun des mortels. Et dĂšs ce jour il commença a se laisser soigner, et ainsi revint Ă  lui, celui dont la raison se perdait en idĂ©es dĂ©lirantes.

XIV. – Un autre jour au mĂȘme endroit, Cagliostro raconta ce qui suit ; il disait : Il y eut une fois un vieil Ă©vĂȘque malade qui me fit appeler : lorsque j’eus appris de lui quelle Ă©tait – sa souffrance, je lui dis : si vous ne pouvez cohabiter avec une vierge, vous ĂȘtes perdu, et si vous pouvez cohabiter avec elle, c’est elle qui prendra votre mal, et vous, vous serez guĂ©ri. Cela lui parut quelque chose de grave et d’immoral. Aussi il fit venir ses conseillers et ses avouĂ©s, et tint conseil avec eux pour savoir ce qu’il fallait faire. Eux, aprĂšs une grande discussion, conclurent Ă  l’unanimitĂ© qu’il fallait cohabiter, car, disaient-ils, si vous agissez ainsi, ce n’est pas par sensualitĂ©, mais par devoir de santĂ©, et pour vous conserver a votre troupeau. Et il le fit et il guĂ©rit. La jeune fille fut malade, mais je l’ai guĂ©rie. Ceux qui entendaient cela se disaient en s’en allant : Pourquoi cet homme-lĂ  ne renonce-t-il pas Ă  ses boĂźtes de poudre et ne vend-il pas ses boniments ? Qu’il monte sur des trĂ©teaux et raconte aux badauds ses histoires sur la place : Ou, s’il veut en imposer aux hommes comme un Elymas ou un MambrĂ©s [28], qu’il s’en tienne aux grandes villes oĂč la vie voluptueuse de la plupart des gens les pousse aux tĂ©nĂšbres de la dĂ©raison. Le petit peuple, lui, travaille et n’est pas aveugle. Mais quelques-uns disaient que dans l’histoire de l’évĂȘque il avait seulement racontĂ© que l’évĂȘque s’était refusĂ© Ă  suivre son conseil, disant : Les lois du seigneur sont plus prĂ©cieuses que la vie. Et aprĂšs cela, un Ă©dit fut publiĂ© au nom de l’Empereur, lui interdisant de guĂ©rir dĂ©sormais, ni de recevoir pour consultation personne. Et toute la multitude applaudissait et disait : Vive le Roi, notre maĂźtre, qui nous a protĂ©gĂ©s dans sa bontĂ©. Car, voyez, les malades que Cagliostro a vus, vont plus mal presque tous. Et lui, dans la crainte de la loi, obĂ©issait et renvoyait les malades sans rĂ©ponse. Et un homme fit une Ă©pigramme montrant que son nom, par permutation, rĂ©vĂ©lait qu’il Ă©tait un des faux christs s’efforçant en vain de se parer de la vraie gloire divine. Mais cela parut, mĂȘme en parole, une mĂ©chancetĂ© trop absurde aux gens plus raisonnables. Or, la femme de Cagliostro vint avec un chapelain dans une Ă©glise, et s’étant agenouillĂ©e, elle assista Ă  la messe avec dĂ©votion. Et de plus, un autre prĂȘtre, homme de bien, causait souvent avec elle du royaume de Dieu et de l’Église, hors de laquelle il n’y a pas de salut ; et il lui donna Ă  lire les Actes des apĂŽtres, et les oeuvres des prophĂštes. Et il se rĂ©jouissait de voir la foi et les bonnes paroles de cette femme. Car, dans la ferveur de son esprit, elle s’irritait contre le mal semĂ© par la soidisant philosophie qui florissait en France, et elle rejetait les oeuvres scientifiques modernes mĂ©ditant attentivement les Ă©critures. Et de plus, elle disait [29] : Voici que nous avons accompli notre tĂąche ici en guĂ©rissant les malades, et mon Ă me brĂ»le d’aller dans d’autres villes, pour ne pas laisser d’endroit oĂč notre charitĂ© ne se manifeste aux fils d’Adam. Et elle disait encore beaucoup d’autres choses conformĂ©ment aux projets de son mari. Et le domestique renvoyĂ©, qui vendait des pommades, Ă©tait regardĂ© comme d’accord avec son maĂźtre pour cette comĂ©die, et l’on disait qu’il lui remettait l’argent de la vente. Aussi quelques-uns de ceux qui avaient cru en lui frappaient du pied, s’indignaient qu’un fils de cocher les eĂ»t trompĂ©s et se fĂ»t jouĂ© de leur espĂ©rance. Car la rumeur publique disait que Cagliostro Ă©tait fils d’un cocher ; d’autres le prĂ©tendaient d’un peintre ; d’autres, qu’il Ă©tait de noble souche, royalement Ă©levĂ© en Arabie, mais qu’il fuyait les honneurs en se cachant. Et Ă  ceux qui cependant faisaient valoir sa cĂ©lĂ©britĂ© par delĂ  les mers et les monts, on rĂ©pondait : S’il n’y avait pas eu Ă  Paris d’Affaire du Collier, nous ne le connaĂźtrions mĂȘme pas de nom. Sa cĂ©lĂ©britĂ© sort d’un horrible cachot, et sa grandeur vient des fers qu’il a traĂźnĂ©s aux pieds.

XV. – Et peu de temps avant qu’on lui eut interdit l’exercice de la mĂ©decine, il voulait vendre Ă  un pharmacien son remĂšde spĂ©cifique contre l’épilepsie, et avait convenu d’un prix trĂšs Ă©levĂ© ; car, disait-il, il avait besoin de se reposer des soucis et des souffrances et des persĂ©cutions qu’il avait endurĂ©s Ă  Paris dans les fers. Mais quelques personnes empĂȘchĂšrent cela, rĂ©flĂ©chissant qu’il tendait ainsi son filet pour prendre de nombreuses victimes nouvelles. Et un bossu vint Ă  lui, le suppliant : Seigneur, toi qui peux, dit-on, enlever tous les maux, enlĂšve moi ce poids. Cagliostro, le regardant profondĂ©ment, lui dit : Place sur ta bosse une lame de fer de quatre livres et chaque jour couche-toi dessus pendant six heures et le neuviĂšme jour ne luira pas que ta bosse n’ait disparu. Il y avait lĂ  un mĂ©decin prĂ©sent, et Cagliostro en disant cela, hochait la ’tĂȘte vers lui en souriant. Mais aprĂšs l’interdiction de l’Empereur, il ne s’occupait plus de rien que de recevoir ses amis et de rĂ©pandre en eux les richesses de son savoir. Il leur disait : Si quelqu’un a eu la syphilis et n’est pas bien guĂ©ri, je la ramĂšne Ă  l’état aigu sans la lui faire reprendre par un nouveau contact pour cela, et ensuite, rapidement, je le guĂ©ris radicalement [30].

Donc, allez, et amusez-vous, si ce n’est pas pour vos Ăąmes que vous craignez, et si vous n’avez peur que pour vos corps. Et tandis que les autres mĂ©decins soignent la syphilis par le mercure, moi je ne veux pas traiter un poison par un autre poison, de peur qu’en chassant la premiĂšre maladie le traitement n’en dĂ©termine avec le temps une autre plus grave que la premiĂšre. Or, ceux qui avaient analysĂ© et essayĂ© ses onguents, affirment qu’il mentait et que dans tous, il entrait du mercure. Il se vantait aussi qu’il ne pouvait se faire dans la vessie de calcul si gros ou si dur qu’il ne puisse le faire dissoudre dans l’urine par ses remĂšdes. Et un de ceux qui Ă©coutaient lui dit : Comment ce remĂšde peut-il ĂȘtre assez actif pour dissoudre ainsi un Ă©norme calcul, sans nuire aux organes par oĂč il passe, et sans les dissoudre ? Cagliostro lui dit : Cela, c’est mon secret, et je le cache aux profanes [31]. Et de plus, il prĂŽnait les vertus d’un certain antidote de son invention disant : J’ai souvent pris du poison devant mes amis et mes intimes Ă  des doses amenant la syncope et presque la mort, et dĂ©jĂ  on me pleurait quand j’ai pris mon antidote et aussitĂŽt j’ai Ă©tĂ© sur les pieds. Et il ajoutait : je vous raconterai ce qui est arrivĂ© Ă  St.PĂ©tersbourg. Le mĂ©decin de l’ImpĂ©ratrice de Russie me dĂ©testait, parce que j’avais dĂ©montrĂ© son ignorance, et il vint chez moi en criant : Sortons et venez vous battre avec moi. je lui rĂ©pondis : Si vous venez me provoquer en tant que Cagliostro, j’appelle mes serviteurs et ils vont vous jeter par la fenĂȘtre, si vous me provoquez en tant que mĂ©decin, je vous donnerai satisfaction en mĂ©decin. EffrayĂ©, il rĂ©pondit : C’est le mĂ©decin que je provoque Et en effet j’avais Ă  mes ordres une grande foule de serviteurs. [32] Alors je lui dis : Eh bien, ne nous battons pas Ă  l’épĂ©e, prenons les armes des mĂ©decins. Vous allez avaler deux pilules d’arsenic que je vous donnerai, et moi, j’avalerai le poison que vous me donnerez, quel, qu’il soit. Celui d’entre nous deux qui mourra sera considĂ©rĂ© par les hommes comme un porc. (C’était le terme dont Cagliostro se servait Ă  l’égard de ceux qu’il mĂ©prisait.) On raconta cela Ă  l’ImpĂ©ratrice qui me fit appeler. Et lorsque je comparus devant elle, je lui dis avec fermetĂ© : Que Votre MajestĂ© me permette de parler sincĂšrement : votre mĂ©decin) bien que vous l’ayez fait capitaine est un porc. Alors elle me conseilla de ne pas combattre un homme qui n’en valait pas la peine, et de ce jour elle l’éloigna de sa prĂ©sence. De plus, il parlait abondamment des arcanes alchimiques, comment il pouvait transmuer les mĂ©taux, rendre l’or fluide comme du mercure, et de nouveau le consolider. Et parlant un jour devant Baptiste, frĂšre de Nicolas, et devant quelques autres, il leur dit : Étant en Suisse Ă  Berne, (les habitants lui avaient donnĂ© droit de citĂ©, charmĂ©s par ses paroles), je me pris Ă  dire aux gens du pays : Suisses, en considĂ©rant vos montagnes, toujours recouvertes d’une glace Ă©ternelle, j’ai rĂ©flĂ©chi Ă  la grande quantitĂ© d’or, d’argent et de cristal de roche qui Ă©tait enfouie dans leurs entrailles. Si vous vouliez m’autoriser Ă  employer dix annĂ©es de revenus, je dissoudrais la glace et sortirais au jour ces richesses, a mes risques et pĂ©rils. Ils rĂ©pondirent Ă  cela : Non, nous ne voulons pas que vous perdiez Ă  cette entreprise du temps et de l’argent. Quelqu’un des assistants lui dit : Comment dissoudrez-vous la glace ? Cagliostro rĂ©pondit : Avec du vinaigre [33]. Baptiste rĂ©pondit Ă  celui qui avait interrogĂ© : Comme Annibal pour les Alpes lorsqu’il vint en Italie. Et, se tournant de nouveau vers Cagliostro, il lui dit : Seigneur, excusez-moi si j’émets un doute. Peut-ĂȘtre les Suisses ont-ils craint que par la fonte brusque des glaces, les eaux ne descendent, et dans leurs torrents n’inondent leurs citĂ©s. AprĂšs un moment de silence, Cagliostro rĂ©pondit : Il y a beaucoup de lacs en Suisse, on aurait pu y diriger toute la masse des eaux. Pour amuser ceux qui l’écoutaient, il passait aussi Ă  d’autres sujets de conversation, et disait : Un jour j’avais besoin d’une femme qui ne fut ni une courtisane ni une vierge, et qui ne fut pas mariĂ©e ; (car un mĂ©decin se trouve aux prises dans sa carriĂšre avec les circonstances les plus variĂ©es.) Rencontrant une jeune et jolie femme, je lui dis : Ecoutez, je puis vous faire gagner beaucoup d’argent si vous ĂȘtes vierge. Elle me rĂ©pondit : je le suis, en effet, Monsieur, que dĂ©sirez-vous de moi ? Alors bonsoir, m’écriai-je, car je ne cherche pas une vierge, mais au contraire, une femme qui ait connu un homme. À ces mots, elle rougit, et dit : je vous ai menti, Seigneur, car en vĂ©ritĂ©, j’ai connu un jeune homme, procurez-moi, je vous en prie, cette place avantageuse dont vous me parliez. Et je le fis. Et toute l’assemblĂ©e riait de cette histoire. Comme il recevait beaucoup de lettres, souvent les lisant en silence, il s’écriait . Qu’apprends-je : le Seigneur frappe mes ennemis, et il soutient, il Ă©lĂšve mes amis. Et il annonçait la chose au plus vite Ă  sa femme, qui, les cheveux dĂ©nouĂ©s et flottants sur le cou, s’élançait dans la maison et la remplissait de sa voix joyeuse. Son coeur en effet Ă©tait vif comme une flamme, les paroles jaillissaient Ă  flots de sa bouche, et sa beautĂ© dans sa jeunesse, effaçait celle de toutes les autres femmes.

Et voilĂ  les choses qui tout d’abord nous ont paru dignes d’ĂȘtres rapportĂ©es sur Cagliostro. Celui qui les Ă©crivit, n’a jamais parlĂ© avec lui. Il a Ă©crit ce qu’on lui a dit, sans haine, ni amour, ne retranchant rien, n’ajoutant rien, mais s’efforçant seulement de conserver Ă  l’histoire tout ce qui se disait dans sa ville, sur cet homme cĂ©lĂšbre, laissant aux autres le soin de juger. Quelqu’un a reprochĂ© au jeune auteur ceci : Ne profanez- vous pas l’Évangile en Ă©crivant ainsi ? Mais le jeune homme rĂ©pondit : Nullement, car je n’abuse pas de ce qu’on a dit de Dieu, de son Fils notre Seigneur, je ne cite pas des versets, des Ă©critures, je ne dĂ©figure pas les textes de vĂ©ritĂ© du dogme, pour lesquels je suis prĂȘt Ă  me dĂ©vouer, mais je me sers du langage courant, et je reste moi-mĂȘme.

Tout mode de discours oĂč l’on se sert de mots usuels est gĂ©nĂ©ral, qu’il s’agisse de choses profanes ou sacrĂ©es ; la diffĂ©rence gĂźt dans le sujet. C’est ainsi qu’avec les mĂȘmes pierres on peut construire une maison ou un temple, et du mĂȘme or faire un gobelet et un calice. Est-ce que les Ă©vangĂ©listes eux-mĂȘmes n’écrivent pas de la mĂȘme maniĂšre de Dieu, de Simon le Mage, et de ThĂ©odat. Que me reprochez-vous donc ? Son critique lui rĂ©pondit : Mais pourquoi avez-vous choisi plutĂŽt ce genre de narration ? Le jeune homme rĂ©pondit : Parce qu’aucun genre n’est plus propre Ă  exposer briĂšvement et expressĂ©ment chaque fait et parce qu’il convenait Ă  ce que l’on pensait du personnage : car beaucoup de gens disent : « ’ C’est l’ñne revĂȘtu de la peau du lion ». Mais pour que vous sachiez que ce genre de style n’est pas spĂ©cial aux Ă©vangiles, voyez la traduction d’Ésope en latin, et aussi ce que Planude le Byzantin a Ă©crit sur Ésope, et Planude fut prĂȘtre et de l’église des saints [34] Sur cela, l’autre se retira en disant Combien il est en effet difficile de juger selon la vĂ©ritĂ©.

XVI. – Or, Cagliostro traversa le PĂŽ et vint voir les chefs de ces provinces, et lorsqu’il eut donnĂ© des consultations Ă  beaucoup de gens sur leurs maux (on se rĂ©unissait lĂ  en effet pour ne pas violer l’interdiction de l’Empereur, il leur dit adieu, et revenant dans la ville, il rĂ©unit rapidement ses bagages et deux jours aprĂšs partit pour Trente avec son Ă©pouse, le onze des calendes de Novembre selon le calendrier romain [35].

Quarante-sept jours aprĂšs son arrivĂ©e : c’était un jeudi vers 9 heures. Et comme il montait en voiture, on vit accourir Ă  lui un homme ; c’était ce domestique qu’il avait renvoyĂ©. Il venait lui souhaiter bon voyage, mais Cagliostro Ă©tendit la main et le renvoya en disant : Retire-toi de ma prĂ©sence, toi le plus mauvais des domestiques. Et se retournant vers ceux qui se trouvaient lĂ  par hasard, il leur parla ainsi de lui : Dites aux citoyens de Rovoredo, qu’ils pardonnent Ă  leur serviteur, s’il n’a pas pu leur donner toute satisfaction. En vĂ©ritĂ©, tout son bon vouloir leur fut acquis, et son coeur a Ă©tĂ© sans astuce devant eux. Et il parlait encore lorsque la trompette sonna et les chevaux s’enlevĂšrent et la voiture disparut Ă  leurs yeux. Cagliostro avait une physionomie trĂšs agrĂ©able, il Ă©tait de taille moyenne, la tĂȘte forte et trĂšs gras. Et bien qu’il fut gros, il marchait avec agilitĂ©, voltigeant de-ci de-lĂ  dans une chambre sans vouloir demeurer en place. Son teint Ă©tait frais, ses cheveux noirs, les yeux profonds et brillants de vie. Lorsqu’il parlait d’une voix sympathique, avec des gestes trĂšs expressifs, les yeux levĂ©s au ciel, il Ă©tait semblable aux inspirĂ©s, ivres de l’esprit d’en haut. Ses vĂȘtements Ă©taient propres, sans luxe, et sa conversation de tout agrĂ©ment. Et aprĂšs qu’il fut parti, un poĂšte publia sur lui une piĂšce en le dĂ©crivant initiant des francs-maçons Ă  ses doctrines, selon l’opinion du peuple.

Le bruit se rĂ©pandit qu’il Ă©tait reçu avec les plus grands honneurs Ă  Trente. Mais les gens sensĂ©s et les hommes loyaux qui Ă©taient Ă  Rovoredo, causant entre eux de ce qui s’était passĂ©, et rĂ©flĂ©chissant, arrivaient enfin Ă  cette conclusion : Il y a grande matiĂšre Ă  douter : tout cela est trĂšs contradictoire ; cet homme est une vraie Ă©nigme et l’on ne peut porter de jugement sur lui jusqu’à ce que la fin de sa vie ait rĂ©vĂ©lĂ© ce qu’il Ă©tait.

L’Evangile de Cagliostro. Fin – 11 Novembre 1787. Illustration : Inconnu [Public domain], via Wikimedia Commons

Notes :

9 Le 24. septembre 1787. joseph II devint souverain hĂ©rĂ©ditaire d’Autriche en 1770 par la mort de sa mĂšre.

10 Si Cagliostro a laissĂ© des oeuvres Ă©crites, elles sont dans les archives du Vatican, oĂč elles ont Ă©tĂ© brĂ»lĂ©es lors de l’autodafĂ© qui fut fait de ces papiers. je crois qu’il faut comprendre ces mots ainsi : mes actes, les rĂ©sultats de ma vie, feront comprendre qui j’étais.

11 « Et Ego vincam universum ; » le sens exact de la parole de Cagliostro traduite ainsi par l’auteur devait ĂȘtre : « Car moi j’ai l’univers sous mes ordres ; tout m’appartient ».

12 Comme la naissance et la mort sont les deux termes de la vie, la concentration et la diffusion sont les deux actions extrĂȘmes de la force vitale ; c’est le Solve et Coagula des alchimistes.

13 Ce nom de globe volant Ă©tait celui sous lequel on dĂ©signait alors les ballons et spĂ©cialement les montgolfiĂšres. Voyez les brochures de l’époque sur les expĂ©riences faites au Champ de mars le 27 aoĂ»t 1783 par Charles et Robert.

14 Provençal, piĂ©montais, ou langue franque de l’orient

15 L’Adige, appelĂ© maintenant le PĂŽ.

16 Villafranca.

18 journalistes

19 Ancilla est Ă©crit avec une majuscule dans le texte ; nĂ©anmoins nous ne considĂ©rons pas ce mot comme un nom propre, les fautes typographiques n’étant pas rares dans cet ouvrage

20 C’est le portrait gravĂ© par GuĂ©rin en 1781 et que nous reproduisons en tĂȘte de ce volume.

21 Sic.

22 Les mystÚres de CybÚle se célébraient sur le mont Dindyme en Phrygie.

23 FĂȘte de la libertĂ©.

24 Une campagne active Ă©tait menĂ©e contre les symboles maçonniques et contre Cagliostro en particulier en Italie elle s’est terminĂ©e Ă  Rome par son arrestation.

25 Revue ou journal.

26 AgurtĂšs (grec) charlatan, prĂȘtre mendiant de CybĂšle

27 St. PĂ©tersbourg.

28 Elymas ou Bar Jesu, magicien juif, adversaire de St Paul Ă  Paphos. (Acte des ApĂŽtres, XIII. 8) MambrĂ©s, (ou plus exactement TambrĂ©s) nom citĂ© par le paraphaste Ben Ouziel et aussi par Pline (Hist. naturelle T. XXX. ch.I) comme Ă©tant celui d’un des deux magiciens Ă©gyptiens qui lutta avec Aharone. (Exode, VII.12)

29 Le texte ici est amphibologique : on peut traduire aussi : Cagliostro disait… etc.

30 À cette Ă©poque, syphilis et blennorragie Ă©taient confondues et l’on peut remarquer lĂ  qu’il y a une mĂ©thode connue du traitement de la blennorragie chronique

31 La question était absurde : la réponse de Cagliostro était bien adaptée à la question, selon la rÚgle de Beaumarchais

32 Les serviteurs de Cagliostro n’étaient pas seulement dans sa maison, il en mit au-dehors

33 Acetum peut signifier tout acide, tout mordant, surtout dans la bouche d’un homme qui parlait souvent alchimie.

34 Planude, dit le grand Planude (XIVĂš siĂšcle) moine grec vivant Ă  Constantinople, a Ă©crit en effet une Vie d’Ésope (Leipzig 1747 in-4°.) et des fables d’Ésope plusieurs fois rĂ©Ă©ditĂ©es depuis l’édition princeps de ses oeuvres (Florence 1494 in-4°).

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