Le Théophone

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Voici trois petits articles relatifs à une invention du siècle passé… Le théophone ! Une invention de l’église gnostique qui avait la prétention d’apporter la messe – et plus – à domicile. Quelques décennies avant la télé, un siècle avant KTO, cela mérite quand même un entrefilet sur EzoOccult. Comme quoi chaque siècle à ses chaotes… Ou ses ruffians.

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Le Théophone

UN NOVATEUR Monseigneur Peilaghor évêque des Batignolles-et-Clichy et son théophone

Le journalisme, mène à tout. C’est ainsi que M. Henry Austruy, homme de lettres, s’est voué au perfectionnement du phonographe. Et non pas, comme on le pourrait croire, dans le but d’atténuer le crissement de cet enrageant appareil, mais bien pour enrichir d’unités nouvelles la collection des disques et cylindres de résine.

M. Austruy est le novateur de la messe à domicile. Voici les grandes lignes de son projet : les vieillards, les paralytiques, et aussi les citadins accablés de besogne, se trouvant dans l’impossibilité d’accourir, pour les offices, à l’appel des cloches dominicales, seront fort aise d’assister chez eux au divin sacrifice. Mieux, il leur sera donné d’écouter matines, vêpres et majestueux plains-chants, le tout, agrémenté de quelques prédication circonstanciée et vigoureuse. C’est le théophone.

Nous avons désiré avoir, de M. Austruy lui-même, des indications sur la manière dont il escompte recueillir les paroles évangéliques et procéder à l’impression dé, ses précieux rouleaux.

Écoutons ses déclarations, qui ne sont pas dépourvues d’une certaine originalité.

– Tout d’abord, dites Monseigneur. Ne suis-je pas, en effet, évêque des Batignolles-et-Clichy ? Mgr Peilaghor ! Dois-je vous rappeler, profane ! que je compte parmi les zélateurs de l’Église gnostique, religion de beauté et d’art, de pureté corporelle et d’ingénuité, à laquelle d’ailleurs la croyance en Dieu n’est pas indispensable ?

Après cet étonnant exorde, Mgr Peilaghor poursuivit, déclamatoire :

– Entrez dans les cathédrales. Un violent écœurement vous saisira à l’audition des chants liturgiques qu’y hurlent des prêtres turgescents. Leur diction et leurs voix seraient la honte d’un bastringue à matelots. Les récitations uniformes sont rebutantes, et au contraire d’élever l’âme, lui donnent la nausée. Le théophone ne consignera pas ces cacophonies ridicules, et les offices seront célébrés pour lui, par des artistes aux organes harmonieux et mystiques. Le fidèle y gagnera en beauté, sans rien y perdre en piété.

– Espérez-vous, monseigneur, que S.S. Pie X, dont les sentiments antimodernistes se sont si souvent manifestés, autorise les plus notoires de ses vicaires a louanger le Très-Haut et exalter la foi devant votre enregistreur ?

– Là est le problème. La solution est d’autant plus incertaine que le théophone aura ce désavantage, pour l’entretien du culte, et du denier de saint Pierre, de supprimer radicalement les quêtes, encore que j’étudie la possibilité de faire retour aux paroisses des droits d’auteur et de reproduction.

Puis, non sans brusquerie, Mgr Peilaghor orienta de la sorte ses périodes :

– Je suis en outre l’inventeur de l’eupantophone. C’est un appareil utile et d’un mécanisme peu compliqué. Par une ouverture convenablement aménagée, on introduit un livre, un manuscrit, une chansonnette, les feuillets d’un missel, que l’appareil récite ou chante aussitôt sur un rythme désigné, au choix de l’opérateur.

– Est-il loisible aussi, monseigneur, de confier à l’eupantophone la traduction d’hiéroglyphes, de textes latins ou russes ?

Mais le prélat rêvait. Il rêvait sans doute à l’heureuse fortune des familles catholiques et austères qui, par les pluvieux après-midi de dimanche, pourront faire exécuter par la commode machine un répertoire tour à tour pieux et profane, et couper la longueur traînante des credo par d’honnêtes couplets de Dranem, la valse chaloupée, ou l’innocent refrain de la Petite Tonkinoise…

Le Matin, 1er novembre 1910.

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LES PHONOGRAPHES CULTUELS

Une information reproduite dans plusieurs organes financiers mérite de retenir l’attention des républicains.

L’Eglise, l’Eglise romaine, bien qu’elle se flatte, comme l’homme absurde, de ne changer jamais, s’entend pourtant à merveille à profiter des ressources de la science la plus moderne quand il s’agit d’accroître les bénéfices du commerce sacré.

Il paraîtrait qu’une haute personnalité politique qui est aussi, comme il arrive trop souvent, une puissance de la Bourse, serait sur le point d’obtenir l’adhésion du Vatican à un projet des plus curieux.

Nous avions l’opéra, le drame et le beuglant « chez soi ». Nous allons avoir, avec l’agrément du Saint-Père, « la messe à domicile ». Grâce au phonographe, on pouvait, après un bon dîner, faire entendre à ses amis, au fumoir, Caruso, de Max et Jeanne Bloch. Demain, on pourra, sur l’oreiller, après le chocolat, entendre le Confiteor et le Gloria in excelsis.

Il ne s’agit de rien moins que de la constitution d’une Société anonyme, au capital de deux millions trois cent mille francs, pour l’exploitation des Phonographes Cultuels. L’appareil se compose essentiellement de deux rouleaux et d’une manivelle. Le disque apostolique étant introduit entre les rouleaux, le fidèle se coiffe d’un casque analogue à celui de nos demoiselles du téléphone, et n’a plus qu’à actionner la manivelle pour entendre se dérouler le drame sacré. Veut-on, au ravissement de l’ouïe, joindre l’extase de la communion ? II suffit d’introduire dans une fente pratiquée à la gauche du coffre qui supporte les rouleaux une pièce du Pape de deux francs. Au déclic d’un distributeur automatique, une sorte de bras – le Bras économique de l’Église — apporte jusqu’aux lèvres ferventes une hostie consacrée. L’un de nos confrères du Cri de Paris avait fait une allusion discrète aux démarches actuellement tentées à Rome ; mais nous aurons été les premiers, dans toute la presse, à donner les détails de l’invention et de l’entreprise. De même, nous serons les premiers à révéler les noms des promoteurs ; toutefois, pour ceux de nos lecteurs qui ne sont pas au fait des procédés occultes de l’Église, une brève parenthèse s’impose. L’Église, particulièrement à Paris, favorise en secret diverses sectes initiatiques qui, aux yeux profanes, paraissent avoir secoué sa tutelle. L’une des plus agissantes est l’Église gnostique, dirigée par le patriarche Fabre des Essarts.

Or, si l’inventeur des phonographes cultuels n’est autre, pour le gros public, qu’un industriel, d’ailleurs aimable, à qui nous devions déjà l’eupantophone, M. Henry Austruy, les initiés savent que M. Henry Austruy est, en religion gnostique, Son Éminence Peilhagor, évêque des Batignolles-et-Clichy.

Nous avons parlé au début de cet entrefilet de mystérieux concours politiques et financiers. Qu’il nous suffise de dire que ce même Henry Austruy cumule ses fonctions industrielles et mystiques avec celles de secrétaire et homme de confiance de M. Georges Leygues.

On se rappelle que si ce dernier dut à Anatole France d’être surnommé « Le Phoque », il doit encore aux malheureux employés du Louvre les douze millions de feu Chauchard.

Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire, 11 octobre 1910.

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Les idées de M. Leygues.

M. Georges Leygues vient d’accomplir une action très méritoire : il accorde à l’un de ses anciens secrétaires, M. Henry Austruy, une importante subvention pour l’œuvre si curieuse que voici :

M. Henry Austruy, qui est un de nos meilleurs confrères et le principal collaborateur de M. P.-B. Gheusi à la Nouvelle Revue, a eu cette idée merveilleuse que bien des gens qui n’allaient pas à l’église écouteraient volontiers chez eux les offices sacrés. Et il a imaginé un appareil qu’il dénomme le « théophone » et qui enregistre, pour ensuite les reproduire à domicile, les chants liturgiques, les prières et les homélies.

M. Georges Leygues a trouvé que c’était là, combinaison géniale. Et il fournit au jeune inventeur les moyens de réaliser ce projet où la science seconde avec éclat la religion. Déjà, M. Austruy s’occupe d’obtenir des disques sensationnels, et il demande leur collaboration à des évêques et à des prédicateurs fameux, comme les enregistreurs de phonographes d’art sollicitent M. Muratore ou Mlle Bréval. Par exemple, un disque de Mgr Amette coûtera cent francs, et celui de Mgr Duchesne, de l’Académie française, deux cents. Les disques de simples curés coûteront cinq et dix francs ; il y aura des offices à tous les prix.

M. Georges Leygues a songé à obtenir, pour sa nouvelle industrie, la reproduction de la bénédiction du pape ! Comme M. Austruy se récriait, devant la difficulté d’une telle collaboration :

– Pourquoi pas? protesta M. Leygues. En lui promettant un pourcentage?

Plus sur le sujet :

Le Théophone, Gil Blas, 24 octobre 1910.

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