La Kabbale est-elle un Cut-Up ? Par Rabbie Jérémie (le Hassid Lysergique).
Nous autres juifs, sommes le Peuple du Livre, câest bien connu. Câest une situation qui ne va pas sans quelques avantages ; par exemple, nous avons pu imposer la lecture de notre bouquin Ă la planĂšte entiĂšre, et la Sainte Bible est maintenant le plus grand Best-seller du monde devant le Club des cinq dâEnid Blyton et le Petit Livre Rouge : nous sommes des Ă©diteurs comblĂ©s. Mais toute mĂ©daille Ă son revers. Depuis Korzybski, nous savons que la Carte nâest pas le territoire. Ce salaud-lĂ nous a portĂ© un coup dur. Pour nous, en effet, tout est Ă©crit dans la Bible. Jâai bien dit tout, y compris la masse atomique de lâuranium et les honoraires des psychanalystes new-yorkais le samedi matin. La Torah nâest peut-ĂȘtre quâune carte de lâunivers, mais alors elle est la carte parfaite (celle qui contient une reprĂ©sentation de la carte comprenant une reprĂ©sentation de la carte…) Ă©crite par le Saint, bĂ©ni soit-il, au commencement des temps, et il nây a pas Ă revenir lĂ -dessus.
Enfin si, il faudrait peut-ĂȘtre y revenir. Parce quâen fait, ça fait bien longtemps que si tout Ă©tait Ă©crit dans la Thorah, alors ce devait ĂȘtre Ă©crit dâune drĂŽle de façon. La question devenait : mais comment faire pour que notre Bible, notre chĂšre Bible, puisse rĂ©pondre Ă toutes les questions que nous nous posons ?
La Kabbale est Ă mon sens une tentative de rĂ©ponse Ă cette question. Je dirais mĂȘme, et cela peut paraĂźtre paradoxal, quâelle constitue le Zen occidental, car, prĂ©tendant nous guider Ă travers les couloirs du labyrinthe biblique, elle nous en libĂšre et nous met en prĂ©sence de la RĂ©alitĂ© du Vide. Les Chinois et les Indiens eux, se mĂ©fiĂšrent toujours du langage, quâils considĂ©raient comme la source fondamentale de toute illusion. Qui a raison, qui a tort ? Tout le monde et personne en fait, car, comme câest souvent le cas, ces deux conceptions ne concernent pas le mĂȘme niveau de conscience.
Car en un sens, il est vrai que la parole « crĂ©e » le monde. Le langage en effet, ne se contente pas de dĂ©crire la rĂ©alitĂ©. Le mot « colline », par exemple, nâest pas un objet dans le mĂȘme sens que « table ». « Colline » dĂ©crit un accident du sol, elle nâa aucune rĂ©alitĂ© intrinsĂšque : B.L. Whorf a dĂ©montrĂ© que le langage ne se contente pas de nommer les objets ; en fait, il les crĂ©e, et propose un modĂšle structurel de la rĂ©alitĂ© qui imprĂšgne, inconsciemment toute notre personnalitĂ©. Toute langue est, en ce sens, « sacrĂ©e ». Car si la carte nâest pas le territoire, nous vivons, ressentons et nous comportons en accord avec la carte. Plus celle-ci est analogue structurellement au monde quâelle dĂ©crit, et en fait analogue Ă notre systĂšme nerveux, mieux nous pourrons agir.
Mais lĂ encore, ce qui libĂšre peut emprisonner ; toutes nos occupations sur le temps, lâespace, la vie en gĂ©nĂ©ral et mĂȘme nos perceptions sont conditionnĂ©es par cette « grille linguistique », qui est peut-ĂȘtre lâĂ©quivalent psychologique des connexions synaptiques qui sâeffectuent dans notre cerveau.
Des Hypercartes pour un Hypermonde
Lâhypercarte, câest un modĂšle dâunivers construit sur les principes de lâhyperlogique. Câest en quelque sorte un « cut-up » structurĂ© oĂč on ne juxtapose pas deux mots, deux phrases oĂč deux textes, mais deux visions du monde et ce Ă lâaide de procĂ©dĂ©s apparemment absurdes, mais rigoureux. Il est important de distinguer lâhypercarte du Koan, par exemple. Celui-ci nâa dâautre but que de briser la structure du mental et de provoquer lâextase. Mais il est possible dâaller plus loin ; on peut construire sur des propositions Ă premiĂšre vue dĂ©lirantes des systĂšmes de croyances cohĂ©rents et surtout efficaces.
Mais bien sĂ»r, nous utilisons tous plus ou moins inconsciemment lâhypercarte ; quand par exemple nous superposons au modĂšle qui Ă Ă©tĂ© imprimĂ© dans notre enfance et que nous appelons naĂŻvement « le monde tel quâil est », une autre grille dâinterprĂ©tation, dâordre religieux ou idĂ©ologique.
Pour simplifier, disons quâune hypercarte est constituĂ©e de deux ou plus modĂšles dâunivers, avec un systĂšme de translation qui permet de passer de la carte 1 Ă un Ă©lĂ©ment de la carte 2. La vision obtenue est aussi valable et cohĂ©rente que celle que nous croyons ĂȘtre la vision normale.
Dans la Kabbale, lâhypercarte est dĂ©finie par une grille n°1, dâordre linguistique, et par une grille n°2, dâordre numĂ©rique. Autrement dit, il est possible de passer dâune vision du monde dĂ©crite par des mots, Ă un autre type de vision dĂ©crit par les nombres. Le systĂšme de translation est dĂ©fini par la valeur numĂ©rique des lettres de 1 Ă 400 et par une sĂ©rie de manipulations prĂ©cises Ă effectuer. (En fait, je simplifie ; il faudrait parler dâune carte 1 de type linguistique normal (la langue quâon parle tous les jours), dâune carte 2 de type littĂ©raire, consacrĂ©e Ă lâĂ©tude du livre, dâune carte 3 concernant la symbolique des lettres indĂ©pendamment de leur valeur numĂ©rique, dâune carte 4 dĂ©finissant la valeur numĂ©rique des lettres)
Lâhypercarte est Ă©galement utilisĂ©e en physique (dualitĂ©-onde-particule).
Mais, me direz-vous, quâest-ce qui prouve que la Kabbale est une hypercarte, un « cut-up » structurĂ© et rationalisĂ©. Pourquoi ne pas supposer tout simplement que la Bible a Ă©tĂ© Ă©crite en langage chiffrĂ©, et quâil suffit de dĂ©coder le message pour le comprendre ?
Pourquoi imaginer que les correspondances entre les chiffres, les lettres et les symboles soient dâordre purement conventionnel ?
On pourrait Ă tout cela rĂ©pondre quâil serait difficile dâĂ©crire plusieurs milliers de pages Ă lâaide dâune clĂ© chiffrĂ©e tout en conservant un sens littĂ©ral clair au texte original. Ce serait un travail de surhomme. Mais jâen connais qui vont justement en profiter pour voir dans la Bible la marque dâune intelligence surhumaine.
Mais il y a, je crois, une preuve que la Bible nâest pas un texte intentionnellement codĂ©.
Dans les annĂ©es 50, le philosophe Raymond Abellio a utilisĂ© une clĂ© kabbalistique tout Ă fait particuliĂšre, basĂ©e non plus sur la valeur numĂ©rique des lettres de 1 Ă 400, mais sur une valeur « Ă©sotĂ©rique » de 3 Ă 360. Quiconque a fait des travaux sur la clĂ© dâAbellio ne peut quâĂȘtre convaincu de son efficacitĂ©. Et quiconque a fait des travaux sur la clĂ© classique est Ă©galement convaincu de son authenticitĂ©.
Or il est impossible que la Bible soit objectivement codĂ©e Ă lâaide de deux clĂ©s ! (ou alors Dieu est vraiment trop fort…)
Prisonniers de notre langage, nous ne pouvons arriver Ă comprendre le monde des Hopis, ou des Nootka. Ils sont pour nous comme des extra terrestres (cette diffĂ©rence de conceptions est particuliĂšrement rĂ©vĂ©lĂ©e par lâĂ©tude des langues amĂ©rindiennes ; celles-ci ne doivent rien en effet au rameau aryano-sĂ©mitique qui constitue la principale origine de nos langues occidentales). Câest pourquoi, comme dit Burroughs, le langage est piĂ©gĂ© : il dĂ©termine un monde dont nous pourrons difficilement nous dĂ©tacher. De plus, nous ne sommes pas seulement prisonniers des prĂ©supposĂ©s mĂ©taphysiques inclus dans le langage : nous sommes Ă©galement victimes des rĂ©actions sĂ©mantiques qui nous attachent sentimentalement Ă certains mots et nous Ă©loignent dâautres (par exemple, actuellement en France, il y a des gens qui ignorent toujours quâils sont sous la coupe dâun rĂ©gime de type gyscardien-chiraquien dirigĂ© par François Mitterand ; et ce uniquement parce que la rĂ©action sĂ©mantique au mot « gauche » induit une sĂ©rie de sensations agrĂ©ables de type « libertĂ© et tolĂ©rance », qui sont inexistantes quand on Ă©coute le mot « droite » du moins quand on penche plutĂŽt vers la gauche, ce qui est certainement le cas de nous tous ici -note : cet article a Ă©tĂ© Ă©crit avant 1986).
Le livre sacrĂ© est un type encore plus avancĂ© de libĂ©ration, et Ă©galement dâemprisonnement. Un livre sacrĂ© comme la Bible est en quelque sorte le dĂ©veloppement obligatoire de la langue hĂ©braĂŻque ; en quelque sorte, la Thorah est la carte de la carte. Elle est divine parce quâelle est rĂ©digĂ©e en hĂ©breu, mais lâhĂ©breu est divin parce que câest la langue de la Thorah ; elle est en quelque sorte la concentration de la langue hĂ©braĂŻque elle-mĂȘme ; par consĂ©quent, la reprĂ©sentation ultime du monde vu sous un angle particulier, lâangle juif.
Mais le livre, Ă©tant plus prĂ©cis et plus difficilement maniable encore que la langue, est Ă©galement encore plus contraignant. Tous les aspects de la vie, les sentiments, la pensĂ©e, lâaction, la sexualitĂ© et mĂȘme la santĂ© sont codifiĂ©s. Le monde biblique est hyperstable, comme celui qui est proposĂ© par la plupart des sociĂ©tĂ©s archaĂŻques. Toute nouvelle information est exclue du systĂšme. Toute Ă©volution devient impossible.
Cut-Up
Comment sortir de cette grille immuable quâest le langage, ce rĂ©seau de connexions synaptiques qui nous masque la rĂ©alitĂ© aussi sĂ»rement que les barreaux dâune prison ? La premiĂšre possibilitĂ©, câest bien sĂ»r la culture du silence mental, telle quâelle est conseillĂ©e par les bouddhistes ; mais ce nâest pas une discipline facile, et dans la plupart des cas la recherche du silence devient discours du silence, et le tour est jouĂ© ; on croit avoir dĂ©passĂ© le mental, et en fait on est en plein dedans. Câest ce que Chogyam Trungpa appelle le « matĂ©rialisme spirituel ».
Lâautre possibilitĂ©, câest de rĂ©pandre lâanarchie dans cette organisation trop bien huilĂ©e. Deux armes sont pour ça frĂ©quemment utilisĂ©es : lâassociation dâidĂ©es, et la dissociation dâidĂ©es. La premiĂšre de ces techniques est bien connue en psychanalyse : il sâagit de connecter deux Ă©lĂ©ments jusquâici disjoints. Lâautre est aussi simple : il sâagit de disjoindre deux Ă©lĂ©ments qui Ă©taient jusque-lĂ associĂ©s. La grille, le langage, ne disparaĂźt pas purement et simplement, on travaille seulement dessus jusquâĂ ce que cela forme une nouvelle « grille », un nouveau langage, grĂące auquel nous pourrons entrâapercevoir un aspect inconnu de la rĂ©alitĂ©. Cette mĂ©thode est plus modeste, plus progressive et pour tout dire plus relativiste que celle du silence mental ; mais elle est aussi plus sĂ»re.
LâĂ©crivain William Burroughs a proposĂ© une mĂ©thode simple, le cut-up pour crĂ©er de nouvelles relations entre les mots et nous ouvrir Ă de nouveaux modes de perceptions : « Quand on coupe et rĂ©arrange des mots sur une page, des mots nouveaux font leur apparition. Et les mots changent de signification. Le mot ‘enrĂŽlĂ©’ , comme dans lâarmĂ©e, dĂ©placĂ© dans un contexte de maquettes ou de contrats, produit une signification altĂ©rĂ©e. Des mots nouveaux et des situations altĂ©rĂ©es sont implicites au processus de dĂ©coupage, et auraient pu ĂȘtre prĂ©vues. Dâautres rĂ©sultats nâĂ©taient pas attendus » (Burroughs, Essais).
« Quand on prolonge les expĂ©riences sur les cut-up pendant un certain temps, une partie des textes dĂ©coupĂ©s et rĂ©arrangĂ©s semble faire allusion Ă des Ă©vĂšnements futurs. En dĂ©coupant un article Ă©crit par John Paul Getty jâai obtenu : ‘Câest une mauvaise chose que de poursuivre son propre pĂšre en justice’ et un an plus tard, un de ses fils le poursuivit en justice. En 1964, jâai rĂ©alisĂ© un cut-up qui semblait totalement inexplicable Ă lâĂ©poque : ‘et voici une vilaine machine Ă air conditionnĂ©’ . En 1974, jâai dĂ©mĂ©nagĂ© dans un loft avec une machine Ă air conditionnĂ© Ă mon Ă©tage, qui avait Ă©tĂ© retirĂ©e pour ĂȘtre remplacĂ©e par une nouvelle. Et il y avait cent cinquante kilos de machine Ă air conditionnĂ© Ă mon Ă©tage. â Un vilain problĂšme de rebut, lourd et massif, a Ă©mergĂ© de mon cut-up Ă©crit dix ans auparavant » (Essais).
Les cut-up de Gysin et Burroughs sont plus quâune simple activitĂ© artistique ; oĂč plutĂŽt, il sâagit ici dâun art vĂ©ritable, de type bardique, susceptible dâouvrir de nouvelles dimensions Ă lâesprit humain, et mĂȘme, en reconstruisant de nouveaux modĂšles dâunivers, de modifier les structures classiques de lâespace-temps psychologique : de tels procĂ©dĂ©s rejoignent la pratique magique et nous mettent en face du miraculeux.
Les Techniques Kabbalistiques
« Rabbi Nehoumia ben Haquana dit : un verset dit (Job 37, 21), mais maintenant ils ne voyaient plus la lumiĂšre radieuse, elle brillait dans les chehakim (les nuĂ©es) » ; un autre verset (Ps. 28, 12) dit : « il fait de lâobscuritĂ© ce qui le cache » et ailleurs encore il est dit (Ps. 97, 2) « TĂ©nĂšbres et brume Ă©paisse lâentourent ». Il y a une contradiction. Vient un troisiĂšme verset (Ps. 139, 12) pour Ă©quilibrer les deux premiers : « mais lâobscuritĂ© nâest pas obscure devant toi, et la nuit Ă©claire comme le jour. ObscuritĂ© comme lumiĂšre ».
Ainsi sâouvre le Sefer Ha Bahir, lâun des plus anciens textes fondamentaux de la Kabbale juive (Ă©d. Verdier). La mĂ©thode utilisĂ©e saute aux yeux : expliquer un verset par un autre, qui ne se situe mĂȘme pas dans le mĂȘme livre, et qui ne traite pas du mĂȘme sujet nous rapproche Ă©videmment des techniques de Burroughs et Gysin.
Telle fut la solution trouvĂ©e par les kabbalistes pour Ă©chapper Ă la nĂ©vrose linguistique tout en poussant au maximum la connaissance quâils avaient du livre. Il Ă©tait normal que ce soit un peuple si complĂštement engagĂ© dans la nĂ©vrose livresque qui dĂ©couvre, finalement un tel type de solution intellectuelle au problĂšme du langage. De mĂȘme, il Ă©tait rĂ©servĂ© Ă ces « paysagistes du caractĂšre » que sont les Japonais, de dĂ©couvrir et surtout de dĂ©velopper lâusage du Koan, et la philosophie spontanĂ©iste du Zen. Mais ce type de manipulation employĂ© par la Kabbale est assez diffĂ©rent des procĂ©dĂ©s cut-up de Burroughs. Chez celui-ci, le hasard, lâalĂ©atoire domine ; la synchronicitĂ© apparaĂźt parfois, inattendue, et peut mĂȘme passer parfois inaperçue si lâon nâest pas assez attentif. Pour faire du cut-up une technique de dĂ©passement, il nous faut ritualiser celui-ci, en rendre le processus complĂštement signifiant. Une analogie avec la divination pourra Ă©claircir le problĂšme ; nous sommes nombreux Ă tirer le Yi King en cas de situation difficile, et Ă nous mettre Ă lâĂ©coute de ses avis. Mais qui pourrait qui pourrait jeter une piĂšce lâair en se disant : « pile, je fais ceci ; face, je fais cela » ? Personne ou presque. Il nây a pourtant aucune raison pour que la synchronicitĂ© intervienne dans un cas, et pas dans lâautre. Mais une des activitĂ©s est pleinement satisfaisante pour lâesprit. Chaque action, dans un tirage dâhexagramme, revĂȘt une signification. On y procĂšde avec autant de sĂ©rieux que pour rĂ©soudre un problĂšme mathĂ©matique. Ainsi est dĂ©finie l’hyperlogique : systĂšme de croyances dâune rigueur et dâune cohĂ©rence interne absolues, mĂȘme si cette rigueur et cette cohĂ©rence sont dĂ©finies par des postulats qui sont complĂštement Ă©trangers Ă notre raisonnement habituel. Il est absurde de calculer la valeur numĂ©rique dâun mot, de le mettre en relation avec un autre de mĂȘme valeur, et construire dessus un systĂšme philosophique cohĂ©rent. Câest nĂ©anmoins ainsi, parce que permis par un systĂšme dont les manipulations sont aussi strictes et rigoureuses que celles de la physique nuclĂ©aire, et ce mĂȘme si elles sont dĂ©pourvues de sens dans le cadre de notre grille linguistique habituelle.
Le cut-up burroughsien est en quelque sorte, une technique du cerveau droit : lâintuition et la synchronicitĂ© mĂšnent le jeu. La Kabbale engage le cerveau entier, en faisant travailler le cerveau gauche sur des postulats du cerveau droit. Câest pourquoi elle est une technique dâextase.
Ce nâest pas tout ; Abellio ne sâest pas contentĂ© de changer la valeur numĂ©rique des lettres. Ses manipulations sont aussi trĂšs diffĂ©rentes de celles de la Kabbale dite « classique » ; surtout, il utilise une technique particuliĂšre, celle du jeu de lâordinal et du cardinal (par exemple, mettre en relation les nombres 166, 616, 661, parce quâils sont 3 variations du mĂȘme triplet 1, 6, 6) ; or, cette technique nâest possible que si lâon utilise le systĂšme numĂ©ral arabe avec le 0. Le procĂ©dĂ© dâAbellio serait inapplicable Ă des chiffres romains, par exemple. Abellio travaille donc sur une hypercarte composĂ©e dâau moins trois grilles : le texte hĂ©breu, la valeur numĂ©rique des lettres et un systĂšme symbolique basĂ© sur le systĂšme arithmĂ©tique arabe. En fait, il utilise aussi le systĂšme binaire, ce qui porte les grilles au nombre de 4. La mĂ©thode de translation qui relie les grilles les unes aux autres est Ă©galement capitale ; il ne sâagit pas seulement de juxtaposer deux cartes du monde lâune sur lâautre ; il faut trouver un systĂšme qui les relie de maniĂšre signifiante. Une fois lâhypercarte convenablement utilisĂ©e et maĂźtrisĂ©e, on dĂ©couvre bien vite quâelle interprĂšte aussi efficacement les faits, sinon plus, que notre vision normale. Les synchronicitĂ©s se succĂšdent Ă une rapiditĂ© effrayante ; on est bien forcĂ© de se demander si finalement, la carte ne fait pas le territoire.
Ce que jâappelle lâhypermonde nâest en fait quâun nouveau terme pour dĂ©finir « lâunivers non objectif » de certains physiciens modernes. En fait, lâunivers est inexprimable ; ce que nous appelons des « faits » nâest quâune convention de lâesprit ; la façon dont nous voyons le monde fait le monde, au sens littĂ©ral du mot « faire ». Changer de vision nâest donc pas un simple exercice intellectuel ; câest un acte magique, et celui qui le rĂ©alise domine le monde.
Pour conclure, je tiens Ă ajouter quelques prĂ©cisions Ă propos de cette thĂ©orie des hypercartes. Je ne prĂ©tends pas clore une recherche, mais au contraire en ouvrir une. Nombreux sont les Ă©sotĂ©ristes qui, constatant la non-objectivitĂ© de leurs recherches, abandonnent alors toute tentative de recherche rationnelle et ne voient plus dans ces sciences quâune rĂ©alitĂ© poĂ©tique oĂč lâon peut tout dire. Sâil est vrai quâon peut obtenir un systĂšme cohĂ©rent Ă partir de la juxtaposition alĂ©atoire de deux systĂšmes, alors il nous faut rechercher par quelle mĂ©thode un systĂšme absurde en apparence se rĂ©vĂšle brusquement cohĂ©rent et mĂȘme donneur de sens. Les hypercartes dĂ©passent notre logique, câest vrai. Mais elles obĂ©issent aux hyperlois dâune hyperlogique quâil nous reste encore Ă dĂ©couvrir.
Plus sur le sujet. :
La Kabbale est-elle un Cut-Up ? Rabbie JĂ©rĂ©mie (le Hassid Lysergique). Texte publiĂ© Ă lâorigine sur le site dĂ©funt dâEsoWeb. In Memoriam !