Judas ou les Conditions de la Rédemption 3

V – Ce que tu fais, fais-le plus vite

Si comme nous l’enseigne Zacharie ce sont les grands prêtres qui fixent le prix de la « trahison », « Ce prix magnifique auquel j’ai été prisé par eux » et non l’Apôtre qui livre Son Sauveur pour quelques pièces d’argent. Il apparaît un mystère qui surprit déjà tous ceux qui voulurent honnêtement réfléchir sur le geste de l’Apôtre et sur les mobiles de cette action.

« Ce que tu fais, fais le plus vite » (Jean XIII, 27) déclare le Christ à Judas : il est un ordre sous-entendu par l’expression « encore plus vite », et Jésus qui envoie Judas dans la nuit avait déclaré quelques instants plus tôt : « En vérité, par vérité, je vous dis, celui qui recevra mon envoyé, c’est moi qu’il reçoit ; et qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé« . (Jean XIII, 20)

Un kabbaliste comme Carlo Suarès en son étude la Bible restituée (59) avait entrevu ce mystère examiné à l’occasion de chapitres aussi révélateurs que Pierre ou Jésus Refusé à l’occasion de l’examen de Matthieu XVI, 13-25 et Judas ou Jésus accepté à l’occasion de ses réflexions sur Jean XIII.

A propos du verset 20 que nous évoquons, Jean Grosjean en son édition du Nouveau Testament dans la Collection Bibliothèque de la Pléiade précise :

« La place de ce verset a gêné certains exégètes qui répugnaient à l’appliquer à Judas. C’est pourtant cette ambivalence des vérités les plus simples qui va causer le trouble de Jésus« . (60)

Ce trouble de Jésus, nous l’avons examiné. Il n’est pas l’expression d’une quelconque horreur de la part du Fils de l’Homme à l’égard de Judas, comme beaucoup aiment à l’imaginer. Si nous ne nous associons pas à la deuxième partie de la note de Jean Grosjean, du moins avec tous les exégètes honnêtes, il nous paraît évident que cette précision du Sauveur sur l’Envoyé désigne directement et immédiatement Judas.

Dans le cadre de travaux antérieurs notamment en notre étude sur le Prologue de Saint-Jean nous avons compris que l’Envoyé correspondait aux personnes qui n’étaient nées ni du mélange des sangs, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu.

Pour comprendre le mystère de cette parole du Christ qui désigne Judas comme étant Son Envoyé, il convient de revenir aux Ecritures et de réfléchir sur la réponse que Jésus fait aux disciples pour leur expliquer la parabole de l’ivraie dans le champ :

« Il leur répondit : celui qui sème la bonne semence c’est le Fils de l’Homme, le champ c’est le monde, la bonne semence ce sont les Fils du Règne, l’ivraie ce sont les Fils du mauvais, l’ennemi qui l’a semée, c’est le diable, la moisson c’est la fin des âges, et les moissonneurs sont les anges. Tout comme l’ivraie est récoltée et brûlée au Feu, ainsi en sera-t-il à la fin des âges ; le Fils de l’Homme enverra ses anges dans son règne et ils y récolteront tous les scandales et les faiseurs d’iniquité, et ils les jetteront au feu de la fournaise ; là où il y aura le sanglot et le grincement de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil, dans le règne de leur père. Entende qui a des oreilles ! » (Matthieu XIII, 37-44)

Par cette explication nous revenons d’une part à l’histoire de la création et ses cinq âges, d’autre part à la récapitulation des ruptures des Alliances en l’Apôtre, que nous évoquions ; en ce fait que le Fils de l’Homme envoie son ange dans son règne récolter tous les scandales : « Ce que tu fais, fais le plus vite » déclare Jésus à Judas. Les apôtres sont des envoyés en ce fait qu’il est écrit : « En vérité, en vérité je vous dis, le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’apôtre plus grand que celui qui l’a envoyé« . (Jean XIII, 16)

Judas ou les Conditions de la Rédemption 3
Judas recevant les 30 pièces d’or. Plafond de l’église Atotonilco, XVIIIe s., Guanajuato, Mexico.

La révélation biblique nous montre que les anges sont des messagers, envoyés pour accomplir une mission qui peut être éventuellement destructrice ; à l’égard de Sodome ils déclarent « C’est que la clameur à son sujet est grande devant Iahvé et Iahvé nous a envoyé pour la détruire« . (Genèse XIX, 13) De même que par exemple il est dit : « Iahvé envoya un ange qui extermina tous les guerriers valeureux, les princes et les chefs dans le camp du roi Assur« . (II Chroniques XXXII, 21)

De la sorte le refus de Dieu par les habitants de Sodome est annihilé ; et les habitants de Jérusalem furent sauvés : il apparaît que ces destructions engendrent une purification et un salut.

Il convient en outre de réfléchir sur cette parole de Monsieur Philippe :

« Les apôtres étaient d’anciens prophètes, mais ils ne le savaient pas. Judas était le plus avancé des apôtres ; il est tombé par orgueil. Son crime n’est pas encore pardonné« . (61)

Nous venons de percevoir que la fonction d’Envoyé peut s’inscrire dans un principe de destruction, et si Judas est tombé par orgueil, c’est parce qu’il résumait dans son incarnation, l’orgueil de toute l’humanité depuis sa création. Si la destruction accomplit et l’annihilation du péché, et le salut d’une ville comme Jérusalem, symbole de toutes les races, on doit entendre ce fait comme une condition fondamentale de la Rédemption. Ainsi, la « chute » de l’Apôtre incarne l’abolition du péché du fait qu’en le concentrant sur lui, il sera purifié par la mort et la résurrection de Jésus qui déclare en conséquence : « Maintenant le Fils de l’Homme a été glorifié et dieu a été glorifié en lui« . (Jean XIII, 31)

Si le péché de Judas n’est pas encore pardonné, cela signifie en premier lieu que sur l’Apôtre il n’est pas amené – contrairement à ce que certains voudraient s’imaginer – une condamnation éternelle, bien au contraire ; en second lieu il est manifeste que l’humanité se trouve encore sous l’état du péché parce qu’elle n’est pas encore revenue à Dieu et se trouve toujours provisoirement séparée de Son Créateur, et cela par orgueil : Judas a accepté de représenter la synthèse de ce que chaque humain qui n’est pas déjà un réintégré se trouve être ; et ce pardon universel et personnel, tout à la fois, nous sera offert à l’occasion du Jugement Dernier, dernier parce que ce jugement proclamera définitivement notre salut déjà acquis et dont nous ne possédons provisoirement que l’espérance comme le déclare l’Apôtre aux Romains VIII, 24 : « De fait c’est en espérance que nous sommes sauvés« .

Comme Monsieur Philippe avait déclaré que Judas n’était pas pardonné, de la même façon, le Christ avait déclaré à Soeur Josépha Menéndez :

« Ah ! Judas ! Pourquoi ne viens-tu pas te jeter à mes pieds, afin que je te pardonne aussi ?… Si tu oses t’approcher de Moi, par crainte de ceux qui m’entourent avec tant de fureur, du moins, regarde Moi !… et tu rencontreras aussitôt mes yeux, qui sont fixés sur toi« . (62)

S’il est vrai que Marie-Madeleine ainsi que le bon larron furent immédiatement pardonnés, c’est parce qu’ils avaient beaucoup aimé et que l’amour qui les vivifiait les fit s’humilier. Or, nous avons vu que contrairement au témoignage de l’évangéliste, Judas ne s’était pas repenti et donc humilié : il ne pouvait avoir accès à cet état, car cela signifierait que cette humanité, qu’il actualise et représente, connaîtrait déjà le repentir. Cette mystérieuse relation est à restituer dans un cadre semblable à celui que Péladan désigne sous le nom de Satan et dont Ha Satan déclare qu’il est « puni jusqu’à dépendre de l’imagination humaine« . (63)

De la même façon qu’un kabbaliste comme Carlo Suarès dresse un parallèle entre les couples Jésus-Judas et Jacob-Esaü ; il est un autre couple, au niveau des disciples du Christ qu’il convient d’unir ce sont Judas et Paul qui vivront pleinement la fonction qui est la leur et que nous appelons chacun : l’Apôtre. Il est un autre couple fondamental qu’il convient de considérer ce sont les deux fils de la parabole de l’enfant prodigue, dont l’un est Judas avec ce qu’il représente et l’autre, l’aîné, le juste avec ce qu’il sous-tend.

Il faudrait méditer chaque verset de cette parabole que rappelle Luc XV, 11-32. Quand Judas et l’humanité auront dépensé tout leur bien qui sont les grâces de l’individualité et de la liberté, surviendra un temps où l’humanité comme l’Apôtre, conjointement, rentreront en eux-mêmes, et prenant conscience qu’ils ne peuvent vivre par leurs propres forces, retourneront alors vers le Père avec une humilité proportionnelle à l’étendue de leur orgueil, et ils demanderont alors la dernière place dans le Royaume.

Si le Fils aîné s’est mis en colère contre son Frère cadet, en ce que leur Père commun à l’occasion de ce retour a offert des réjouissances qui ne lui avaient jamais été octroyées, on peut pressentir que des justes, c’est à dire des aînés entrés antérieurement à Judas dans le Royaume, se plaindront de la miséricorde divine ! Dans ce sens le témoignage de Soeur Josépha Menendez est grave, car il témoigne de la peur que peut ressentir devant le jugement du Père qu’ils savent par avance miséricordieux car Dieu est Amour.

Cette pensée de l’indignité n’est pas un acte d’humilité, car en se retranchant et se jugeant indigne, l’Apôtre maintient son individualité et sa prétention à juger et à choisir son devenir par le secours de ses propres forces, de sa seule conscience, et là réside – en ce lieu seulement -, l’orgueil de l’Apôtre.

« Ce que tu fais, fais le plus vite » déclare le Christ à Judas de telle sorte que cette humanité qu’il actualise revienne plus vite à Dieu car il est écrit : « Faites-vous des amis chez le Mamon d’injustice pour que, quand il vous lâchera, on vous accueille dans les abris éternels« . (Luc XVI, 9)

Là réside un mystère de l’économie divine car s’il est écrit encore : « Si donc dans l’injuste Mamon vous n’avez pas été fidèles, qui est-ce qui vous confiera les vraies valeurs ? » (Luc XVI, 11) : par ces points, nous revenons à la ténèbre comme lieu conditionnel d’accueil de la Lumière, aperçu dans le cadre de notre étude sur le Prologue de Saint-Jean, ainsi qu’au mystère de la conversion qui passe par celui du repentir, et que nous avons examiné dans le cadre de notre étude sur Consolamentum, Réincarnation et évolution spirituelle dans la Catharisme et le Christianisme originel.

Si comme l’enseigne Isaïe IX, 1 : « Ceux qui habitent le pays de l’ombre, sur eux une lumière a brillé » peut s’entendre selon le témoignage des Pères, de l’étoile des Mages, c’est parce que ; pour paraphraser Isaïe en ce même verset ; le peuple marche dans les ténèbres, qu’il a vu une grande lumière : il faut avoir eu connaissance du pays de l’ombre pour trouver les puissances nécessaires qui permettront de s’en extraire pour s’en aller vers la Lumière ; car si de même il est écrit « nul n’est monté du ciel sinon celui qui du ciel est descendu« . (Jean III, 13), nul ne peut remonter vers le ciel s’il n’a pas pleinement connu la ténèbre.

Alors que le Christ avant sa Résurrection, afin de vaincre la mort et rompre les chaînes du diable a visité « les enfers », il convenait que l’Apôtre connaisse une mort exceptionnelle pour parachever sa mission.

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