Rien : Un essai

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Rien : Un essai par Frater Achad.

Rien ! Combien en ont saisi l’idĂ©e, ou plus correctement l’essence de l’idĂ©e, que ce mot porte en lui et avec audace, stoĂŻquement, l’ont contemplĂ©, s’efforçant d’obtenir la comprĂ©hension de la rĂ©elle signification qu’il contient ? Combien, l’ayant fait, sont entrĂ©s plus avant et ont rĂ©alisĂ© qu’ils avaient le droit de la faire, que c’était tout ce qu’ils avaient le droit de faire – et en ont Ă©tĂ© satisfaits ? L’homme se satisfait de rien ; mais il y a deux maniĂšres d’analyser cette affirmation. Il y en aura qui, s’étant eux-mĂȘmes attachĂ©s Ă  l’idĂ©e qu’ils ont quelque chose, seront satisfaits de RIEN mais ils devraient en vouloir plus. D’autres encore ne dĂ©sirant « rien » donneront tout ce qu’ils ont pour l’obtenir. Tous ceux-lĂ  ont un but, tous s’efforcent de l’atteindre, et Ă©chouent, Ă  moins que, jusqu’à un certain point, fatiguĂ©s par l’effort, « l’absence de but » n’invite le combattant errant, et qu’ainsi il « accĂšde Ă  l’existence » ? Examinons maintenant d’un peu plus prĂšs ces chemins qui mĂšnent Ă  la non-flĂ©trissure, et que nous suivons journellement dĂ©jĂ  si ardemment et avec peine . Examinons-les, nos frĂšres, qui s’efforcent toujours d’obtenir plus – plus d’argent, plus de cĂ©lĂ©britĂ©, plus d’amour, plus de bonheur, plus de connaissance, plus d’érudition, plus de vie et plus de pouvoir afin de jouir de tout cela. Quelle perspective sans fin est ouverte ? Et la satisfaction ? la Paix ? OĂč trouvent-elles leur place ? Ceux qui arpentent un seul, ou tous ces chemins ont donnĂ© beaucoup de questions, mais peu de considĂ©rations. Ils n’osent pas se demander Ă  eux-mĂȘmes ces questions, et mĂȘme s’ils trouvaient le courage de la faire, quelle en serait la rĂ©ponse ?

Ils ne seront jamais en paix ou contentĂ©s jusqu’à ce qu’ils aient TOUT. S’ils ratent cela, il ne peut y avoir de repos, aucune paix ; et cependant, telle est la force du dĂ©sir qui les tient, les Ă©treint et les saisit…

Maintenant, supposez pour un instant que TOUT puisse ĂȘtre obtenu, que restera-t-il Ă  prendre ? RIEN !

Qui peut concevoir un plus grand enfer que cela, que s’étant saisi de TOUT, ils cherchent encore plus, avec alors, un dĂ©sir infini et cependant absolument aucun moyen de le satisfaire ? Et pourtant c’est la fin logique d’un tel cheminement, et il y en aura beaucoup qui l’arpenteront.

Tournons-nous maintenant dans une autre direction. Disons que nous ferons de ce RIEN, ou fin du dĂ©sir, notre But, et que nous nous efforcerons de faire un raccourci dans notre cheminement par ce moyen. À partir du moment oĂč nous tournerons notre attention vers cette ligne de pensĂ©e et dĂ©ciderons que la « paix et la satisfaction » rĂ©sident sur le chemin de donner, ou de se dĂ©barrasser, de tout ce que nous avons jusqu’à ce que RIEN ne subsiste, nous ferons face Ă  un autre problĂšme tout aussi difficile que le premier, bien que peut-ĂȘtre ce chemin apparaisse un peu plus direct et donc plus court.

Quand on a dĂ©cidĂ© que l’on ne veut rien, on commence Ă  rĂ©aliser le grand nombre de choses dont on doit se dĂ©barrasser avant de l’obtenir.

Il commence Ă  rĂ©flĂ©chir sĂ©rieusement, s’il ne l’a jamais fait auparavant. Et une fois qu’il aura pensĂ© pendant un certain temps, il commencera Ă  se consoler du fait qu’il n’est pas nĂ©cessaire qu’il prenne trop de temps Ă  disposer de ses possessions terrestres, car elles ne semblent plus faire partie de son monde, et la meilleure maniĂšre de s’en dĂ©barrasser est simplement de les oublier – plutĂŽt que d’en disposer d’une autre maniĂšre.

MĂȘme s’il devait disposer de ses possessions terrestres cela ne ferait pas une grande diffĂ©rence, car il rĂ©alise, Ă  ce moment-lĂ , mĂȘme s’il devait cesser de les dĂ©sirer, et cependant garder son esprit braquĂ© sur elles, elles continueraient Ă  venir Ă  lui.

Il dĂ©cide donc de garder son esprit loin de ces choses autant que cela soit possible. Afin de faire cela, supposons qu’il soit maintenant assis et qu’il essaye d’oublier ces choses matĂ©rielles. Quel est le rĂ©sultat ? Il Ă©choue probablement de prime abord, mais il continuera d’essayer, car Ă  ce moment-lĂ  il sera devenu un homme vraiment positif et dĂ©terminĂ©.

Une chose qu’il commence Ă  rĂ©aliser, aprĂšs un moment, est que moins il se rappelle de ces choses, plus il lutte pour les Ă©liminer, et cela lui donne quelque espoir de finalement se dĂ©barrasser d’elles par lui-mĂȘme.

À ce moment, cependant, il commence Ă  prendre conscience de quelque chose de plus fort, c’est-Ă -dire qu’il a toujours un corps, et que ce corps devient dĂ©cidĂ©ment inconfortable au vu de la nĂ©cessitĂ© de le garder immobile pendant qu’il mĂ©dite sur ces problĂšmes. Il rĂ©alise, en fait, que ce corps est un objet qui demande des soins sĂ©rieux, qu’il le veuille ou non.

Comment contournera-t-il cette difficulté ?

Le Suicide ?

Ceci amĂšne la possibilitĂ© de quelque chose qui continuerait aprĂšs la mort physique, quelque chose qui peut ou non rendre l’atteinte du but plus facile.

Bien sĂ»r la mort du corps physique met fin Ă  tout, le suicide est le chemin possible le plus court de se dĂ©barrasser de tout, et ainsi d’atteindre immĂ©diatement son but. Mais, supposez que quelque chose subsiste, que se passe-t-il alors ?

De toute maniĂšre, pense-t-il, ce serait mieux d’attendre un moment et de mettre Ă  la poubelle toute cette matiĂšre avant de se dĂ©cider.

Pendant ce temps, le corps demandant des soins, cela devient rĂ©ellement inconfortable et le corps refuse de rester dans cette position plus longtemps. Donc, il est obligĂ© d’abandonner, et de prendre du repos dans l’action pendant un instant.

Cette courte mĂ©ditation lui a montrĂ© qu’il doit attendre un peu et qu’aprĂšs tout le But n’est pas si proche ou si facilement atteignable comme il le semblait de prime abord.

À ce moment, peut-ĂȘtre, essaye-t-il d’abandonner par dĂ©sespoir, pour rĂ©aliser tĂŽt ou tard que c’était juste ce qu’il avait dĂ©cidĂ© de faire et qu’il n’est nul besoin d’ajouter « du dĂ©sespoir » Ă  la tĂąche, puisqu’il s’agit d’un nouvel Ă©lĂ©ment dont on doit se dĂ©barrasser plus tard.

À ce point, certains deviennent fous et par consĂ©quent diffĂšrent la vĂ©ritable bataille pour plus tard, ou pour une autre vie. Mais en supposant que ce n’est pas le cas de notre hĂ©ros, quid alors ?

Graduellement, il prend contrĂŽle de son corps, car il rĂ©alise maintenant clairement qu’il doit faire de mĂȘme avec son corps que ce qu’il a fait avec les autres possessions terrestres, c’est-Ă -dire l’oublier. De prime abord, ceci n’est pas une tĂąche facile, mais lentement et sĂ»rement, ayant disposĂ© son corps dans une position dans laquelle il peut rester longtemps sans inconfort ou ennui pour chaque organe, il le maĂźtrise, jusqu’à ce qu’il rĂ©ponde promptement Ă  ses commandements et reste ferme et droit.

Il oublie son corps.

Est-il arrivé à présent au RIEN ? A-t-il TOUT abandonné ?

Pas encore.

Il a, il est vrai, abandonnĂ© le dĂ©sir pour tout objet extĂ©rieur, mais ils n’en ont pas fini avec lui pour autant. Alors qu’il s’assied tranquillement tous les petits bruits de l’extĂ©rieur vibrent en lui, qu’il le dĂ©sire ou non, et avec chaque son vient le souvenir de ce que le son signifie pour lui dans le monde extĂ©rieur.

La sirĂšne d’un camion de pompiers, par exemple, fait naĂźtre dans son esprit l’image ou le souvenir du feu qu’il a connu ou qu’il a regardĂ©, ou encore, il se prend Ă  suivre en pensĂ©es la camion roulant dans les rues – le son diminuant, diminuant et disparaissant, mais lui laissant, par l’imagination, les Ă©chelles, le sauvetage de personnes en danger de mort, la vision de la foule regardant les flammes, jusqu’à ce qu’il rĂ©alise d’un coup qu’il crĂ©e des images mentales et que celles-ci emplissent sont esprit, les unes aprĂšs les autres, et que ce but de NEANT, est aussi loin que jamais.

Il se souvient peut-ĂȘtre de Descartes « Je pense donc je suis », mais, s’il est assez fort, il dira « J’arrĂȘterai de penser et je NE suis PAS. »

Fort et sĂ»r de lui, il entreprend ce nouveau et dĂ©licat processus de soumettre les transformations des principes de la pensĂ©e. PremiĂšrement, il se dĂ©barrasse lui-mĂȘme des bruits de l’extĂ©rieur, et naissent alors les souvenirs d’évĂ©nements qui se sont dĂ©roulĂ©s durant la journĂ©e, mais, les ayant vaincus, ces souvenirs anciens et oubliĂ©s peuplant son esprit. Sans fin semble la tĂąche. Alors, d’étranges et dĂ©cousues phrases et mots envahissent le calme grandissant, semblant venir de nulle part, mais distrayant l’attention, et avant que ceux-ci ne soient saisis, il est emportĂ© par les ailes de grandes Ă©motions qui prennent graduellement des formes de plus en plus abstraites, mais qui doivent nĂ©anmoins ĂȘtre supprimĂ©es.

Au besoin, suivons cette Ăąme torturĂ©e au travers de toutes ces expĂ©riences qui le poursuivent sans rĂ©pit – le noir abysse du NEANT Need we follow this tortured soul through all the experiences that pursue him relentlessly – enough that the black abyss of NOTHINGNESS glooms ahead, and with it FEAR takes possession of his being and for the first time he realizes, really realizes, the nature of the task he has set out to perform.

Le danger de la folie ou de l’obsession est, Ă  ce point, trĂšs grandement accru, et n’est dĂ©passĂ© que lorsqu’il a surmontĂ© la Peur de la Peur elle-mĂȘme.

S’il se lance vers ce but qu’il s’est fixĂ© avant que cette Peur ne soit dĂ©finitivement vaincue, il est perdu et son enfer sera probablement aussi horrible que celui que nous avons dĂ©crit au dĂ©but de cet essai. Ce serait vivre dans le brouillard, l’inconnu, le nĂ©ant, hantĂ© par la peur ou par ce nĂ©ant inconnu lui-mĂȘme. Ne nous Ă©tendons pas sur cela, c’est un concept trop effrayant pour ĂȘtre contemplĂ© maintenant…

Mais, s’il n’échoue pas ?

Ayant vaincu sa peur du NEANT, il réalise cela, non comme un But, mais comme une ABSENCE DE BUT.

Soudain, il rĂ©alise qu’il EST et que le but n’a jamais existĂ© ni en-dehors ni Ă  l’intĂ©rieur de « lui-mĂȘme ». L’Existence est alors connue pour n’ĂȘtre que la seule RĂ©alitĂ©.

À la fin, il atteint Ă  la ComprĂ©hension. Il se voit lui-mĂȘme comme se regardant dans un miroir. Alors naĂźt l’état correct de la paix de l’esprit… et l’étape finale doit ĂȘtre un questionnement : « Le miroir disparaĂźt, et avec lui le reflet, l’illusion de Mara ou Maya. Il est la RĂ©alitĂ©, Il est la VĂ©ritĂ©, Il est Atman, Il est Dieu. Alors la RĂ©alitĂ© disparaĂźt, la VĂ©ritĂ© disparaĂźt, Atam disparaĂźt. Il est le passĂ©, Il est le prĂ©sent, Il est le futur. Il est ici, Il est lĂ , Il est partout, Il est nulle part. Il n’est Rien. Il est bĂ©ni, il a atteint la Grande LibĂ©ration. Il EST, Il N’EST PAS, Il est un avec Nibbana. Amen »

Plus sur le sujet :

Rien : Un essai par Frater Achad, traduction française, Spartakus FreeMann, Ile de la Tortue, août 2002 e.v.

Illustration par Gerd Altmann de Pixabay

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