Les enseignements secrets de MartinĂšs de Pasquallis par Franz von Baader.
Vous me demandez, honorĂ© ami, de vous communiquer quelque chose touchant les enseignements de MartinĂšz Pasqualis, auxquels vous vous ĂȘtes intĂ©ressĂ© Ă travers les Ă©crits de deux de ses disciples, feu Saint-Martin et lâabbĂ© FourniĂ© [1] qui vit encore Ă Londres ; je vais donc, selon mes forces et autant quâil mâest permis, accĂ©der Ă votre dĂ©sir.
Si, en tout temps, il y eut et il y aura des hommes qui, en tant que reprĂ©sentateurs du futur, tels les prophĂštes, nous ont montrĂ© que le futur est dĂ©jĂ lĂ , il doit Ă©galement y en avoir eu en tout temps dâautres qui, en tant que reprĂ©sentateurs du passĂ©, nous montrent, par le souvenir, que le passĂ© est encore lĂ [2] et un tel reprĂ©sentateur du passĂ© (du JudaĂŻsme) est assurĂ©ment Pasqualis qui, Ă la fois juif et chrĂ©tien, – il confessait la religion catholique romaine, – a fait revivre pour nous lâancienne Alliance, non seulement dans ses formes, mais encore avec ses pouvoirs magiques. Et si lâon peut avec raison considĂ©rer cette nouvelle Ă©poque, Ă laquelle vivait Pasqualis, comme le commencement dâune Ă©clipse gĂ©nĂ©rale, dâun affaiblissement de la lumiĂšre du Christianisme, on ne doit pas sâĂ©tonner de voir, durant cet obscurcissement de lâunique soleil, survenu par notre faute, rĂ©apparaĂźtre certains astres qui, pour parler le langage de Saint-Martin, se montrent comme des revenants, simplement parce quâils sont non allant. Si donc le Christianisme, dans la force de sa prime manifestation, a rendu muette la magie du Paganisme et du JudaĂŻsme, la rĂ©apparition de cette magie, mĂȘme si elle ne sâest fait que peu remarquer, ne peut ĂȘtre attribuĂ©e quâĂ lâaffaiblissement du Christianisme, et ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme le rĂ©actif nĂ©cessaire Ă une nouvelle et plus puissante manifestation.
En effet, le JudaĂŻsme est au Christianisme ce que ce dernier est Ă un troisiĂšme terme supĂ©rieur, dans lequel chacun des deux doit ĂȘtre transfigurĂ©. Si lâon interprĂšte, la parole de S. Paul : « Par, avec et en Dieu » dans son vĂ©ritable sens, alors, comme il est vrai que la parfaite habitation de lâEsprit divin dans lâhomme-esprit est le but et le sabbath, il devient Ă©vident que ce troisiĂšme moment a dans les deux antĂ©cĂ©dents, – per-habitation et cohabitation, – Ă la fois ses prĂ©dĂ©cesseurs et ses coopĂ©rateurs, dont la prĂ©sence dans le temps, ainsi que la disparition, sont purement phĂ©nomĂ©nales. [3]
Dans cette premiĂšre Ăšre, rĂ©gime du PĂšre ou premier degrĂ© dâApprenti de lâhomme-esprit, lâAbsolu se tient encore comme Seigneur absolu, supĂ©rieur seulement Ă lâUnique, habitant seulement par celui-ci, – « il dĂ©place les montagnes et ils ne savent pas », [4] – tandis que, dans la seconde Ăšre, rĂ©gime du Fils ou degrĂ© de Compagnon, le Premier, Sâunifiant en lui et Se dĂ©pouillant de lâUnitĂ© de Sa Gloire dans la figure de ce Serviteur, [5] descend vers le particulier, â lâAigle qui, auprĂšs du ProphĂšte, volette pendant un temps sur la terre devant ses petits, – se rendant pareil Ăą lui, câest-Ă -dire demeurant auprĂšs de lui ou avec lui, jusquâĂ ce que et pour quâenfin, Ă la derniĂšre Ăšre, rĂ©gime de lâesprit ou degrĂ© de MaĂźtre, lâUniversel, soulevant [6] lâUnique en soi, habite en mĂȘme temps par lui, auprĂšs de Lui et en Lui. Mais Ă lâorgueil des Ă©migrants de lâhomme-esprit, ce discours semble dur, et ils se tournent alors plus volontiers vers ceux qui leur offrent ce grade de Martre Ă meilleur compte, câest-Ă -dire sans quâils aient besoin de passer par le travail de lâApprenti et lâĂ©cole du Compagnon, et qui leur promettent par consĂ©quent, non seulement de les faire parvenir Ă la comprĂ©hension du Christianisme sans avoir besoin de comprendre le JudaĂŻsme, mais qui se font forts de les rendre complets (sapiens, illuminĂ©s), par une voie plus facile quâen passant par le JudaĂŻsme et le Christianisme. Or Ă de tels Sages ignorants on pourrait dire avec raison :
Si tu dĂ©ifies seulement lâintelligence et la science, Pouvoirs suprĂȘmes du moi hautain, Tu tâes dĂ©jĂ donnĂ© au diable, Et avec lui tu pĂ©riras.
Un des principes de Pasqualis est que chaque homme est nĂ© prophĂšte et, par consĂ©quent, obligĂ© de cultiver en lui ce don de vision, culture Ă laquelle devait prĂ©cisĂ©ment servir lâĂ©cole de ce maĂźtre. Dans ce mĂȘme sens et dans un sens encore plus hardi, son disciple appelait chaque homme un Christ-nĂ©, câest-Ă -dire Christ et non ChrĂ©tien. Ă notre Ă©poque, ce « rĂ©chauffĂ© de notions vieux-testament » doit paraĂźtre Ă beaucoup de gens dĂ©pourvu de saveur. Lâauteur [7] de la PhĂ©nomĂ©nologie de lâEsprit nâappelle-t-il pas mĂȘme â ironiquement – « le don de prophĂ©tie » le « don dâexprimer les choses saintes et Ă©ternelles dâune maniĂšre inintelligible ». Bon mot, il est vrai, mais qui rĂ©fute aussi peu la vĂ©ritable interprĂ©tation des choses sacrĂ©es de cette façon, quâil ne donne une explication sensĂ©e de ce phĂ©nomĂšne. Semblablement nous voyons nombre de nos magnĂ©tiseurs considĂ©rer leurs voyants comme des ventriloques stupides, quand ils racontent avec le ventre, comme ils se lâimaginent, des choses trop hautes et trop subtiles pour leur intellect de magnĂ©tiseurs. [8] A mon avis, il est Ă©galement mauvais de faire lâapothĂ©ose de ces manifestations spirites, de dĂ©cider dans le trouble, de suivre tout ignis fatuus, comme une clartĂ© Ă©ternelle, et de ne prendre aucune lumiĂšre pour la lumiĂšre qui nâest point froide, qui ne laisse pas de froid et qui ne donne pas froid, est-il donc si difficile de discerner, Ă travers la lueur phosphorescente de cette trouble manifestation spirituelle, les tĂ©nĂšbres radicales intĂ©rieures, comme aussi, Ă travers cette ardeur passionnĂ©e extĂ©rieure, lâinterne froid de la mort, impression hivernale de MĂ©phistophĂ©lĂšs dans le rayonnement dâun soleil dâĂ©tĂ© ? On ne doit pas, dit Claudius, cesser de respecter le vrai roi sous prĂ©texte quâil y a aussi les rois de pique et de cĆur ; et tu nâes mĂȘme pas capable dâĂŽter le pouvoir de te pĂ©nĂ©trer Ă ce Dieu qui inhabite ou cohabite en toi, non parce que tu lâas fait descendre vers toi, ni parce que tu tâes haussĂ© ou enflĂ© jusquâĂ Lui, mais parce quâIl est librement descendu vers toi. [9]
Un des principaux enseignements de Pasqualis est celui-ci : « Lâhomme a Ă remplir, dans la rĂ©gion spirituelle, la mĂȘme fonction corporisatrice, produisant la troisiĂšme dimension, que la terre dans la rĂ©gion matĂ©rielle, et en ceci on peut trouver la clĂ© du secret de son mĂ©lange, de sa complexitĂ© et de lâunion indissoluble qui en rĂ©sulte avec la Terre principe ». Jâai exposĂ© ces donnĂ©es dans mes Principes des Enseignements fondamentaux de la Vie, et, derniĂšrement encore, jâai dĂ©montrĂ© aux initiĂ©s la corrĂ©lation du vieil adage chimique : Vis ejus integra, si conversus fuerit in terram – et du dogme christiano- thĂ©ologique : Vis jus integra, si conversus fuerit in hominem. Pasqualis fait prĂ©cĂ©der la fonction mĂ©diatrice terrestre de lâhomme de deux autres actions Ă©lĂ©mento spirituelles, celle du Feu et celle de lâEau, et il base lĂ - dessus, comme nous le verrons dans la suite, sa thĂ©orie et sa pratique thĂ©urgiques [10], mais oĂč il faut encore remarquer que, de mĂȘme que son disciple Saint-Martin, il attribue Ă lâĂ©lĂ©ment Air une fonction relativement supĂ©rieure dans toutes les rĂ©gions, nâentrant jamais comme Ă©lĂ©ment constitutif dans la formation ; et ainsi nous verrons dans la suite comment Pasqualis ramĂšne ce ternaire du Feu, de lâEau et de la Terre, le premier Ă©tant le principe et la fin de lâĂ©lĂ©ment, le second le principe de la matiĂšre ou corporisation, et le troisiĂšme celui de la forme ou corporisation achevĂ©e, au ternaire du nombre ou action primordiale, de la mesure ou rĂ©action, et du poids de lâĂ©nergie accomplissant et achevant lâaction. [11]
Si dâailleurs Pasqualis, aussi bien dans la thĂ©orie que dans la pratique, sâattache fortement Ă ce principe, savoir : « Aucune opĂ©ration physique ne se produit sans une action spirituelle correspondante », on aurait pourtant tort de penser que sa physique se rĂ©duit aux spectres et aux esprits. Mais, par contre, il se montre tout Ă fait exempt de cette superstition ou croyance moderne en lâabstrait intelligible et en ce misĂ©rable « spectre » dâune nature absolument dĂ©pourvue dâesprit, de cette croyance en la matiĂšre, intelligence limitĂ©e, dont on voudrait couvrir la pauvretĂ© de cĆur avec une feuille de figuier. Il est du reste utile de remarquer combien lâĂ©tude approfondie et la culture plus soigneuse de la matiĂšre en elle-mĂȘme a affaibli Ă notre Ă©poque la superstition ou croyance en cette mĂȘme matiĂšre. Par exemple, Kant a dĂ©jĂ rouvert la porte Ă ces anciens esprits de la nature, connus des alchimistes, en introduisant de nouveau dans la physique lâidĂ©e de la pĂ©nĂ©tration dynamique, idĂ©e qui paraĂźt irrationnelle, il est vrai, dans cette physique mĂ©canique, Ă ce que disent les mathĂ©maticiens ; et mĂȘme nos matĂ©rialistes, qui craignent les esprits, ne font-ils pas une distinction assez tranchante entre les corps spĂ©cialement pondĂ©rables, isolables et saisissables, et les substances impondĂ©rables, non isolables et insaisissables qui, par consĂ©quent et suivant lâopinion gĂ©nĂ©rale, sont des agents immatĂ©riels. Lâaffadissement et lâaffaiblissement continu des soi-disant jouissances des sens, comme aussi la spiritualisation continue de nos maladies corporelles, prouvent que le culte mĂȘme de la matiĂšre la dĂ©matĂ©rialise de plus en plus. Mais si dĂ©jĂ nul fait physique nâest explicable par la communication rĂ©ciproque des corps individuels accomplis, câest-Ă -dire atomiques, on peut sâattendre Ă ce quâil en soit de mĂȘme pour chaque fait psychique et que le contact mutuel des personnes ou des esprits individualisĂ©s ou paraissant tels, ou le contact avec des infĂ©rieurs est insuffisant. Il en rĂ©sulte quâici aussi les « fluides », câest-Ă -dire les .agents qui ne se manifestent pas dâune maniĂšre individuelle [12] sont nĂ©cessaires ; et cette idĂ©e de pĂ©nĂ©tration trouve ici aussi son emploi. En effet, on a vu rĂ©cemment des psychologues faire une juste distinction entre des esprits ou personnalitĂ©s non individuelles, et dâautres entiĂšrement individualisĂ©es, par consĂ©quent entre lâidĂ©e de personnalitĂ© et celle dâindividualitĂ© ; mais ils firent cependant la faute de dĂ©clarer possible une sĂ©paration absolue, partant, une extinction, comme si lâesprit pouvait jamais se dĂ©tacher de la nature ou celle-ci de lâesprit, et, comme si ce qui nous paraĂźt une telle sĂ©paration nâĂ©tait pas simplement un changement dâindividualitĂ© conservant la mĂȘme personnalitĂ© distincte. [13] Dans la mort naturelle, par exemple, et dans tous les Ă©tats analogues, auxquels appartient lâextase magnĂ©tique, ce nâest plus seulement lâindividu particulier extrait de lâindividualitĂ© de la nature universelle, câest-Ă - dire agissant proprement et rĂ©ellement, mais cette mĂȘme individualitĂ© de la nature universelle qui est le fondement de la personnalitĂ© ; et la personnalitĂ© sĂ©parĂ©e, pour parler le langage de Pasqualis, entre immĂ©diatement en rapport avec la Terre-principe. Or, cette suspension de lâindividualitĂ© de la nature dans lâuniversel nâest pas un Ă©tat stable, mais sert Ă la transformation dont parle Saint Paul ; et il serait aussi faux de ne pas croire au retour particulier de lâindividu hors de la nature universelle, câest-Ă -dire Ă la rĂ©surrection du corps, quâil serait faux de croire Ă une simple rĂ©pĂ©tition du premier Ă©tat de cette sortie. Exprimons-nous avec plus de prĂ©cision : on peut se figurer, dans cette seconde sortie, la personnalitĂ© distincte indĂ©pendante de la nature, mais non sans nature, indĂ©pendante du temps et de lâespace, mais non dĂ©pourvue de temps et dâespace ; et celui qui veut nous donner une thĂ©orie complĂšte du temps et de lâespace, devra dĂ©montrer le rapport de la personnalitĂ© avec la nature, ainsi quâavec le temps et lâespace, avant pendant et aprĂšs sa rĂ©intĂ©gration dans cette nature universelle, de mĂȘme que son dernier rapport dans lâĂ©tat de bĂ©atitude ou de damnation. On peut raisonnablement considĂ©rer une thĂ©orie du temps et de lâespace comme le problĂšme dont la solution est demandĂ©e Ă la philosophie allemande, et quâelle doit rĂ©soudre. [14]
Si, du reste, celui qui, reconnaissant la nature de lâesprit comme distincte de lâinconscient et supĂ©rieure Ă lui, ne peut trouver aucune objection contre la possibilitĂ© et la rĂ©alitĂ© de « la sensibilisation de lâesprit », ainsi que lâenseigne Pasqualis, je ne vois pas les raisons quây peut opposer le panthĂ©iste le plus convaincu, qui considĂšre lâapparaĂźtre de lâesprit, ou conscience dans lâhomme, comme un mirage passager de la conscience universelle, câest-Ă -dire comme une ampoule spirituelle que la substance gĂ©nĂ©rale fait lever – la terre a des bulles comme lâeau – et qui en conclut que des mirages analogues, ni plus ni moins rĂ©els, objectifs et durables que la conscience humaine elle-mĂȘme, peuvent aussi se former dâune autre maniĂšre et se manifester mĂȘme hors de lâhomme, lĂ oĂč la substance universelle ne peut les faire apparaĂźtre sans lui, mais en lui et par lui, par exemple engendrĂ©s dans les nerfs intestinaux. [15], mais il serait certes bien inutile de discourir sur la possibilitĂ© de telles manifestations psychiques, si elles ne se rencontraient pas dans notre vie sous leur « forme incertaine », et ne pouvaient faire ouvrir les yeux Ă la multitude, par laquelle ces forces psychiques agissent comme par le moyen dâinstruments aveugles, mais seulement au petit nombre de ceux qui rĂ©ussiraient par lâemploi de ces forces. DâoĂč il sâensuit que lâobservation et lâexpĂ©rimentation peuvent seules dĂ©cider de ces choses, contre la possibilitĂ© desquelles toute la science moderne avec ses appareils ne prouve absolument rien.
Sans parler ici du pouvoir ou du talent spĂ©cial que Pasqualis dĂ©ploya dans de telles sensibilisations de lâesprit, je veux seulement observer quâon a tort de lui faire un reproche de prescrire pour ceci un rĂ©gime des sens particuliĂšrement sĂ©vĂšre, minutieux ou, comme on dit, imbu de lâAncien Testament, parce quâil a simplement pour but la puretĂ©, câest-Ă -dire la force des sens, qui leur permet, en premier lieu, de supporter la conduite des puissances supĂ©rieures sans courir le danger de tomber foudroyĂ©s comme de trop faibles paratonnerres, ensuite dâopposer de solides barriĂšres aux puissances mauvaises inĂ©vitablement mises en branle. [16] Si donc mĂȘme tu ne peux inciter la terre au bien [17] ni faire ressurgir par un enchantement la bĂ©nĂ©diction absorbĂ©e par la malĂ©diction, sans que tu fasses dâabord partir cette malĂ©diction elle-mĂȘme, – pour lâĂ©lectricien câest la polaritĂ© produite par la dĂ©composition â elle sâĂ©rige aussitĂŽt devant toi en tentatrice, elle sâavance vers toi comme un esprit manifestĂ© pour ta perte, comme le serpent rigide du ProphĂšte, ou se dissimule sous les voluptĂ©s de la perdition, comme un serpent ondulant. Cette remarque contient tout ce quâon peut dire Ă tort ou Ă raison, sur le double sens et le danger dâopĂ©rations de cette sorte. [18]
Enfin la loi physiologique connue de la facultĂ© comprĂ©hensive des sens parle dĂ©jĂ en faveur de la nĂ©cessitĂ© dâun tel rĂ©gime. Par exemple, celui qui me parle un ton trop haut ou un ton trop bas pour mon ouĂŻe, ne se ferait pas entendre de moi, mais jâouĂŻrais dĂšs que mon interlocuteur se mettrait au diapason de mon oreille, ou si mon sens auditif sâĂ©tendait jusquâau ton de son langage. De mĂȘme, un corps cĂ©leste, passant trop prĂšs de notre terre, resterait invisible pour nous jusquâĂ ce que son Ă©loignement le fasse tomber dans lâorbite de notre vue, Ă cause de sa vitesse relativement moins grande ; et, si paradoxal quâil nous semble dâaffirmer que des objets disparaissent de notre vue parce quâils sâapprochent rĂ©ellement, et paraissent absents alors quâils sont vĂ©ritablement prĂ©sents, et que ce nâest que leur Ă©loignement apparent qui les rend de nouveau visibles, cela nâen est pas moins exact. Enfin, par cette maniĂšre de voir, on peut expliquer ce miracle de la diminution des miracles Ă notre Ă©poque [19] si lâon songe quâavec le progrĂšs des Ăąges, lâaction de lâesprit avance dans la mĂȘme proportion, devient par consĂ©quent plus forte et plus intense, si on la considĂšre comme une voix qui vient Ă nous, qui prend un ton de plus en plus haut et subtil et pouvons-nous mettre en rapport sensible avec les morts peu de temps aprĂšs leur mort ; mais ce rapport se perd dĂšs que ceux-ci se sont Ă©levĂ©s dans des rĂ©gions supĂ©rieures, ou quâils sont tombĂ©s plus bas ; dâoĂč il ne sâensuit pourtant pas que nous nous trouvions pour cela plus Ă©loignĂ©s dâeux intĂ©rieurement. Car, de mĂȘme quâil y a une perhabitation sans inhabitation ou cohabitation, de mĂȘme, dans ses premiers moments, cette inhabitation mĂȘme se manifeste sans perhabitation ou cohabitation, lĂ oĂč seulement tombe tout rapport sensible et par consĂ©quent aussi la vue dans chaque rĂ©gion, et ce nâest que par lâinhabitation parfaite que la cohabitation sort de cette rĂ©signation de la vue, câest-Ă -dire de la foi.
Plus sur le sujet :
Les enseignements secrets de MartinĂšs de Pasquallis. Extrait de lâouvrage Les enseignements secrets de MartinĂšs de Pasqually – BibliothĂšque Chacornac, Paris, 1900.
Notes
[1] Il a publiĂ© Ă Londres, en 1801, la premiĂšre partie dâun ouvrage intitulĂ© : Ce que nous avons Ă©tĂ©, ce que nous sommes, et ce que nous deviendrons, dont nous pouvons nous attendre Ă avoir prochainement la suite, dâaprĂšs ce que lâauteur mâa dit lâannĂ©e derniĂšre. Cf. lâexcellente revue : Der Lichtbote, vol. I, p. 78.
[2] Câest dans ce sens, honorĂ© ami, que vous appelez lâhistorien un prophĂšte regardant en arriĂšre, et vous rejetez ainsi de lâĂ©tude de lâhistoire tous ceux auxquels ce don de vision nâa pas Ă©tĂ© accordĂ©. Du reste, comme ce nâest que le point central de -vision, qui a Ă©tĂ© une fois obtenu ou atteint, qui permet de contempler lâensemble, on conçoit comment ce regard du voyant en arriĂšre ou en avant, cette prĂ© ou post-rĂ©sonance dans lâhistoire est surtout indivisible, bien que ce mĂȘme don se manifeste davantage dans un sens chez tel individu, et davantage dans un autre sens chez tel autre individu. Câest ce que jâai pu constater moi-mĂȘme chez des sujets magnĂ©tiques.
[3] Ainsi, dans la Transfiguration, Elie et MoĂŻse nâagissent que comme coopĂ©rateurs.
[4] Merveilleuse est lâĂ©chelle que Pasqualis nous prĂ©sente sur les diffĂ©rentes maniĂšres dâĂȘtre dâun agent supĂ©rieur auprĂšs dâun infĂ©rieur et de celui-ci envers celui-lĂ dans son action et sa conduite, en nous disant : « Lâesprit agit dans, avec, par, sans et contre lâhomme ». En effet, je ne connais pas de gradation plus complĂšte pour dĂ©signer ma maniĂšre dâĂȘtre ou celle de tout chrĂ©tien envers Dieu. Par lĂ , lâhomme peut chaque fois se rendre compte sâil agit en, avec, par, sans ou contre Dieu.
[5] On peut consulter le Judas Iscariot de Daub sur ce libre renoncement ou suspension de lâuniversel jusquâĂ lâunitĂ© – le Fils de Marie – ; et lâopposĂ© de cette concentration, qui a pour but lâexpansion universelle en amour, est cette compression tout Ă fait forcĂ©e du Mauvais esprit, qui a pour but lâexplosion universelle dans la haine accompagnĂ©e des tourments de Tantale. Saint-Martin, un disciple de Pasqualis, sâexprime ainsi : « Qui atteindra la sublimitĂ© de lâoeuvre de la renaissance de lâhomme ? ne lui comparons pas la crĂ©ation de lâunivers Ne lui comparons pas mĂȘme lâĂ©manation de tous les ĂȘtres pensants » – Ă©manation que Pasqualis distingue toujours de lâĂ©manation suivante ou crĂ©ation. – « Pour « opĂ©rer toutes ces merveilles, il a suffi que la sagesse dĂ©veloppĂąt ses puissances, et ce dĂ©veloppement est la vĂ©ritable loi qui lui est propre. Pour rĂ©gĂ©nĂ©rer lâhomme, il a fallu quâelle se concentrĂąt, quâelle sâanĂ©antit et quâelle se suspendit, pour ainsi dire, elle-mĂȘme. » Dâailleurs les trois moments dont il est question dans le texte peuvent nous donner une thĂ©orie suffisante de ces diffĂ©rents Ă©tats, dont nous parlent plusieurs mystiques, par exemple, Mme Guyon ; car le triple nom du Seigneur – JĂ©sus, Christ et Fils de Marie – indique dĂ©jĂ une triple manifestation : dans lâhomme extĂ©rieur (Ătre naturel) ; dans lâhomme – esprit intĂ©rieur (Ătre spirituel) ; et dans lâhomme central (Centre divin).
[6] Ici nous voyons une nouvelle signification du mot soulever, dont HĂ©gel, le premier, a dĂ©jĂ fait remarquer le grand nombre de sens. La MĂ©diateur, dont le soulĂšvement ou lâintercession a pour but le mouvement de lâesprit, peut lui-mĂȘme ĂȘtre ce qui soulĂšve ou ce qui est soulevĂ©, et, ainsi, lâintercession ou le soulĂšvement peut se faire de trois façons. Je ne dois me laisser relever que par ce qui est plus Ă©levĂ© que moi, câest-Ă -dire soulever, dresser, enlever, ou rendre vrai, de mĂȘme que je dois relever et redresser ce qui est au-dessous de moi. Mais si une chose infĂ©rieure cherche Ă me soulever, câest-Ă - dire veut mâentraĂźner, alors on conçoit aisĂ©ment que mon action mĂ©diatrice sây oppose et prenne un autre caractĂšre. Mais ici aussi, en conflit avec le mal et le mauvais, cette action se manifeste dâune façon quand elle doit ĂȘtre dirigĂ©e contre le mal, qui inhabite et cohabite dĂ©jĂ en moi, et dâune autre maniĂšre contre le mal qui seulement perhabite en moi, ou qui mâemplit ou qui est dĂ©jĂ hors de moi ; câest-Ă -dire que, de mĂȘme que je puis encore faire le mal, quoique mon coeur et ma tĂȘte nây participent pas, de mĂȘme je puis et je dois faire le bien, quoique mon coeur et ma tĂȘte nây acquiescent point, Et, de mĂȘme que, pour parler de lâinhabitation de la puissance soulevante, chaque action bonne occasionne et fixe la disposition, le caractĂšre, la nature, etc., de mĂȘme chaque action destructive ne produit que la nĂ©gation de soi-mĂȘme, dĂ©truit, soulĂšve de nouveau, et ce soulĂšvement de soi-mĂȘme – tuer, – la voluptĂ© est Ăą la factio continui ce que la douleur est Ă la solutio continui – cette sui-nocence consiste prĂ©cisĂ©ment dans ce processus de soulĂšvement sans lequel aucune opĂ©ration du malin et aucune occasion de bonne disposition ou de bonne nature ne sont possibles. Car, dans le bien comme dans le mal, lâaction de lâesprit commence par un acte immĂ©diat et sây termine, et le pouvoir du bien comme du mal doit nĂ©cessairement me possĂ©der avant que je puisse en ĂȘtre malin. Si, du reste, on considĂšre la nature comme lâuniversel non-mĂ©diat, on ne peut se dispenser dâĂ©tablir une distinction entre ce non-mĂ©diat (la nature) qui se trouve dâune part supĂ©rieur, et le non-mĂ©diat infĂ©rieur Ă lâhomme-esprit, ce qui justifie le ternaire de Pasqualis relatif aux modes de lâĂȘtre : le divin, le spirituelâ dans un sens plus restreint, et le naturel Ă©galement dans un sens plus restreint. Le premier mode pense seulement et nâest pas compris, veut seulement et nâest pas incitĂ©, agit seulement et ne reçoit aucune impulsion ; le deuxiĂšme mode pense et est compris, veut et est incitĂ©, agit et reçoit des impulsions ; et le troisiĂšme nâest que conçu, ne pense jamais, quâincitĂ© et ne veut jamais, et reçoit des impulsions sans jamais agir. Ce ternaire rappelle dans une certaine mesure la « natura creans et non creata, natura quae creatur et creat, et natura qum creatur et non creat » de Scot ErigĂšne, natures auxquelles il ajoute une quatriĂšme, « natura neque creans nec creata », ou plutĂŽt Ă laquelle il subordonne les trois autres.
[7] Il est notoire que ce penseur [Hegel], dont la dialectique, aussi coupante quâune lame Ă deux tranchants, blesse souvent Ă la fois lâadversaire et celui qui la manie, fut le premier qui, dâune main audacieuse, alluma le processus de lâauto-incinĂ©ration de la philosophie moderne – son autodafĂ© – et que câest Ă lui que nous devons lâintelligence claire de cette angoisse dialectique de lâesprit, dont Kant, Ă la vĂ©ritĂ©, a mĂ©connu dâune part lâindestructibilitĂ©, mais quâil a dâautre part reconnue comme un dĂ©sir curieux de la raison, contre lequel il nây a dâautre remĂšde que de sâen tenir opiniĂątrement Ă la rĂ©alitĂ© sensible et de se lancer hardiment, un peu comme ceux qui fuient devant la dialectique qui les poursuit de la mort terrestre, et qui .prennent leur crainte de la vie pour la crainte de leur vĂ©ritable mort. Si cependant il existe une dialectique immanente, au sens le plus strict, câest-Ă -dire se dirigeant vers lâintĂ©rieur ou vers le supĂ©rieur, il y a aussi une dialectique, une action spirituelle, non moins intrinsĂšque, qui mĂšne vers le bas. Câest aussi la raison pour laquelle les anciens nous reprĂ©sentaient le diable comme un subtil dialecticien.
[8] Il est fĂącheux, pourrait-on crier Ă ces prophĂštes qui se sont eux-mĂȘmes rendus muets, que les prophĂštes ventriloques soient obligĂ©s, comme lâĂąnesse de Balaam, de tĂ©moigner contre vous. NĂ©anmoins le magnĂ©tisme animal se maintient toujours malgrĂ© tous ses adversaires, câest-Ă -dire malgrĂ© les risĂ©es, la condamnation et les mĂ©pris. qui sont certes plus faciles que la comprĂ©hension.
[9] De mĂȘme que lâaction mauvaise ne peut pĂ©nĂ©trer dans lâĂ©lĂ©ment actif – le feu, lâhomme – quâen passant par lâĂ©lĂ©ment passif – lâeau, la femme – de mĂȘme lâaction bonne ne pouvait prendre que le mĂȘme chemin. Câest pourquoi la femme, en tant que mĂ©dium inconscient, ne fait que propager, pour ainsi dire, la bonne et la mauvaise action. Et tous les philosophes modernes confondent lâagent et le mĂ©dium, lorsquâils Ă©tendent lâinfĂ©rioritĂ© du mĂ©dium ou instrument, Ă lâaction bonne ou mauvaise qui lâemploie. De cette maniĂšre, lâaction divine elle-mĂȘme semblerait en quelque sorte subordonnĂ©e Ă lâaction humaine ; tandis que câest, au contraire, lâinstrument ou vĂ©hicule de cette action divine qui lui est soumise. Du reste, dâaprĂšs ce quâon vient de dire, on peut indiquer le vĂ©ritable point de vue, dâaprĂšs lequel la femme, comme le corps, doivent ĂȘtre aussi respectĂ©s que redoutĂ©s dans nos relations actuelles avec eux. Ne la gĂąte pas (la femme), car il y a en elle une bĂ©nĂ©diction, mais crains-la toutefois, car il y a sur elle une malĂ©diction !
[10] Si la philosophie moderne ignore maintes sciences et maints pouvoirs, qui semblaient importants Ă la philosophie ancienne, on peut aussi considĂ©rer, avec HĂ©gel, cette privation comme une preuve de ce quâa perdu lâesprit humain : sans doute, cette propagande ; comme celle de ses congĂ©nĂšres politiques de notre Ă©poque, ne se fit-elle si facilement que parce que les unes et les autres ne reposent rĂ©ellement que sur lâignorance et le manque de savoir. Ainsi, par exemple, le mĂ©pris grossier et rĂ©volutionnaire quâun peuple ou un homme ressent Ă lâĂ©gard dâune institution politique quelconque quâil ne comprend plus, est-il tout Ă fait facile, et, pour cet homme ou ce peuple, il advient parfois quâil prend son interne vacuitĂ© dâidĂ©e et cette absolue impuissance de sâĂ©lever de nouveau jusquâĂ elle – cette alacrity dans la chute, comme dit Falstaff – pour lâaffranchissement qui lâĂ©lĂšve au-dessus dâelle. Je dis idĂ©e, car ce quâon nomme esprit de corporation, dans un bon sens, par exemple lâesprit de corps dans la carriĂšre militaire, nâest pourtant que lâidĂ©e unique gĂ©nĂ©ratrice de substance, dont « le mutisme et lâinefficacitĂ© rĂ©cents », par la faute des hommes, dâabord en haut, puis en bas, amĂšnent partout le dĂ©sordre inhĂ©rent Ă la dĂ©cadence asthĂ©nique de notre Ă©poque. Mais, de mĂȘme que la religion nous reporte Ă lâidĂ©e de toutes les idĂ©es, de mĂȘme lâĂglise, en tant que corporation de toutes les corporations, doit leur servir de base et les consolider toutes. Câest aussi pourquoi, depuis sa dĂ©cadence, toutes ces corporations voient venir leur dĂ©composition, contre laquelle ne pourraient rien toutes les artifices des momies et des rĂ©gimes. La science financiĂšre elle-mĂȘme a, de nos jours, fait cette expĂ©rience que, seule la richesse de la corporation assure la fortune individuelle, et que, sans celle-lĂ , il nây en a point de fixe ni de durable. Par consĂ©quent, le principe atomique, de la destruction et du morcellement, expression omineuse des opĂ©rations financiĂšres modernes, mĂšne ici aussi Ă la mort.
[11] Cette doctrine se retrouve Ă©galement dans la doctrine des manifestations. Saint-Martin, par exemple, dit que, de mĂȘme que la nature nous montre ses substances en germe, en vĂ©gĂ©tation et en production et de mĂȘme que les hommes correspondent par lettres quand ils sont sĂ©parĂ©s, se parlent quand ils peuvent sâentendre, gesticulent quand ils se voient, de mĂȘme les manifestations des ĂȘtres supĂ©rieurs parcourent des degrĂ©s analogues : « Tout est tableau dans les oeuvres de la pensĂ©e. Elle ne se prĂ©sente jamais Ă nous que sous une forme sensible, parce que tout est complet dans la source qui la produit. Cette forme sensible est son Ă©criture. Mais on ne sâĂ©crit que quand on est sĂ©parĂ© ! ce sont lĂ les substances en germe⊠Ne pouvons-nous pas entendre la voix des hommes au milieu des tĂ©nĂšbres et sans les voir ? Ce. sont lĂ les substances en vĂ©gĂ©tation. Mais il y a un troisiĂšme degrĂ© : nous voyons agir les hommes quand ils sont prĂ©s de nous et que 1a lumiĂšre les Ă©claire ! VoilĂ les substances en production » Câest-ce qui explique en outre comment et pourquoi personne nâa jamais vu Dieu, et câest la raison pour laquelle le Verbe seul nous le fart connaĂźtre, bien que, ces paroles : Vous lâavez entendu, mais vous ne lâavez pas vu, aient eu une signification sur lâHoreb, et une autre sur le Thabor. En dâautres termes, Dieu nâest visible et reconnaissable pour la crĂ©ature quâen tant que cohabitant en elle, et non en tant que la perhabitant ou lâinhabitant, et, si la crainte de Dieu est le commencement de la science et de la sagesse, lâamour en est la fin. Par consĂ©quent la science sans lâamour est fausse et imparfaite.
[12] Tout agent supĂ©rieur se manifeste, il est vrai, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, dans la rĂ©gion immĂ©diatement infĂ©rieure, seulement centrale et individuelle ; mais il ne sâensuit pas quâen sâĂ©levant vers son centre, il ne soit pas liĂ© Ă la manifestion individuelle. Si, dâailleurs, la physique moderne reprenait lâidĂ©e de pĂ©nĂ©tration, ou per-habitation, elle aurait Ă rechercher les deux moments suivants, cohabitation et inhabitation, de lâĂȘtre supĂ©rieur ou universel dans lâĂȘtre infĂ©rieur et particulier. Le minĂ©ral, le vĂ©gĂ©tal et lâanimal nous montrent la continuitĂ© de ces trois moments, et nous rappellent que lâhomme-esprit, dans ses rapports avec sa nature supĂ©rieure, est successivement minĂ©ral, vĂ©gĂ©tal et animal.
[13] Autenrieth, faisant une distinction entre la personnalitĂ© et lâindividualitĂ©, et considĂ©rant celle-ci comme lâorgane de celle-lĂ , remarque trĂšs justement que, comme la premiĂšre nâest pourtant pas elle- mĂȘme dans lâespace, sa manifestation dans lâespace, sans nuire Ă son unitĂ©, peut sâeffectuer dans un organe sĂ©parĂ© dans lâespace, de mĂȘme cet organe peut se dĂ©doubler dans un seul et mĂȘme organisme, dans lequel se produit un dĂ©doublement de lâindividuabilitĂ© sensible dans la personnalitĂ© spirituelle permanente, comme on le constate chez nombre de malades et chez les voyants magnĂ©tiques. (Voy. les TĂŒbinger Malter fĂŒr Naturwissenschaft, tome Il, 3e partie. Cas dâun enfant qui vit encore avec une lĂ©sion au cerveau. – Ce que dit Schubert dans les BlĂ€tter fĂŒr höhere Wahrheit, p. 2, est trĂšs remarquable : « On peut comparer lâillusion sur laquelle repose la prĂ©tendue union de lâĂąme et du corps actuel Ă celle que lâon observe trĂšs souvent dans certains Ă©tats morbides et dans les rĂȘves, oĂč lâhomme se prend pour une tout autre personne, et agit, pense, aime, haĂŻt, souffre et jouit selon les sens de cette individuabilitĂ© Ă©trangĂšre ».
[14] Quâon compare les thĂ©ories de HĂ©gel sur le temps et lâespace, dans lâEncyclopĂ©die des Sciences philosophiques, et celles de Daub dans Judas Iscarioth, ainsi que mon Ă©crit sur « la Notion du Temps. » Quâil me soit permis de faire remarquer encore ici quelques consĂ©quences des idĂ©es prĂ©sentĂ©es dans le texte. On conçoit tout dâabord quâen rĂšgle gĂ©nĂ©rale, tous les morts terrestres ne sont en rapport avec ceux qui vivent sur notre globe que par lâintermĂ©diaire de lâindividu universel, Ă©lĂ©ment non individualisĂ©, et que lâapparition sensible dâune telle personnalitĂ© morte nâest quâune exception Ă la rĂšgle gĂ©nĂ©rale, et ne peut ĂȘtre quâincomplĂšte, ce que signifie le mot mĂȘme dâapparition. Dâautre part, on peut considĂ©rer quâainsi que dans la sociĂ©tĂ© civile, oĂč la propriĂ©tĂ© individuelle nâexclut pas la communautĂ©, ainsi dans la possession organique, sans laquelle il serait impossible dâimaginer un sentiment commun et oĂč par consĂ©quent lâidentitĂ© de lâorgane nâexclut pas la pluralitĂ© des personnalitĂ©s qui sâen servent, comme, par exemple, dans le cas de ce monstre – les deux jeunes hongroises collĂ©es par le ventre – oĂč il se manifestait une communautĂ© de sentiments dans la partie commune du corps, et par suite aussi un mouvement commun dans lâorgane commun de la locomotion, malgrĂ© les personnalitĂ©s distinctes, comme, en outre, dans notre sociĂ©tĂ© civile actuelle la propriĂ©tĂ© privĂ©e et la communautĂ© se maintiennent encore distinctes, quoiquâon exige une communio bonorum, dans laquelle les deux espĂšces de propriĂ©tĂ©s passent lâune dans lâautre et se prĂȘtent un mutuel appui, de mĂȘme on peut aussi, dans le monde physiologique, sâattendre Ă une semblable communautĂ© de biens. Par contre, les luttes rĂ©volutionnaires de la propriĂ©tĂ© commune et de la propriĂ©tĂ© privĂ©e nous donnent un modĂšle de la vie commune des damnĂ©s.
[15] On ne peut, en effet, accorder une force supĂ©rieure Ă cette plastique de la sensation de certains modernes, parce que cette puissance plastique se manifesterait effectivement comme crĂ©atrice, si elle devait faire tout ce que lâon lui impute. Dâailleurs le professeur Kieser pense pouvoir trĂšs facilement faire disparaĂźtre ce quâil y a de rĂ©el dans ces manifestations, par une rĂ©duction Ă la subjectivitĂ©. Or, il est absolument exact que les lois de la catoptrique (rĂ©flexion) et de lâacoustique (ventriloquie) se reproduisent aussi dâune foule de maniĂšres dans le monde psychique, et quâun grand nombre de ces prĂ©tendues visions et de ces opĂ©rations de lâart tombent entiĂšrement sous ces lois. Cependant on se tromperait fort, si lâon voulait soumettre Ă cette loi tous les phĂ©nomĂšnes de ce genre, et y ramener aussi ceux oĂč lâhomme ne joue Ă©videmment quâun rĂŽle passif dans rĂ©flexion et cette ventriloquie. Si, par exemple, Kieser considĂšre comme entiĂšrement subjectives ces mĂȘmes manifestations qui se produisent chez lâhomme Ă son insu, câest-Ă -dire contre sa subjectivitĂ©, sâil ne veut reconnaĂźtre quâune infection subjective dans des cas oĂč plusieurs ont la mĂȘme vision, on ne voit pas ce quâil considĂšre finalement comme subjectif, et, par consĂ©quent, partout oĂč un fait distant dans lâespace et dans le temps est perçu par un somnambule, cela nâest pas une opĂ©ration purement subjective. Cependant la. rĂ©alitĂ© nous enseigne que « le sujet qui agit ici plastiquement », se tenant au-dessus du sujet proprement dit (le somnambule) et de lâobjet donnant la forme Ă lâun et Ă lâautre, se les subordonne tous les deux. Par consĂ©quent, il se manifeste ici un agent dâun ordre supĂ©rieur qui, pour cela, doit sâappeler, au sens strict, tout aussi bien non-subjectif que non-objectif. Je veux du reste encore citer en passant cette objection connue contre la rĂ©alitĂ© des manifestations des esprits (dĂ©mons), qui repose sur leur disparition, par le moyen de drogues, par exemple, etc, qui prouve, ainsi quâon le croit, lâirrĂ©futabilitĂ© du fondement matĂ©riel des phĂ©nomĂšnes de ce genre. Mais, en fait, il est facile de rĂ©futer cette objection, car si, comme je lâai indiquĂ© dans mes thĂšses sur la formation de la vie, la structure du corps sert prĂ©cisĂ©ment Ă lâenchaĂźnement de ces sombres puissances, on ne doit pas sâĂ©tonner de voir ces manifestations coĂŻncider avec la perturbation du processus vital corporel, et disparaĂźtre en mĂȘme temps que la cessation de ce trouble.
[16] Le rĂŽle de notre corps terrestre consiste prĂ©cisĂ©ment Ă remplir cette double fonction, et câest lĂ - dessus que repose le devoir de sa conservation. Nos moralistes ordinaires ne voient pas bien la nĂ©cessitĂ© dâun tentateur pour le bien, opposĂ© Ă un tentateur pour le mal, et, par suite, ne comprennent pas la religion. Saint-Martin dit avec beaucoup de justesse : « Si la matiĂšre avait charmĂ© lâhomme, et avait subjuguĂ© les yeux de son esprit, il fallait que le rĂ©gĂ©nĂ©rateur universel charmĂąt la matiĂšre, et quâil en dĂ©montrĂąt (exorcisme) le nĂ©ant, en faisant rĂ©gner devant elle le vrai, le pur, lâimmuable. »
[17] Bien que le Seigneur ne rĂ©side ni dans la tempĂȘte, ni dans les tremblements de terre, mais seulement dans les douces et calmes brises, le prophĂšte, Ă peu dâexception prĂšs, ne peut pourtant pĂ©nĂ©trer dans le calme du Centre quâen traversant cette tempĂȘte et ces tremblements de terre.
[18] Du reste lâĂ©loignement est rĂ©ciproque, parce que lâagent supĂ©rieur plus puissant, se sensibilisant et se faisant comprendre Ă lâagent infĂ©rieur, perd de son intensitĂ© dans la mesure oĂč il se sensibilise et se fait comprendre. Par consĂ©quent, en sâextĂ©riorisant, il sâĂ©loigne de lui-mĂȘme. Si cette descente est qui, dans la mĂȘme proportion, devient de moins en moins perceptible et plus lointaine, tandis que lâoreille qui entend tout perd de sa force, et que lâaction de lâesprit nous pĂ©nĂštre plus profondĂ©ment et sâintroduit en nous plus entiĂšrement, dans le plus vĂ©ritable sens. Aussi on dit que nous, qui vivons encore de la vie terrestre, entiĂšrement due Ă lâagent supĂ©rieur, la manifestation ou rĂ©vĂ©lation se communique Ă lâagent infĂ©rieur sans sa collaboration ni sa coopĂ©ration. Mais cette manifestation nâest quâun moyen de parvenir Ă une deuxiĂšme manifestation plus haute et plus intime qui, partiellement, est aussi lâacte de lâĂȘtre InfĂ©rieur lui-mĂȘme, acte dans lequel celui-ci, par gradation de sa communication, sâĂ©lance au-devant de la descente de lâagent supĂ©rieur. DâaprĂšs le principe Ă©noncĂ© ci-dessus, on pourrait Ă©galement considĂ©rer les agents, qui nous sont actuellement encore invisibles, comme des vases transparents, canaux et moteurs de tout ce qui est maintenant visible.
[19] Il nây a effectivement rien de plus bizarre que cette idĂ©e plate que nos soi-disant rationalistes, titre peu modeste dont il est facile de sâaffubler, se sont faite du miracle. Ils dĂ©clarent que le miracle nâexiste pas, parce quâen tant quâidĂ©e se contredisant elle-mĂȘme, il est opposĂ© Ă la loi de lâexpĂ©rience, câest-Ă -dire Ă lâexpĂ©rimentation, et parce quâil trouble leur jugeote, et aussi : lâordre et IâunitĂ© de leur expĂ©rimentation. Mais ce trouble serait absolument salutaire Ă lâhomme, si celui-ci sâest fait une idĂ©e fausse dâune unitĂ© dâexpĂ©rimentation abstraite et arbitraire.
Les enseignements secrets de MartinĂšs de Pasquallis par Franz von Baader.
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