Jules Doinel, l’Éon Jésus et Rome (3)

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Jules Doinel, l’Éon Jésus et Rome, troisième partie, par Tau Héliogabale. Suite de la vie de Jules Doinel, fondateur de l’Eglise albigeoise, source des Eglises gnostiques restaurées contemporaines.

Une conversion à rebours

En décembre 1894, la nouvelle étonnante atteint le milieu gnostique : « Doinel a abjuré la foi gnostique entre les mains de l’évêque catholique d’Orléans. Il lui a remis ses insignes patriarcaux, s’est confessé et a communié solennellement dans la cathédrale. »

Le journal le Peuple français en fait écho dans son numéro du 4 janvier 1895, sous le titre « Une nouvelle conversion dans la franc-maçonnerie » :

Nous apprenons, de source certaine, qu’un membre important du Grand Orient de France vient de suivre l’exemple de M. Margiotta. Des raisons, que nos lecteurs comprendront, nous interdisent de publier pour le moment le nom du nouveau converti ; mais nous sommes en mesure d’affirmer d’une façon absolue l’heureux événement qui réjouira le cœur de tous les catholiques français. 

C’est lundi 31 décembre que ce dignitaire de la secte, éclairé par un miracle de la grâce, a démissionné auprès du Grand Orient, et sa retraite cause un vif émoi chez ses anciens collègues, qui voudraient bien le faire revenir sur sa détermination. Ils en seront pour leurs démarches ; car il ne s’agit pas d’une démission ordinaire, mais d’une conversion complète, et que nous avons tout lieu de croire sincère.

Le nouveau converti, Vénérable d’une des loges les plus actives, était, il n’y a pas longtemps, membre, du Conseil de l’Ordre, et son zèle et son érudition étaient haut cotés dans la secte ; les bulletins secrets et les revues maçonniques se disputaient l’honneur de reproduire ses discours prononcés au sein des loges ; la Chaîne d’Union, notamment, est remplie de ses conférences sur le symbolisme. Il était au nombre des députés au dernier couvent du Grand Orient de France (septembre 1894). Enfin, il était, avec le titre de Patriarche, le chef d’un des rites secrets greffés sur la maçonnerie des imparfaits initiés ; les maçons occultistes sont donc les plus directement atteints par cette conversion tout à fait imprévue.

Celle illumination soudaine d’une âme si longtemps plongée dans les plus épaisses ténèbres serait due à Notre-Dame de Lourdes, si nous en croyons une information particulière qui nous a été communiquée.

Nous recommandons aux prières de nos lecteurs le nouveau converti ; que Dieu, dans sa bonté infinie, lui accorde maintenant la grâce de la persévérance !

T. M.

Le n° 186 du Voile d’Isis du 16 janvier 1895 s’en fait l’écho, en publiant une annonce du Synode de l’Église gnostique :

Le patriarche gnostique, primat de l’Albigeois, vient de démissionner des hautes fonctions que le T. H. Synode lui avait confiées. Nous ne pouvons, étant donné le respect que nous professons pour la liberté de conscience, qu’approuver la grave décision que notre frère a dû prendre.

Les délégués du T. H. Synode, considérant les importants services que notre frère a rendus à la cause spiritualiste, proposeront, à la prochaine convention du Synode, de lui voter des remerciements spéciaux.

En attendant cette assemblée, qui aura lieu à l’équinoxe d’automne de 1895, nos frères les évêques sont confirmés dans tous leurs pouvoirs.

Ŧ VINCENT (Papus), évêque de Toulouse

Vice-Président du T. H. Synode.

L’Almanach du Magiste de l’année 1896 s’en fait également l’écho, de manière un peu plus acerbe :

« La Gnose, Le TEMPLE. — L’Église gnostique a été cette année, ainsi que le christianisme ésotérique fortement éprouvée par la défection de son patriarche, J. Doinel, se convertissant inopinément. On a beaucoup parlé des changements d’opinion de MM. Doinel, Jeunet et François, et on s’est perdu en conjectures sur les motifs réels de leur volte-face : elle s’explique très simplement, si l’on considère que tout effort mal dirigé retourne fatalement contre celui qui l’émit : M. Jeunet ne fut jamais enthousiaste que de la sonorité des vocables hébraïques ; M. Doinel nous a appris spontanément qu’il est un médium voyant et auditif ; enfin des savants reprochent à M. François un contrôle insuffisant dans ses expériences. »

En effet, Doinel fait sa contrition et abjure sa foi gnostique devant l’évêque d’Orléans, Mgr. Touchet. Doinel offre son pallium en ex-voto à Ars, pour être placé sur l’autel de sainte Philomèle. M. le chanoine Gonvers, curé d’Ars, a certifié par une lettre du 29 avril 1910, avoir reçu en effet un pallium qui lui fut envoyé par l’archevêché de Lyon. Il le fit défaire et s’en servit pour couvrir l’autel de la Sainte Vierge dans la vieille église d’Ars, où il est encore.

Ses amis et frères en épiscopat gnostique ne peuvent y croire. Comment ? Doinel, le patriarche lui-même ! Abjurer la foi gnostique et rentrer dans le giron romain ?!

Jules Doinel l’Éon Jésus et Rome Lucifer démasqué
Frontispice du Lucifer démasqué

Sous le pseudonyme de Jean Kostka, il se met à écrire dans la Vérité française une série d’articles virulents antimaçonniques et quelque temps après sort le Lucifer Démasqué, où se trouvent les détails sur l’Église gnostique et un aperçu du rituel liturgique.

M. Georges Bois, l’Univers du 18 avril 1908 :

« Doinel, homme d’une intelligence étendue, et d’une culture littéraire distinguée, mais aussi d’un tempérament ardent, avait commis l’erreur, après une éducation chrétienne, de faire quelques pas imprudents dans une voie mauvaise : le spiritisme, l’occultisme, les initiations maçonniques et gnostiques. Là, il avait trouvé des complices, des amis et des chefs qui étaient charmés du parti qu’on pouvait tirer de lui. Emporté de son côté par la fougue qui lui était naturelle, il avait marché à pas de géant dans les sentiers défendus, y avait usé sa jeunesse et son âge mûr. Il sortit de ce mauvais pas au déclin de la maturité. Il fut dans son repentir aussi résolu qu’il l’avait été dans l’erreur.

C’est lui qui signait du pseudonyme de Jean Kotska, dans la Vérité, une série d’articles très remarqués, il y a près d’une dizaine d’années. Il s’appelait de son vrai nom Jules Doinel du Val Michel. Il était archiviste départemental, fondateur d’une loge d’Orléans, haut dignitaire de la franc-maçonnerie et de la gnose… Je n’ose me flatter d’avoir été l’instrument de la conversion de Doinel, mais il me sut gré d’avoir tendu vers lui une main cordiale. Sa sincérité n’était pas douteuse… »

Ayant été exclu, comme nous l’avons vu plus haut, de la maçonnerie, il tombe en disgrâce dans son ministère qui l’envoie à Carcassonne dans le courant de l’année 1896. Il est éloigné de sa famille, ses émoluments sont réduits, il ne peut plus donner de conférence. Il doit vivre chichement dans une pension, dans une quasi-misère. Les radicaux catholiques font alors de Doinel-Kotska l’icône du combat antimaçonnique, le martyr désigné de leur lutte. L’événement est relaté par le journal La Croix du 19 février 1896 :

« On se rappelle la conversion de M. Doinel, le savant archiviste d’Orléans, qui a abandonné les rêveries des gnostiques et la franc-maçonnerie pour rentrer dans le sein de l’Église.

Pour se venger, les sectaires lui avaient d’abord interdit de continuer ses conférences publiques à Orléans, et voici qu’à la suite d’articles haineux du Républicain Orléanais, M. Doinel est renvoyé en disgrâce, archiviste à Carcassonne. C’est, ainsi que les francs-maçons appliquent l’article de leur règlement :

“Nul ne sera inquiété, même pour ses opinions religieuses.”

Lâches hypocrites ! »

Pour La Croix, sous la plume de « l’âne de Balaam », la conversion est une certitude et le signe évident de l’intercession des prières de sa sœur :

« La sœur du célèbre Jules Doinel, Marie-Antoinette, communiait et priait tous les jours, tous les jours s’offrait en victime avec larmes, pour la conversion de son frère. Dieu a accueilli ses prières et son sacrifice, elle est morte chez moi et Jules Doinel s’est converti. ».

La Croix, supplément des 18 et 19 août 1895

Et cependant, le 31 décembre 1899, puis le 9 janvier 1900, Doinel – signant Simon, primat de Samarie et épiscope de Gitthoi – écrit à Synésius afin, tout d’abord, de nier son abjuration et, ensuite, de proclamer la résurrection (sic !) de la gnose samaritaine. Afin de ne pas créer de schisme dans l’Église gnostique valentinienne, il obtient sa réincardination dans l’Église gnostique comme simple évêque et il reçoit les évêchés d’Alet et Mirepoix.

En 1901, il rédige un hymnaire pour l’Église gnostique, l’Hymnarium gnosticum oratorii Electensis et Mirapiscencis dioceseos, editum jusu illustrissimi et honoratissimi D. D., episcopi.

Quelle est la raison de ce nouveau revirement ? Si Doinel ne nous a laissé aucune déclaration quant à son choix, nous pouvons retracer certains indices remontant au Lucifer Démasqué. En 1895, Léo Taxil, de son vrai nom Jogand-Pagès, lance une nouvelle revue antimaçonnique, à la suite de l’affaire Diana Vaughan et le Diable au 20e siècle, l’Anti-Maçon, et il recrute Doinel qui écrit quelques articles sous le pseudonyme de Kostka de Borgia. Ensemble, le 19 novembre 1895, ils fondent le Labarum antimaçonnique, sorte de société secrète dédiée au Sacré-Cœur, dont Doinel, sous le pseudonyme de Kostka de Borgia, devient le Grand-maître honoraire.

Il fréquente à cette époque l’Institut d’Études Cabalistiques de Louis Le Chartier à Toulouse, également fréquenté par Léo Taxil et Henri de Guillebert des Essars. Il commet deux interventions dans La Légitimité, une revue royaliste, catholique et antimaçonnique.

L’année suivante, Taxil met fin à 12 années de farce, et devant une assemblée stupéfaite, avoue avoir inventé toute l’histoire du Palladisme et du complot luciférien maçonnique… Il se peut que Doinel ait eu la tentation de l’imiter, et de se jouer de Rome et des anti-maçons virulents… S’agirait-il alors d’une œuvre d’infiltration gnostique visant à discréditer le combat antimaçonnique de l’Église catholique ?

La question essentielle serait plutôt : a-t-il réellement abjuré la Gnose à ce moment-là en 1896 ?

La fin, mais pas de la polémique.

Dans sa chambre d’hôtel à Carcassonne, Doinel meurt, d’une crise d’emphysème cardiaque pulmonaire, dans la nuit du 16 au 17 mars 1902 ; sa logeuse le trouve à genoux sur son lit, son chapelet passé autour du cou.

Il est inhumé le 20 mars en la paroisse Saint-Michel à Carcassonne.

À nouveau la controverse éclate : Doinel vrai ou faux converti ? Certains voient dans le chapelet un signe de son esprit gnostique ; d’autres, une preuve irréfragable de sa conversion catholique…

Dans ses derniers mois, il avait pris l’habitude d’écrire à l’Abbé Emmanuel Barbier, à qui il se confiait en ces termes :

« Cher monsieur et ami, merci de votre lettre. Elle m’apporte un vrai parfum d’amitié chrétienne… Je suis comme tout le monde entre les mains de Dieu. Une bonne confession générale m’y a mis plus que jamais. Je me suis rappelé votre parole : il est bon d’être toujours prêt. Vous rappelez-vous ? C’est ainsi qu’il est bon d’être aimé par des amis chrétiens. » (22 janvier 1902)

« L’exemple que vous me citez m’a fait mieux encore apprécier les bontés de Dieu pour nous. Vous d’ailleurs, vous n’avez pas à expier de longues années de péché, d’occultisme et de révolte. Quant au bonheur que vous me souhaitez, il ne repose que sur celui qui nous a aimés et qui a versé son sang pour nous. Le reste est sacrifié depuis longtemps. » (26 février 1902)

« Je vais assister le 7 à la fête de saint Thomas d’Aquin chez les Dominicains. Je descends… Si vous avez quelque chose à me dire, écrivez-moi là. » (3 mars 1902)

Dans l’Écho du Merveilleux, revue certes antimaçonnique, la foi catholique de Doinel ne semble faire aucun doute :

« Très désireux de savoir dans quelles conditions notre pauvre ami avait quitté ce monde, nous allâmes voir le supérieur des Carmes de Carcassonne, avec lequel nous savions que l’archiviste avait eu plusieurs entretiens. Ce respectable moine nous apprit que M. Doinel était venu le visiter plusieurs fois, qu’il avait quelquefois assisté à la messe célébrée par lui-même dans la chapelle du couvent, mais que, ayant été obligé de s’absenter pour son ministère, il avait conseillé à notre ami de s’adresser en son absence à son confrère de Toulouse, et qu’il ignorait les relations de ce dernier avec Doinel.

Consulté par nous, le Carme de Toulouse nous dit avoir confessé et communié Doinel quelques jours avant sa mort, après de nombreux entretiens préparatoires, et il nous montra des rédactions de pièces qui étaient de véritables rétractations. »

Confession et communion auprès d’un prélat catholique peu avant sa mort, voilà bien de drôles de signes d’une fausse conversion, ne trouvez-vous pas ? Et les accents de Resurgant, poème écrit quelques temps avant son décès, ne signent-ils pas définitivement le choix d’un homme tourmenté par l’angoisse d’une mort prochaine ?

« Et que le chef du nom Jan ou Michel

Dise : C’est un chrétien, puisque c’est un Doinel ! »

Mais l’affaire de la conversion de Doinel ne s’arrête pas là…

La postérité…

L’abjuration de Doinel a eu pour conséquence une division au sein de l’Église gnostique. Tandis que Ŧ Synésius continua à nier la conversion de Doinel au catholicisme, Joanny Bricaud, S. B. le Patriarche Ŧ Jean II, en soutint, quant à lui, la sincérité en le déclarant incapable de supercherie.

Ainsi, Ŧ Jean II écrit, en réponse à Synésius, en mars 1909 :

« Il n’est pas bon de laisser se créer des Légendes. Nous comprenons fort bien à quel mobile a obéi M. Fabre des Essarts, en essayant de nier la conversion de Ŧ Valentin II. Mais la vérité importe avant tout. Disons-le hautement, nous ne croyons pas à la protestation énergique de notre regretté frère Doinel. Mystique, dans toute la force du terme et par-dessus tout sincère et franc, il était incapable de jouer un “double jeu”. Sa conversion fut réelle ».

Trou de mémoire sans doute, car le même écrivait le 17 avril 1902 :

« … Extérieurement – comme il l’écrivit à Sophronius –, il abjura, mais il resta toujours gnostique.

… Sa parente le crut converti, et en fit courir le bruit. Mais en réalité il fut toujours gnostique. »

Mais Ŧ Synésius devait également avoir la mémoire courte, lui qui, dans l’Aurore du 1er avril 1900, comme pour se contredire, écrivait :

« De notre tente de Montségur, le 29 mars 1900.

Très cher frère,

Je vous suis profondément reconnaissant da l’aimable écho que vous consacrez â l’Église gnostique et à son catéchisme. Permettez-moi, toutefois, de relever deux petites inexactitudes,

L’auteur du Catéchisme, c’est bien Sophronius, évêque de Béziers, mais ce nom mystique abrite une tout autre personnalité que la mienne.

Quant à Synésius, ce n’est nullement l’Archiviste Doinel, qui fut si spirituellement portraituré par Jules Bois en ses Petites Religions, mais qui depuis… hélas ! a fait solennellement abjuration entre les mains de l’évêque romain d’Orléans, et dont nous déplorons encore la douloureuse apostasie ! Synésius, c’est le modeste signataire des présentes, qui prie le T.-S. Plérome de répandre ses grâces et ses bénédictions sur l’Aurore et sa vaillante phalange, et vous envoie son salut fraternel et reconnaissant.

Fabre des ESSARTS,

Ŧ SYNESIUS,

Patriarche de l’Église Gnostique. »

Mais, au-delà, un schisme apparaît bien vite entre les deux hommes ; schisme qui verra naître l’Église Gnostique Universelle de Ŧ Bricaud, dissociée de celle de Ŧ Synésius.

À la fin de l’année 1907, le Réveil gnostique est fondé par Ŧ Bricaud, tandis que Ŧ Synésius fonde La Gnose, revue mensuelle, à la fin de 1909.

M. Bricaud (Ŧ Jean II) explique ainsi la différence entre son Église, l’Église Gnostique Universelle (ou catholique gnostique), et celle de Ŧ Synésius ; l’Église néo-valentinienne :

« Nous devons dire aussi que nous ne sommes en aucune façon le successeur de S. G. Ŧ Doinel qui sous le nom mystique de Ŧ Valentin II tenta de rénover une Église gnostique Néo-Valentinienne. Nous n’avons jamais connu le patriarche Valentin II. Sa tentative de rénovation Valentinienne ne donna pas de résultat pratique et fut en grande partie désorganisée par suite de sa conversion à l’Église romaine. Nous n’avons connu S. G. Ŧ J. Doinel que comme évêque de Carcassonne ; après son retour au Gnosticisme chrétien moderne et non Valentinien. Il s’était rallié d’une façon complète à la Gnose moderne préconisée par S. G. Tau Sophronius. Voilà pour ce qui concerne S. B. Valentin II.

Quant à l’Église gnostique universelle (catholique gnostique), qui date de trois ans à peine, elle n’a par conséquent jamais eu aucun rapport avec l’ancienne Église Néo-Valentinienne. Elle a adopté les principes et le symbole de l’Église gnostique moderne tels qu’ils ont été fixés au Concile de Toulouse en 1903 par S. G. Ŧ Sophronius, et auxquels, ainsi que nous l’avons dit plus haut, S. G. Ŧ Doinel avait donné son adhésion. Nous sommes le Ier Patriarche de cette Église. C’est donc bien à tort que certains journaux croient devoir faire remarquer que nous ne sommes pas le successeur de S. B. Valentin II. Nous ne prétendons nullement l’être. »

Hypothèse en guise de conclusion

L’éternel féminin, le couchant violet

Ont la pure douceur des affections saintes,

Des langueurs, des soupirs, des larmes et des plaintes,

Et sont de l’infini le mystique reflet.

La Mandorle.

Comme nous l’avons vu dans les dernières lignes de cet article, la conversion de Doinel est problématique à plus d’un titre, c’est un enchevêtrement de déclarations contradictoires, de récupérations idéologiques et de manipulations.

Doinel abjura-t-il véritablement et très sincèrement la gnose devant l’évêque d’Orléans pour, ensuite, abjurer le catholicisme deux ans avant son décès ; a-t-il, enfin abjuré une dernière foi la gnose sur son lit de mort ? À notre sens, et sans aucune preuve matérielle en notre possession, nous ne le pensons pas ; nous voulons dire : Doinel n’a jamais renié ni l’un ni l’autre ! Cela semble assez difficile à concevoir, et pourtant, tout s’explique naturellement si l’on revient sur la vie du patriarche de Montségur et l’épicentre de ses tourments mystiques : l’angoisse de la mort et l’extase de l’amour ! Une thanatérose aiguë, si l’on me permet ce barbarisme.

Il semble avoir toujours été marqué par la mort et l’au-delà depuis son enfance ; puis par son engouement pour le spiritisme ; ensuite la mort de sa première épouse qui lui fait entrevoir une entrée dans l’ordre des Bénédictins.

« Devant la traduction catégorique faite par nous du symbolisme adopté par l’évêque albigeois, et en face d’une discussion serrée de la doctrine gnostique, Doinel nous avoua que, s’il était un apôtre militant, il n’était pas un ministre convaincu, et que son esprit était torturé par le doute, angoissé par les problèmes de l’au-delà, que sa conversion aux dogmes et à la morale catholiques était peut-être plus rapprochée que ne le laissait supposer sa conduite ; mais qu’il ne pouvait s’arracher aux séductions d’orgueil et d’impureté que lui suggérait la personne de l’ange noir qui parlait et prononçait intérieurement dans son esprit. » (Guillebert des Essarts, in Revue internationale des Sociétés secrètes, n° du 5 avril 1913)

Des visions d’Aphrodite et de Diane à celle d’Hélène, en passant par Sophia, c’est toujours de « Celle qui doit venir » dont il est question dans le cœur et l’esprit de Doinel. Ainsi que l’écrit Robert Amadou dans son introduction au Lucifer Démasqué : « la plus grande force magique est le sexus. C’est pourquoi il y a un rapport entre ésotérisme et érotisme. » Et durant tout le cours de sa vie, Doinel fut tiraillé entre l’Idée de la Femme chaste – la Pucelle d’Orléans, Diane, Fernande, sa première épouse – et celle de la Femme voluptueuse – Hélène, Sophia, Lucibel… De même il ne put jamais définitivement quitter les rivages du catholicisme, allant du spiritisme à la gnose, en passant par le monodisme ; spirite, prophète, rose-croix, martiniste, franc-maçon, patriarche gnostique, catholique re-converti, évêque samaritain, toujours, sous ses masques ne dissimule son Amour spirituel :

« Jésus, fleur du Plérôme, racheta l’Esprit, car le salut vient de la Gnose et non de la Foi. Éros racheta la chair. La Science et l’Amour inaugurèrent l’œuvre sublime qui se poursuit à travers les Temps et les Espaces.

Le Salut vient de la Connaissance et non de la Foi. La Foi sans la Connaissance est morte. Hors de la Gnose, pas de salut. Mais, comme l’ont pensé les docteurs, la Connaissance se résout en Amour. »

Dans la genèse même de l’Église gnostique, on retrouve un peu des parfums d’Éros : « … une dangereuse volupté se glissait dans nos conversations, dans nos cérémonies, dans nos lettres » ainsi que l’écrira Doinel en parlant de lady Caithness, l’Hélène idéale de la gnose Restaurée ?

Il fera aveu de son ambivalente pulsion charnelle et spirituelle dans son « Aveu d’un occultiste », texte qui, presque à lui seul, est à même de résumer le cas Doinel :

« Ce qui distingue de la vérité toutes ces doctrines théosophiques, ésotériques, occultistes, etc., c’est qu’elles sont impuissantes à reformer la vie, & vaincre la volupté. Voilà une pierre de touche infaillible. La volupté se glisse dans leurs raffinements les plus éthérés. Ainsi dans la gnose, nous avions certainement la prétention d’êtres purs. Nous parlions un langage très exquis. On nous eut pris pour des pures intelligences, des Éons, comme nous disions. Je vous avoue que c’était un leurre.

Certainement, nous n’allions pas jusqu’au but charnel comme dans ces sectes gnostiques de haut Maçonnisme, dans le Satanisme, ou dans les conventicules analogues. Mais cependant, une dangereuse volupté se glissait dans nos conversations, dans nos cérémonies, dans nos lettres. Plus éthérée, plus distinguée, plus subtile ; mais peut-être plus perfide. Il était admis d’ailleurs que les pneumatiques ne pouvaient plus pécher. Et nous avions le sacrement de l’Appareillamentum, dont vous avez pu lire la formule dans Lucifer Démasqué, un livre sincère et qui dépeint la Gnose sur le vif. Cette doctrine ne s’adressait qu’aux natures cultivées, aux femmes du monde, aux névrosés et aux intellectuels au contraire de la religion catholique qui s’adresse à tous. Mais qui veut faire l’ange, fait la bête. Et d’ailleurs, nous ne faisions l’ange qu’à la façon de l’archange tombé.

J’ai appris depuis que la petite comtesse X… qui avait des extases, avait aussi des chutes. Et que de déséquilibrées chez la Duchesse !

Non, on ne peut être vraiment pur, en dehors de l’Église catholique. Et le mysticisme le plus éthéré conduit fatalement aux désordres quand il n’est pas orthodoxe et quand il ne s’appuie pas sur la pénitence ». (Jean KOSTKA, « Aveux d’un occultiste », Revue du monde invisible, 1898)

Et donc, selon nous la question de la conversion réelle ou non de Doinel, de ses abjurations, n’a aucun sens, absolument et définitivement aucun. Et si le patriarche de la Gnose Restaurée a douté, c’est une bénédiction, car comment un gnostique ne douterait-il pas ?! Armé de certitudes, il se serait perdu à la Quête de son Inaccessible Étoile !

« Pour que l’Éternité nous ouvre son asile,

Cherchons en haut, cherchons une étoile immobile

Et plaçons-y l’AMOUR que nous avons rêvé. »

Noctium phantasmata.

Et tout le reste appartient au secret de son cœur et à Dieu.

Le lecteur est renvoyé aux annexes ci-jointes pour un ensemble de documents illustrant le présent travail.

Retour à la première partie.

Retour à la seconde partie.

Jules Doinel, l’Éon Jésus et Rome, Ŧ Héliogabale, évêque errant de l’Église gnostique chaote, juillet-août 2014 au Nadir de Libertalia.

Pour aller plus loin :

Au sujet de l’Eglise gnostique chaote, dans la lignée de l’église gnostique de Doinel.

JULES DOINEL-ANNEXES-TH

Sources

A – Œuvres de Jules Doinel :

Histoire :

  • Les Dieux à Aurillac, 1867 ;
  • Histoire de Blanche de Castille, Tours, 1873 ;
  • Note sur la formule « Sanctae sedis apostolicae gratiâ episcopus » dans les diplômes des évêques d’Orléans, Orléans : Impr. de Puget et Cie, 1875 ;
  • « Note sur une maison de Jeanne d’Arc », Orléans : H. Herluison, 1876 ;
  • La Mandore, sonnets, H Herluison, 1878 ;
  • Mémoires d’une aliénée, publiés par É. Le Normant des Varannes (avec une préface de Jules-Stanislas Doinel) -P. Ollendorff (Paris)-1883 ;
  • Hugues le Boutellier et le massacre des clercs à Orléans en 1236, Orléans : H. Herluison, 1887 ;
  • « Discours sur l’histoire de la Franc-Maçonnerie orléanaise », 23p. Orléans, 1887 ;
  • Inventaire des titres du monastère royal de N.-D. de Prouille de l’ordre de Saint Dominique, Carcassonne : G. Labau, 1899 ;
  • Note sur le roi Hildérik III, Carcassonne, 1899 ;
  • Jeanne d’Arc telle qu’elle est, 1892 ;
  • Le clocher de l’Abbaye de Saint-Maurice d’Agaune, Fribourg, Imp. cath. Suisse, 1900.

Gnose :

  • « Hymnarium gnosticum oratorii Electensis et Mirapiscencis dioceseos, editum jusu (“sic”) illustrissimi et honoratissimi D. D., episcopi », 1901, 16 p ;
  • « Première Homélie. Sur la Sainte Gnose », 1890 ;
  • « La gnose de Valentin » (extrait du Traité méthodique de science occulte de Papus), 1891, t. II, p. 627-634) ;
  • « La Gnose et l’Inquisition », Revue L’Initiation, août 1891. Recueil : Études gnostiques, Cariscript, 1983 ;
  • « Les Philosophumena », Revue L’Initiation, août 1892 ;
  • « La Gnose Ophite ou Naassénienne », Revue L’Initiation, août 1892 ;
  • « La Gnose d’Amour », Revue L’Initiation, juin 1893 ;
  • « Rituel gnostique de l’appareillamentum », Revue L’Initiation, juin 1894 ;

Sous pseudonymes :

  • Jean KOSTKA, Lucifer Démasqué, introduction de Robert Amadou, édition Slatkine, édition Dualpha, 2009, 408 p ;
  • NOVA-LIS, Noctium phantasmata, sonnets, 16 pages, tiré à 25 exemplaires, 1869.

B – Livres :

  • René LE FORESTIER, L’Occultisme en France aux XIXe et XXe siècles. L’Église gnostique, ouvrage inédit publié par Antoine Faivre, Milan, Archè, 1990 ;
  • Marie-France JAMES, Ésotérisme, occultisme, franc-maçonnerie et christianisme ;
  • Pierre GEYRAUD, Petites églises de Paris ;
  • Louis CUVIER, Lettres sur le retour de Jésus-Christ d’après les Écritures, Paris, 1880 ;
  • PAPUS, Traité Méthodique de Science Occulte, Paris, 1891 ;
  • Fabre des ESSARTS, l’Arbre Gnostique ;
  • Fabre des ESSARTS, Les Hiérophantes ;
  • Jean BORELLA, Problèmes de Gnose, L’Harmattan ;
  • Jean-Pierre LAURANT, L’ésotérisme Chrétien en France au XIXe siècle ;
  • Emmanuel KREIS, Quis ut Deus ?, thèse de doctorat, 2011 ;
  • Revault d’ALLONES, Psychologie d’une religion, Paris, 1908 ;
  • Abbé Emmanuel BARBIER : Les Infiltrations Maçonniques dans l’Église ;
  • SIMON et THEOPHANE, Les Enseignements secrets de la Gnose.

C – Revues et articles :

  • Chanoine JOUBERT, « Jules Doinel, Archiviste du Cantal et la fondation de l’Église Gnostique », Revue de Haute-Auvergne, avril-septembre 1966, pages 201-203 ;
  • Ŧ Héliogabale, « Histoire de l’Église Gnostique », 2001-2014 ;
  • Jacques BONNET, « Jules Doinel à la recherche d’une Église », Bulletin de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, tome IV, 1965 ;
  • Jules-Marie SIMON, « Jules Doinel, franc-maçon et propagandiste républicain », La République du Centre, août 1961 ;
  • Robert AMADOU, « Jules Doinel et la franc-maçonnerie », Institut d’études et de recherches maçonniques, n° 33, 2e semestre 1984 ;
  • Robert AMADOU, « Doinel franc-maçon », Le monde Inconnu, décembre 1979 ;
  • Robert AMADOU, « L’Église Gnostique – histoire, doctrine, rites », L’Autre Monde, mai 1982 ;
  • Robert AMADOU, préface à Lucifer démasqué, Slatkine, 1983 ;
  • JORDAN, « Les gnostiques modernes », La Nouvelle Revue, mai 1900 ;
  • Jules Marie SIMON, La République du Centre, 1954, 1958 et 1961 ;
  • Jean-Pierre BONNEROT, « Déodat Roché et l’Église Gnostique » ;
  • Jean-Pierre BONNEROT, « Un aventurier de la gnose occultiste : Jules Doinel », Le monde Inconnu, décembre 1979 ;
  • Charles NICOULLAUD, L’Initiation dans les Sociétés Secrètes, 1914 ;
  • Revue spirite, journal d’études psychologiques, 1866-1867 ;
  • J.-F. MAYER, « Un Messie au 19e siècle : Guillaume Monod » ;
  • Georges POLTI, Mercure de France ;
  • Revue du monde invisible, 1908 ;
  • Peuple français, « Une nouvelle conversion dans la franc-maçonnerie », 4 janvier 1895 ;
  • Voile d’Isis n° 186 du 16 janvier 1895 ;
  • L’Almanach du Magiste de l’année 1896 ;
  • La Croix du 19 février 1896 ;
  • Maurice SARAZIN, « L’Archiviste Jules Doinel, fondateur de l’Église gnostique : une vie en quête de spirituelle », Études bourbonnaises, 17e série, n°296, 2 – 2003.

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