Mercure selon Dom Pernety

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Mercure selon Dom Pernety.

Presque tous les Anciens sont d’accord sur les parents de Mercure. Il naquit de Jupiter & de Maïa, fille d’Atlas, sur le Mont Cyllene ; (Hom. Hymn. in Merc. Virgil Énéide.) Pausanias dit (In Baeot.), contre le sentiment d’Homère & de Virgile, que ce fut sur le Mont Coricée, près de Tanagris, & qu’il fut ensuite lavé dans une eau ramassée de trois fontaines. D’autres disent qu’il fut élevé sur une plante de pourpier, parce qu’il est gras & plein d’humidité. C’est pour cela sans doute que Raymond Lulle (Theor. Testam. c. 4.) parle de cette plante comme étant de nature mercurielle, de même que la grande lunaire, la mauve, la chélidoine & la mercuriale. Quelques Auteurs ont même prétendu que les Chinois savaient tirer du pourpier sauvage un véritable mercure coulant.

Dès que Mercure fut né, Junon lui donna sa mamelle ; le lait en sortant avec trop d’abondante, Mercure en laissa tomber, & ce lait répandu forma la voie lactée. Opis, selon d’autres, eut ordre de nourrir ce petit Dieu, & la même chose lui arriva qu’à Junon.

Mercure passa toujours pour le plus vigilant des Dieux. Il ne dormait ni jour ni nuit ; & si nous en croyons Homère (Hom. Hymn. 3. v. 17.), le jour même de sa naissante il joua de la lyre, & le soir du même jour il vola les bœufs d’Apollon.

Mercure
Mercure – Province Ontario

De telles fictions peuvent-elles renfermer quelques vérités historiques ou morales ? & si on les prend à la lettre, tout n’y est-il pas marqué au coin de l’absurde & du ridicule ? Si avec M. l’Abbé Banier, & quelques anciens Mythologues, je regarde Mercure comme un homme réel, comme un Prince Titan, il faudra accuser Homère & les autres de folie, pour avoir feint de telles absurdités inexplicables dans le sens historique & moral : mais si ce père de la Poésie ne délirait pas, il avoir sans doute pour objet de ces fictions quelque vérité qu’il a cachée sous le voile de l’allégorie & de la Fable. Il s’agirait donc de chercher quelle pouvait être cette vérité. Je la trouve expliquée dans les Livres des Philosophes Hermétiques.

J’y vois que la matière de leur art est appelée Mercure, & que ce qu’ils rapportent de leurs opérations est une histoire de la vie de Mercure. M. l’Abbé Banier avoue même (Myth. T. II. P 195.) que la fréquentation des Disciples d’Hermès servit beaucoup à ce prétendu Prince, qu’il se fit initier dans tous les mystères des Égyptiens, & qu’enfin il mourut dans leur pays. Voyons donc s’il sera possible d’adapter ce qu’on dit du Mercure de la Fable, au Mercure Hermétique.

Maja, fille d’Atlas, & une des Pléiades, fut mère de Mercure, & le mit au monde sur une montagne, parce que le mercure philosophique naît toujours sur les hauteurs. Mais il faut observer que Maja était aussi un des noms de Cybèle ou la Terre, & que ce nom signifie mère, ou nourrice, ou grand-mère. Il n’est donc pas surprenant qu’elle fût mère de Mercure, ou même sa nourrice, comme le dit Hermès (Tab. Smaragd.) : nutrix ejus est terra. Aussi Cybèle était-elle, regardée comme la grand-mère des Dieux, parce que Maja est mère du mercure philosophique, & que de ce mercure naissent tous les Dieux Hermétiques, Mercure après sa naissance fut lavé dans une eau ramassée de trois fontaines ; & le mercure Philosophique doit être purgé & lavé trois fois dans sa propre eau, composée aussi de trois ; ce qui a fait dire à Maïer d’après un ancien (Atalanta fugiens. Embl. 3.) : allez trouver la femme qui lave le linge, & faites comme elle.

Cette lessive, ajoute le même Auteur, ne doit pas se faire avec de l’eau commune, mais avec cette qui se change en glace & en neige sous le signe du Verseau. C’est peut-être ce qui a fait dire à Virgile (Loco cit.), que la montagne de Cyllene était glacée, Gelido culmine.

L’on voit dans cette allégorie les trois ablutions : la première, en coulant la lessive ; la seconde, en lavant le linge dans l’eau, pour emporter la crasse que la lessive a détachée ; & la troisième dans de l’eau nette & bien claire, pour avoir le linge blanc & sans taches.

« Le mercure des Philosophes naît, dit d’Espagnet (Can. 50.), avec deux taches originelles : la première est une terre immonde & sale, qu’il a contractée dans sa génération, & qui s’est mêlée avec lui dans le temps de sa congélation : l’autre tient beaucoup de l’hydropisie. C’est une eau, crue & impure, qui s’est nichée entre cuir & chair ; la moindre chaleur la fait évaporer.  Mais il faut le délivrer de cette lèpre terrestre par un bain humide, & une ablution naturelle. »

Junon donne ensuite son lait à Mercure ; car le mercure étant purgé de ses souillures, il se forme au-dessus une eau laiteuse, qui retombe sur le mercure, comme pour le nourrir. Les Mythologues prennent eux-mêmes Junon pour l’humidité, de l’air.

On représentait Mercure comme un beau jeune-homme, avec un visage gai des yeux vifs, ayant des ailes à la tête & aux pieds, tenant quelquefois une chaîne d’or, dont par un bout attaché aux oreilles des hommes, il les conduisait partout ou il voulait. Il portait communément un caducée, autour duquel deux serpents, l’un mâle, l’autre femelle, étaient entortillés. Apollon le lui donna en échange de sa lyre. Les Égyptiens donnaient à Mercure une face en partie noire & en partie dorée.

Le mercure Hermétique a des ailes à la tête & aux pieds, puisqu’il est tout volatil, de même que l’argent-vif vulgaire qui, suivant le Cosmopolite (Dialog. de la Nat. & de l’Alchym.), n’est que son frère bâtard. Cette volatilité a engagé les Philosophes à comparer ce, mercure, tantôt à un dragon ailé, tantôt aux oiseaux, mais plus communément à ceux qui vivent de rapine, tels que L’aigle, le vautour, &c. pour marquer en même temps sa propriété résolutive ; & s’ils l’ont nommé argent-vif & mercure, c’est par allusion au mercure vulgaire.

Le coq était un attribut de Mercure à cause de son courage & de sa vigilante, & que chantant avant le lever du soleil, il avertit les hommes qu’il est temps de se mettre au travail. Sa figure de jeune-homme marquait son activité.

La chaîne d’or au moyen de laquelle il conduisait les hommes où il voulait, n’était pas comme le prétendent les Mythologues, une allégorie de la force que l’éloquente a sur les esprits ; mais parce que le mercure Hermétique étant le principe de l’or, & l’or le nerf des Arts, du commerce, & l’objet de l’ambition humaine, il les engage dans toutes les démarches qui peuvent conduire à sa possession, quelque épineuses & quelque difficiles qu’elles soient.

Nous avons dit d’après les Anciens, que les Égyptiens ne faisaient rien sans mystères. Les Antiquaires le savent, & n’y sont cependant pas assez d’attention, quand ils ont à expliquer les monuments d’Égypte que le temps a épargnés. Les Disciples du père des Arts & des sciences, comme de ces hiéroglyphes mystérieux, se seraient-ils précisément rapprochés du naturel dans les représentations de Mercure, pour tomber dans le mauvais goût ?

S’ils lui peignaient le visage moitié noir, moitié doré, souvent avec des yeux d’argent, c’était sans-doute pour désigner les trois principales couleurs de l’œuvre Hermétique, le noir, le blanc, & le rouge, qui surviennent au mercure dans les opérations de cet art, où le mercure est tout, suivant l’expression des Philosophes ; est in mercurio quidquid quaerunt sapientes : in eo enim, cum eo & per cum perficitur magisterium. Ces yeux d’argent ont frappé un savant Académicien. Il a regardé ces yeux comme un vain étalage de richesse, guidé par le mauvais goût.

S’il avait pris ses explications dans mon système, il n’aurait pas été si embarrassé pour trouver la raison qui avait fait mettre ces yeux d’argent à la figure de Mercure. Beaucoup d’autres choses qu’il traite de purs ornements, ou qu’il avoue ne pouvoir expliquer, auraient souffert très peu de difficultés, au moins celles qui ne dépendent pas de la pure fantaisie des Artistes, ordinairement très peu instruits des raisons que l’on avait de représentée les choses de relie ou telle manière. M. Mariette se trouve dans le même cas dans son Traité des Pierres gravées. Un seul exemple tiré des Antiquités de M. de Caylus prouvera la chose.

Ce Savant infatigable, auquel le Public a tant d’obligations pour les découvertes curieuses qu’il a faites sur la pratique des Arts par les Anciens, nous présente un monument Égyptien qu’il avoue être un Mercure sous la figure d’Anubis, avec une tête de chien ; vis-à-vis de cet Anubis est Orus debout. Ils se regardent l’un & l’autre, placés chacun sur l’extrémité d’une gondole, dont le bout d’Orus se termine en tête de taureau, & celui d’Anubis eu tête de bélier. »

Ces deux têtes d’animaux paraissent à M. de Caylus de purs ornements. Mais il n’ignorait pas que le taureau Apis était le symbole d’Osiris, qu’Orus était fils d’Osiris, & que ce père, son fils & le soleil (J’entends le Soleil hermétique, & non pas le sens des Mythologues.) n’étaient qu’une même chose. Il le dit en plus d’un endroit. Il savait même que, le bélier était un des symboles hiéroglyphiques de Mercure, qui, comme le dit le Cosmopolite (Parab.) Philalèthe & plusieurs autres, se tire au moyen de l’acier, que l’on trouve dans le ventre du bélier.

Le Mercure des Philosophes est donc représenté dans ce monument sous la figure d’Anubis & du bélier, comme principe de l’œuvre, & de la manière dont on le tire. Le bélier indique aussi sa nature martiale & vigoureuse. L’or ou le soleil Hermétique y est sous la figure d’Orus & du taureau, symbole de la matière fixe dont on le fait. Ils ne sont donc pas là pour servir de purs ornements, mais pour compléter l’hiéroglyphe de tout le grand œuvre. J’ai assez expliqué ce que c’était qu’Anubis dans le premier Livre.

Deux serpents, l’un mâle, l’autre femelle, paraissaient entortillés autour du caducée de Mercure, pour représenter les deux substances mercurielles de l’œuvre, l’un fixe, l’autre volatile, la première chaude & sèche ; la seconde froide & humide, appelées par les Disciples d’Hermès serpents, dragons, frère & sœur, époux & épouse, agent & patient, & de mille autres noms qui ne signifient que la même chose, mais qui indiquent toujours une substance volatile, & l’autre fixe. Elles ont en apparence des qualités contraires ; mais la verge d’or donnée a Mercure par Apollon, met l’accord entre ces serpents, & la paix entre les ennemis, pour me servir des termes des Philosophes. Raymond Lulle nous dépeint très bien la nature de ces deux serpents, lorsqu’il dit (De Quinta. Essent. Dist. 3. de incerat.) :

« Il y a certains éléments qui durcissent, congèlent & fixent, & d’autres qui sont endurcis, congelés & fixés. Il faut donc observer deux choses dans notre art. On doit composer deux liqueurs contraires, extraites de la nature du même métal : l’une qui ait la propriété de fixer, durcir & congeler ; l’autre, qui soit volatile, molle & non fixe. Cette seconde doit être endurcie, congelée & fixée par la première ; & de ces deux il en résulte une pierre congelée & fixe, qui a aussi la vertu de congeler ce qui ne l’est pas, de durcir ce qui est mou, de mollifier ce qui est dur, & de fixer ce qui est volatil. »

Tels sont ces deux serpents entortillés & entrelacés l’un dans l’autre ; les deux dragons de Flamel, l’un ailé, l’autre sans ailes; les deux oiseaux de senior, dont l’un a des ailes, l’autre non, & qui se mordent la queue réciproquement.

La nature & le tempérament de Mercure sont encore assez clairement indiqués par la qualité de celui qui le nourrir. Mercure, dit-on, fut élevé par Vulcain ; mais il n’eut guère de reconnaissance des soins que ce Mentor prit de son éducation : il vola les outils que Vulcain employait dans ses ouvrages.

Avec un caractère aussi porté à la friponnerie, Mercure pouvait-il en rester là ? Il prit la ceinture de Vénus, le sceptre de Jupiter, les bœufs d’Admete qui paissaient sous la garde d’Apollon. Celui-ci voulut s’en venger, & Mercure pour l’en empêcher lui vola son arc & ses flèches. A peine fut-il né, qu’il vainquit Cupidon à la lutte. Devenu grand, il fut chargé de beaucoup d’offices. Il balayait la salle où les Dieux s’assemblaient. Il préparait tout ce qui était nécessaire ; portait les ordres de Jupiter & des Dieux. Il courait jour & nuit pour conduire les âmes des morts aux Enfers, & les en retirer. Il présidait aux assemblées : en un mot il n’était jamais en repos. Il fut l’inventeur de la lyre, ajusta neuf cordes à une écaille de tortue qu’il trouva sur le bord du Nil, & détermina le premier les trois tons de Musique, le grave, le moyen & l’aigu. Il convertit Batte en pierre de touche, tua d’un coup de pierre Argus, gardien d’Io changée en vache. Strabon dit (Geog. 1. 17.) qu’il donna des lois aux Egyptiens, enseigna la Philosophie & l’Astronomie aux Prêtres de Thèbes. Mardis Manilius, qui est du même sentiment (Astron. 1, I.), assure aussi que Mercure posa le premier les fondements de la Religion chez les Egyptiens, en institua les cérémonies, & leur découvrit les causes de beaucoup d’effets naturels.

Que conclure de tout ce que nous venons de rapporter ? Faut-il encore répéter ce que j’ai dit fort au long de Mercure dans le premier Livre ? Oui, tout dépend de Mercure ; il est le maître de tout ; il est même le patron des fripons, c’est-à-dire de ces Charlatans & de ces Souffleurs, qui, après s’être ruinés à travailler sur les matières qu’ils appellent mercure, cherchent à se dédommager de leurs pertes sur la bourse des sots ignorants & trop crédules : mais la friponnerie de Mercure n’est pas dans ce goût-là. Il vola les instruments de Vulcain à peu près comme un Elève vole son Maître, lorsque sous sa discipline il devient aussi savant que lui, & exerce ensuite seul l’art qu’il a appris.

Il puisa dans l’école de Vulcain, & se rendit propre son activité & ses propriétés. S’il prit la ceinture chamarrée de Vénus, & le sceptre de Jupiter, c’est qu’il devient l’un & l’autre dans le cours des opérations du grand œuvre. En travaillant sans cesse dans le vase à purifier la matière de cet art, il balaye la salle d’assemblée, & la dispose à recevoir les Dieux ; c’est-à-dire, les différentes couleurs appelées : la noire, Saturne ; la grise, Jupiter ; la citrine, Vénus ; la blanche, la Lune ou Diane ; la Safranée ou couleur de rouille, Mars, la pourprée, le Soleil ou Apollon, & ainsi des autres, qu’on trouve à chaque page dans les écrits des Adeptes. Les messages des Dieux qu’il faisait jour & nuit, est sa circulation dans le vase pendant tout le cours de l’œuvre.

Les tons de la Musique, & l’accord des instruments dont Mercure fut l’inventeur, indiquent les proportions, les poids & les mesures, tant des matières qui entrent dans la composition du magistère, que de la manière de procéder pour les degrés du feu, qu’il faut administrer clibaniquement, suivant Flamel (Explicat. de ses fig.), & en proportion géométrique, selon d’Espagnet. Mettez dans notre vase une partie da notre or vif & dix parties d’air, dit le Cosmopolite : l’opération consiste à dissoudre votre air congelé avec une dixième partie de votre or. Prenez onze grains de notre terre, un grain de notre or, ou deux de notre lune, & non de la lune vulgaire ; mettez le tout dans notre vase & à notre feu, ajoute le même Auteur. De ces proportions, il résulte un tout harmonique, que j’ai déjà expliqué en parlant d’Harmonie, fille de Mars & Vénus.

La charge qu’avait Mercure de conduire les morts dans le séjour de Pluton, & de les en retirer, ne signifie autre chose que la dissolution & la coagulation, la fixation & la volatilisation de la matière de l’œuvre.

Mercure changea Batte en pierre de touche, parce que la Pierre Philosophale est la vraie pierre de touche, pour connaître & distinguer ceux qui se vantent de savoir faire l’œuvre, qui étourdissent par leur babil, & qui ne sauraient le prouver par expérience. D’ailleurs la pierre de touche sert à éprouver l’or ; ce qui revient parfaitement à l’histoire feinte, de Batte. Mercure, dit la Fable, enleva les bœufs qu’Apollon gardait, il lui vola même son arc & ses flèches, & fut ensuite en habit déguisé, demander à Batte des nouvelles des bœufs volés. Cet habit déguisé est le mercure Philosophique, auparavant volatil & coulant, à présent fixé & déguisé en poudre de projection ; cette poudre est or, & ne paraît pas avoir la propriété d’en faire : elle en fait cependant des autres métaux, qui renferment des parties principes d’or. Quand on les a transmués, on s’adresse à Batte, ou la pierre de touche, pour savoir ce que sont devenus les métaux imparfaits qu’il connaissait avant leur transmutation, Batte répond, suivant Ovide :

Montibus, inquit, erant : & erant sub montibus illis»

Risit Atlantiades, &c. Métam. I. 2.

Ils étaient premièrement sur ces montagnes ; ils sont à présent sur celles-ci : ils étaient plomb, étain, mercure ; ils sont maintenant or, argent. Car les Philosophes donnent aux métaux le nom de montagne, suivant ces paroles d’Artéphius : « Au reste, notre eau, que j’ai ci-devant appelée notre vinaigre, est le vinaigre des montagnes, c’est-à-dire, du Soleil & de la Lune. »

Après la dissolution de la matière & la putréfaction, cette matière des Philosophes prend toutes sortes de couleurs, qui ne disparaissent que lorsqu’elle commence à se coaguler en pierre & se fixer. C’est Mercure qui tue Argus d’un coup de pierre.

Les Samothraces tenaient leur Religion & ses cérémonies des Egyptiens, qui l’avaient reçue de Mercure Trismégiste. Les uns & les autres avaient des Dieux qu’il leur était défendu de nommer ; & pour les déguiser, ils leur donnaient les noms d’Axioreus, Axiocersa, Axiocersus. Le premier signifiait Cérès ; le second, Proserpine ; & le troisième, Pluton. Ils en avaient encore un quatrième nommé Casmilus, qui n’était autre que Mercure, suivant Dionysiodore, cité par Noël le Comte (Mythol. 1. 5.). Ces noms ou leur application naturelle faisaient peut-être une partie du secret confié aux Prêtres, dont nous avons parlé dans le premier Livre.

Quelques Anciens ont appelé Mercure, le Dieu à trois têtes, étant regardé comme Dieu marin, Dieu terrestre & Dieu céleste ; peut-être parce qu’il connut Hécate, donc il eut trois filles, si nous en croyons Noël le Comte.

Les Athéniens célébraient le 13 de la Lune de Novembre, une fête nommée Choes, en l’honneur de Mercure terrestre. Ils faisaient un mélange de toutes sortes de graines, & les faisaient cuire ce jour-là dans un même vase : mais il n’était permis à personne d’en manger. C’était seulement pour indiquer que le Mercure dont il s’agissait, était le principe de la végétation.

Lactante met Mercure avec le Ciel & Saturne, comme les trois qui ont excellé en sagesse. Il avait sans doute en vue Mercure Trismégiste, & non celui à qui Hercule consacra sa massue après, la défaite des Géants. C’est à ce dernier que le quatrième jour de la Lune de chaque mois était dédié, & on lui immolait des veaux (Ovid.-Metam. 1. 4.). On portait aussi sa statue avec les autres symboles sacrés, dans les cérémonies des fêtes célébrées à Eléusis.

Mercure étant un des principaux Dieux signifiés par les Hiéroglyphes des Egyptiens & des Grecs, & tous ceux qui étaient initiés dans ses mystères étant obligés au secret, il n’est pas surprenant que ceux qui n’en avaient pas connaissance, se soient trompés sur le nombre & la nature de ce Dieu ailé. Cicéron en reconnaissait plusieurs, (De Nat. Deor.) ; l’un, né du Ciel & du Jour, l’autre, fils de Valens & de Phoronis ; le troisième, de Jupiter & de Maja ; le quatrirème eut le Nil pour père. Il peut à la vérité s’en être trouvé plus d’un de ce nom en Egypte, tel qu’Hermès Trismégiste, peut-être même est Grèce ; mais il n’y a jamais eu qu’un Mercure à qui l’on puisse attribuer raisonnablement tout ce que les fables en rapportent, & le Mercure ne peut-être que celui des Philosophes Hermétiques, auquel convient parfaitement tout ce que nous en avons rapporté jusqu’ici. C’était sans doute aussi pour fixer cette idée, qu’on le représentait ayant trois têtes, afin d’indiquer les crois principes dont il est composé, suivant l’Auteur du Rosaire des Philosophes :

«  La matière de la pierre des Philosophes, dit-il, est une eau ; ce qu’il faut entendre d’une eau prise de crois choses ; car il ne doit y en avoir ni plus ni moins. Le Soleil est le mâle, la Lune est la femelle, & Mercure le sperme, ce qui néanmoins ne fait qu’un Mercure. »

Les Philosophes ayant reconnu que cette eau était un dissolvant de tous les métaux, donnèrent à Mercure le nom de Nonacrite, d’une montagne d’Arcadie appelée Nonacris, des rochers de laquelle distille une eau qui corrode tous les vases métalliques.

Il passait pour un Dieu céleste, terrestre & marin, parce que le mercure occupe en effet le ciel Philosophique, lorsqu’il se sublime en vapeurs, la mer des sages, qui est l’eau mercurielle elle-même, & enfin la terre Hermétique, qui se forme de cette eau & qui occupe le fond du vase. Il est d’ailleurs composé de trois choses, suivant le dire des Philosophes, d’eau, de terre, & d’une quintessence céleste, active, ignée,, qui vivifie les deux autres principes, & fait dans le mercure l’office des instrument & des outils de Vulcain.

Les Mythologues voyant qu’on consacrait les langues des victimes à Mercure, ne se sont pas imaginés qu’on le fît pour d’autres raisons que l’éloquente de ce Dieu. N’auraient-ils pas mieux réussi, si faisant attention qu’on brûlait ces langues dans les cérémonies de son culte, & que ces cérémonies devaient être secrètes, ils avaient conclu qu’un les lui consacrait ainsi, non à cause de son éloquence prétendue, mais pour marquer le secret que les Prêtres étaient obligés de garder ?

Tel est donc ce Mercure si célèbre dans tous les temps & chez routes les Nations, qui prit d’abord naissante chez les Hiéroglyphes des Egyptiens, & fut ensuite le sujet des allégories & des notions des Poètes. Je ne puis mieux finir son chapitre que parce qu’en dit Orphée, en faisant la description de l’antre de ce Dieu. C’était la source & le magasin de tous les biens & de toutes les richesses ; & tout homme sage & prudent pouvait y en puiser à sa volonté. On trouvait même le remède à tous les maux.

Il fallait qu’Orphée parlât aussi clairement, pour faire ouvrir les yeux aux Mythologues, & leur faire voir ce que c’était que le Dieu Mercure, qui cachait dans son antre le principe de la santé & des richesses. Mais il a soin en même temps d’avertir que pour les y trouver, & s’en mettre en possession, il faut de la prudence & de la sagesse. Est-il difficile de deviner de qu’elle nature pouvaient être ces biens, dont l’usage pouvait rendre un homme exempt de toutes incommodités ? En connaît-on d’autres que la pierre des Philosophes, auxquels on ait attribué de telles propriétés ? L’autre est le vase où elle se fait, & Mercure en est la matière, dont les symboles ont été variés sous les noms & figures de taureaux, de béliers, de chiens, de serpents, de dragons, d’aigles, & d’une infinité d’animaux ; sous les noms de Typhon, Python, Echidna, Cerbère, Chimère, Sphinx, Hydre, Hécate, Gérion, & de presque tous les individus, parce qu’elle en est le principe.

Aller plus loin :

Mercure selon Dom Pernety.

Les Fables égyptiennes et grecques dévoilées et réduites au même principe, avec une explication des hiéroglyphes et de la guerre de Troye (1758), chapitre XIV.
Hans Thoma / Public domain

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