Anubis selon Dom Pernety.

Diodore de Sicile (Lib. I.) dit qu’Anubis fut un de ceux qui accompagnèrent Osiris dans son expédition des Indes ; qu’il était fils de ce même Osiris ; qu’il portait pour habillement de guerre une peau de chien, & qu’il était, suivant l’interprétation de M. l’Abbé Banier (Mythol. T. I. p.496.), capi­taine des Gardes de ce Prince.

Le premier de ces Auteurs rapporte ce qu’il avait appris en Égypte, & dit vrai ; mais le second a tort d’accuser la Mythologie Grecque d’avoir confondu Anubis avec Mercure Trimégiste, si célèbre en Égypte par ces belles découvertes, par l’invention des caractères, & par le nombre prodigieux de livres qu’il composa sur toutes sortes de sciences.

Ceux qui transportent la Mythologie des Égyp­tiens chez les Grecs, tels que Musée, Orphée, Mélampe, Eumolpe, Homère, &c. ne s’écartèrent point des idées des Égyptiens, & ne con­fondirent jamais Anubis avec Trimégiste, mais avec un autre Mercure inconnu à M. l’Abbé Banier, au moins dans le sens que ces promulgateurs de la Mythologie en avaient. Le peu de connaissance qu’on avait de ce Mercure, qui accompagna en effet Osiris dans son voyage, a occasionné les faux raisonnements que la plupart des Auteurs ont faits sur Anubis ; ce n’est donc pas sur leur témoignage qu’il faut établir ses conjec­tures, & fonder ses jugements.

Le P. Kircher (Obelisc. Pamph. p. 292.), est un de ceux qui a mal à propos confondu avec le ton décisif qui lui est ordinaire, Mercure Trimégiste avec Anubis, & qui s’est persuadé faussement que les Égyptiens le représentaient sous la figure d’Anubis. Unde posteri virum tam admirandâ scientiâ prœditum ïnter Deos relatum di­vinis honoribus coluerunt, eum Anubin vacantes, hoc est, canem, ob admirabilem hujus in rébus, quâ inveniendis, qua investigarnis sagacitatem : il a été sans doute trompé par les explications des hiéroglyphes égyptiens, données par Horapollo (Liv. l. Explicat. 39.), qui dit que le chien était le symbole d’un Ministre, d’un Conseiller, d’un Secrétaire d’État, d’un Prophète, d’un Savant, &c. Plutarque peut aussi avoir contribué à tromper nos Mythologues, en donnant à ce Dieu le nom d’Herm-Anubis, qui signifie Mercure Anubis.

Anubis selon Dom Pernety
Anubis selon Dom Pernety. Image by Benedikt Günther from Pixabay

Apulée aurait cependant pu les tirer d’erreur, s’ils avaient fait réflexion sur la description qu’il en fait en ces termes : « Anubis est l’interprète des Dieux du Ciel, & de ceux de l’enfer. Il a la face tantôt noire, tantôt de couleur d’or. Il tient élevée sa grande tête de chien, portant de la main gauche un caducée, & de la droite une palme verte, qu’il semble agiter. »

Un Antique, que Boissard nous a conservé, que l’on trouve aussi dans le P. Kircher (Loc. cit. p. 294.), dans l’Antiquité expliquée de Dom de Montfaucon, T, II. P. II. p. 314 & ailleurs, & suivant l’inscription, dédiée par un grand Prêtre, nommé Isias, montre clairement ce que les Égyptiens entendaient par Anubis. Cet Isias dédie cet hié­roglyphe aux Dieux frères, & dit que ces Dieux, c’est-à-dire, Sérapis ou Osiris, Apis & Anubis sont les Dieux synthrônes de l’Égypte, ou participants au même trône en Égypte. Isias montre par cette inscription qu’il était plus au fait de la nature de ces Dieux & de leur généa­logie, que ne l’étaient beaucoup d’anciens Au­teurs Grecs & Latins, & que ne le sont encore aujourd’hui nos Mythologues.

La fraternité de ces trois Dieux sape les fondements de toutes leurs explications ; elle contredit Plutarque, qui croit qu’Anubis était fils de Nephté, qui en ac­coucha, selon lui, avant terme, par la terreur qu’elle eut de Typhon son mari, & que ce fut lui qui, quoiqu’encore fort jeune, apprit à Isis sa tante la première nouvelle de la mort d’Osiris. Elle ne s’accorde pas avec Diodore, qui fait Anubis fils d’Osiris. Mais si nos Mytholo­gues pénétraient dans les idées d’Isias, ils ver­raient bientôt que ces contradictions ne sont qu’apparentes, & que ces trois Auteurs parlent réellement d’un seul & unique sujet, quoiqu’ils s’expriment diversement. Diodore & Plutarque rapportent les traditions égyptiennes, telles qu’ils les avaient apprises sans savoir ce qu’elles signifiaient, au lieu qu’Isias était instruit des mystères qu’elles renfermaient. On en jugera par l’expli­cation suivante.

Il y avait deux Mercures en Égypte, l’un sur­nommé Trimégiste, inventeur des hiéroglyphes des Dieux de l’Égypte, c’est-à-dire, des Dieux fabriqués par les hommes, & qui faisaient l’objet de l’Art Sacerdotal ; l’autre Mercure appelé Anubis, qui était un de ces Dieux, en vue desquels ces hiéroglyphes furent inventés. L’un & l’autre de ces Mercures furent donnés pour conseil à Isis ; Trimégiste pour gouverner extérieurement, & Anubis pour le gouvernement intérieur. Mais comment cela put-il se faire, dira-t-on, puisque Diodore rapporte qu’Anubis accompagna Osiris dans son expédition ? Voici le moyen d’accorder ces contradictions ; & l’on verra qu’Anubis est fils, de même que frère d’Osiris.

Nous avons dit qu’Osiris & Isis étaient le sym­bole de la matière de l’Art Hermétique ; que l’un représentait le feu de la Nature, le principe igné & générant, le mâle & l’agent ; que l’autre ou Isis signifiait l’humeur radicale, la terre, ou la matrice & le siège de ce feu, le principe passif ou la femelle ; & que tous deux ne formaient qu’un même sujet composé de ces deux substances.

Osiris était le même que Sérapis ou, Amun, que quelques-uns disent Amon & Ammon, représenté par une tête de Bélier, ou avec des cornes de Bélier ; parce que cet animal, sui­vant les Auteurs (Kirch. Obél. Pamph. p. 295.) cités par le P. Kircher, est d’une nature chaude & humide.

On voyait Isis avec une tête de Taureau, parce qu’elle était prise pour la Lune, dont le croissant est représenté par les cornes de cet animal ; & que d’ail­leurs il est pesant & terrestre. Anubis dans l’An­tique de Boissart, se trouve placé entre Sérapis & Apis, pour faire entendre qu’il est composé des deux, ou qu’il en vient ; il est donc fils d’Osiris & d’Isis, & voici comment. Cette matière de l’Art Sacerdotal, mise dans le vase, se dissout en eau mercurielle ; cette eau forme le Mercure Philosophique ou Anubis. Plutarque dit que, quoi­que fort jeune, il fut le premier qui annonça à Isis la mort d’Osiris, parce que ce Mercure ne paraît qu’après la dissolution & la putréfaction désignées par la mort de ce Prince. Et comme Typhon & Nephté sont les principes de destruction & les causes de cette dissolution, on dit qu’Anubis est fils de ce monstre & de sa fem­me.

Voilà donc Anubis fils d’Osiris & d’Isis en réalité, & né d’eux générativement. Typhon & Nephté sont aussi ses père & mère, mais seule­ment comme causes occasionnelles. Raymond Lulle s’exprime dans ce sens-là (Vade mecum.), lorsqu’il dit : Mon fils, notre enfant a deux pères & deux mères. Cette eau est appelée eau de la sagesse, parce qu’elle est toute or & argent, & elle en réside l’esprit de la quintessence qui fait tout, & sans elle on ne peut rien faire. Ce feu, cette terre, & cette eau qui se trouvent dans cette même matière de l’œuvre sont frères comme les éléments le sont entre eux, ce qui fait qu’Isias les appelle de ce nom. Il dit aussi qu’ils sont Dieux synthrônes de l’Égypte, ou des Dieux également révérés par les Égyptiens, participants au même trône & au même honneur, pour nous faire entendre que les trois ne sont qu’un, & qu’ils ne signifient que la même chose, quoiqu’ils aient différents noms. Cette unité ou ces trois principes qui se réunifient pour ne faire qu’un tout, est déclaré palpablement par le triangle qui se voit dans ce monument.

Ayant dit ce que c’est qu’Anubis, on devine aisément comment il put accompagner Osiris dans son voyage, puisque le Mercure Philosophique est toujours dans le vase ; qu’il passe par le noir ou l’Éthiopie, le blanc, &c. ; on a vu le reste dans le chapitre d’Osiris. Quant à la tête de chien qu’on donne à Anubis, nous avons vu que les Égyptiens prenaient le chien pour sym­bole d’un Ministre d’État ; ce qui convient très bien au Mercure des Philosophes, puisque c’est lui qui conduit tout l’intérieure de l’œuvre. Le caducée seul le fait connaître pour Mercure ; la face tantôt noire, tantôt de couleur d’or que lui donne Apulée, n’indique-t-elle pas clairement les couleurs de l’œuvre ?

Le texte de Raymond Lulle que nous avons cité, fait voir que Osiris, Isis & Anubis, ou Sérapis, Apis & Anubis sont ren­fermés dans un même sujet, puisque Osiris, symbole du Soleil, & Isis, symbole de la Lune, se trouvent dans l’eau mercurielle ; car les Philosophes appellent indifféremment Soleil ou or leur soufre parfait au rouge, & Lune ou argent, leur matière fixée à blancheur.

Le crocodile, animal amphibie, sur lequel Isias a fait représenter Anu­bis debout, désigne que Mercure ou le Dieu Anubis est composé ou naît de la terre & de l’eau ; & afin qu’on ne s’y méprît pas, il a fait mettre auprès un préséricule & une patère, qui sont des vases où l’on met de l’eau ou d’autres liqueurs. Le ballot que le P. Kircher n’a pas expliqué, & que D. de Montfaucon prend pour un coussin bandé en avouant qu’il n’en sait pas l’usage, signifie le commerce qui se fait par le moyen de l’or, dont le globe qu’Anubis porte à la main droite est le symbole.

On voit assez souvent le globe dans les hiéroglyphes égyptiens, parce qu’ils avaient l’Art Sacerdotal pour objet. Lorsque ce globe est joint à une croix, c’est pour faire voir que l’or est composé des quatre éléments si bien combinés qu’ils ne se détruisent point l’un, & l’autre. Quand le globe est ailé, c’est l’or qu’il faut volatiliser pour parvenir à lui donner la vertu transmutative. Un globe environné d’un serpent, ou un serpent appuyé sur un globe, est un signe de la putréfaction par laquelle il doit passer avant d’être volatilité. On le trouve même quelquefois ailé, avec un serpent attaché au-dessous (Kirch. Obel. Pamph. p. 399.), & alors il désigne la putréfaction & la volatilisation qui en est une suite. Mais il faut faire attention que je parle de l’or Philosophique, ou Soleil Hermétique, je crois devoir faire cette observation, crainte que quelque souffleur n’en prenne occasion de chercher par les eaux-fortes ou quelques dissolvants semblables, le moyen de distiller l’or commun, & ne s’imagine avoir touché au but quand il fera parvenu à les faire passer ensemble dans le récipient.

Plus sur le sujet :

Anubis par Dom ANTOINE-JOSEPH PERNETY.

LES FABLES ÉGYPTIENNES ET GRECQUES, chapitre VIII.
Image by DaniBeer from Pixabay

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