Deux figures baphométiques par Héron de Villefosse.

Héron de Villefosse, membre honoraire, dépose sur le bureau deux figures en bronze, absolument identiques, sorties du même moule et qui offrent des caractères évidents de fausseté.

Ces deux figures rentrent dans la catégorie de celles qu’on appelait autrefois des baphomets et auxquelles, prétendait-on, les Templiers, dans leurs assemblées secrètes, auraient adressé leurs hommages avec des formules mystérieuses.

Par une réminiscence du culte rendu en Égypte au bœuf Apis ou de l’adoration du veau d’or par les Israélites, ces idoles avaient l’apparence d’un veau.

Les deux figures sont, en effet, surmontées d’une tête de cet animal. Il suffira d’en décrire une pour connaître l’autre ou les autres, car elles ont dû être tirées à plusieurs exemplaires ; il est probable que plusieurs de nos Musées provinciaux en possèdent.

Haute exactement de 0m136, la figure en question est debout sur une petite base très étroite, les deux bras pendants et collés le long du corps ; le relief du corps est indiqué légèrement par-devant. La tête est celle d’un veau, munie de poils en arrière, ornée de chaque côté de cornes pendantes et adhérentes au crâne dans tout leur développement. Le torse est celui d’un homme, avec l’indication de son sexe. Les jambes sont entièrement garnies de poils et terminées par des pieds fourchus (voir le croquis A de la face antérieure).

Le revers de la figure est plat. Un peu au-dessous de la ceinture se déroule une bande d’étoffe qui emprisonne les deux poignets, plaqués le long du corps, comme pour les maintenir dans cette position ; mais elle ne revient pas en avant sur le ventre. Cette bande d’étoffe porte une inscription en relief qui semble incompréhensible :

Deux figures baphométiques

Une seconde inscription du même genre est tracée au milieu du dos et dans le sens de la hauteur de la figure ; elle est aussi en relief :

Deux figures baphométiques

On dirait, cependant, que le faussaire a voulu indiquer ici une date [anno domini?] MCLVl = 1156, date qui correspondrait à l’époque de la puissance des Templiers (voir le croquis B de la face postérieure).

Les deux figures identiques déposées sur le bureau ne diffèrent que par la couleur de la patine.

La première appartient au Musée du Louvre où elle est entrée en 1824 avec la collection Durand. Elle porte, au revers, les indications suivantes ED (coll. E. Durand) 4456 ; N (inventaire Napoléon III 6443. Au-dessous du socle, on a écrit le mot baphomets (sic).

C’est évidemment le même exemplaire qui, en 1819, faisait partie de la collection de l’abbé Campion de Tersan ; on sait que le chevalier Durand avait fait de nombreuses acquisitions à la vente de cet amateur. Il est ainsi décrit dans le catalogue Campion :

163. — [Idole sarde] ayant la tête et les extrémités inférieures d’un bélier et le corps d’un homme ; sur le dos sont deux inscriptions qui se rapprochent du Celtibérien ; 5 pouces.

On n’en retrouve pas la trace ailleurs. Il est donc probable que la fabrication ne remonte pas beaucoup plus haut que l’année 1819, date qui coïncide, comme on le verra plus loin, avec celle des discussions relatives aux pratiques de magie et de sorcellerie imputées aux Templiers. Il faut ajouter que M. Salomon Reinach a reproduit cette statuette dans son Répertoire, mais d’une manière inexacte. Son dessinateur n’a pas indiqué, en effet, la bandelette qui entoure les poignets ; il n’a pas vu que les pieds étaient fourchus, et, comme il n’a donné qu’un seul côté de la figure, les inscriptions du revers sont restées inconnues.

La seconde figure, exactement semblable à celle qui vient d’être décrite, m’a été communiquée par notre confrère le capitaine E. Espérandieu, professeur à l’École militaire de Saint-Maixent, qui la tenait lui-même de M. Müller, bibliothécaire et conservateur du matériel à l’École de médecine et de pharmacie de Grenoble. Elle aurait été apportée à Grenoble il y a au moins trente ans ; le piédestal paraît avoir plus d’un demi-siècle. L’objet aurait été trouvé aux environs de Novare, en Piémont. M. Espérandieu, en m’adressant ces renseignements intéressants, ajoute qu’il a vu un autre exemplaire de la même nature, sans pouvoir se rappeler exactement en quel endroit.

Il en existerait donc au moins trois. La patine de l’exemplaire de Grenoble, comme on peut le constater sur l’original déposé sur le bureau, est beaucoup plus foncée que celle de l’exemplaire du Louvre. Il n’est pas possible de savoir où ces figures ont été fabriquées ; la provenance donnée par le vendeur de l’exemplaire de Grenoble est probablement aussi fausse que l’objet lui-même. Mais il est certain que la fabrication remonte au commencement du siècle et vraisemblablement à l’époque où parut le célèbre pamphlet de Hammer contre les Templiers, Mysterium Baphometi revelatum seu Fratres mililiae Templi, qua Gnosiici et quidem Ophiniani apostasiae, idoloduliae el impuritatis convicti per ipsa eorum monumenta, auquel Raynouard répondit dans le Journal des Savants ca 1819 (p. 152-161 et p. 2-21-229).

L’exhibition de ces deux figures identiques m’amène à dire quelques mots d’une série de statuettes de bronze du même genre appartenant au Musée du Louvre. Dans l’inventaire manuscrit de la collection Durand, la première des deux figures, que je viens de signaler, est classée dans un lot de statuettes en bronze ainsi mentionné :

4453 à 4458. — Six figurines de style barbare avec des inscriptions ; ces monuments sont attribués aux Sardes et présentent les caractères d’une époque plus récente. Hauteur de 6 à 8 pouces. Ensemble : 150 fr.

Parmi ces six figurines attribuées à la Sardaigne, cinq au moins paraissent devoir être condamnées sans appel et doivent être placées dans la catégorie des pièces fausses. Il suffira d’en donner le signalement. La première décrite (n. 1) est d’une exécution bien meilleure, mais ne saurait remonter à l’antiquité.

  1. (E. D. 4453.) Monstre à figure bestiale, debout, le front bas et déprimé, le nez busqué et aplati, les yeux enfoncés, les lèvres fortes et proéminentes. Le torse est celui d’une femme avec des mamelles pendantes et un ventre replet ; à la hauteur des épaules, deux coquilles ouvertes remplacent les bras ; une ceinture entoure la taille, et le dos est couvert de feuilles(?) ou d’écaillés (?). Les cuisses sont celles d’un carnassier ; elles sont garnies de poils ; les pattes sont armées de griffes et reposent sur une base ronde qui devait servir de couronnement à un meuble. Le sexe féminin est indiqué d’une façon démesurée. — Bronze, la fonte n’est pas antique. Haut. : 0m135.
  2. (E. D. 4454.) Homme debout, coiffé d’une sorte de serre-tête, avec bourrelet en avant ; le menton est garni de barbe. Les épaules sont couvertes d’une pèlerine collante sur le bord antérieur de laquelle on distingue des lettres en relief :
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Un jupon court et plissé, serré à la taille, s’arrête au-dessus des genoux. Les deux bras collés au corps reviennent en avant, au-dessous du ventre ; les deux mains soutiennent une sacoche ouverte sur laquelle on remarque encore des lettres en relief:

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Un jet de fonte réunit les deux pieds. Travail analogue à celui de la figure reproduite plus haut ; revers plat. Haut. : 0m165. Publié par Salomon Reinach, Répertoire de la statuaire grecque et romaine, II, p. 62, n. 9 (avec l’indication Suspect et un croquis insuffisant).

  1. (E. D. 4456.) Figure décrite et reproduite plus haut.
  2. (E. D. 4457.) Homme imberbe, debout, les jambes croisées, les bras pendants. Sa tête est surmontée d’une coiffure découpée ; le corps est couvert d’un justaucorps imbriqué, garni de manches courtes ; les imbrications cachent le haut des cuisses et descendent jusqu’aux genoux. Les pieds nus reposent sur une petite base en forme de coussinet. Au revers, entre les deux épaules, apparaît une inscription de trois lignes dont les lettres sont en relief :
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Dans chaque main fermée, il tient un objet de forme pyramidale à trois ressauts. Haut. : 0″19. Mauvais travail ; patine verte.

Une cinquième figure qui, dans l’inventaire manuscrit de la collection Durand, est inscrite sous une autre rubrique, doit être rapprochée de ces quatre bronzes. Elle représente un homme imberbe, entièrement nu, les bras pendants avec la paume des mains tournée en dehors. Deux cornes sortent du crâne et s’abaissent de chaque côté de la tête ; les pieds reposent sur une base arrondie. Haut. : 0m176.

Enfin, une sixième figure, inscrite également sous une autre rubrique dans l’inventaire manuscrit de la collection Durand, rentre encore dans cette série. Elle est un peu plus petite et un peu plus grêle que les autres. Elle représente aussi un homme imberbe, entièrement nu, avec une coiffure élevée ; cet homme porte des deux mains, devant lui, au-dessous de ses parties génitales, une tète de chèvre (?) qu’il soutient par les deux oreilles. Sur chacune de ses jambes rampe un serpent dont la tête se tourne vers le mufle de l’animal. Haut. : 0m13. Fonte détestable.

Deux figures baphométiques
Deux figures baphométiques
Deux figures baphométiques

Ces statuettes de bronze, à l’exception du n° 1 (E. D. 4453), semblent avoir été faites dans la même officine. Elles ont pour auteur commun un faussaire de bas étage. Les patines sont factices. La raideur et la gaucherie des attitudes, la facture uniforme des mêmes parties du corps (notamment du ventre), l’écartement constant des jambes, la position des bras pendants, le procédé particulier employé sur deux figures pour indiquer la chevelure, tout dénote la même main maladroite et inhabile, la même absence d’idées et de talent. En outre, trois d’entre elles portent des inscriptions en relief dans lesquelles n’entre qu’un nombre limité de lettres grecques et latines. Ce sont toujours les mêmes qui reviennent. L’aspect du revers en galette est également très instructif au même égard.

M. Babelon signale, à ce propos, des pierres gravées antiques qu’on a classées à tort parmi les figures baphométiques.

Deux figures baphométiques par Héron de Villefosse

BULLETIN SOCIÉTÉ NATIONALE DES ANTIQUAIRES DE FRANCE, 1er TRIMESTRE 1900, pages 305-312.

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