Lilith au sein du mysticisme juif par Spartakus FreeMann.
« Elle Ă©tait vaincue, jugĂ©e et punie dâun seul coup. Il nây avait lĂ -dedans aucune gloire, rien que cet insupportable dĂ©sir nostalgique, cette faim spirituelle plus insatiable quâaucune faim ressentie par la chair pour lâhomme quâelle nâaurait jamais plus ».
Le fruit de la connaissance C. L. Moore.
Introduction
Selon les diffĂ©rentes sources disponibles, Lilith serait tantĂŽt un dĂ©mon succube, premiĂšre compagne dâAdam, prĂ©cĂ©dant Ăve et créée Ă partir de la mĂȘme terre au sixiĂšme jour de la CrĂ©ation, tantĂŽt lâĂ©pouse de SamaĂ«l et mĂšre dâune myriade dâesprits dĂ©moniaques. De lâunion dâAdam et de Lilith & dâun autre dĂ©mon, NahĂ©ma la sĆur de TubalcaĂŻn, sont issus AsmodĂ©e et toute une race de dĂ©mons. Ce sont Lilith et NahĂ©ma qui se prĂ©senteront dĂ©guisĂ©es devant le trĂŽne de Salomon au cours du fameux jugement… La GenĂšse nâest pas claire quant Ă la crĂ©ation de la premiĂšre femme, surtout si lâon compare GenĂšse I et GenĂšse II, & câest cette divergence qui est lâorigine du mythe supposant Ă Adam une premiĂšre femme antĂ©rieure Ă Ăve. On peut y discerner lâinfluence du culte de la dĂ©esse cananĂ©enne Anat, culte fĂ©minin qui autorisait les femmes Ă avoir des rapports sexuels avant le mariage.
En fait, dans le texte hĂ©braĂŻque de lâAncien Testament Lilith nâapparaĂźt quâune seule fois [1] , dans IsaĂŻe 34:14 :
« LĂ se rencontreront chats sauvages et chiens sauvages, lĂ les satyres se donneront rendez-vous, lĂ la Lilith elle-mĂȘme Ă©tablira son gĂźte et trouvera une retraite tranquille » [2] .
Dans ce passage, Lilith fait partie des douze bĂȘtes sauvages qui envahiront le pays dĂ©vastĂ© dâĂdom le jour du Jugement Dernier, avant lâarrivĂ©e du Messie. LâEncyclopĂ©die du judaĂŻsme nous la dĂ©crit comme « un dĂ©mon femelle » qui serait le second personnage du trio dĂ©moniaque assyrien Lilu, Lilit et Ardat Lilit.
Roland Villeneuve remarque que dans le Psaume 91, 5-6, Lilith peut ĂȘtre, de loin, associĂ©e Ă Deber (la peste) et Keteb (le flĂ©au de Midi). Dans les Proverbes (2, 16 Ă 19), lâallusion Ă Lilith est plus Ă©vidente. Câest la femme Ă©trangĂšre qui incite Ă lâadultĂšre, qui a abandonnĂ© son compagnon et oubliĂ© lâalliance de Dieu. Elle est « lâĂ©trangĂšre » qui erre du cĂŽtĂ© de « la mort » et des « ombres » car « Quiconque va vers elle ne revient pas »…
« 16 Pour te sauver de la femme Ă©trangĂšre, de lâĂ©trangĂšre qui use de paroles flatteuses,
17 qui abandonne le guide de sa jeunesse, et qui a oubliĂ© lâalliance de son Dieu ;
18 – car sa maison penche vers la mort, et ses chemins vers les trĂ©passĂ©s :
19 aucun de ceux qui entrent auprĂšs dâelle ne revient ni nâatteint les sentiers de la vie ; »
Mais, bien avant dâapparaĂźtre dans la Bible, nous pouvons retracer la gĂ©nĂ©alogie de Lilith chez les Akkadiens, plusieurs millĂ©naires avant notre Ăšre, oĂč les « Lils » [3] dĂ©signaient de maniĂšre gĂ©nĂ©rique (car lâakkadien ne fait pas de distinction de genre) les grandes forces hostiles de la nature : le vent, la tempĂȘte et lâorage. Ces forces du mal, personnifiĂ©es par des dĂ©mons ou esprits nĂ©fastes, se sont progressivement diffĂ©renciĂ©es en dĂ©mons mĂąles et dĂ©mons femelles. Lilith apparaĂźt encore sous la forme de « Lilake » dans des tablettes sumĂ©riennes dâUr, 2000 ans avant notre Ăšre, dont la fameuse tablette de lâĂ©popĂ©e de Gilgamesh :
« Un dragon a fait son nid au pied de lâarbre
Lâoiseau Zu Ă©levait ses petits dans la couronne,
Et le démon Lilith a construit sa maison au milieu
âŠ
Alors, lâoiseau Zu sâenvola vers les montagnes
Avec ses petits,
Tandis que Lilith, pétrifiée de terreur,
DĂ©truisit sa maison et sâenfuit dans le dĂ©sert. » [4]
Ce passage, tirĂ© de lâĂ©popĂ©e de Gilgamesh dĂ©crivant lâarbre Huluppu, oĂč Lilith et un serpent se trouvent auprĂšs dâun arbre situĂ© dans le jardin sacrĂ© des dieux, est un bon parallĂšle avec le Jardin dâĂden, lâArbre de la connaissance du bien et du mal et le serpent tentateur de la Bible. Le nom de Lilith semble dĂ©river du mot assyro-babylonien « lilitu » qui signifie « dĂ©mon femelle » ou « esprit du vent » [5] . Dans des liturgies sumĂ©riennes, « Lilitu » apparaĂźt comme la prostituĂ©e, la courtisane sacrĂ©e dâInanna la grande dĂ©esse-mĂšre qui deviendra plus tard lâIshtar des Babyloniens [6] . Belle et parĂ©e, Lilitu est envoyĂ©e par Inanna pour sĂ©duire les hommes. Selon S. Langton, cette description est particuliĂšrement prĂ©cieuse, car elle est la « premiĂšre Ă©vocation Ă©crite de la lascivitĂ© fĂ©minine » [7] qui nous soit connue.
Quant Ă lâĂ©tymologie hĂ©braĂŻque populaire, elle fait dĂ©river Lilith â en hĂ©breu ŚŚŚŚŚȘ â du mot « layil », la nuit, et câest pourquoi elle apparaĂźt souvent sous les traits dâun monstre errant dans la nuit.
Cependant, il est aujourdâhui unanimement admis que Lilith dĂ©rive de « lilit », un mot assyrien empruntĂ© par les HĂ©breux lors de lâExil de Babylone, et dĂ©rivĂ© lui-mĂȘme du sumĂ©rien « lil » dont nous avons dĂ©jĂ parlĂ©.
Il semble que lâarrivĂ©e de Lilith dans la mystique juive soit assez tardive, peut-ĂȘtre vers le IIIe siĂšcle de notre Ăšre : « Rabbi Yehouda Bar Rabbi dit : Le Saint bĂ©ni soit-il avait créé une premiĂšre femme, mais lâhomme, la voyant pleine de sang et de sĂ©crĂ©tions, sâen Ă©tait Ă©cartĂ©. Aussi le Saint bĂ©ni soit-il sây est repris et lui en a créé une seconde » (GenĂšse Rabba 18:4, et cf. 17:7). Toutefois, un autre passage fait Ă©tat dâune survie de cette premiĂšre Ăve, et bien que lâassertion soit aussitĂŽt contredite, elle recĂšle sans doute la trace dâune tradition plus dĂ©veloppĂ©e qui a pu fournir la matiĂšre des Ă©laborations ultĂ©rieures : « Yehouda Bar Rabbi dit : [CaĂŻn et Abel] se querellaient pour [la possession] de la premiĂšre Ăve. Rabbi Ayvou a objectĂ© : Cette premiĂšre Ăve Ă©tait dĂ©jĂ retournĂ©e Ă la poussiĂšre » (GenĂšse Rabba 22:7).
En Occident, il faudra encore attendre plus longtemps, et hormis Saint-Augustin, on nâen trouve une trace prĂ©cise que dans lâarticle Lilith du dictionnaire historique de la Bible publiĂ© par lâexĂ©gĂšte et historien Augustin Calmet (1672-1757) en 1722 :
« Lilith Ă©toit, disent les rabbins, la premiĂšre femme dâAdam qui se sĂ©para de son mari ; et ne voulut plus retourner avec lui, quoique Dieu lui eĂ»t envoyĂ© deux anges pour lây contraindre. Ils croyent quâelle mange les enfans nouveau-nez. Câest pourquoi les juifs, lorsquâun enfant est nĂ© dans une maison Ă©crivent avec de la craye ou autrement quâAdam et Ăve soient ici, que Lilith sâen Ă©loigne. Ils Ă©crivent aussi les noms des trois anges qui poursuivent Lilith ; sçavoir : SennoĂŻ, SansennoĂŻ, Samangeloph ; parce que Lilith leur promit de ne faire aucun mal aux lieux oĂč elle trouvoit leurs noms. Nous avons dĂ©jĂ parlĂ© de Lilith sous lâarticle de Lamia. IsaĂŻe (XXXIV.14) fait mention de Lilith et saint JĂ©rĂŽme la traduit par Lamia, et les Septante par Onocentaure. Nous croyons que ce terme signifie un oiseau nocturne, et de mauvaise augure, comme la choĂŒette, le hibou, le chat huant, la chauve-souris. Lilith en hĂ©breu signifie la nuit » [8] .
Son CaractĂšre
« (…) On a fait de Lilith la tĂȘte des dĂ©mons. Lilith lâancienne, lâĂ©pouse de SamaĂ«l (et non pas Lilith la jeune). Lilith nâest pas dĂ©moniaque. Elle est lâincarnation de lâĂros perturbĂ©, quand lâhomme est sĂ©parĂ© de sa partie fĂ©minine extĂ©riorisĂ©e, et quâil voit devant lui. Avant elle faisait partie de lui, lâAdam androgyne. Donc Ă partir de lĂ , la plainte de Lilith, dans la tradition, qui se dĂ©fend parfaitement : quâaviez-vous Ă me reprocher ? Je suis aussi divine quâAdam. Jâai Ă©tĂ© créée en mĂȘme temps. Je suis du Feu, et ce Feu mâa Ă©tĂ© donnĂ© Ă lâincarnation, Ă la naissance, au moment de la crĂ©ation humaine ». AD Grad
Lilith est venue des temps oĂč la place de la femme Ă©tait bien diffĂ©rente, oĂč la femme Ă©tait vĂ©nĂ©rĂ©e pour sa capacitĂ© Ă donner la vie. Mais aussi dâun temps oĂč le pouvoir de lâhomme nâavait pas encore opprimĂ© la libertĂ© de son Ă©gale, la femme.
Elle est souvent reprĂ©sentĂ©e sous la forme dâune dĂ©voreuse dâhommes. On lui prĂȘte une sulfureuse rĂ©putation, tentatrice Ă la sexualitĂ© dĂ©bridĂ©e, dĂ©voreuse de nouveaux nĂ©s, castratrice…
« La dĂ©monologie juive est moins partagĂ©e quant Ă la nature profonde de la femme. Elle attribue Ă Lilith, la premiĂšre Ăve, une place centrale dans son panthĂ©on de crĂ©atures malĂ©fiques. Ă travers elle, câest la femme en gĂ©nĂ©ral qui se voit placĂ©e du cĂŽtĂ© des forces obscures. Car Lilith Ă©voque la transgression, la tentation, la sĂ©duction, la corruption, la mort, lâinstinct, le mauvais penchant, en bref, la nature opposĂ©e Ă la culture. Mais cette vision toute nĂ©gative de la femme nâest pas propre Ă la seule dĂ©monologie. Elle est tout aussi prĂ©sente dans la tradition talmudique qui en reprend certains Ă©lĂ©ments.
Ce mythe a probablement Ă©tĂ© utilisĂ© comme exemple dissuasif Ă lâintention des femmes rĂ©tives ou rebelles, car Lilith est doublement punie : expulsĂ©e du rĂ©cit de la GenĂšse, elle doit se contenter des marges sulfureuses de la tradition ; Ă©galement chassĂ©e de la couche dâAdam, elle est condamnĂ©e Ă hanter les zones dâombre, Ă rĂ©pandre la terreur et la mort, Ă pleurer Ă©ternellement la perte de ses enfants illĂ©gitimes et Ă rester sans descendance » [9].
Lilith refusa de servir Adam comme Dieu lâavait destinĂ©e Ă le faire. Les textes nous disent quâAdam voulait que Lilith soit placĂ©e sous lui durant lâacte dâamour, mais un jour celle-ci refusa : « Pourquoi devrais-je ĂȘtre sous toi ? » demanda-t-elle, « Jâai Ă©tĂ© créée de la poussiĂšre, et suis par consĂ©quent ton Ă©gale. » Adam essaya de la soumettre avec violence et Lilith, en rage, prononça le Nom magique de Dieu et sâĂ©chappa. Adam sâen plaignit Ă Dieu qui envoya trois Anges, Senoy, Sansenoy et Semangelof, Ă la recherche de Lilith. Vous pourrez lire ci-aprĂšs lâhistoire complĂšte oĂč lâon trouve mention de la mission de Lilith comme « dĂ©voreuse dâenfants »… En refusant de se plier Ă ce qui est perçu comme « lâordre naturel » du monde, Lilith introduit le dĂ©sordre et la subversion dans la crĂ©ation.
Trigano dans son Ă©tude sur un guide matrimonial juif du XIIe siĂšcle note Ă propos de cette « position » sexuelle demandĂ©e par Lilith : « Ă propos de la position dans le rapport sexuel (lui en bas et elle en haut) qui a toute une histoire dans la midrashique, puisque câest la premiĂšre Ăve, Lilith, qui lâa revendiquĂ©e au nom des droits fĂ©minins, et qui pour cela a Ă©tĂ© chassĂ©e du paradis vers le repaire des dĂ©mons, on trouve ce principe que « lâacte des deux comme un est une maniĂšre pervertie », une « maniĂšre grossiĂšre », bien quâil ne sâagisse pas dâun pĂ©chĂ© » [10] .
Le refus de Lilith de revenir aurait ainsi causĂ© sa destitution au profit dâune Ăve plus soumise.
Comme rĂ©sultat des relations lĂ©gendaires entre Adam et Lilith, bien que cette fonction nâait pas Ă©tĂ© exclusivement la leur, les Liliths furent ensuite identifiĂ©es comme des dĂ©mons embrassant les hommes lors de leur sommeil afin de provoquer des Ă©missions nocturnes qui sont alors les graines de leur progĂ©niture hybride⊠[11]
Mais au fond qui est-elle ?
Au delĂ de lâimage misogyne habituelle, on dĂ©couvre en fait une femme libre, indĂ©pendante, refusant lâordre Ă©tabli par les hommes & par Dieu, une rĂ©vĂ©latrice de nos pulsions les plus enfouies. Elle est celle qui ose renverser lâordre des choses (et lâĂ©pisode de la dispute conjugale quant Ă la place Ă prendre durant lâamour est un fait bien plus significatif quâil nây paraĂźt), refusant toute morale imposĂ©e en une libertĂ© alimentĂ©e par son caractĂšre de femme non mĂšre, sans responsabilitĂ© familiale qui pourrait lâattacher.
Franche, elle nâhĂ©site pas Ă encourir le courroux de Dieu dans son refus de la soumission, mais nous dĂ©couvrons Ă©galement quâelle est fidĂšle Ă ses engagements par lâĂ©pisode des trois anges envoyĂ©s Ă sa recherche quand elle sâengage Ă Ă©pargner les enfants qui seraient placĂ©s sous leur protection. Mais pour conserver son libre arbitre, elle accepte aussi le sacrifice quotidien de 100 de ses enfants.
Dans ce rĂŽle de femme anti-maternelle, elle fait peur aux hommes qui la dĂ©sirent toutefois secrĂštement. Lilith a Ă©tĂ© rejetĂ©e, niĂ©e, dĂ©monisĂ©e afin dâexorciser cette attraction-rĂ©pulsion quâĂ©prouve lâhomme Ă son encontre. On lâa jusque associĂ©e Ă la Lune Noire, lâanti-Lune afin de lui faire remplir le rĂŽle de la femme Ă exiler, Ă dĂ©truire et lâon retrouverait cette nĂ©gation de la fĂ©minitĂ© libre jusque dans les bĂ»chers consumant les sorciĂšres en Europe & aux AmĂ©riques aux XVIe et XVIIe siĂšcles.
Lilith est le modĂšle de la femme intĂ©grale, rĂ©intĂ©grĂ©e Ă sa place dâĂ©gale de lâhomme et câest peut-ĂȘtre pourquoi, aujourdâhui, nombre de groupements fĂ©ministes se sont emparĂ©s de son nom pour symboliser leur combat.
Lâalphabet de Ben Sira
Câest un Ă©crit plus tardif, le « midrash » intitulĂ© Alphabet de Ben Sira, rĂ©digĂ© vers le Xe siĂšcle, qui met vraiment en scĂšne cette premiĂšre Ăve. Le nom quâil lui prĂȘte dĂ©sormais, Lilith, est une appellation gĂ©nĂ©rique dans le Talmud dâune classe de dĂ©mons femelles. Ici câest le nom propre de la premiĂšre femme dâAdam, prototype de la femme rĂ©voltĂ©e, refusant la soumission, exigeant une place Ă©gale Ă celle de lâhomme. Il nâest pas inutile de rapporter le texte concernĂ© dans son intĂ©gralitĂ© :
« Le jeune fils du roi tomba malade. Nebuchadnezzar (Nabuchodonosor) dit « Soigne mon fils. Si tu ne le fais pas, je te tue ». Ben Sira sâassit immĂ©diatement et forma une amulette avec les Saints Noms, et il inscrivit par leurs noms, formes et images les anges chargĂ©s de la mĂ©decine. Le roi regarda lâamulette et demanda ce quâelle reprĂ©sentait ».
« Les anges qui sont en charge de la mĂ©decine sont : Snvi, Snsvi et Smnglof. AprĂšs que Dieu eut créé Adam, qui Ă©tait seul, Il dit « il nâest pas bon pour un homme dâĂȘtre seul ». Alors, il crĂ©a une femme pour Adam, Ă partir de la terre comme il avait créé Adam lui-mĂȘme et il lâappelle Lilith. Adam et Lilith commencĂšrent Ă se battre. Elle dit « Je ne me coucherai pas » et il dit « Je ne me coucherai pas en dessous de toi, mais seulement au-dessus. Car tu es fait uniquement pour ĂȘtre dans la position soumise, car je suis ton supĂ©rieur » Lilith rĂ©pondit « Nous sommes Ă©gaux, car nous avons Ă©tĂ© créés de la mĂȘme terre ». Mais ils ne sâĂ©coutaient pas. Quand Lilith sâen rendit compte, elle prononça le Nom Ineffable et sâenfuit dans les airs. Adam se mit Ă prier devant son crĂ©ateur « Souverain de lâunivers, la femme que tu mâas donnĂ©e est partie ». Dieu envoya alors trois anges pour la ramener. Dieu dit Ă Adam que sâil elle acceptait de revenir tout serait bien, mais autrement elle devrait accepter de voir mourir 100 de ses enfants chaque jour. Les anges partirent Ă la poursuite de Lilith. Ils la retrouvĂšrent, mais elle ne voulut point revenir. Les anges dirent alors « Nous te prĂ©cipiterons dans la mer », « Laissez-moi », dit-elle, « je nâai Ă©tĂ© créée que pour causer les maladies aux enfants. Si lâenfant est mĂąle, jâai la domination sur lui pendant les huit jours aprĂšs sa naissance, et si câest une fille, pendant 20 jours ». Quand les anges entendirent les mots de Lilith, ils insistĂšrent pour quâelle revienne, mais elle leur proposa alors un marchĂ© : chaque fois quâelle verrait le nom de ces anges sur des amulettes, elle nâaurait aucun pouvoir sur lui. Elle accepta aussi de voir mourir 100 de ses enfants chaque jour. Ainsi, chaque jour 100 dĂ©mons pĂ©rissent et pour la mĂȘme raison, on inscrit les noms des anges sur des amulettes pour de jeunes enfants. Quand Lilith voit ces noms, elle repart en souvenir de sa promesse et laisse lâenfant en vie » (Otsar ha-Midrachim, I, p. 47).
Le dĂ©mon Lilith responsable de la mort des nourrissons nâest autre, pour cette lĂ©gende, que la premiĂšre femme dâAdam, son Ă©gale créée comme lui de la terre et non pas prise dâune de ses cĂŽtes comme le sera sa seconde Ă©pouse. Les trois anges dont le nom et le portrait sont dessinĂ©s sur les amulettes placĂ©es auprĂšs des nouveau-nĂ©s ont le pouvoir dâarrĂȘter lâaction malĂ©fique de Lilith en lui rappelant son serment.
Le Zohar va reprendre lâessentiel de ce rĂ©cit mis au compte des « livres des anciens » en donnant quelques prĂ©cisions supplĂ©mentaires :
« Au dĂ©but le Saint bĂ©ni soit-il a créé Adam et Ăve, mais Ăve nâĂ©tait pas chair, mais boue et lie de la terre, câĂ©tait un esprit malĂ©fique. Câest pourquoi le Saint bĂ©ni soit-Il lâa prise Ă Adam et il Lui a donnĂ© une autre Ăve Ă sa place, câest ce que signifie le verset : « Il a pris une de ses cĂŽtes » (Gen. 2:21), Ă savoir une premiĂšre Ăve quâil lui prit, « et il referma la chair Ă sa place » (ibid.), câest la seconde Ăve qui Ă©tait de chair, car la premiĂšre ne lâĂ©tait pas » (citĂ© dans Midrash Talpiot, fol. 199a, et voir le Zohar I, fol. 34b, p. 193 du tome 1 et Zohar Hadach, fol. 16c, p. 586, ibidem, trad. de B. Maruani). Pour le Zohar cette Lilith nâĂ©tait pas lâaide annoncĂ©e par le verset biblique, elle reprĂ©sente pour lui le cĂŽtĂ© purement terrestre dâAdam, la « lie de la terre », vestige des puissances chthoniennes qui ont contribuĂ© Ă la constitution de lâhomme matĂ©riel et par consĂ©quent rebelles Ă sa gouverne.
Le Zohar donne Ă Lilith la valeur numĂ©rique « 13 », symbole de destruction et renouvellement de cycle, mais aussi valeur identique aux mots « amour » (ŚŚŚŚ) et « unitĂ© » (ŚŚŚ) [12].
Il est intĂ©ressant de noter la transformation tardive de ce dĂ©mon femelle, engendrĂ© par Adam parmi dâautres esprits malfaisants selon les sources rabbiniques antĂ©rieures (TraitĂ© Eroubin 18b), en sa premiĂšre compagne qui fut aussi son Ă©gale. Elle est au contraire dans les traditions plus anciennes un rejeton dĂ©moniaque de la semence dâAdam, consĂ©quence fĂącheuse de lâinterruption de son rapport normal avec Ăve aprĂšs le pĂ©chĂ©. Nous assistons dans ce type de littĂ©rature mĂ©diĂ©vale Ă une diabolisation de la femme comme partenaire Ă©gale et créée avec lâhomme, et câest le vieux dĂ©mon Lilith qui lui a prĂȘtĂ© ses traits.
Le Zohar et les kabbalistes postĂ©rieurs iront encore plus loin en voyant en Lilith la compagne de lâange mauvais SamaĂ«l, formant ensemble le couple dĂ©moniaque principal du systĂšme dĂ©monologique, contrepartie tĂ©nĂ©breuse du couple lumineux formĂ© par la Sephirah Tiphereth et la Sephirah Malkhuth : les deux pĂŽles sexuĂ©s du monde divin auront ainsi leur contrefaçon dans lâAutre cĂŽtĂ©, le domaine de lâimpur et du malĂ©fique. Des kabbalistes iront jusquâĂ attribuer Dieu lâĂ©quivalent de la Lilith dâAdam sous la forme dâune premiĂšre Shekhinah. MalgrĂ© le peu de sympathie que le Zohar accorde Ă la figure de Lilith, il lui concĂšde nĂ©anmoins un rĂŽle important dans son eschatologie : câest cette puissance fĂ©minine dĂ©moniaque qui accomplira Ă la fin des temps la destruction de Rome, ville symbole de lâinimitiĂ© des nations chrĂ©tiennes envers IsraĂ«l.
« Il est plus que probable que Rabbi Abraham ben David avait en tĂȘte la lĂ©gende de la premiĂšre Ăve, Ă©gale dâAdam, quand il a rĂ©digĂ© son interprĂ©tation de la crĂ©ation du premier couple que nous avons citĂ©e prĂ©cĂ©demment. Des auteurs contemporains du maĂźtre languedocien ont non seulement accordĂ© leur crĂ©dit au mythe de Lilith comme premiĂšre femme dâAdam, mais ils lâont dĂ©veloppĂ© et y ont ajoutĂ© dâautres traditions. Ils brossent dâelle un tableau peu flatteur et la voient sous la forme dâune femme affublĂ©e de pieds de poule, trait caractĂ©ristique de la gent dĂ©moniaque. Un Tossaphiste rapporte mĂȘme un dire (peut-ĂȘtre apocryphe) de Rabbi Akiba selon lequel câest seulement en rĂȘve quâAdam eu affaire Ă elle. Lâangoisse des hommes devant une femme qui serait pleinement leur Ă©gale est parfaitement mise en scĂšne dans les rĂ©cits sur Lilith, surnommĂ©e souvent « la mĂšre des dĂ©mons ». Or il est clair que toute angoisse de ce genre nâa plus de raison dâĂȘtre si lâon adopte la vue selon laquelle la femme nâest rien dâautre quâun petit morceau de lâhomme dĂ©tachĂ© de lui pour lâaider dans ses besognes et le servir. Et câest cette vue qui sâest imposĂ©e dans un premier temps parmi les cabalistes ». (Charles Mopsik, Rigueur et Passion : MĂ©langes offerts en hommage Ă Annie Kriegel, Ă©d. S. Courtois M. Lazar et S. Trigano, Paris, Le Cerf, 1994, p. 341-361).
TraitĂ© de lâĂmanation Gauche de R. Isaac b. Jacob Ha-Kohen
Ce traitĂ© a Ă©tĂ© Ă©crit dans la premiĂšre moitiĂ© du XIIIe siĂšcle et semble, avec les Ă©crits du frĂšre de R. Isaac, avoir exercĂ© une grande influence sur les Ă©crits de MoĂŻse de LĂ©on, lâauteur prĂ©sumĂ© du Zohar.
« 6. Je vais maintenant donner les noms des princes de la jalousie et de lâadversitĂ©. Puisque leur essence est pure et vĂ©ritable, leurs langues sont libres et il nây a nul mensonge ou traĂźtrise entre eux. Le premier prince et accusateur, le commandeur de la jalousie, est le dĂ©mon SamaĂ«l, accompagnĂ© par ses suivants. Il est nommĂ© « dĂ©mon » non Ă cause de sa nature, mais Ă cause de son dĂ©sir de sâunir et se fondre avec une Ă©manation qui nâest pas de sa nature, comme nous lâexpliquerons par la suite ».
« 19. Pour rĂ©pondre Ă votre question concernant Lilith, je vais vous expliquer lâessence de la chose. Concernant ce point, il y a une tradition reçue des anciens sages qui usĂšrent de la Connaissance SecrĂšte du Petit Palais, qui est la manipulation des dĂ©mons et de lâĂ©chelle par laquelle on atteint les niveaux prophĂ©tiques. Dans cette tradition, il est clair que SamaĂ«l et Lilith sont nĂ©s un, similaires en la forme dâAdam et dâĂve qui sont aussi nĂ©s un, reflĂ©tant ainsi ce qui est au-dessus. Ceci est le rĂ©cit reçu de Lilith par les Sages en la SecrĂšte Connaissance des Palais. Lilith est la compagne de SamaĂ«l. Ils sont nĂ©s Ă la mĂȘme heure Ă lâimage dâAdam et dâEve, imbriquĂ©s lâun dans lâautre. AsmodĂ©e, le grand roi des dĂ©mons a comme compagne la Petite (plus jeune) Lilith, fille du roi dont le nom est Qafsefoni. Le nom de sa compagne est Mehetabel fille de Matred et leur fille est Lilith. Ceci est le texte exact de ce qui est Ă©crit dans les Chapitres des Petits Palais comme nous lâavons reçu, mot pour mot, et lettre pour lettre. Les savants en cette Sagesse possĂšdent une trĂšs profonde tradition venue des anciens. Ils trouvent Ă©crits dans ces chapitres que SamaĂ«l, le grand prince, devint jaloux dâAsmodĂ©e le roi des dĂ©mons Ă cause de Lilith la Jeune. … Ils disent que dâAsmodĂ©e et de sa compagne Lilith est nĂ© dans les cieux un grand prince. Il est le chef des 8 000 dĂ©mons destructeurs et est appelĂ© « lâĂ©pĂ©e du roi AsmodĂ©e ». Son nom est Alefpeneâash et sa face brĂ»le comme un feu ravageur (esh). Il est aussi appelĂ© Gurigur, car il combattit le prince de Juda, nommĂ© Gur Aryeh Yehuda. De la mĂȘme « forme » qui a donnĂ© naissance Ă ce dĂ©mon est nĂ© un autre prince dont les racines sont dans le Royaume et qui est nĂ© au sein des cieux. Il est appelĂ© « lâĂ©pĂ©e du Messie ». Lui aussi a deux noms : Meshihiel et Kokhviel. Quand le temps viendra et quand Dieu le voudra, cette Ă©pĂ©e quittera son siĂšge et les versets de la prophĂ©tie seront vĂ©ritables : « Car mon ĂpĂ©e sera ivre dans les cieux ; ainsi, elle viendra sur Ădom » (IsaĂŻe 34:5) ».
« 22. Je vais maintenant vous donner une nouvelle merveilleuse. Vous savez dĂ©jĂ que les dĂ©mons SamaĂ«l et Lilith sont un couple sexuel… Je vais vous expliquer ceci sous le jour dâune explication Ă©sotĂ©rique Ă partir du verset « En ce jour le Seigneur punira avec Sa grande, cruelle & puissante Ă©pĂ©e LĂ©viathan le serpent enlacĂ©e et LĂ©viathan le serpent tortueux » â câest Lilith â et « Il tuera le dragon de la mer » (IsaĂŻe 27:1). Comme il y a un pur LĂ©viathan dans la mer qui est appelĂ© serpent, ainsi il y a un grand serpent dans la mer dans un sens littĂ©ral. Ceci est Ă©galement vrai dans un sens cachĂ©. Le serpent cĂ©leste est un prince aveugle, lâimage intermĂ©diaire entre SamaĂ«l et Lilith. Son nom est Taninâiver, le maĂźtre de la tradition dit que comme ce serpent se dĂ©place sans yeux, ainsi se dĂ©place le serpent supernel Ă lâimage de la forme spirituelle sans couleur. »
Bacharach, âEmeq haMelekh 84b 84c 84d
« Lilith fornique avec les hommes. Elle nâa aucune relation avec son compagnon, car dieu a castrĂ© le mĂąle et stĂ©rilisĂ© la femelle. Elle se rĂ©chauffe de la fornication avec les hommes, au travers dâĂ©missions spontanĂ©es. Cette Lilith a la domination des enfants issus dâun homme qui a eu des relations Ă la lumiĂšre de la chandelle, ou avec sa femme nue, ou Ă un moment oĂč il est interdit dâavoir des relations. Tous ces enfants qui sont issus de ces relations, Lilith peut les tuer quand elle le dĂ©sire, car ils lui sont livrĂ©s entre ses mains. Et ceci est le secret des enfants qui rient pendant leur sommeil quand ils sont petits : Câest Lilith qui joue avec eux. Et jâai entendu que quand un jeune enfant rit pendant la nuit de sabbat ou une nuit de nouvelle lune, câest Ă cause de Lilith qui joue avec lui, et il est bien que son pĂšre ou sa mĂšre ou quiconque le voit rire lui donne une tape sur le nez avec son doigt et dit « Vas-t-en, toi lâimpure, car tu nâas pas ta place ici ». Et du fait quâelle a la permission de tuer ces enfants, ces Ăąmes sont appelĂ©es Ămes OppressĂ©es. Le Dragon Aveugle chevauche la PĂ©cheresse Lilith. Et ce Dragon Aveugle amĂšne lâunion sexuelle entre SamaĂ«l et Lilith. Et comme le Dragon qui est dans la mer nâa pas dâyeux, le dragon aveugle, SamaĂ«l est appelĂ© le Serpent Tortueux, et Lilith le Tortueux Serpent. Elle conduit les hommes Ă avoir des relations « tortueuses »… Et sachez que Lilith aussi sera tuĂ©e. Car le Dragon Aveugle qui est entre elle et son Ă©poux avalera une potion mortelle dans les temps futurs donnĂ©e par Le Prince de Puissance. »
Le Zohar
I 267b « Lâhomme qui regarde souvent dans la glace rĂ©veille lâesprit mentionnĂ©, lequel lui amĂšne « Lilith », la mĂšre des dĂ©mons. Comme le fait de se regarder dans la glace a lâorgueil pour mobile, « Lilith », qui aime les orgueilleux, exige de cet homme quâil ait du commerce avec elle durant le sommeil, ou elle le tue. »
I 169b « Maintenant, au quatriĂšme jour les luminaires furent créés mais la Lune fut créée sans lumiĂšre puisquâelle sâest elle-mĂȘme diminuĂ©e. Câest impliquĂ© dans la phrase « Quâil y ait des luminaires », lĂ oĂč le terme meorot est Ă©crit sans la lettre Vav, comme le mot malĂ©diction meâerot ; suite Ă la diminution de la Lune, lâoccasion a Ă©tĂ© accordĂ©e Ă tous les esprits et dĂ©mons et ouragans et maux dâexercer leur empire, et ainsi tous les esprits impurs sâĂ©levĂšrent et traversĂšrent le monde en cherchant qui sĂ©duire ; ils hantent les lieux en ruines, les forĂȘts Ă©paisses et les dĂ©serts. Ils sont tous du cĂŽtĂ© des esprits impurs, qui, comme il a Ă©tĂ© dit, sont issus serpent tortueux, qui est, en vĂ©ritĂ©, le vĂ©ritable esprit impur, et dont la mission est de sĂ©duire les hommes… Rabbi Yose dit : « Malin, ici se rĂ©fĂšre Ă Lilith et le flĂ©au aux autres dĂ©mons, comme il a Ă©tĂ© dit ailleurs ». Rabbi Eliezer dit : « Il est enseignĂ© quâun homme ne doit pas sortir seul pendant la nuit, et tout particuliĂšrement au moment de la nouvelle lune et sans lumiĂšre. Car Ă ce moment lâesprit impur, qui est le mĂȘme que lâesprit du malin, est lĂąchĂ© » ».
I 77a « Parfois, il arrive que NaĂ©mah ait des relations avec des hommes et un homme est liĂ© Ă elle dans les dĂ©sirs de ses rĂȘves, et lorsquâil se rĂ©veille soudain et Ă©treint sa femme, son esprit est toujours plein des dĂ©sirs de ses rĂȘves. Dans ce cas, le fils nĂ© de cette Ă©treinte est du cĂŽtĂ© de NaĂ©mah, et quand Lilith vient et le regarde, elle sait ce qui sâest passĂ© et lâamĂšne comme les autres enfants de NaĂ©mah, et il est souvent Ă ses cĂŽtĂ©s et elle ne le tue point. Câest lâhomme qui reçoit une tache Ă chaque nouvelle lune. Car Lilith ne le laisse jamais en paix, mais Ă chaque nouvelle lune elle vient visiter tous ceux quâelle a emmenĂ©s et elle joue avec eux ; câest Ă ce moment que lâhomme reçoit la tache ».
I 34b « Dieu ne trouva pas en Lilith une aide pour lâhomme, attendu quâelle Ă©tait contre lui. Et câest alors, aprĂšs avoir dĂ©tachĂ© Lilith de lâHomme que Dieu remplaça le plaisir que lâhomme Ă©prouvait par son commerce avec celle-ci, par le plaisir de la chair. Câest pourquoi lâĂcriture ajoute : « Et il mit de la chair Ă sa place ». Remarquez que Dieu a créé lâHomme ici-bas pourvu de tout ce quâil faut pour supplĂ©er Ă tous les besoins que les dĂ©mons font miroiter Ă ses yeux ; ainsi en dĂ©tachant « Lilith » de lâHomme, une de ses cĂŽtes a pu lui tenir lieu du plaisir coupable quâil Ă©prouvait prĂ©cĂ©demment dans sa cohabitation avec Lilith. »
Targum, Job 1:15
« Lilith, la Reine de Zemargad, lança une attaque et sâempara des fils de Job et elle tua les jeunes hommes. »
LâĂcole de RaShBA
« Alors, vinrent deux femmes vers le Roi Salomon. CâĂ©taient Lilith et Igrat. Lilith qui Ă©trangle les enfants, car elle ne peut sâen faire un refuge pour elle. Et la seconde est Igrat. Une nuit, le Roi David sâendormit au camp dans le dĂ©sert et Igrat sâaccoupla avec lui dans ses rĂȘves. Il eut une Ă©mission, et elle conçut et porta Adad le roi dâĂdom. Quand ils lui demandĂšrent son nom il rĂ©pondit « Shâmi Ad, Ad Shâmi » (Mon nom est Ad, Ad est mon nom », et ils lâappelĂšrent Ashmâdai. Il est Ashmodai, le roi des dĂ©mons, qui priva Salomon de sa royautĂ© et sâassit sur son trĂŽne, et ainsi il fut la graine des rois dâĂdom, car il venait du cĂŽtĂ© du royaume du mal. Ces deux femmes Ă©tranglĂšrent le fils de la Sulamite… Ces quatre reines des dĂ©mons, Lilith, Igrat, Mahalath et Nahemah et leurs cohortes donnĂšrent naissance Ă des enfants, sauf Lilith, qui nâen porta point, mais qui est juste fornication dans le monde… »
MoĂŻse Cordovero, Pardes Rimmonim 186d
« Les anciens expliquent quâil y a deux Lilith, la petite et la grande. La grande est lâĂ©pouse de SamaĂ«l et est une femme de dĂ©pravation, la seconde est lâĂ©pouse dâAsmodĂ©e. Et Ă propos de lâĂ©pouse de SamaĂ«l, les Geonim expliquent quâelle contrĂŽle 480 lĂ©gions, autant que la valeur numĂ©rique de son nom ».
Yalqut RâUveni 147a
« Et les kabbalistes disent que le prince qui la sert est appelé Sariel (Mon Prince est Dieu), et ils ont reçu une tradition que ce prince est le plus grand roi des démons qui rÚgne dans les airs ».
Les coupes magiques.
Au dĂ©but du XXe siĂšcle ont Ă©tĂ© dĂ©couvertes sur diffĂ©rents sites archĂ©ologiques situĂ©s en Iran et en Irak, des coupes gravĂ©es dâinscriptions aramĂ©ennes. Certaines de ces coupes sacrĂ©es portent diffĂ©rentes formules contre Lilith. Selon R. Patai, sur lâune des coupes Lilith est reprĂ©sentĂ©e nue, les cheveux longs et Ă©pars, ses parties gĂ©nitales, poitrine et sexe, fortement marquĂ©es et les chevilles enchaĂźnĂ©es. Les fers qui lâenchaĂźnent sont Ă©voquĂ©s dans lâincantation gravĂ©e sur la coupe et qui adjure Lilith de quitter la maison dâun certain Zakoy : « LiĂ©e est la sorciĂšre Lilith, avec des anneaux de fer dans le nez, liĂ©e est la sorciĂšre Lilith avec des tenailles de fer dans la bouche, liĂ©e est la sorciĂšre qui hante la maison de Zakoy avec une chaĂźne sur le cou, liĂ©e est la sorciĂšre Lilith avec des menottes de fer aux poignets, liĂ©e est la sorciĂšre Lilith avec des blocs de pierre attachĂ©s Ă ses chevilles » [13].
Sur dâautres coupes encore on peut lire le mĂȘme genre dâincantations, mais dirigĂ©es contre un groupe de Lilith-s : « Au nom du Dieu des rĂ©demptions, cette coupe est destinĂ©e Ă obstruer la maison de Gehonai bar Mamai pour que sâen envole la malĂ©fique Lilith. Au nom de Yaveh El soit dispersĂ©s, Lilith, les Lili-s et les Lilith-s femelles, la Furie, la Voleuse, tous les trois, tous les quatre et tous les cinq. Vous ĂȘtes renvoyĂ©es nues avec vos cheveux Ă©pars flottant sur votre dos » [14].
La cérémonie du Tahdid.
La cĂ©rĂ©monie du Tahdid [15] ou cĂ©rĂ©monie de lâacier. Cette cĂ©rĂ©monie avait pour but dâĂ©carter des nouveaux nĂ©s mĂąles le mauvais Ćil et les dĂ©mons, dont Lilith, avant la cĂ©rĂ©monie de circoncision. AprĂšs lâaccouchement, des feuilles contenant des dessins de « Hamsas » (mains) et de poissons, ainsi que des parchemins sur lesquels Ă©taient Ă©crits des Hjabat, des textes bibliques, Ă©taient placĂ©s dans la chambre. Les Hjabat Ă©taient donnĂ©es par le Rabbin de la synagogue qui venait accompagnĂ© de ses Ă©lĂšves. Comme prĂ©caution supplĂ©mentaire, on mettait sous le lit du nouveau-nĂ© un couteau et du sel. Et au-dessus de son lit, on plaçait de la pĂąte cuite en forme de couronne. Câest Ă minuit, heure oĂč les dĂ©mons sont censĂ©s sâacharner, que commence le Tahdid. Certains disent que lâorigine du « Tahdid » sâinspire du « Chant des Chants », « Chir haChirim » dans le passage oĂč le Roi Salomon, dans son lit est entourĂ© de soixante soldats, dont chacun tient une Ă©pĂ©e. Le rite du Tahdid bien que peu courant est encore pratiquĂ© par certains, fidĂšles aux coutumes ancestrales du peuple juif marocain.
« De fait, depuis le Moyen Age les « feuilles de lâaccouchĂ©e » font partie intĂ©grante des rituels pratiquĂ©s durant la semaine qui prĂ©cĂšde la circoncision, une pĂ©riode oĂč la mortalitĂ© infantile Ă©tait trĂšs Ă©levĂ©e et qui Ă©tait considĂ©rĂ©e comme un espace particuliĂšrement exposĂ© aux atteintes des mauvais esprits et en particulier Ă celles de Lilith, la Reine des dĂ©mons. Au cours des ces huit nuits, au Maroc, ces rituels de protection accompagnĂ©s de lecture de diffĂ©rents versets bibliques et de priĂšres sont connus sous le nom de Tahdid : « Quand sonne minuit, on ferme portes et fenĂȘtres (interdisant Ă lâautre, celle que lâon ne nomme pas, Lilith lâinnombrable, dâentrer dans la piĂšce), et pendant, que se dĂ©roule le rituel, on passe un vieux sabre ou un gros couteau sur les murs et les issues hermĂ©tiquement closes de la piĂšce oĂč se trouve lâaccouchĂ©e, puis on dĂ©pose lâobjet mĂ©tallique sous lâoreiller de lâenfant blotti contre sa mĂšre » » [16].
Les Talismans
Dans la tradition populaire juive, on trouve Ă©galement des amulettes qui sont rĂ©putĂ©es avoir le pouvoir dâĂ©loigner Lilith des nouveau-nĂ©s, comme celle-ci extraite du Livre de Raziel :
Sur la premiĂšre ligne, on peut lire la formule « Adam (ŚŚŚ) et Ăve (ŚŚŚ), dehors (ŚŚÖŒŚ„) Lilith (ŚŚŚŚŚȘ) ! » ; la seconde ligne Ă droite reprend les noms des trois anges « Senoy (ŚĄŚŚ Ś), Sansenoy (ŚĄŚŚ ŚĄŚ Ś) et Semangelof (ŚĄŚŚ ŚŚŚŚŁ) » ; la ligne infĂ©rieure est composĂ©e dâabrĂ©viations de mots de pouvoirs tirĂ©s des Ăcritures.
Sur le dĂ©tail de cette autre amulette, nous pouvons lire la mĂȘme sentence : Adam dans le coin supĂ©rieur droit et Ăve dans le coin supĂ©rieur gauche. La premiĂšre phrase en dessous dit : « Houtz Lilith hawa rishonah » (dehors, Lilith premiĂšre femme). La seconde phrase reprend les noms des trois anges qui sont censĂ©s repousser Lilith.
« Je suis sans faute, et la racine de la faute vient de moi » Le Tonnerre.
Lire plus sur le sujet :
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Lilith au sein du mysticisme juif, Spartakus FreeMann, printemps 2002 e.v., révision janvier 2009 e.v.
Illustration : Dante Gabriel Rossetti [Public domain], via Wikimedia Commons
Sources :
Les sources hébraïques :
- Midrash bereshit Rabba
- Midrash Tanhuma Haqadum weha-yashan
- Talmud de Babylone, Lagrasse-Verdier, 1986
- LâAvot dĂ©-Rabbi Nathan, Vienne, Salomon Schechter, 1887
- Zohar 1:54b-55a, 2:267b, 3:19a, 3:76b-77a ; Zohar Sitrei Torah 1:147b-148b ; Bacharach Emeq haMelekh, 19c, 102d-103a
- TraitĂ© de lâĂmanation Gauche, R. Isaac b. Jacob Ha-Kohen
Autres :
- Gershom SCHOLEM, La Mystique Juive, Paris, Payot
- Gershom SCHOLEM, La Kabbale et sa symbolique, Paris, Payot, 1966
- Jacques BRIL, Lilith ou la mĂšre obscure, Paris, Payot, 1981
- Raphaël PATAI, The Hebrew Goddess, New York, Ktav 1967
- Robert GRAVES et Raphaël PATAI, Les Mythes Hébreux, Paris, Fayard, 1987
Notes :
[1] Outre cette Ă©vocation de Lilith, la Bible de JĂ©rusalem Ă©voque Lilith dans Job 18:15 mais uniquement en français, car dans lâoriginal hĂ©breux il nâest question que de « melekh behalot », « le roi des frayeurs ».
[2] La Bible, traduite par les membres du rabbinat français sous la direction du Grand Rabbin Z. KAHN (dite aussi Bible du Rabbinat), 1899.
[3] « LIL » en akkadien comme en sumérien signifie « vent »
[4] Prologue de Gilgamesh.
[5] Cf. Robert GRAVES et Raphaël PATAI, Les Mythes Hébreux, Paris, Fayard, 1987, note 5, p. 85.
[6] Jacques BRIL, Lilith ou la mĂšre obscure, Paris, Payot, 1981, chap. II, p. 53. Jacques Bril voit dans le couple dâArdat Lili et de LilĂ» (divinitĂ©s dĂ©rivĂ©es du Lil sumĂ©rien) les formes archaĂŻques de la Lilith juive.
[7] Stephen LANGTON, Babylonian Lib. Genlhner, 1913, p. 12.
[8] Augustin CALMET, Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, Paris, Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1722, tome 1, p. 484.
[9] Régine Azria. « La Femme dans la tradition et la modernité », Archives de Sciences Sociales des Religions, 1996, n° 1, pp. 117-132.
[10] Schmuel TRlGANO, LâIntention dâamour, un guide matrimonial en Languedoc.
[11] Rabbi Joshua Trachtenberg, Jewish Magic and Superstition (New York : Commentary Classic ,1939 ; reprint, 2004), p. 36
[12] Voir Zohar Tome VI, p. 216, Maisonneuve et Larose. En guĂ©matria pleine, Lilith vaut 480 qui est la valeur de Sukkot (ŚĄŚŚȘ), tabernacle, cabane, et de AĂŻdoth (ŚąŚŚŚȘ), tĂ©moins.
[13] CitĂ© dans « Lilith ou la PremiĂšre Ăve » de MichĂšle Bitton, 1990.
[14] Raphaël PATAI, The Hebrew Goddess, New York, Ktav 1967, p. 247.
[15] Décrite par Haïm Zafrani, Mille ans de vie juive au Maroc, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983.
[16] MichĂšle Bitton : http://www.harissa.com/coutumes/amulettejuive.htm