La Maison des Templiers de Metz par Champfleury.
En 1854, un jeune archĂ©ologue lorrain avisa, dans un magasin Ă poudre de Metz, qui fait partie dâanciens bĂątiments appartenant aux Templiers, des fresques sur une poutre dont Ă juste titre il rĂ©clamait la conservation. Ces peintures ont Ă©tĂ© dĂ©crites par M. de Saulcy avec une telle prĂ©cision, quâentreprendre dâen donner une meilleure indication serait la preuve dâune vanitĂ© excessive.
« Elles prĂ©sentent, dit-il, tout ce que lâimagination du peintre peut enfanter de plus grotesque ; câest une longue procession dâanimaux rĂ©els et fantastiques dans des attitudes variĂ©es. Ceux qui figurent les premiers, tournant le dos Ă la muraille dans laquelle sont percĂ©es les fenĂȘtres, sont un chat et peut ĂȘtre un veau, dressĂ©s sur leurs pattes de derriĂšre : le troisiĂšme semble un Ă©norme verrat mouchetĂ© de noir, mais Ă la tĂȘte tout Ă fait fantastique ; viennent ensuite une autruche, puis un renard dressĂ© sur ses pieds de derriĂšre marchant Ă la suite dâun coq ; devant celui-ci paraissent trois animaux dressĂ©s sur leurs pattes, et que je ne reconnais pas. Celui du milieu, qui se distingue par une queue monstrueuse, semble jouer avec un bĂąton ».
« Ce groupe est prĂ©cĂ©dĂ© par un liĂšvre qui porte un triangle entre ses pattes de devant, puis par un griffon tenant un objet indĂ©terminĂ© entre ses griffes. Les deux animaux suivants sont fort effacĂ©s ; on reconnaĂźt cependant au premier des cornes Ă©normes, et le second semble jouer des cymbales. Vient ensuite une licorne portant un paquet sous la patte droite de devant ; peut-ĂȘtre est-ce une musette quâelle tient ainsi. Un singe marche devant et jette en lâair un bĂąton quâil sâapprĂȘte Ă rattraper ; puis paraĂźt un renard qui tient un livre ouvert : un veau lui succĂšde et porte un objet indĂ©terminable. En avant se voit un ours qui semble Ă©couter avec attention un renard tournĂ© de son cĂŽtĂ© et gesticulant dans une sorte de chaire Ă prĂȘcher ; un autre animal, adossĂ© Ă ce renard, est Ă©galement placĂ© dans une chaire et lĂšve les pattes vers un animal fantastique, moitiĂ© liĂšvre, moitiĂ© daim, qui sâappuie sur un long bĂąton et porte de la patte droite un calice Ă©levĂ©. Un renard qui marche derriĂšre celui-ci semble le tenir avec une double corde ».
« Plus loin paraĂźt, dans une tente et sur un lit de repos, un veau nonchalamment appuyĂ© sur les pattes de devant, dont il se fait un oreiller ; un lĂ©opard semble adresser la bienvenue Ă un Ă©norme chien, qui sâappuie sur un bĂąton de voyage et porte son paquet sur le dos. Vient ensuite un animal marchant aussi Ă lâaide dâun bĂąton et entraĂźnant derriĂšre lui avec une corde un porc, qui semble faire les plus grands efforts pour rĂ©sister et pour sâaccrocher aux pattes dâun autre animal bizarre, qui paraĂźt vouloir le retenir. Enfin un sanglier est enchaĂźnĂ© Ă une espĂšce de poteau ».
« Telle est la sĂ©rie des scĂšnes burlesques que le peintre a tracĂ©es sur la poutre. Ces reprĂ©sentations avaient-elles une signification mordante, ou ne sont-elles que les fruits dâune imagination capricieuse dâartiste ? Je laisse Ă de plus habiles le soin de le dĂ©cider. »
MĂ©moires de l’AcadĂ©mie de Metz, 1834-35.
La signification des curieux dessins que M. de Saulcy offrait Ă la science archĂ©ologique nâa pas Ă©tĂ© donnĂ©e, quoique la dĂ©couverte de ces fresques remonte Ă lâannĂ©e 1854. Et pourtant il me semble facile de rĂ©pondre aux questions que se posait lâĂ©rudit sur le caractĂšre de parodie ou purement capricieux de telles figures.
Que ces sujets et bien dâautres de mĂȘme nature qui se remarquent sur les manuscrits, le bois, la pierre, les vitraux, soient les jeux dâune imagination confuse, ce qui me frappe tout dâabord dans cette procession dâanimaux est lâanalogie absolue avec ceux des papyrus Ă©gyptiens que M. Lepsius et les Ă©gyptologues appellent « satiriques ». Certaines figures de Metz semblent calquĂ©es sur celles du papyrus de Londres, ainsi le renard en voyage, un paquet sur le dos, un bĂąton Ă la main. Jâai donnĂ© dans lâHistoire de la Caricature antique trop de dĂ©tails Ă ce sujet pour y revenir.
Ici le moyen Ăąge se rencontre avec lâĂgypte ancienne, et on se demande sâil est possible que des compositions dĂ©coulant de civilisations si diverses aient pu naĂźtre, Ă la fois, dans deux imaginations par le seul fait du hasard. De semblables analogies ne peuvent exister sans point de jonction. Aussi Ă travers les arts suit-on un fil conducteur, comme Ă travers les langues des peuples, leurs traditions et leurs religions.
Jâai montrĂ© quâau dĂ©but lâart chrĂ©tien nâest souvent sĂ©parĂ© que par un court trait dâunion de lâart paĂŻen : dans lâaurore du christianisme se fondent les derniers rayons du paganisme ; mais ici je remarque un fait semblable Ă ceux quâont si souvent consignĂ©s les physiologistes qui sâoccupent dâhĂ©rĂ©ditĂ©. Lâart fait un retour en arriĂšre et le curieux peut suivre la courbe qui du moyen Ăąge va directement Ă lâĂgypte ancienne, ce qui sâexplique par la vie agitĂ©e des Templiers, non sans rapport avec celle des saint-simoniens pendant sa courte pĂ©riode.
Les Templiers avaient beaucoup voyagĂ©, en Orient particuliĂšrement. Lâun dâeux rapporta vraisemblablement dâĂgypte le souvenir de ces reprĂ©sentations dâanimaux, quâil traduisit ou fit traduire par un peintre pour la dĂ©coration de la maison de Metz.
De symbole, je nâen vois pas. La parodie des actions de lâhomme par lâanimal, sur laquelle reviennent frĂ©quemment les anciens, suffisait Ă une idĂ©e dĂ©corative. Je nâose entrer dans les connaissances cabalistiques des Templiers, qui auraient sondĂ© les mystĂšres de la religion Ă©gyptienne. Le fait de la poutre historiĂ©e me suffit, et les dessins bien plus encore que les commentaires. De mĂȘme quâun grain de blĂ© conservĂ© pendant des siĂšcles dans le tombeau dâun SĂ©sostris peut germer et donner des Ă©pis sur une terre française, de mĂȘme certains papyrus Ă©gyptiens fournirent des motifs Ă lâartiste du douziĂšme siĂšcle.
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La Maison des Templiers de Metz. Champfleury. Extrait dâHistoire de la caricature au moyen Ăąge et sous la renaissance par Champfleury, chapitre XII, pages 212 et suivantes, Paris, 1874.
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