Notes sur l’Extase

Accueil » Occultisme » Stanislas de Guaita » Notes sur l’Extase

Notes sur l’Extase par Stanislas de GuaĂŻta. 

La mĂ©diation des ouvrages d’Occulte absorbe exclusivement la plupart des chercheurs que prĂ©occupe le problĂšme mystique ; nous disons des plus sĂ©rieux (les plus futiles, vĂ©ritables badauds en foire, se traĂźnant volontiers d’une baraque Ă  l’autre, en quĂȘte de phĂ©nomĂšnes). Comme si le labeur de s’initier se bornait Ă  des efforts d’assimilation doctrinale ! L’Ɠuvre Ă©crite des maĂźtres n’est pas impunĂ©ment nĂ©gligeable, qui en doute ? Et nous faisons peu de cas de tel prĂ©somptueux novateur qui se targue de supplĂ©er par l’exubĂ©rance de sa propre imagination, Ă  l’Ă©tude approfondie des classiques de l’ÉsotĂ©risme.

Mais cette Ă©tude ne saurait suffire. Il faut encore payer de sa personne et s’aventurer rĂ©solument Ă  la conquĂȘte du Vrai, Ă  travers les tĂ©nĂšbres d’un monde inconnu. C’est par lĂ  que, se distinguant du simple Ă©rudit, qui n’est soucieux d’intervenir que dans les batailles d’opinions, l’occultiste tend Ă  pĂ©nĂ©trer l’essence des choses et va dĂ©chiffrer Ă  mĂȘme la grande stĂšle de la Nature ; qui est Ă©crite au dedans comme au-dehors.

Imaginez une feuille de parchemin, couverte d’hiĂ©roglyphes sur ses deux faces, mais adhĂ©rente Ă  un tableau par l’une d’elles. Les caractĂšres du recto – qu’on les sache ou non interprĂ©ter – apparaĂźtront visibles aux yeux de chair ; tandis que les signes tracĂ©s au verso ne seront perceptibles qu’Ă  l’organe visuel de l’Ăąme, ce qui revient Ă  dire qu’un bon lucide pourra seul les distinguer.

Ceci n’est qu’une mĂ©taphore, et le nĂ©ophyte ferait fausse route, s’il allait en conclure que la luciditĂ© magnĂ©tique est la facultĂ© maĂźtresse Ă  dĂ©velopper en soi, la suprĂȘme prĂ©rogative de l’adeptat. Il y a plusieurs degrĂ©s de voyance, comme il y a plusieurs zones de vision. Que d’illustres voyants n’ont Ă©tĂ© aucunement lucides sur le plan physique ! Tel, d’ailleurs, peut-ĂȘtre un merveilleux lucide, au sens dĂ©motique et reçu, qui n’en est pas moins un imbĂ©cile accompli ; ces deux qualitĂ©s n’ont rien qui s’exclue, et l’expĂ©rience l’a maintes fois prouvĂ©.

Qu’importe-t-il enfin, pour tout dire, si l’on veut parfaire son initiation ? Il importe de se rĂ©intĂ©grer, dĂšs ici-bas, dans l’UnitĂ© divine (autant que le souffrent les barriĂšres hyliques) afin d’ĂȘtre co-participant, avec tous les InitiĂ©s et les Élus du monde, aux mystĂšres de l’Absolu.

L’homme de gĂ©nie n’est autre, en derniĂšre analyse, qu’un adepte intuitif et spontanĂ©, magnifiquement incomplet, mais riche de ces dons si rares, et qui ne manquent que trop souvent aux plus sublimes mystiques : les facultĂ©s de transposition esthĂ©tique de l’intelligible au sensible et de convertibilitĂ© du Verbe divin au Verbe humain.

De pareilles facultĂ©s d’expression ne s’acquiĂšrent point ; elles sacreront toujours l’homme de gĂ©nie, de droit divin et de grĂące antĂ©rieure ; tandis que l’adepte est de droit humain et de conquĂȘte ultĂ©rieure, les efforts de sa libre volontĂ© l’ayant Ă©laborĂ© tel. Cette distinction fondamentale une fois Ă©tablie, l’analogie peut et doit se poursuivre.

Le gĂ©nie consiste dans la facultĂ© de rĂ©intĂ©gration spontanĂ©e (plus ou moins consciente et sujette Ă  intermittence) du sous-multiple humain dans la patrie cĂ©leste de l’unitĂ©, Adamah.

Aussi les poĂštes, peintres, musiciens, sculpteurs et en gĂ©nĂ©ral tous les artistes qui se croient, Ă  tort ou Ă  raison du reste, des gĂ©nies, emploient-ils la mĂȘme locution que les mystiques, pour caractĂ©riser les pĂ©riodes de facilitĂ© Ă  produire. Ils ont, ou non, l’inspiration. Ceci est remarquable…

L’Ɠuvre capitale de l’Initiation se rĂ©sume donc, si l’on veut, dans l’art de devenir artificiellement un gĂ©nie ; Ă  cette diffĂ©rence prĂšs, toutefois, que le gĂ©nie naturel donne l’inspiration Ă  de certaines heures, plus ou moins souvent, lorsque l’Esprit veut bien descendre ; tandis que le gĂ©nie acquis est, Ă  son plus haut stade, la facultĂ© de forcer l’inspiration et de communiquer avec le Grand Inconnu toutes et quantes fois on le dĂ©sire.

Il est, Ă  cette diffĂ©rence, une raison vraiment assez simple : c’est que le Dieu descend vers l’homme de gĂ©nie, tandis que le Mage monte jusqu’au Dieu.

L’homme de gĂ©nie est une sorte d’aimant, attractif par intermittence. L’adepte est une puissance convertible, un lien conscient de la terre au ciel : un ĂȘtre qui peut, Ă  volontĂ©, rester sur terre, jouir de ses avantages et cueillir ses fruits ou monter au Ciel, s’identifier Ă  la nature divine et boire Ă  longs traits la cĂ©leste ambroisie.

Le GĂ©nie, force naturelle d’attraction, Ă©tablit par moments avec l’UnitĂ© une corrĂ©lation plus ou moins Ă©phĂ©mĂšre. L’Adeptat, passeport illimitĂ© pour l’Infini, implique un droit de rĂ©intĂ©gration ad libitum. Aussi le parfait adepte prend-il dans l’Inde le nom de Yoghi : uni en Dieu.

RĂ©intĂ©gration du sous-multiple humain dans l’UnitĂ© divine : voilĂ  donc l’Ɠuvre majeure de l’adeptat. En quoi consiste cette rĂ©intĂ©gration ?

Nous en connaissons deux : la Passive et l’Active. L’une et l’autre ont plusieurs degrĂ©s. L’on parvient Ă  la premiĂšre par la SaintetĂ© ou l’austĂšre Ă©puration de son essence animique, unie d’amour Ă  l’Esprit pur des cieux ; Ă  la seconde par la volontĂ© libre et consciente ou la rĂ©alisation du pentagramme mystique.

 La premiĂšre (rĂ©intĂ©gration en mode passif) nĂ©cessite une abdication du Moi, qui se fond, sans rĂ©serve ni espoir de retour, dans le Soi divin. On n’agit plus par soi-mĂȘme ; c’est Dieu qui agit par vous. Ce qui a fait dire Ă  l’ApĂŽtre : « et dĂ©jĂ  ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi. »

 La seconde (rĂ©intĂ©gration en mode actif) Ă©quivaut Ă  une conquĂȘte positive du Ciel, Ă  un viol de l’Ă©lĂ©ment cĂ©leste et de son Esprit collectif RoĂ»ach HaschamaĂźm.

Toutes deux, Ă  leur plus haut degrĂ©, rendent Ă  l’Ăąme l’Ă©tat primordial d’Éden, la jouissance de l’AĂŽr aĂźn-soph. Mais la Passive implique une renonciation des volontĂ©s individuelles et le dĂ©dain de toute science profane : « Heureux, a dit Christ, les pauvres en esprit : Ă  eux le Royaume du Ciel. »

 L’Active, au contraire, permet, dans certains cas ici-bas mĂȘme, l’exercice d’une toute-puissance de Dieu. Elle met en main l’AEsch, glaive flamboyant de IanĂŽah AElohĂźm. C’est la prise de possession, par droit de conquĂȘte, du Ciel mystique, dont le Christ a dit que les Esprits violents le prennent de force : « violenti rapiunt illud ».

L’ineffable charitĂ© de N. S. JĂ©sus-Christ l’a induit Ă  ne revendiquer que la RĂ©intĂ©gration passive, et il est mort sur la croix, en doutant de lui-mĂȘme et de son PĂšre : « Eli, Eli, lamma sabachtani ! » (AssurĂ©ment n’Ă©tait-ce que le cri de la chair dĂ©faillante au cours d’une suprĂȘme Ă©preuve : mais l’Ă©vocation de ce cri de doute a toujours Ă©pouvantĂ© !).

L’audace de MoĂŻse lui a fait prĂ©fĂ©rer les privilĂšges de la rĂ©intĂ©gration active : aussi, aprĂšs avoir exercĂ© sur terre l’omnipotence cĂ©leste, en maniant d’une main ferme le glaive ignĂ© du KĂ©roub, MoĂŻse est-il montĂ© vers Dieu (comme aprĂšs devait le faire Élie), vierge du baiser de la mort ; laissant Ă  son peuple le nom de peuple du Seigneur et la libre entrĂ©e de la terre de Chanahan, dont les juifs ne sont sortis qu’en apparence, mais oĂč ils rĂšgnent plus que jamais.

La rĂ©intĂ©gration passive est plus divine peut-ĂȘtre, plus absolument mĂ©ritoire ; c’est celle des Saints et des Messies. La rĂ©intĂ©gration active est Ă  coup sĂ»r plus avantageuse, plus riche en prĂ©rogatives : c’est celle des Mages et des Titans.

C’est la seule Ă  quoi doivent prĂ©tendre les hommes qui, n’ayant pas dit un dĂ©finitif adieu Ă  la vie et aux joies de ce monde, se sentent encore le dĂ©sir de rĂ©colter ce qu’il peut y avoir de bon dans ses illusions et ses mirages.

La vie Ă©ternelle est si longue ! MĂȘme dĂ©cidĂ©s Ă  toujours ascendre, sans dĂ©vier de la route qui ramĂšne au PĂšre, il ne nous serait pas permis de faire des stations ? Dieu, qui est si bon, n’a créé (ou plutĂŽt laissĂ© crĂ©er) que pour cela, dans cette nature mĂȘme de la dĂ©chĂ©ance et sur cette terre de l’Ă©preuve l’herbe moelleuse et l’ombre propice des illusions…

Le plaisir bien compris, et acceptĂ© dans l’expansion normale d’un cƓur honnĂȘte, est-il autre chose, en somme, que la modalisation et l’adaptation au milieu terrestre et transitoire, de la joie Ă©ternelle des Élus ?… Puisque nous sommes descendus en ce monde infĂ©rieur, n’est-il pas naturel et conforme Ă  la logique que nos consolations, nos satisfactions et nos joies temporelles, forcĂ©ment proportionnĂ©es Ă  notre nature dĂ©chue (c’est-Ă -dire moins parfaite) soient elles-mĂȘmes moins parfaites et moins angĂ©liques ? « Homo sum, (disait Caton, l’un des saints du paganisme stoĂŻque) et humani nil Ă  me alienum puto. »

L’on ne peut mieux dire, et Pascal semblait lui-mĂȘme commenter la belle parole de Caton, quand il Ă©crivait dans ses PensĂ©es que l’homme n’est ni ange, ni bĂȘte, et le reste… Il est probable que Caton et Pascal, s’ils eussent Ă©tĂ© des initiĂ©s et qu’il eĂ»t Ă©tĂ© de leur destin de choisir entre la RĂ©intĂ©gration passive des Saints et la RĂ©intĂ©gration active des Titans, auraient prĂ©fĂ©rĂ© cette derniĂšre.

D’ailleurs, il n’y a mĂȘme pas le choix, dĂšs lors qu’on aspire Ă  la royautĂ© kabbalistique du G. A., ou seulement Ă  la pĂ©nĂ©tration des mystĂšres de l’Au-delĂ , sans vouloir quitter le monde pour s’enfermer dans un cloĂźtre, au physique ou au moral… la RĂ©intĂ©gration en mode d’activitĂ© est la seule qui souffre le relatif.

LĂ  est la raison profonde du pĂ©ril des cloĂźtres, pour certaines Ăąmes qui ne sont pas prĂȘtes au sacrifice intĂ©gral, sans restriction ni limites, d’elles-mĂȘmes et de leur volontĂ©. Elles se sont donnĂ©es en mode passif : tĂąchent-elles de biaiser ? font-elles quelque effort pour se reprendre ? L’Époux les lĂąche (car, en mode passif, elles se laissent possĂ©der), mais ne possĂšdent point) et elles tombent au pouvoir de l’Adversaire. La perdition est au terme de leur vocation rĂ©ticente.

Aussi ne faut-il jamais hĂ©siter (sous prĂ©texte de respect du libre arbitre) Ă  traverser de mondaines Ă©preuves la vocation des religieux en gĂ©nĂ©ral, mais surtout des jeunes filles qui croient se sentir appelĂ©s Ă  la vie contemplative. Si leur Vocation est vĂ©ritable, elle se rĂ©vĂ©lera infrangible, et la fiancĂ©e du Ciel sortira victorieuse desdites Ă©preuves, indemne desdites traverses ; toute difficultĂ© suscitĂ©e n’aboutira qu’Ă  une confirmation nouvelle de son premier vouloir.

S’agit-il de jeunes filles du monde, par exemple ? Nous estimons criminel pour leurs parents de leur laisser prendre le voile, sans les avoir conduites d’autoritĂ© dans le monde, et pas en soirĂ©e seulement. Au bal ! … Si l’appel de ces Ăąmes se fait entendre aprĂšs cette diversion, si leur goĂ»t de la vie religieuse rĂ©siste Ă  ce dissolvant, c’est qu’elles sont d’un mĂ©tal incorruptible aux acides temporels, et nuls autre Alkaest (fĂ»t-ce celui de Paracelse et de Van Helmont) nuls autre dissolvants, si corrosif soit-il, n’y pourra rien. Si au contraire, quelque levain terrestre, quelque ferment mondain est latent aux profondeurs les plus inavouĂ©es de leur Moi inconscient, elles seront entamĂ©es, et nul doute que l’espiĂšgle ErĂŽs ne les chatouille de sa flĂšche, virtuellement, en possibilitĂ©, si tant qu’il ne les pique pas en fait.

Revenons aux modes de Réintégration.

Nous appelons rĂ©intĂ©grĂ© (Yoghi de l’École mystique orthodoxe, aux Indes) celui qui peut, toutes les fois qu’il le dĂ©sire, maĂźtriser entiĂšrement son Moi sensible extĂ©rieur, pour s’abstraire en esprit, et plonger, par l’orifice du Moi intelligible interne, dans l’ocĂ©an du Soi collectif divin ; oĂč il reprend conscience des arcanes complĂ©mentaires de l’Éternelle Nature et de la DivinitĂ©.

Nous appelons deux fois nĂ© (Dwidja de l’École mystique, aux Indes), celui qui peut quitter son effigie terrestre, en corps astral ou Ă©thĂ©rĂ©, pour aller puiser dans l’ocĂ©an astral la solution des mystĂšres qu’il recĂšle.

La rĂ©intĂ©gration spirituelle interne peut prendre le nom d’Extase active. On est convenu de donner, Ă  la projection de la forme sidĂ©rale, celui de Sortie en corps fluidique (ou astral)…

L’extase active a deux degrĂ©s. Au premier, l’Adepte pĂ©nĂštre l’essence mĂȘme de la Nature Ă©ternelle, qui lui communique en mode direct, sans symbole, la VĂ©ritĂ©-lumiĂšre. Au deuxiĂšme degrĂ©, il peut communiquer mĂȘme avec l’Esprit pur, qui le ravit au Ciel ineffable des archĂ©types divins ; dans ce cas, il y a transfusion de la DivintĂ©-pensĂ©e qui se fait humanitĂ©-pensante en son intelligence, par l’effet d’une alchimie intime, d’une transmutation formidable et inexpliquĂ©e.

La Sortie en corps astral diffĂšre de l’Extase active ; car le corps physique semble alors en catalepsie, actionnĂ© seulement par une vitalitĂ© en quelque sorte vĂ©gĂ©tative ; cependant que le corps astral ou mĂ©diateur plastique (enveloppe ambulatoire de l’Ăąme spirituelle) flotte dans l’immensitĂ© de l’Ă©ther sidĂ©ral ou lumiĂšre universelle, et se dirige oĂč il veut, rattachĂ© qu’il est au corps matĂ©riel par une maniĂšre d’ombilication fluidique. Ainsi, la personnalitĂ© consciente vogue en forme astrale oĂč bon lui semble, et va d’elle-mĂȘme prendre connaissance des rĂ©alitĂ©s lointaines qui peuvent l’intĂ©resser. Mais alors, si ce sont des notions d’ordre intelligible qu’elle veut acquĂ©rir, ces notions ne luis sont transmises que symboliquement, par l’intermĂ©diaire de la lumiĂšre astrale, qui est avant tout configurative, et ne parle donc qu’en offrant Ă  la sagacitĂ© de l’Esprit une sĂ©rie d’images, que celui-ci doit traduire ensuite, comme des hiĂ©roglyphes de l’Invisible. Le mode concret et emblĂ©matique est donc le seul dont la VĂ©ritĂ© puisse faire usage, pour s’exprimer par l’intermĂ©diaire de l’Astral.

En mode passif, la haute extase a Ă©galement deux degrĂ©s : 1 ° communication avec la Nature-essence dans la lumiĂšre de gloire ; 2 ° avec l’Esprit pur.

Quant Ă  l’extase passive astrale ou infĂ©rieure, elle n’est autre que l’Ă©tat de luciditĂ©, soit naturelle, soit magnĂ©tique. La plupart des visions bĂ©atifiques lui sont expressĂ©ment attribuables.

Ce qui importe avant tout Ă  l’adepte, c’est de parvenir Ă  se mettre en communication spirituelle avec l’UnitĂ© divine ; c’est de cultiver l’un des degrĂ©s de l’Extase active et d’apprendre Ă  faire parler au dedans de soi, vil atome, la Voix rĂ©vĂ©latrice de l’Universel, de l’Absolu.

Est-il donc possible au relatif de comprendre l’Absolu ? Non sans doute, mais de lui assentir oui, en s’unissant Ă  Lui. Un fragment de miroir convexe ne reflĂšte-t-il point tout le Ciel ? Toute la grande voix de l’OcĂ©an ne chante-t-elle pas au creux du plus humble coquillage, qui a eu la fortune (dit la lĂ©gende) d’essuyer, fĂ»t-ce une heure, son immense et sonore baiser ?

Ainsi, l’extase laisse Ă  l’Ăąme extasiĂ©e (ne fĂ»t-ce qu’une heure) l’imprĂ©gnation de l’Infini, la notion vĂ©cue de l’Absolu, le murmure intarissable du Soi rĂ©vĂ©lateur, qui contient tous les Moi, sans ĂȘtre contenu d’aucuns. Quelles jouissances ! Retremper sa vie individuelle Ă  l’ocĂ©an collectif de la vie inconditionnĂ©e, ou aspirer la sĂšve spirituelle Ă  mĂȘme l’Esprit pur et s’en nourrir ! C’est une dĂ©cisive initiation : une fenĂȘtre ouverte sur l’immensitĂ© de la LumiĂšre intelligible et de l’Amour divin, de la VĂ©ritĂ© cĂ©leste et du Beau typique.

Retrouver le chemin du primitif Éden!… Beaucoup passent Ă  cĂŽtĂ© de la porte qui commande ce sentier, sans mĂȘme apercevoir cette porte ; ou la voyant, dĂ©daignent d’y frapper. Peut-ĂȘtre mĂȘme tel curieux y frappe-t-il, qui ne sait point faire rĂ©sonner le seuil des trois coups mystiques : il heurte en profane et il ne lui sera pas ouvert.

Le Christ a dit : « Petite et accepietis, pulsate et aperietur vobis, », mais il a dit aussi : « multi vocati, pauci vero electi ». Comment concilier ces deux textes ? Ah ! c’est que parfois ceux-lĂ  frappent Ă  la porte, qui ne sont point appelĂ©s encore ; souvent ceux qui seraient appelĂ©s n’y frappent point, ou plus souvent y frappent mal…

Si donc tu aspires Ă  devenir un Adepte, Ă©voque le RĂ©vĂ©lateur qui parle au dedans de ton ĂȘtre ; impose au Moi le plus religieux silence, pour que le Soi se puisse faire entendre – et alors, plongeant au plus profond de ton intelligence, Ă©coute parler l’Universel, l’Impersonnel, CE que les gnostiques appellent l’AbĂźme


Mais il faut ĂȘtre prĂ©parĂ©, – et c’est le rĂŽle de l’Initiateur humain, de surveiller cette prĂ©paration – Ă  dĂ©faut de quoi l’AbĂźme n’a qu’une voix pour celui qui l’Ă©voque Ă©tourdiment, voix terrible et qui a nom le Vertige.

Au rĂ©sumĂ©, c’est un grand et sublime Arcane que celui-ci : Nul ne peut parfaire son initiation, que par la rĂ©vĂ©lation directe de l’Esprit universel, collectif, qui est la Voix qui parle Ă  l’intĂ©rieur.

Il est le MaĂźtre unique, l’inĂ©vitable Gourou des suprĂȘmes initiations. Nous connaissons les diverses maniĂšres d’entrer en rapport avec Lui: de l’aller chercher, – de le faire venir, – de le laisser venir, – de se donner Ă  Lui, — ou de prendre part Ă  sa souveraineté 

On sait de quelle sorte ambiguĂ« certains ouvrages de haute science dĂ©guisent les mystĂšres – Ă  telles enseignes que ces ouvrages, souvent trĂšs profonds, semblent Ă  la premiĂšre lecture des libelles de honteuse superstition. Sous quel voile donc les auteurs ont-ils enseignĂ© ce grand arcane, dont nous avons entrouvert
 le tabernacle mystique ?

Sous quel voile ? — voilĂ  qui est supĂ©rieurement curieux. Car c’est prĂ©cisĂ©ment pour avoir confondu « la lettre qui tue » avec « l’esprit qui vivifie », que tant d’Ă©tudiants en occultisme donnent Ă  cette heure dans le Spiritisme pur et simple.

D’une plume presque unanime, les hiĂ©rographes notifient qu’il faut Ă©voquer les Intelligences cĂ©lestes, comme seules susceptibles d’enseigner au thĂ©osophe les derniers mystĂšres. MoĂŻse sur le SinaĂŻ, N.-S. JĂ©sus-Christ au jardin des olives, visitĂ©s par les anges ; — Socrate et Plotin consultant leur gĂ©nie ; — Paracelse et son Esprit enfermĂ© dans le pommeau d’une Ă©pĂ©e ; — Zanoni interrogeant AdonaĂŻ, etc. Toutes ces lĂ©gendes, selon leur plus haute signification, symbolisent ce qui prĂ©sentement nous est connu.

Non pas que nous contestions la possibilitĂ© de se mettre en rapport avec les Intelligences d’En haut, avec les Ăąmes glorifiĂ©es : mais tout cela, n’est que Magie secondaire, initiation au deuxiĂšme degrĂ©.

Au troisiĂšme degrĂ©, les esprits disparaissent… l’Esprit demeure seul, irradiant, impersonnel, bouillonnant Ă  travers les Ă©ternelles profondeurs d’un Infini qui n’est pas l’Espace ; dĂ©bordant d’Amour divin, de Vie, de LumiĂšre, d’EspĂ©rance et de BeautĂ© divines ; gorgeant l’Ăąme d’une ineffable omniscience qui l’enivre, sans qu’elle s’en puisse jamais saouler.

La personnalitĂ© Ă©goĂŻste se fond, disparaĂźt, s’Ă©teint Ă  l’horizon du Fini que l’Ăąme a dĂ©sertĂ©. En Dieu, comme dans la Nature-essence (l’Ă©ternelle Nature de Böhme), tout est beau, doux, Ă©vident, sublime – et formidable comme un baiser dont on se sentirait mourir, noyĂ© dans la vie ! …

Notez comment Abraham le Juif dĂ©crit, sous l’emblĂšme que nous avons dĂ©noncĂ© captieux, l’accomplissement de ce mystĂšre :

« Tu verras alors que tu as bien employĂ© les mois passĂ©s ; car, si tu as cherchĂ© la vĂ©ritable Sagesse du Seigneur, ton Ange gardien, l’Elu du Seigneur paraĂźtra dedans toy, et te parlera des paroles si douces et si amicales, que nulle langue humaine n’en pourra jamais exprimer la douceur… » [La Sagesse divine d’Abraham le Juif, dĂ©diĂ©e Ă  son fils Lamech, traduit de l’Allemand (1432).]

Plus sur le sujet :

 Stanislas de GuaĂŻta. Â« Notes sur l’Extase », datĂ©es du 17 fĂ©vrier 1892, parues dans la Revue l’Initiation.

Image par Stefan Keller de Pixabay

Rejoindre la Communauté d'EzoOccult sur Facebook

Le Groupe Facebook a pour but de réunir les lecteurs du site et de la page afin d'échanger sur les sujets qui nous tiennent à coeur.

Cet article vous a plu ? N'hĂ©sitez pas Ă  vous abonner Ă  notre lettre d'information pour ĂȘtre tenu au courant de nos publications.

S’abonner
Notifier de
guest

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

1 Commentaire
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires