Madame Thibault et le Sacrifice Provictimal par Joanny Bricaud.
AprĂšs la mort de Boullan, Huysmans assurait que les attaques contre lui avaient repris de plus belle.
â Les magiciens noirs, disait-il, me battent chaque nuit le crĂąne par des coups de poings fluidiques ; mon chat lui-mĂȘme en est tourmentĂ© ; peu m’importe, je ne les crains pas. Un journal du soir m’a avisĂ© que mon protecteur magique Ă©tant mort, je risquais fort maintenant d’y passer; mais ce dont on ne se doute pas, c’est que j’ai avec moi un vrai, un unique bouclier : la saintetĂ© hors d’atteinte de Mme Thibault !
CâĂ©tait une bien Ă©trange personne que cette « maman Thibault » comme l’appelait Huysmans, qui a tracĂ© d’elle un exact portrait dans La CathĂ©drale sous le nom de Mme Bavoil.
Au dĂ©but de ses visites chez l’abbĂ© Boullan, il n’avait pas prĂȘtĂ© grande attention Ă cette paysanne au regard d’aigle, qui, dans les intervalles de ses visions, vaquait modestement aux travaux du mĂ©nage.
« Maintenant, il frĂ©quentait la singuliĂšre et l’affectueuse bonne. La premiĂšre entrevue avait eu lieu un jour qu’il Ă©tait allĂ© voir l’abbĂ© souffrant. InstallĂ©e prĂšs du lit, elle avait des lunettes en vigie sur le bout de son nez et elle baisait, une Ă une, des images de piĂ©tĂ© insĂ©rĂ©es dans un livre vĂȘtu de drap noir. Elle l’avait invitĂ© Ă s’asseoir, puis, fermant le volume et remontant ses lunettes, elle avait pris part Ă la conversation et il Ă©tait sorti sodĂ© cette chambre, abasourdi par cette personne qui appelait l’abbĂ© « pĂšre » et parlait, trĂšs simplement, ainsi que d’une chose naturelle, de son commerce avec JĂ©sus et avec les Saints ; elle paraissait vivre en parfaite amitiĂ© avec eux, en causait ainsi que de compagnons avec lesquels on bavarde sans aucune gĂȘne » (La CathĂ©drale, pages 44-45).
Mme Thibault appelait Huysmans « notre ami ».
Toujours, lorsqu’il la voyait, elle priait.
â Mais c’est une sainte, avait-il dit, un jour, Ă l’abbĂ© Boullan.
Et l’abbĂ© avait rĂ©pondu : C’est une colonne de priĂšres !
Elle avait parcouru toute l’Europe, Ă pied, en demandant l’aumĂŽne le long des routes, visitant tous les lieux oĂč la Vierge possĂ©dait un Sanctuaire.
Puis, avec l’Ăąge, elle avait, suivant son expression, « perdu de ses anciennes valeurs » et le Ciel l’avait envoyĂ©e se reposer auprĂšs de l’abbĂ© Boullan, en qualitĂ© de gouvernante.
Depuis des annĂ©es elle ne mangeait que du pain trempĂ© dans du lait, avec parfois, un peu de miel, et elle se portait trĂšs bien, n’Ă©tait mĂȘme jamais souffrante.
Elle possĂ©dait le don de voyance, et n’avait qu’Ă lever les yeux au-dessus de ses lunettes pour apercevoir les lĂ©gions des Anges et des DĂ©mons. Mais le plus Ă©trange, c’est qu’elle Ă©tait prĂȘtresse du « Marisiaque du Carmel » et qu’elle cĂ©lĂ©brait le Sacrifice Provictimal de Marie instituĂ© par le prophĂšte EugĂšne Vintras, pour les femmes du Carmel, et oĂč la femme pontifie. Mme Thibault, aprĂšs avoir rĂ©citĂ© le cantique de priĂšre, l’acte de glorification, l’offrande du pain, l’offrande du vin, l’offrande de la lumiĂšre, l’invocation dĂ©prĂ©catoire consĂ©crative, la priĂšre universelle pour tous les esprits, communiait sous les espĂšces du vin rouge, les prĂȘtres seuls officiant avec du vin blanc. Puis venaient les actions de grĂąces.
Huysmans avait fini par se lier avec elle d’une rĂ©elle amitiĂ© ; aussi, lorsque Boullan mourut, et qu’elle se trouva seule, il lui offrit de l’emmener Ă Paris pour tenir son mĂ©nage.
AprĂšs bien des hĂ©sitations, elle avait acceptĂ©. Une fois installĂ©e rue de SĂšvres, elle avait organisĂ©, dans sa chambre, une petite chapelle oĂč, chaque matin et chaque soir, revĂȘtue des insignes de son sacerdoce fĂ©minin, en robe blanche, en manteau vert, elle cĂ©lĂ©brait, Ă l’autel de la Vierge Marie, le Sacrifice Provictimal.
J’ai dit plus haut, que, depuis la mort de Boullan, Huysmans affirmait que la sensation bizarre de chaque soir, qu’il attribuait aux attaques fluidiques de Stanislas de Guaita, avait redoublĂ©.
Lorsqu’il la ressentait, il se protĂ©geait Ă l’aide des hosties consacrĂ©es, tandis que Mme Thibault, ayant revĂȘtu ses ornements sacerdotaux, cĂ©lĂ©brait le Sacrifice magique, et, le moment venu, clamait par trois fois la priĂšre dĂ©prĂ©catoire qui devait dissoudre les fluides des envoĂ»teurs et rendre nulles et dĂ©nuĂ©es d’effets les attaques dirigĂ©es par la voie satanique.
Ainsi s’explique cette parole de Huysmans que j’ai citĂ©e prĂ©cĂ©demment : qu’il avait avec lui un vrai bouclier , la saintetĂ© hors d’atteinte de Mme Thibault.
Plus sur le sujet :
Madame Thibault et le Sacrifice Provictimal, Joanny Bricaud
Extrait de Huysmans, occultiste et magicien de Joanny Bricaud, pages 29-33