La Gnose dâAmour par Jules Doinel.
Ce texte de Doinel nous a marquĂ© par son ton vrai et sa dĂ©licate maniĂšre pour nous conter lâAmour dans la Gnose et la Gnose par lâAmour. Si nous avions un testament philosophique Ă laisser Ă ce monde hylique, ce serait ce texte lumineux. Il dit ce quâest la Gnose pour un gnostique, il dit ce quâest lâAmour dĂ©tachĂ© de lâillusion. A sa lecture, lâon comprendra donc qui je suis, ou ose espĂ©rer ĂȘtre, lâon comprendra le sens de mon Nomen, HĂ©liogabale, lâon comprendre le brĂ»lant de lâAmour que jâai pu avoir ici bas…
Je dédie ce texte tapé avec Amour à mes Roses Eternelles.
Tau Héliogabale, août 2004 e.v.
Au TrĂšs Saint Synode Gnostique
I
Messeigneurs et mes FrĂšres,
Nous avons vu, en exposant le systĂšme de Valentin, que lâexil de Sophia-Achamot hors du PlĂ©rĂŽme avait Ă©tĂ© le commencement de la douleur dans le monde. Mais ce que Valentin ne dit pas, câest que les Eons, pour ne pas laisser cette Ă©pouvantable douleur de la chute de lâInfini dans le Fini sans consolation, suppliĂšrent lâAbĂźme de donner Ă Achamot un Paraclet. Ce Paraclet est adorĂ© par les grecs sous le nom dâEros, par les Aryas sous le nom de Kama. Câest lâEon-Amour. Pour le produire, lâAbĂźme et le Silence (Bythos et SigĂ©) sâunirent dans une ineffable Ă©treinte. Eros Ă©mana de leur union. DĂšs lors, la rĂ©demption de Sophia-Achamot sâaccomplit sur deux voies parallĂšles, la voie de lâEsprit et celle de la chair. JĂ©sus, fleur du PlĂ©rĂŽme, racheta lâEsprit, car le salut vient de la Gnose et non de la Foi. Eros racheta la chair. La Science et lâAmour inaugurĂšrent lâĆuvre sublime qui se poursuit Ă travers les Temps et les Espaces. Achamot eut un double Ă©poux, lâĂ©poux de son cĆur. Câest ce mystĂšre divin quâil nous faut interprĂ©ter.
II
Ceux-lĂ qui prendraient Achamot pour un mythe se trompent et sâabusent eux-mĂȘmes. Elle est une substance, une Hypostase du divin.
Ses joies et ses souffrances sont rĂ©elles. Jouissant et souffrant en elle. Elle souffre et jouit en nous, les Pneumatiques. TombĂ©s comme elle et avec elle, nous serons avec elle et comme elle rĂ©intĂ©grĂ©s dans lâUnitĂ©. Elle nous intĂ©resse donc grandement. Son histoire est la nĂŽtre et la TragĂ©die dont elle est lâhĂ©roĂŻne se joue avec notre sang et avec nos larmes. Valentin, rĂ©vĂ©lateur primitif, ne pouvait voir ni comprendre toutes les consĂ©quences du dogme Ă©sotĂ©rique quâil fondait. Ou, sâil les a vues et comprises, il ne pouvait pas les rĂ©vĂ©ler, Ă©tant trop prĂšs du siĂšcle apostolique dâune part et du Paganisme de lâautre. Cependant, quand il dit que lâAmour nâest pas sans un objet aimĂ©, il laisse entendre que cet objet aimĂ©, câest-Ă -dire Achamot, sera la proie de cet amour. Valentin, dâailleurs, devait venir lui-mĂȘme, sous un autre nom et sous une autre forme, Ă un point du cercle des Renaissances, pour achever ce quâil a si magnifiquement commencĂ©.
« Dicit Helena in quadam revelatione cuidam gnostico, quod Valentinus nunc vivit, infulù donatus episcopali. Qui potest capere capiat ».
III
Je pose tout dâabord le dogme initial, la norme premiĂšre de la TrĂšs Sainte Gnose.
Le Salut vient de la Connaissance et non de la Foi. La Foi sans la Connaissance est morte. Hors de la Gnose, pas de salut.
Mais, comme lâon pensĂ© les docteurs, la Connaissance se rĂ©sout en Amour. Et Amour, semblable Ă un aigle ravisseur, sâabat puissamment sur lâAimĂ© et le transporte dans le foyer mĂȘme du dĂ©sir, lâHĂ©dĂŽnĂ©.
Ne croyons donc pas que la Gnose soit triste. Elle est joyeuse et forte. Elle sait et elle veut. Elle aime et jouit de ce quâelle aime. Une mystique catholique a dit excellemment :
« LâAmour triomphe,
LâAmour jouit,
LâAmour en Dieu se rĂ©jouit. »
Et Jean, de sa voix dâarchange, nous crie du haut du rocher de Pathmos : Dieu, câest lâAmour. Augustin dâHippone ajoute : Ama et fac quod vis. Enfin, la Sagesse elle-mĂȘme nous dit : Omnia munda mundis.
Reprenons lâhistoire de Sophia-Achamot, au moment prĂ©cis oĂč, enfantĂ©e par Sophia-CĂ©leste dans le monde intermĂ©diaire, elle sâaperçoit, avec une indicible horreur et une surnaturelle angoisse, quâelle sâengouffre dans les tĂ©nĂšbres, ces lourdes et dĂ©moniaques tĂ©nĂšbres que lâEvangile appelle avec une concision si dure et si impressionnante « les tĂ©nĂšbres extĂ©rieures ».
Ceux-lĂ qui prendraient Achamot pour un mythe se trompent et sâabusent eux-mĂȘmes. Elle est une substance, une Hypostase du divin. Sa joie et ses souffrances sont rĂ©elles. Jouissant et souffrant en elle, elle souffre et jouit en nous, les Pneumatiques. TombĂ©s comme elle et avec elle, nous serons avec elle et comme elle rĂ©intĂ©grĂ©s dans lâUnitĂ©. Son histoire est la nĂŽtre et la tragĂ©die dont elle est lâhĂ©roĂŻne se joue avec notre sang et avec nos larmes.
IV
Pendant quâelle souffrait ainsi – inĂ©narrablement – la supplication toute puissante des Eons – omni-potentia supplex – monta en lâAbĂźme. En un clin dâoeil, lâAbĂźme et le Silence sâunirent. En un clin dâoeil, Eros fut Ă©manĂ©. En un clin dâoeil, un rayon traversa les tĂ©nĂšbres et Achamot sentit palpiter sur son cĆur brisĂ© le cĆur Ă©ternel de son amant : le SacrĂ©-CĆur ! Le Cantique des Cantiques est la pĂąle reflet de lâĂ©pithalame que chantĂšrent alors les Eons. Eros sâĂ©tait fait chair, et il habitait avec nous. Le grand mot mystique fut profĂ©rĂ© : I.N.R.I. Que de Rose-Croix modernes en ignorent la signification profonde et la glorieuse beautĂ© ! Le Tau fut formĂ©. La Rose-Croix fut jointe, le saint mĂ©lange fut rĂ©alisĂ©. Fils de lâEsprit et de la Chair, nous naquĂźmes alors dâEros et dâAchamot, et leur union fut dĂ©clarĂ©e indissoluble par le PlĂ©rĂŽme qui les bĂ©nit et nous bĂ©nit en eux. Notre MĂšre commença alors sa mission. Dans lâĆuvre du DĂ©miurge, elle sema les Ă©tincelles du Feu, ce feu que Simon le Mage a dĂ©crit dans lâApophasis MegalĂ©, ce feu de double nature, matĂ©riel sans lâesprit, spirituel sans la matiĂšre, ce feu sauveur quâadorĂšrent les Aryas et les Parses, et dont le soleil est la symbole cosmique, I.N.R.I. Igne Natura Renovatur Integra.
V
Nous pouvons prĂ©voir et dĂ©jouer ici lâobjection captieuse et perfide. Ce feu, câest la convoitise disent les thĂ©ologiens du DĂ©miurge. RĂ©pondons hardiment : ce feu, câest lâAmour. Et, plus hardiment encore, ajoutons : ce feu câest lâAmour tout entier, non pas scindĂ©, non pas divisĂ©, non pas inutile, mais tout entier, lâamour un et indivisible ; non pas la convoitise pure comme chez les paĂŻens, non pas la charitĂ© stĂ©rile comme chez les ascĂštes, mais lâamour venant de lâesprit et traversant la chair quâil idĂ©alise comme le rayon du soleil traverse le cristal quâil irradie.
Allons plus loin. Toute la Gnose nous enseigne quâil y a en Dieu les sexes, le masculin et le fĂ©minin. Toute la Gnose nous enseigne que les Eons sont Ă©manĂ©s par couples en syzygies. Le PĂšre des Eons, le premier Eon, est mĂąle-femelle, Deus-Dea, Dieu-DĂ©esse ; il se nomme lâAbĂźme-Silence ! Et toute la scĂšne quâil Ă©mane est comme lui. Jâai dit dans mon cantique gnostique, publiĂ© par lâEtoile :
Les Eons quâil Ă©mane,
Emanent Ă leur tout
Un et Deux, câest lâArcane
De lâinsondable amour.
Eros possĂšde rĂ©ellement Achamot, et, chez les Pneumatiques, lâHomme et la Femme sâaiment et se possĂšdent. LâEon HĂ©donĂ© est le lien qui les unit. Le DĂ©sir est saint, la Possession est sainte, mais ni ce DĂ©sir ni cette Possession ne sont la DĂ©bauche, ils sont lâAmour.
VI
Or, ce qui distingue lâAmour de sa sĆur dĂ©chue, la DĂ©bauche, câest que la DĂ©bauche nâaime pas et ne cherche que le Plaisir. Elle a le Plaisir pour but. Et lâAmour a le Plaisir pour moyen. Cette suprĂȘme et nĂ©cessaire diffĂ©rence les distingue tellement lâun de lâautre, quâil faut ĂȘtre aveugle pour ne pas la saisir. La calomnie ne peut mordre Ă ce diamant. Lâamour gnostique est une consolation, une aile qui nous Ă©lĂšve vers la Science, la Connaissance. Deux, se tenant par la main, montent Ă la LumiĂšre et dĂšs lors ne descendent pas vers les TĂ©nĂšbres.
Oh ! que notre mĂšre Achamot, consolĂ©e par Eros, nous reconnaisse et nous avoue comme ses fils et ses imitateurs ! Quâelle se reconnaisse aussi en nous qui sommes fait Ă son image et Ă sa ressemblance ! Elle semble avoir voulu nous donner un exemple, en produisant ce Simon et cette HĂ©lĂšne dont lâhistoire nous est familiĂšre. Les grands amants sillonnent la nuit des Ăąges comme des phares lumineux : Simon, HĂ©lĂšne ! – AbĂ©lard, HĂ©loĂŻse ! – Dante, BĂ©atrice ! – quasi scintillae in arundineo discurrunt !
Ils Ă©clairent nos sentiers ! Ils marchent devant nous comme des prĂ©curseurs, et, semblables aux coureurs antiques dont parle LucrĂšce, ils nous tendent en passant la torche de lâamour, – et quasi cursores vitce lampada tradunt.
Plus sur le sujet :
La Gnose dâAmour , J.-S. Doinel. PubliĂ© dans lâInitiation, juin 1893.
Image par Stefan Keller de Pixabay
Pour en savoir plus sur la Gnose moderne, visitez le site de l’Eglise Gnostique Chaote.