Au sujet de John Dee

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Un article de Julie Stern au sujet de John Dee. 

À l’époque de la remontĂ©e des intĂ©grismes et autres versets sataniques il n’est pas inutile de voyager au XVIĂšme siĂšcle pour dĂ©couvrir un point central de rĂ©ponses et de questions en rapport avec l’éthique du bonheur et de la technologie occidentale de 1994. Neuf siĂšcles aprĂšs la rĂ©vĂ©lation islamique, 200 occidentaux de toute l’Europe se retrouvĂšrent Ă  porter l’esprit de la Renaissance avec le flambeau de leurs certitudes. Ils Ă©taient mystiques, ingĂ©nieurs, mathĂ©maticiens, techniciens, courtois, Ă©vangĂ©listes du paradis sur terre. Ils créÚrent l’humanisme dont tout le monde parle en nos temps de rĂ©flexions morales, mais que trop peu connaissent. La dĂ©mocratie y puise lĂ  une dimension transcendantale et biblique. John Dee est celui qui reçut la rĂ©vĂ©lation la plus imposante – plusieurs centaines de pages dont un monologue de Dieu aussi amer et profond que le Livre de Job, oĂč il se repent mĂȘme d’avoir créé l’ĂȘtre humain… le reste du texte s’apparentant au cĂ©lĂšbre livre des Dialogues avec l’Ange – rĂ©vĂ©lation spirituelle de portĂ©e universelle dissimulĂ©e qui s’inscrit en filigrane au cƓur des relations actuelles de l’humain Ă  son identitĂ©, de la sociĂ©tĂ© et de la nature, de la femme et de l’homme, des peuples et de leurs histoires, des religions et des politiques, de la libertĂ© et de l’amour. De l’art. La grande aventure de l’évolution de l’esprit humain.

Au sujet de John Dee

Les mystĂšres de John Dee

Jusqu’à une date rĂ©cente, John Dee fut regardĂ© comme un maniaque isolĂ© et marginal de l’histoire britannique de la dynastie des Tudor, n’ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© d’aucune Ă©tude approfondie, acadĂ©mique et sĂ©rieuse, un homme seulement digne d’intĂ©rĂȘt aux yeux d’une petite minoritĂ© d’antiquaires et d’occultistes. MĂȘme aujourd’hui l’Encyclopedia Britannica ne nous propose qu’un petit paragraphe Ă©triquĂ© et sans information exhaustive – sort peu enviable pour un homme qui fut rĂ©vĂ©rĂ© en son temps – la grande Renaissance – comme l’homme le plus Ă©rudit de toute l’Europe.

Inspirateur du personnage de Prospero dans la TempĂȘte de Shakespeare, John Dee est Ă  la base de la rĂ©volution technicienne anglo-saxonne moderne et des contradictions Ă©thiques du systĂšme hĂ©ritĂ©es et transformĂ©es par l’exercice du pouvoir. Faire sa biographie revient Ă  faire Ɠuvre en matiĂšre d’histoire des sciences et des technologies (astronomie, astrologie, mathĂ©matiques, mĂ©canique), des sociĂ©tĂ©s (de l’antiquitĂ© au XVIĂšme siĂšcle) et des spiritualitĂ©s (mondiales).

John Dee donna Ă  l’Angleterre le concept politique d’« Empire Britannique » et ouvrit les flux de navigation de la Grande-Bretagne avec la Russie et l’AmĂ©rique. Il prĂ©tendit avoir communiquĂ© avec les anges comme si les rois, les empereurs et les grands ne lui suffisaient pas. Une vie qui se dĂ©roule comme un film d’aventure mystico-politique, une Ă©popĂ©e au rythme d’un thriller mythique car Shakespeare n’est vraiment pas loin et la TempĂȘte eĂ»t vraiment lieu….

Biographie

John Dee est nĂ© Ă  Londres le 13 juillet 1527. Il Ă©tait le fils de Rowland Dee, un courtier au service privĂ© du roi Henry VIII. Les deux familles d’origine galloise s’étaient soudĂ©es durant la guerre des deux roses oĂč la pourpre des Tudor avait vaincu la blancheur de la rose d’York. De 1542 Ă  1545, John Dee Ă©tudie au CollĂšge St John de Cambridge dont il raconte ; “J’étais si profondĂ©ment plongĂ© dans l’étude que durant ces annĂ©es je respectais de maniĂšre inviolable mon emploi du temps ; seulement quatre heures de sommeil chaque nuit ; deux heures par jour pour prendre nourriture et boisson (et quelques rafraĂźchissements aprĂšs) ; et le reste des dix-huit heures (exceptĂ© le temps pour aller et rĂ©aliser le service divin) passa dans mes Ă©tudes et apprentissage).” Puis le Trinity College. Reçu bachelier Ăšs Arts en 1546 il devient l’un des membres de la SociĂ©tĂ© des Amis du Trinity College, toujours Ă  Cambridge.

Cette mĂȘme annĂ©e, il construisit une machine volante pour la reprĂ©sentation de l’apparition théùtrale de Zeus dans La Paix, piĂšce d’Aristophane. InfortunĂ©ment, cette prouesse technique pour l’époque forgea la base d’une accusation de pratique des arts magiques malĂ©fiques (pensez donc Ă  Zeus en train de voler sur un char au sein de l’Olympe Ă  la sortie du moyen-Ăąge religieux !) et un Ă©vocateur des mauvais esprits. Banal. La dure vie du XVIĂšme siĂšcle. Comme Bertrand Gilles l’a indiquĂ© dans son cĂ©lĂšbre ouvrage Les IngĂ©nieurs de la Renaissance, les mystiques seuls Ă©tudiaient les mathĂ©matiques qui aboutissaient Ă  concevoir des machines permettant de faire disparaĂźtre les ouvrages pĂ©nibles pour l’humanitĂ©. Mais l’Eglise avait interdit cette pratique des « arts mĂ©caniques » jugĂ©s diaboliques. Seuls les rois et la haute noblesse militaire protĂ©geaient une part de la connaissance technique hĂ©ritĂ©e de l’antiquitĂ© pour fabriquer des armes, des ponts, des vĂ©hicules, des scaphandres, des moulins, des proto-machines volantes ou plongeantes… Et les 200 de la renaissance europĂ©enne…

Mais Dee s’en dĂ©pĂȘtre. On court dans toute l’Europe et les villes sont de verdure fleuries. Et s’enfuit. La Belgique. Les Flandres. De 1548 Ă  1551, John Dee poursuit des Ă©tudes Ă  Louvain, universitĂ© soutenue financiĂšrement par la papautĂ© et l’Empereur Charles V, rĂ©putĂ©e dans toute l’Europe pour l’étude des Lois Civiles et des MathĂ©matiques. John Dee visite Ă©galement Anvers avant d’arriver Ă  Paris et y faire la performance remarquable pour un jeune homme de 33 lectures successives sur Euclide. “Une chose qui n’avait jamais Ă©tĂ© faite publiquement dans aucune UniversitĂ© de la ChrĂ©tientĂ©â€, comme il le notera lui-mĂȘme avant de prĂ©facer le premier ouvrage britannique d’Euclide qui servira encore Ă  l’enseignement des mathĂ©matiques dans les collĂšges anglais de 1914. Mais surtout le passage de John Dee Ă  Louvain qui n’achĂšvera pas son doctorat fut celui de sa rencontre et de sa trĂšs longue amitiĂ© avec GĂ©rard Mercator, le premier gĂ©ographe du globe terrestre rĂ©el, le fondateur de la gĂ©ographie moderne. John Dee retourne en Angleterre en possession du secret de la boussole orientĂ©e sur le pĂŽle magnĂ©tique dont la place et le rĂŽle sont dĂ©couverts par GĂ©rard Mercator, les contrĂ©es d’AmĂ©rique et les passages prĂ©sumĂ©es vers la mer Baltique et la Russie. C’est l’amitiĂ© de John Dee qui ouvre la dimension « d’empire maritime” au monde anglo-saxon. La Russie. Et la Virginie…

En Angleterre il passe les annĂ©es 1551 Ă  1553 comme tuteur de Robert Dudley, fils du Lord Protecteur Northumberland, et plus tard Comte de Leicester. En 1553, Edouard VI lui confĂšre deux Eglises en fonction, avec leurs pensions, les rectorats d’Upton-on-Seven, Worcestershire et Long Leadenham, Lincolnshire. Toutefois, l’accession de la Reine Mary Tudor (mariĂ©e Ă  l’ultra-catholique roi d’Espagne Philippe II qui rĂ©prime le protestantisme puritain) provoqua un dĂ©plaisant revers de fortune d’autant que les Ă©tudiants en arts magiques et mathĂ©matiques (Ă  l’époque c’est la mĂȘme discipline, interdite en mĂȘme temps que l’étude de tout art « mĂ©canique ») sont poursuivis par les bĂ»chers. John Dee est emprisonnĂ© en 1555 sous l’inculpation d’ĂȘtre « soupçonnĂ© d’avoir lancĂ© des enchantements contre la Reine ». Il est relaxĂ©, mais son majordome, Barthlet Grene, est brĂ»lĂ© vif.

Pour retrouver son crĂ©dit, John Dee adresse une supplique Ă  la Reine Mary pour la recherche et la prĂ©servation des anciens Ă©crits (brĂ»lĂ©s par les tribunaux) et monuments. 1556. Il est embauchĂ© comme assistant d’un inquisiteur. Il rĂ©cupĂšre tous les manuscrits d’alchimie (qu’il Ă©tudie) saisis aux domiciles des prĂ©venus de la justice ecclĂ©siastique et accumule un Ă©norme fonds de manuscrits qui servira Ă  l’essor scientifique ultĂ©rieur de la Grande-Bretagne. “Si le facteur essentiel d’une universitĂ© est une excellente bibliothĂšque, FR Johnson a soulignĂ© que la maison de Dee peut vraiment ĂȘtre considĂ©rĂ© comme l’acadĂ©mie scientifique d’Angleterre durant la premiĂšre moitiĂ© du rĂšgne d’Elizabeth 1Ăšre d’Angleterre.” comme le soulignent les modernes biographes de John Dee, Frances Yates et Peter French. Sa bibliothĂšque inclut les oeuvres complĂštes de Platon et d’Aristote, les drames d’Eschyle, Euripide, Sophocle, les sentences de SĂ©nĂšque, Terence et Plaute, les Ă©crits de Thucidyde, HĂ©rodote, HomĂšre, Ovide, Tite-Live, Plutarque.

Mais la Reine Mary Tudor vient de mourir.

Il avait de nombreux ouvrages sur la religion et la thĂ©ologie : la Bible, le Coran, St Thomas d’Aquin, Luther, Calvin. Tous les ouvrages majeurs pour les antiquaires britanniques contemporains Ă©taient prĂ©sents, incluant toutes les Ɠuvres de sciences, de mathĂ©matiques. La gĂ©ographie. Evidemment, pour un homme de la Renaissance, le mysticisme et le magique Ă©taient importants dans le schĂ©ma de rangement, avec Plotin, Roger Bacon, Raymond Lulle, Albert le Grand, Marsile Ficin, Pic de la Mirandole, Paracelse, TrithĂšme et Agrippa. Et d’autres. Toute la Renaissance en un seul Ă©rudit. En faire la biographie, c’est donner la connaissance scientifique et technique de l’antiquitĂ© au XVIĂšme siĂšcle. Un cours d’art de la mĂ©moire (base de l’éducation traditionnelle) en prime.

Le magicien de la reine Elizabeth 1ùre d’Angleterre

L’astrologue de la date retenue pour le couronnement solennel de la Reine Elisabeth 1Ăšre d’Angleterre s’appelle John Dee. Il la servira avec un dĂ©vouement peu commun durant toutes les annĂ©es de son rĂšgne. Dee fut connu Ă  la Cour avec son air de barde merlinesque et retrouva le Comte de Leicester, son premier Ă©lĂšve, ainsi que le cercle de Sir Philip Sydney, l’amitiĂ© profonde de Sir William Cecil, et de nombreux autres proches de la Couronne dont le responsable des services secrets, Sir Gresham, incluant – spĂ©cialement – la Reine elle-mĂȘme. Le matricule d’agent secret de Dee auprĂšs de la Reine fut le chiffre 7. C’est une trĂšs bonne pĂ©riode. Des annĂ©es « studieuses, productives et remplies de succĂšs ». Il voyait la Reine plusieurs fois par semaine en conversations privĂ©es. Elle venait souvent chez lui Ă  l’improviste. Il semble avoir rempli tout Ă  la fois le rĂŽle d’un conseiller politique, spirituel, militaire, culturel et technique. Secrets d’état britanniques. John Dee voit l’Angleterre sauvĂ©e si elle se dĂ©cide Ă  acquĂ©rir la maĂźtrise des eaux. La crĂ©ation de la flotte anglaise avec le bois russe. Ivan le Terrible est bientĂŽt connu par les courtiers sous le nom de « Tzar anglais ». Il est si impressionnĂ© par la renommĂ©e de John Dee qu’il l’invite Ă  Moscou, lui offrant nourriture et grande maison en plus de 2000 livres par an. John Dee refuse en bon patriote. En 1580 John Dee prĂ©sente Ă  la Reine Elizabeth une carte de l’hĂ©misphĂšre nord lui permettant d’asseoir sa lĂ©gitimitĂ© des droits anglais sur l’AmĂ©rique du Nord. Et de promouvoir trois ans plus tard les voyages de son ami Sir Walter Raleigh avec le baptĂȘme de la « Virginie » et l’expĂ©dition de l’OrĂ©noque, inspirant aussi celles de Francis Drake. L’Empire britannique naĂźt tandis que la France se dĂ©bat dans ses Guerres de Religion distanciĂ©es Ă  l’envi par les Ɠuvres de Français Rabelais…

Pour lire les ouvrages cryptĂ©s et Ă©valuer le rĂŽle de son pays sur le plan physique et mĂ©taphysique, John Dee est surtout intĂ©ressĂ© par les cryptographies de l’alchimie, de la qabal et les possibilitĂ©s de communication directe avec les forces divines de vie Ă©manant des textes dĂ©codĂ©s. Il possĂšde l’ensemble des Ɠuvres de Roger Bacon, ce moine franciscain du XIIIĂšme siĂšcle qui dĂ©crit les Ă©tapes de la rĂ©volution scientifique qui ne s’accomplira qu’au XVIIĂšme, et fera le pont avec Francis Bacon qu’il rencontre Ă  deux reprises, lui rĂ©vĂ©lant le rĂŽle essentiel de la mĂ©thode expĂ©rimentale pour l’essor des sciences et des techniques utiles Ă  l’humanitĂ© ainsi que sa responsabilitĂ© vis-Ă -vis de Roger Bacon, portant le mĂȘme nom que lui. Francis n’était pas aussi profond, mais il fera connaĂźtre du monde scientifique une vision de la mĂ©thode expĂ©rimentale qui bien que manquant de sel n’en demeure pas moins rĂ©elle.

Comme tous les grands renaissants, John Dee dĂ©couvre dans l’Arbre de Vie un schĂ©ma de synthĂšse ƓcumĂ©nique de toutes les religions et mythologies, schĂ©ma fonctionnel oĂč couleurs, minĂ©raux, plantes, arbres, lettres, nombres, parties du corps, portions du ciel et noms divins se correspondent. L’alchimie lui fait faire un voyage en Hongrie pour acheter un antimoine rĂ©putĂ©, mais les expĂ©riences qu’il rĂ©alise de nombreuses annĂ©es ne sont pas concluantes. Ce sont surtout les manuscrits magiques qui vont ouvrir les portes d’étranges expĂ©riences, celles de la philosophie occulte.

Nous sommes en 1582. Il rencontre l’homme avec lequel son nom sera si souvent associĂ©, Sir Edward Kelley. Beaucoup de personnes ont mĂ©ditĂ© en vain pour comprendre comment il fut possible qu’un homme intelligent comme Dee, exercĂ© aux Ă©tudes classiques, fĂ©ru de navigation, de mathĂ©matiques, de logique, de littĂ©rature et de philosophie, se soit occupĂ© lui-mĂȘme d’alchimie, de magie et d’évocation des esprits avec l’aide de Kelley. Examinons cette question.

La philosophie occulte eut une trĂšs grande influence sur la Renaissance. Elle dĂ©crivait l’univers en trois dimensions : le monde ElĂ©mentaire de la Nature Terrestre qui Ă©tait la province des sciences physiques, le Monde CĂ©leste des Ă©toiles qui pouvait ĂȘtre compris et apprĂ©hendĂ© par l’étude et la pratique de l’Alchimie et de l’Astrologie, incluant astronomie et mathĂ©matiques, et le Monde SupercĂ©leste qui pouvait ĂȘtre Ă©tudiĂ© par les opĂ©rations numĂ©riques et l’évocation des anges eux-mĂȘmes. Dee tente d’explorer le Monde SupercĂ©leste pour obtenir des rĂ©ponses vivantes qu’il ne trouvait plus dans les livres qu’il avait tous lus. Sa tentative d’obtenir ce contact angĂ©lique est du point de vue de son temps et de la mĂ©thode expĂ©rimentale purement logique. Les motivations profondes de Dee sont scientifiques et religieuses. Religieuses en ceci que Dee croyait sincĂšrement lui-mĂȘme qu’il Ă©tait en conversation avec les Ă©missaires de Dieu et montrait une attitude constante empreinte de sagesse chrĂ©tienne. Scientifiques en ceci que Dee posait la question : Y a-t-il une vie intelligente dans d’autres dimensions ? Il croyait que c’était le cas et que l’Homme pouvait rĂ©ussir Ă  Ă©tablir la communication permanente avec les anges. Il essaya. Se trouvant piĂštre voyant, John Dee cherche un mĂ©dium pour voir et entendre les anges invoquĂ©s. Saul Barnabas fut remplacĂ© par Edward Kelley dont on connaĂźt peu de chose.

NĂ© Ă  Worcester le 1er aoĂ»t 1555, il entre Ă  Oxford sous le nom d’Edward Talbot puis disparut de l’UniversitĂ©. Certains historiens pensent qu’il avait ouvert la tombe de Saint Dunstan dans l’espoir d’y retrouver une poudre de projection alchimique mentionnĂ©e dans les lĂ©gendes. Quoi qu’il en soit, il devint quelque temps le secrĂ©taire du mathĂ©maticien et Ă©tudiant Ăšs hermĂ©tismes Thomas Allen, avant de prĂ©senter lui-mĂȘme ses services Ă  la maison de Dee, Ă  Mortlake.

Le Langage Enochien

Le 10 mars 1582. Selon le docteur Thomas Head : “Le portrait du compte-rendu des sĂ©ances avec Dee est celui d’une personnalitĂ© ambiguĂ« au plus haut point, mauvais et menteur, instable et acide, prompt d’un cĂŽtĂ© Ă  de terrifiques accĂšs de colĂšre accompagnĂ©s de violence physique, et de l’autre Ă  de soudains Ă©lans spirituels desquels il se sĂ©pare promptement.” La plupart des biographes s’accordent Ă  dire que le contraste entre la vie et le caractĂšre de Dee et ceux de Kelley est Ă  la source de la fascination des deux hommes. Le saint et le dĂ©bauchĂ©. Notre propre traduction des comptes-rendus de sĂ©ance nous fournit d’autres pistes. Dee fut attirĂ© par Kelley lorsque celui-ci se prĂ©senta comme un « alchimiste opĂ©ratif ». Dee n’aurait pas rĂ©ussi Ă  expĂ©rimenter sa « magie angĂ©lique » sans le soutien mĂ©diumnique exceptionnel de Kelley et Ă  dĂ©boucher, aprĂšs des rĂ©sultats initiaux extraordinaires par rapport au but recherchĂ©, sur l’émergence d’une Ă©nigme qui n’a toujours pas Ă©tĂ© rĂ©glĂ©e : le langage Ă©nochien. Dee ne savait toujours qu’en penser au soir de sa vie, trente ans plus tard…

Les prĂ©paratifs initiaux Ă©taient simples. Comme le note le docteur Head : “Simplement en posant une pierre de vision ou un cristal de roche sur la table de pratique et une courte priĂšre dite par le docteur Dee.” Le rĂ©sultat fut que Kelley reçut le premier jour une vision de l’Ange Uriel qui rĂ©vĂ©la sa signature secrĂšte et donna les directives prĂ©liminaires pour la construction de « deux talismans magiques » :

1 – Le « Sigillum Dei Aemeth (Le »Sceau de la VĂ©ritĂ© Divine »), un pantacle de 9 pouces de diamĂštre fait de cire purifiĂ©e, piĂšce conservĂ©e actuellement au British Museum.

2 – La « Tabula Sancta » (La « Table Sainte »), une table faite de bois prĂ©cieux de 1,60 mĂštre de haut sur 0,8 de large, sur laquelle un large sceau rectangulaire contenant 12 lettres d’un alphabet inconnu (l’énochien…) Ă©taient entourĂ©s avec 7 sceaux circulaires attribuĂ©s aux pouvoirs planĂ©taires.

Les deux talismans qui Ă©taient en fait les deux premiers documents Ă©nochiens devaient ĂȘtre employĂ©s ensemble, le pantacle Ă©tant placĂ© sur la Table Sainte durant son usage. Dee et Kelley furent persuadĂ©s que ce langage Ă©tait celui des anges eux-mĂȘmes et correspondait Ă  une sorte de langage source, dont les plus antiques langues seraient issues. La complexitĂ© des Ă©vĂ©nements s’accroĂźt. Le 14 mars un esprit se prĂ©sentant comme l’Ange Michael donne des instructions pour fabriquer un anneau magique en or, portant un sceau qu’il disait ĂȘtre identique Ă  celui qui “permit tous les miracles et les travaux divins et les merveilles rĂ©alisĂ©es par Salomon.” Le 20 mars l’Ange Uriel dicte un carrĂ© de 49 caractĂšres, contenant 7 noms angĂ©liques identifiĂ©s par Dee et Kelley. Un jour plus tard, un second carrĂ© est dictĂ©. Kelley allait commencer Ă  dicter Ă  Dee les visions sur le langage angĂ©lique ou « Enochien ». Comme l’écrit Head : “L’alphabet Ă©nochien apparĂ»t d’abord : 21 caractĂšres ressemblant Ă  l’éthiopien dans la forme des lettres, quoique non dans sa structure proche du grec, est Ă©crit de droite Ă  gauche comme toutes langues sĂ©mitiques. Cela se poursuivit avec un livre contenant Ă©galement une centaine de carrĂ©s, la plupart remplis de 2401 carrĂ©s (49 fois 49), dont la dictĂ©e devint le principal travail de toutes les sĂ©ances quotidiennes durant 14 mois. Et le matĂ©riel continua de s’empiler page aprĂšs page livre aprĂšs livre jusqu’à la sĂ©paration finale entre Dee et Kelley en 1589.”

Dee et Kelley partent en Pologne sur l’invitation d’un aristocrate, sĂ©journent Ă  Cracovie oĂč les Anges leurs parlent d’alchimie, avant d’ĂȘtre reçus Ă  Prague par l’Empereur Rodolphe II de Habsbourg, l’empereur des alchimistes, protecteur de DĂŒrer, Arcimboldo, Tycho BrahĂ©, KĂ©pler et de nombreux autres. L’anti-Philippe II d’Espagne. Il prend Dee (qui lui offre un manuscrit original de Roger Bacon en lui parlant de ses contact angĂ©liques) et Kelley sous sa protection. Pure synchronicitĂ© de la prĂ©sence du mot « Aemeth » posĂ© sur le sceau de cire de Dee et le « Aemeth » posĂ© sur le Golem du fameux Rabbi Loew qui vivait Ă  Prague Ă  la mĂȘme Ă©poque ? Le journal de Dee ne fait aucune mention d’une rencontre avec le rabbi mais il rencontre le mĂ©decin alchimiste de l’Empereur, Michael MaĂŻer, le premier qui Ă©crira pour attester de l’existence d’une fraternitĂ© portant l’emblĂšme de la Rose et de la Croix, prĂ©sente pour guĂ©rir l’humanitĂ© de ses maux. FraternitĂ© invisible. Mais quoi qu’il en soit de la rencontre fictive ou rĂ©elle narrĂ©e par le romancier Gustav Meyrink dans son cĂ©lĂšbre « Ange Ă  la fenĂȘtre d’Occident », quoi qu’il en soit de la disgrĂące sociale qui tombe sur les deux hommes (Dee retourne en Angleterre avec sa femme en 1589, Edward Kelley est emprisonnĂ© par Rodolphe II de Habsbourg et meurt en 1595), la vĂ©ritable question posĂ©e par Dee est celle de la Rose. Ethno-histoire. Chroniques de la transmission chamanique europĂ©enne.

John Dee à l’origine de la Rose-Croix ?

La lĂ©gende rosicrucienne – l’histoire de la fondation d’une confrĂ©rie mystique par un certain Christian Rosenkreuz, de sa mort en 1484 et de l’ouverture de sa tombe 120 ans plus tard – fut d’abord relatĂ©e dans un certain nombre d’opuscules publiĂ©s dans les annĂ©es 1614 et 1615. Dee est mort en 1608. Le plus influent de textes fut la Fama Fraternitatis rapidement traduit dans toutes les langues des Ă©rudits du XVIIĂšme siĂšcle. RenĂ© Descartes rechercha fiĂ©vreusement les Rose-Croix en Europe et en garda l’empreinte dans sa philosophie personnelle. Cet opuscule influença non seulement les kabbalistes et les magiciens de l’époque, ces humains qui avaient tendance Ă  penser plus en symboles qu’en mots, mais aussi les confrĂ©ries maçonniques du XVIIIĂšme siĂšcle et les occultistes de la pĂ©riode postĂ©rieure Ă  1850. La rose qui a Ă©tĂ© de tout temps et de tout espace l’emblĂšme de la beautĂ© de la vie et de l’amour exprime la pensĂ©e secrĂšte de toutes les protestations manifestĂ©es Ă  la Renaissance. C’est comme l’écrivit Eliphas LĂ©vi : “La chair rĂ©voltĂ©e contre l’oppression de l’esprit ; c’était la nature se dĂ©clarant Fille de Dieu, comme la GrĂące ; c’était la Vie qui ne voulait plus ĂȘtre stĂ©rile ; c’était l’humanitĂ© aspirant Ă  une religion naturelle, toute de raison et d’amour, fondĂ©e sur la rĂ©vĂ©lation de l’harmonie de l’ĂȘtre, dont la rose Ă©tait pour les initiĂ©s le symbole vivant et fleuri.”

La rose est une arme magique. Un pantacle naturel universel. La rose venue de la gnose d’Alexandrie, des traditions monastiques et des ordres religieux de chevalerie, c’est l’Amour invincible qui unit la chair Ă  l’esprit, c’est l’Amour de la Face fĂ©minine de la DivinitĂ©. On pense bien sĂ»r Ă  Guillaume de Lorris qui commença le Roman de la Rose, sans oublier le Cantique des Cantiques de l’Ancien Testament. La Rose de Saron et le Lys de la VallĂ©e. La Rose est la Nature, la Femme. Et le qabaliste chrĂ©tien Agrippa publie son livre De la SupĂ©rioritĂ© des Femmes. L’Inquisition et les Guerres de Religion ont durement frappĂ© les femmes sous couvert de procĂšs en sorcellerie comme le soulignent de nombreux universitaires anglo-saxons. On songe Ă  l’Ordre du Temple et la construction des cathĂ©drales en Europe. Les communes. Jehan de Meung reprend le Roman de la Rose aprĂšs avoir lu, c’est bien le moins, les textes taoĂŻstes transmis Ă  Philippe VI le Bel par les Mongols. 1265. C’est la date de naissance de Dante qui sera l’un des chefs de la Fede Santa, tiers-ordre de la filiation templiĂšre. Il dĂ©crira dans son huitiĂšme ciel du paradis le Ciel EtoilĂ©, celui des Rose-Croix, parfaits vĂȘtus de blanc qui y professent l’universalisme de la doctrine Ă©vangĂ©lique, opposĂ©e Ă  la doctrine catholique romaine, tout en Ă©vitant la rupture. Dee Ă©tait pour la rĂ©conciliation du christianisme, toutes tendances confondues. Mais les abus de la papautĂ© les trouvait impitoyables. Ils rejoignaient lĂ  les courants occultes de l’hermĂ©tisme, du catharisme, les thĂšses ouvertement gnostiques tenues par Albert le Grand, Saint Thomas d’Aquin, Pierre le Lombard, Richard de Saint-Victor, saint François d’Assise, sainte Claire, et le Tiers-Ordre tout entier. Le Tiers-Ordre qui va vaincre la fĂ©odalitĂ© en laissant jaillir de lui le Tiers-Etat. Car pour John Dee la chose est claire dans la lettre de 1563 qu’il adresse Ă  Sir William Cecil :

  1. Tout est une UnitĂ©, créée et soutenue par l’Unique Ă  travers ses Lois.
  2. Ces lois sont enseignées par les Nombres-Sons.
  3. Il existe un art combinatoire des lettres hĂ©braĂŻques qui les rend valentes avec le Nombre, de telle façon que de profondes vĂ©ritĂ©s se rĂ©vĂšlent concernant la nature de l’Unique et Ses relations avec l’Etre humain.
  4. L’Etre humain est d’origine divine. Loin d’avoir Ă©tĂ© créé Ă  partir de la poussiĂšre comme le narre la GenĂšse, il est en essence un GĂ©nie stellaire.” Ou comme le dira Le Livre de la Loi, transmis Ă  Aleister Crowley qui Ă©tudia Dee au dĂ©but du XXĂšme siĂšcle : « Chaque homme et chaque femme est une Ă©toile ».
  5. Il est essentiel de rĂ©gĂ©nĂ©rer l’essence divine Ă  l’intĂ©rieur de l’Etre humain, et cela peut ĂȘtre rĂ©alisĂ© par les pouvoirs de l’intellect divin.
  6. Selon la sainte Qabalah, Dieu se manifeste par les intentions de 10 Ă©manations progressivement denses : et l’Etre humain en dĂ©diant son esprit Ă  l’étude de la divine sagesse et en affinant son ĂȘtre entier, et par l’éventuelle communion des anges eux-mĂȘmes, pourra Ă  la fin entrer en prĂ©sence de Dieu.
  7. Une comprĂ©hension attentive des processus naturels, visibles et invisibles, rend l’Etre humain capable de jouer avec ces processus Ă  travers les pouvoirs de sa volontĂ©, son intelligence et son imagination.
  8. L’Univers est un modĂšle ordonnĂ© de correspondances. Quelle que soit la chose dans l’Univers, elle possĂšde un ordre, une sympathie et une force stellaire avec beaucoup d’autres choses.”

Pour John Dee, ce n’est pas une mĂ©taphore. Chaque ĂȘtre humain est vraiment une reproduction terrestre d’une des Ă©toiles visibles dans le ciel, Ă  l’instar de Paracelse. L’astrologie astronomique profile une synthĂšse des sciences qui aboutit Ă  une astrosophie et une gĂ©osophie. Les rĂ©vĂ©lations angĂ©liques lui fourniront un important matĂ©riel mettant en relations les diffĂ©rents peuples connus, avec leurs qualitĂ©s spĂ©cifiques et leurs singularitĂ©s, selon un schĂ©ma relativement proche de l’histoire rĂ©elle des civilisations. Le premier rayon est constituĂ© par l’Egypte, la France dans le 8Ăšme, l’Allemagne dans le 10Ăšme… De la diplomatie psychologique, historique et mĂ©taphysique pour se dĂ©tendre.

Roman de la Rose du XVIĂšme siĂšcle

Histoire d’amour. 1578. John Dee a 51 ans. Ses cheveux et sa barbe blanchissent et il ressemble de plus en plus Ă  un sobre Merlin. Sa renommĂ©e de magicien discret n’est pas discutĂ©e Ă  la cour de la Reine. Mais la vraie magie de la vie survient lorsque la plus belle jeune femme de l’entourage d’Elizabeth 1Ăšre, suivante de Lady Howard, Jane Fromont alors ĂągĂ©e de 25 ans, tombe Ă©perdument amoureuse de lui. Ils se marient. Elle lui donnera 5 enfants et l’idĂ©e juste de la vraie dimension amoureuse d’une femme en un temps trĂšs patriarcal et trĂšs puritain/dĂ©bauchĂ©. Jane et John Dee ont mariĂ© les roses blanches, roses et rouges, sans oublier les noires roses de l’art d’amour occidental, tantrisme naturel oĂč l’esprit revisite toute l’histoire des divinitĂ©s fĂ©minines, la Rose de Sumer, d’Egypte, de Babylone, de GrĂšce, de Rome, de Gaule, de Galles, de Celtie, du Moyen-Age et du XVIĂšme siĂšcle avec la dĂ©couverte de la face FĂ©minine de la Vie reprenant ses droits au fil de l’histoire humaine, Ă  paritĂ© dans un monde dominĂ© par la force masculine.

Pétales de roses. Scarlet Romance.

Mais nul n’est prophĂšte en son pays et le retour de Prague Ă  Londres, en 1589, est difficile. Certes, Jane est avec John et l’Invincible Armada des flottes espagnoles lancĂ©es pour conquĂ©rir l’Angleterre a bien pĂ©ri en 1588 dans la grande TempĂȘte dont la lĂ©gende attribue le miracle jusque dans le peuple Ă  la fabrication par John Dee d’un pentacle consacrĂ© aux Ă©lĂ©ments des eaux pour protĂ©ger la Grande-Bretagne de toute domination maritime. Mais, en mĂȘme temps, la mĂȘme rĂ©putation de magicien a dĂ©truit par les flammes la maison de Dee Ă  Mortlake, le voisinage ayant perçu autour la prĂ©sence d’esprits et de spectres avant de la brĂ»ler.

Il n’y eut pas de rĂ©ception somptueuse pour les recevoir. Leurs demandes d’assistance et de protection Ă©chouĂšrent successivement et Dee fut intensĂ©ment tourmentĂ© par des problĂšmes financiers et par le scandale. Finalement, c’est la Reine Elizabeth qui le nomme au CollĂšge du Christ Ă  Manchester en 1596. Mais les Ă©tudiants firent le gros dos aux rĂ©formes de John Dee qui leur procurait plus de travail. En 1605, ils le forcĂšrent Ă  abandonner son poste. Il retourna Ă  Mortlake, veuf, Jane ayant dĂ©cĂ©dĂ© peu de temps auparavant. Ses derniĂšres annĂ©es furent philosophiques. Il mourut en 1608.

L’histoire de la dĂ©couverte du travail « magique » de John Dee est elle-mĂȘme tout Ă  fait Ă©tonnante. Ses biens furent vendus et transmis en hĂ©ritage. Un siĂšcle plus tard, un ami d’Elias Ashmole lui fait rencontrer la jeune femme qui les possĂ©dait. Sir Elias Ashmole Ă©tait dĂ©jĂ  en train de fonder ce qui allait devenir la franc-maçonnerie anglaise lorsqu’il reçut l’intĂ©gralitĂ© des Ă©crits et le Sigillum Dei Aemeth de John Dee.

On ne lui connaĂźt pas de commentaire particulier sur le hasard objectif qui lui permit d’en devenir le possesseur, sans qu’aucune personne n’interfĂšre dans une transmission qui fera transiter le « dĂ©pĂŽt Ă©nochien » jusqu’au mĂ©decin lĂ©giste du XIXĂšme siĂšcle, le docteur Wynn Westcott, qui les propose Ă  la lecture d’un jeune et brillant Ă©tudiant maçonnique, lequel va devenir le beau-frĂšre du philosophe français Henri Bergson : Samuel Liddell MacGregor Mathers. L’un des hommes Ă  l’origine de l’Ordre HermĂ©tique de l’Aube DorĂ©e.

Plus sur le sujet :

Au sujet de John Dee, Lucie Stern, février 1995 e.v.

Illustration : Portrait de John Dee. XVIe, artiste inconnu. Ashmolean Museum, Oxford, Angleterre.See page for author / Public domain

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